Catherine Lestang
Lettre à mon amie Caecilia.
Ma Cécilia,
L’âme de ta Claudia est dans le désarroi. Elle éprouve le besoin de parler à son amie de toujours, celle avec laquelle elle a grandi jusqu’à son union avec Ponce Pilate.Comme tu le sais, il est procurateur de Judée.
Aller de garnisons en garnisons, même avec les honneurs dus à notre rang n’est pas facile à vivre, mais je dois dire qu’à Jérusalem c’est le pire de tout, surtout au moment des fêtes religieuses, et elles ne manquent pas. Trois fois dans l’année, les foules se pressent au temple. Ça parle toutes les langues, ça grouille de partout et le risque d’émeute est grand.
Je t’envie tant d’être restée à Rome (même si je sais que là aussi la politique est souveraine), mais au moins tu ne vis pas avec la menace permanente d’émeutes.
Car ici, malgré tout ce que nous avons pu apporter à cette population, nous sommes toujours les « mauvais ». Il faut te dire, qu’une grande partie de la population croie en un Dieu qui même s’il n’est pas très différent de notre Jupiter, interdit tout contact entre eux et nous. À tel point, que nous ne pouvons pas recevoir de juifs chez nous ni aller chez eux. Il y a comme un mur! Ceux qui travaillent avec nous et pour nous sont même considérés comme des « pécheurs » et ceux qui se réclament de la religion ne veulent pas avoir de contact avec eux.
Tu sais que en tant que procurateur, mon mari a droit de vie et de mort sur cette population. Bien entendu, souvent pour des problèmes domestiques d’adultère, ils n’hésitent pas à lapider sans rien nous demander, mais là récemment c’est lui qui a du prendre la décision de mettre à mort un de ces multiples agitateurs qui sont considérés comme des sauveurs (ils disent des messies) par le peuple. En général ces hommes-là, qui ne supportent pas notre domination, fomentent des émeutes pour nous chasser, comme si Rome allait se laisser intimider. Mais là c’est différent.
Celui-là qui porte le nom de Jésus ce qui dans leur langue veut dire « Dieu sauve » est assez particulier. Il n’a jamais parlé de nous mettre dehors, par contre c’est un guérisseur, un faiseur de miracles, et une sorte de moralisateur. On raconte beaucoup de choses sur lui. Il n’a pas d’instruction, mais il en remontre à ceux de sa religion qui sont des rabbis et des docteurs de leur loi.
Mes amies juives m’ont rapporté combien il est intransigeant, combien il attaque les autorités religieuses de son pays. On dirait qu’il est comme investi d’une mission divine. C’est d’ailleurs ce qu’il de lui. Il dit être le fils de ce Dieu qui est le Dieu de ce peuple. Il se permet de faire des guérisons et des miracles le jour du shabbat qui est pour ce peuple un jour consacré à la prière et au repos.Quand on lui dit que c’est contraire à la loi (car ils ont une loi qui aurait été révélée dans les éclairs et le tonnerre en Egypte, à l’époque où ce peuple s’opposait au pharaon qui tenait les deux Egyptes), il rétorque que le « le Shabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le Shabbat » et je dois dire que cela (cette liberté ) me plaît.
Toujours est il que son dernier fait de gloire a été la résurrection d’un mort (un certain Lazare de Bethanie). Cette ville est proche de Jérusalem et même nous, nous avons été informés. Inutile de te dire que les prêtres ne peuvent le supporter, d’autant qu’il a dit que si on le tuait, il redeviendrait vivant.
J’en arrive donc à ce qui me tourmente. Il y a donc en ce moment une de leurs fêtes religieuses, ce qui veut dire que des juifs du monde entier se retrouvent ici et que c’est un moment à risque pour nous. Cet homme Jésus, a été arrêté par les prêtres, mais au lieu de le lapider et de nous mettre devant le fait accompli, ils l’ont amené à mon mari pour lui demander de le mettre à mort. Comme tu le sais la mise à mort de ces juifs c’est la mort des esclaves sur une croix. Ils disent que cet homme veut devenir le roi des juifs et prendre donc la place de notre bien aimé César. Mais vois-tu cette scène là, cette scène où mon mari devrait rendre la justice pour cet homme j’en avais rêvée avant qu’elle ne se produise. J’avais vu cet homme enchaîné, sali, humilié, amené au prétoire. J’avais vu l’embarras de mon mari. J’ai compris qu’il allait être mis à mort d’une manière tout à fait injuste et que cela d’une manière ou d’une autre peut-être pas maintenant conduirait à la chute de notre empire. Car cet homme-là, il parle d’un autre royaume, d’une autre manière de vivre et d’être. Il n’a rien fait de mal, il est fidèle à ses convictions et je me demande ce qui va se passer maintenant que mon mari, pour ne pas avoir de problèmes avec eux, a accédé à leur demande. Il leur a bien dit que ce n’était pas de ressort, il lui l’a fait flagellé pour faire naître en eux de la compassion, mais ils étaient déchaînés et rien n ‘y a fait.
Moi qui ne me mêle jamais de ses affaires, je n’ai pas pu m’empêcher de lui faire dire « de ne pas se mêler de l’affaire de ce juste », parce que mon rêve est un rêve de mort, un rêve de mauvais présage pour nous, comme si son fantôme allait venir nous persécuter pour cet acte injuste. La seule chose qu’il a fait a été de « se laver les mains » du sang de cet homme, pour que cela ne retombe pas sur nous, mais sur ce peuple de fous.
Je parle de peuple de fous, mais au fond de moi,je dois être aussi un peu folle, car s’il a été capable de redonner la vie à un mort, pourquoi son Dieu ne ferait il pas le même chose pour cet homme qui a été son Serviteur et qui aurait dit un jour « détruisez ce temple et moi je le rebâtirai en trois jours ».
J’ai haï cet procès, j’ai détesté la position de mon mari et j’espère que la vie sera plus forte que la mort, et que au moins le message ce cet homme ne se perdra pas. Car je sais qu’il a été crucifié, et mis dans un tombeau. Je sais aussi que son corps a disparu et ma peur demeure.
Qu’aurai-je du faire ?
Tes bras me manquent ma Cécilia. Réponds moi vite pour me parler de Rome.
Ta Claudia
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