samedi, juin 18, 2005

Arbre de la connaissance du bien et du mal: version courte

Catherine Lestang

Interdit… Vous avez dit interdit ?

"Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas"…

VERSION COURTE

1 Préalables.

Les premiers chapitres de la Genèse sont considérés comme des chapitres à portée universelle. Nous sommes encore totalement tributaires de ces récits qui racontent l’histoire d’un homme (d’un couple) crée parfait et qui par sa désobéissance fut chassé d’un lieu appelé Eden (paradis), où tout était à lui, sauf un arbre celui de la connaissance du bon et du mauvais. Même si nous savons, que cet homme là est un homme mythique, qu’il n’a pas pu sortir ainsi « prêt à l’emploi », parce que l’histoire de l’humanité est une histoire progressive et que l’animalité en nous reste très présente, il n’en demeure pas moins, que même si on ne parle plus du péché originel mais du péché des origines, nous traînons cette culpabilité d’avoir désobéi et de devoir le payer.

Bien des chants, bien des textes de la messe, sont centrés sur la colère de Dieu qu’il faut apaiser. Cette colère étant générée par la désobéissance de l’homme à l’ordre divin. Elle est toujours capable de se réveiller, malgré le don total de son fils jésus, homme parfait.

Cependant cette non perfection elle est en nous depuis nos origines. Pour survivre, il a certainement fallu tuer. Simplement au cours des âges, un temps est arrivé pour l’homme, où compte tenu de son évolution et de son emprise sur l’environnement, d’autres possibles se sont ouverts pour vivre en société et pour laisser vivre « la douceur » antidote de la violence. Et puis, ne pas être parfait crée aussi le désir d’être parfait et cela est positif ! Les religions s’appuient aussi sur ce désir de chaque humain. Elles s'appuient aussi sur des interdits/ l'interdit, inter-dit, permettant à l'homme de se structurer.

Mais qu'en est il de cet interdit précis: de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, tu ne mangeras .

2 A propos de l’interdit.

Recentrons nous tout d'abord sur la notion d’interdit. La plupart des auteurs qui commentent aujourd’hui ces textes, insistent sur la notion d’interdit et sur l’impact positif de l’interdit sur l’homme. L’interdit permettant d’une certaine manière l’humanisation de l’être humain, vu comme « pécheur ». L’interdit fonctionne en tant que limite. Il crée une césure. Ce qui est alors sous jacent à ce premier interdit biblique, ce serait l’interdit de ne pas « tout »manger, « tout » consommer, « tout » dévorer et en particulier l’autre. Il s’agit bien d’un interdit au niveau de l’oralité. Or tout interdit au niveau de l’oralité est une limite au cannibalisme et au désir primaire d’incorporation, désir que l’on retrouvera quand même, mais sublimé dans l’eucharistie.

Mais il me semble que dans la Genèse, il ne s’agit pas d’un interdit global sur l’oralité, mais d’une interdiction très particulière concernant « la connaissance du bien et du mal », et dont la transgression conduit à la mort, puisque le « tu mourras » est répété deux fois.

Or cet interdit résonne en moi en parallèle avec l’interdit de l’inceste dans nos sociétés patriarcales, interdit qui s’énonce : « toutes les femmes sauf ta mère » ou « tous les hommes sauf ton père » ou encore « toutes les filles ou tous fils sauf la tienne », encore que là dans la société, épouser quelqu’un de plus jeune que soi, ait très mauvaise réputation ! Mais ceci pose la question du rôle de l’interdit. Dans le cas de l’interdit de l’inceste, on peut dire que cela fonde d’une part la société patriarcale et d’autre part, - et c’est me semble t il le point important- empêche la confusion des générations au sein d’une même famille ou d’un même clan. Cette non confusion est indispensable pour s’y reconnaître dans les liens de parenté et donc dans la vie sociale. C’est un interdit à valeur culturelle fondamentale.

Dans l’interdit de la genèse, de quoi s’agit il, quelle confusion faut il éradiquer ? La connaissance du bien et du mal dit le serpent, vous fera être « comme des dieux ». Or il est si facile de passer « à être comme des dieux », à « être Dieu ». Car être Dieu c’est, basculer dans la tentation de la toute puissance au sens fort du terme. Je veux dire qu’il faut différencier ce que l’on appelle le fantasme de toute puissance du bébé, fantasme indispensable à la naissance de sa vie psychique, de ce que certains appellent l’hybris, avec la tentation de l’appropriation de l’autre et/ou de sa destruction pour son propre plaisir. Ce qui sous tend cet hybris, c’est la convoitise et en deçà l’envie, qui elle est meurtrière.

Comme dans l’interdit de l’inceste, le risque est celui d’une confusion. Dans les espaces qui sont l’espace du divin (Dieu) et l’humain (la terre) il y a confusion, ce qui est d’ailleurs l’inverse de ce qui est conté dans le premier récit de la création. En fait ce qui est demandé c’est de reconnaître que dans l’ordre de la création, Dieu a une place, l’homme en a une autre, et la distance entre les deux doit être maintenue, pour qu’il n’y ait ni fusion, ni confusion. Cela ne veut pas dire qu’il ne puisse y avoir un entre deux, comme l’intersection d’espaces en mathématiques modernes, mais rentrer dans l’espace de l’Autre c’est annuler la différence, ce n’est plus reconnaître l’Altérité, et ce peut aller jusqu’à le dévorer en prenant sa place.

Il y a aussi une autre valence : dans notre mentalité être Dieu, c’est faire ce que l’on veut, c’est aussi laisser libre cours à la convoitise et la convoitise est bien le moteur du mauvais en nous. L’interdit peut à la fois éviter la confusion et le divin et l’humain mais aussi permettre de considérer la convoitise comme un mal.

Mais pour ne pas transgresser cet interdit, il aurait fallu que l’humain ait atteint un état de développement qui ne semble pas avoir été le sien et qui encore aujourd’hui est loin d’avoir été atteint. Mais, en tout humain, il y a un appel à la sainteté, c'est-à-dire à un dépassement de l’animalité, qui rend capable d’accéder à un autre ordre, pour entrer dans une filiation avec Dieu, donc d’une certaine manière entrer dans cet espace qui n’est pas le notre mais qui pourra le devenir.

3-De l’obéissance passive et craintive à l’obéissance active et aimante.

L’humain est en devenir. Il est non parfait, mais perfectible. Et le désir de la perfection est en lui, non comme un état perdu (sauf si l’on fait référence au vécu in utéro), mais comme un état à acquérir et le but de l’interdit de la genèse était peut-être de lui donner un moyen en maintenant une limite à ses désirs de prise de possession des attributs de Dieu, de devenir humain au sens fort de terme, c'est-à-dire capable d’entrer en relation sans vouloir détruire, posséder ou mettre à mal et de développer en lui ce que l’on appelle l’amour. En d’autres termes, avoir donné cet interdit, était un moyen de sortir de l’animalité pour aller vers l’humanité. De ce fait, il peut être considéré comme universel.

Mais l’autre difficulté liée à ce texte est celle de la désobéissance, et de la punition. Or nous traînons aujourd’hui, comme un boulet cette notion d’homme perverti depuis les origines par un refus d’obéissance. Peut-être faut il poser les choses autrement, compte tenu de ce que nous savons sur l’origine de l’homme. On peut imaginer que la notion de Dieu s’est imposée petit à petit. Elle est liée au développement cérébral et à des modes de vie qui ont permis une certaine sécurité. L’intérêt de la genèse est de montrer comme à un moment donné, une représentation de Dieu a pu se faire et comme cette représentation a petit à petit structuré tout un peuple, le peuple « élu ».

C’est là que pour moi, intervient la notion de l’obéissance, mais pas n’importe laquelle. Quand un enfant vient au monde, au plus profond de lui, les deux arbres sont là : désir de vivre indéfiniment, désir de tout connaître. Petit à petit, il apprend à différer son désir, à accepter ce que les psy appellent la frustration. Mais cela se fait dans la relation d’amour qui le lie à ses parents. On obéit à l’autre quand il existe une relation de confiance. L’obéissance devient un moyen de concrétiser une relation d’amour et c’est cela que Jésus vient montrer comme un possible pour les hommes non parfaits -compte tenu de notre hérédité-, que nous sommes.

Si Adam n’a pas respecté l’interdit proposé, c’est peut-être parce que la relation d’obéissance demandée ne pouvait être entendue que comme une obéissance passive au supposé désir de l’autre de tout conserver par devers lui. Et la transgression était de fait inévitable. Quand Jésus parle d’obéissance en ce qui le concerne, il ne s’agit pas d’obéir pour obéir, mais d’abord et avant tout d’aimer, d’aimer jusqu’à donner sa vie. Car si Jésus possède la vie éternelle et le discernement, c’est bien parce qu’il a été capable non pas uniquement d’obéissance, mais d’obéissance amoureuse, ce qui change complètement les choses. Mais on peut dire aussi que par sa double nature, Jésus a été le trait d’union manquant entre les deux univers, et que désormais, parce qu’Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort et la mort sur une croix, alors la vie éternelle et le discernement (don de l’Esprit) sont accessibles à tous et c’est peut-être cela le salut. Le salut étant la possibilité pour l’homme d’entrer dans cet autre espace fondé sur l’amour.

En guise de conclusion.

Dans le premier livre des rois, il est rapporté que Salomon demande à Yahwé le discernement, la capacité de juger le bien et le mal. Et cela lui est accordé. Jésus en rétablissant d’une certaine manière la circulation entre le divin et le terrestre, (l’alliance peut s’entendre comme cela), a peut-être rendu caduque cet interdit.

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2 commentaires:

Erictus a dit…

Texte fort intéressant.... Mais je n'ai pas noté la date de parution...
Il n'en demeure pas moins... Merci !

Giboulee, a dit…

Juin 2005. Merci de votre commentaire.