dimanche, septembre 10, 2006

"Pierre, Moïse, Isaïe et d’autres"

Catherine Lestang

"Pierre, Moïse, Isaïe et d’autres".

En entendant hier ce que l’on nomme l’appel des 4 premiers disciples en Luc 5,1 – 11, plusieurs pensées me sont venues. La première est d’ordre bêtement technique: si les pêcheurs lavent leurs filets sur le rivage,c’est qu’il n’y a pas de filet dans la barque et que je doute fort que Simon ait eu le temps de remettre les filets en place, d’autant que la pêche se fait de nuit.Bon, petit point de détail.

La deuxième qui est un peu du même ordre est de me demander comment dans une petite barque (ceci est souligné par Luc) on peut se prosterner sur un tas de poissons glissants et frétillants sans se casser la figure et sans faire chavirer la barque qui s'enfoncait.

Mais surtout il y a la phrase que Simon adresse à Jésus: « Eloigne toi de moi Seigneur, car je suis un homme pêcheur, car la crainte l’avait envahi lui et tout ceux qui étaient avec lui à cause du coup de filet qu’ils venaient de faire.»

Curieusement ce "éloigne toi de moi", je l’ai entendu comme«quoi entre toi et moi», comme si Simon avait ressenti une « trouille » intense devant cet homme qu’il croyait pourtant connaître comme un gentil guérisseur et un gentil prédicateur.Bien sûr Jésus avait guéri sa belle-mère et cela, ça arrangeait tout le monde, bien sûr il avait guéri toute sorte de malades et chassé des esprits mauvais, mais là, il se passait quelque chose d’un autre ordre.Je crois que si Pierre avait pu se sauver, se mettre à distance, il l’aurait fait. Car comme Moïse et d’autres avant lui, il rencontre celui qu’on ne regarde pas les yeux dans les yeux.

Car qui peut ordonner à des poissons de se laisser prendre en plein jour? Qui est le maître des êtres qui glissent, si ce n’est celui qui les a créés?( Gn1,23) Alors là brusquement Jésus change de statut (de stature) aux yeux de Simon et de ses proches. D’une certaine manière « il » devient « Il », le Tout autre, celui qui commande à ce monde qui vit dans la mer. Alors, la peur apparaît et peut-être un désir de se mettre à distance, de se protéger de cet homme qui possède de si grands pouvoirs.

La réponse de Jésus«Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras» n’est pas forcément très rassurante ni très compréhensible pour cet homme dint le métier est la pêche. Est-ce à ce moment-là le désir de Simon ? J’en doute fort! La mission reste quand même assez sibylline.

Et il faudra du temps pour que cela s’intègre, puisqu’il faudra l’effusion de l’Esprit pour que Simon devenu Pierre se mette à pêcher.

Et j’ai repensé alors l’appel de Moïse et à celui de certains autres prophètes. Ce que j’aime tant chez Moïse, c’est son désir de savoir, de comprendre et aussi ses discussions avec « Celui qui est » pour accepter la mission qui sera la sienne: s’affronter à Pharaon et faire sortir le peuple d’Egypte pour le conduire dans un autre lieu. Il y a de quoi avoir peur et d’essayer par tous les moyens de se défiler.

Si on relit Ex3, 1-6, on assiste à une scène très vivante. Moïse voit ce buisson qui brûle sans se consumer (ce qui est contraire à toutes les lois de ce monde), il veut voir, il veut comprendre. Il fait un détour et là il entend une voix, qui comme souvent lors des appels du futur héros est un doublet de son nom. Il répond « me voici » (Présent à l’appel, pourrait-on dire). Et là d’une certaine manière les choses se gâtent, car Yahvé se révèle en demandant de se déchausser et en se situant comme le Dieu des Pères fondateurs. Comme quoi la curiosité n’est pas toujours une bonne chose. Moïse alors se voile la face car «il craignait de fixer son regard sur Dieu ». Mais il reste debout, en face. Et j’aime cette attitude de l’homme debout.

Se voiler la face, c’est un peu l’équivalent de ce que fait Pierre, se mettre à distance.… Quand on se prosterne, on ne regarde plus l’autre. On est sous le regard, sous sa dépendance de l’Autre. Et puis, il y a des Divinités qui ont«le mauvais œil» (je pense à la méduse des Grecs) et dont il vaut mieux se protéger.Car le voile peut avoir cette double valence: avoir peur et reconnaître la Toute Puissance. Plus tard, ce même voile servira à masquer la « Gloire » de YHWH qui affole le peuple.

Être sous le regard de Dieu n’est pas forcément un cadeau. D’ailleurs toute la suite du texte montre bien comme Moïse essaye de ruser, de se sortir de ce mauvais pas, malgré la puissance que YHWH lui délègue.

Pour Isaïe et d’autres prophètes, les choses sont un peu différentes, car elles se passent dans une vision. Mais la phrase d’Isaïe (Is6,4): « Malheur à moi, je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures » traduit à nouveau la peur face à un certain divin, un certain sacré. Lui, par contre résiste beaucoup moins que Moïse. Quant à Jérémie, on retrouve un peu la réticence de Moïse: « Je ne sais pas parler car je suis un enfant », mais comme dans l’appel de Pierre,il lui est signifié de ne pas avoir de crainte."N’aies aucune crainte car je suis là pour te délivrer"Jr1,8. Bien plus tard, Jérémie reprochera presque ces paroles dites:»Vraiment tu es pour moi comme un ruisseau trompeur,aux eaux décevantes »Jr 15, 18 .

Il reste un autre appel celui de Paul en Actes 9,3-10. Comme pour Ezéchiel (dont je n’ai pas parlé) il s’agit d’une vision qui fait tomber, qui est renversante. On ne peut y résister. Certainement c’est ce dont Saul avait besoin compte tenu de sa psychologie. Comme Moïse, il questionne, comme Moïse et les autres il reçoit une mission (ou un début de mission) se relever, faire confiance à ceux qui l’accompagnent et apprendre à leur faire confiance. Les trois jours qui suivent et qui ne sont pas sans évoquer les 3 jours qui mènent à la résurrection, sont des jours qui semblent être hors du temps, mais ces 3 jours-là font de Saul l’apôtre Paul, qui lui aussi sera un pêcheur d’homme.

Mais d’une certaine manière l’expérience qui fonde Paul paraît assez proche de ce que l’on appelle maintenant les NDE (near death experience), alors que l’expérience que fait Simon, lors de cette pêche miraculeuse, est la première d’une série qui se développe dans le temps (je pense à la transfiguration où la peur est présente) et qui permettra à Pierre de dire à Jésus:« tu sais bien que je t’aime »Jn 2 1,17. Et la peur est vaincue.


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