Catherine Lestang
Péché 1
Faiblesse, blessure, péché.
La guérison des « blessures » est à la mode en ce moment dans un certain nombre de communautés chrétiennes. En tant que psy, je suis souvent très mal à l’aise car il y a des confusions de vocabulaire qui me gênent. Le vocabulaire de la psychanalyse ne peut être transféré tel quel au vocabulaire théologique et réciproquement!Qu'il y ait un lien entre blessure, péché guérison certainement, mais pas de manière simpliste et culpabilisante. En fait ce qui suit est une manière de refuser une certaine culpabilisation. Pas capable étant différent de coupable.
Ce qui suit est une réflexion, un peu au fil de la plume, comme je l’aime sur les relations entre faiblesse et péché, et péché et blessure.
Pour des raisons de commodités, je scinderai ce texte en plusieurs parties, car lire un blog trop long est décourageant.
Ceci est donc une sorte d’introduction générale à cette réflexion sous tendue par une question de base et que souvent j’ai envie d’adresser à Dieu quand on parle de sa colère, (et de sa miséricorde) à savoir: «Dis pourquoi t’es fâché?».
Quand avant chaque eucharistie, il m’est demandé de me reconnaître pécheur, il y a en moi quelque chose qui proteste. Je ne refuse pas l’étiquette car je sais très bien, comme le dit Paul en comparant Adam (tiré de la terre) et Jésus (spirituel) que je suis tirée de l’humus. Ce que je refuse c’est la culpabilisation systématique de mes comportements. Car beaucoup d’entre eux sont liés à ma fragilité, à mon héritage génétique, à mon éducation, aux évènements qui m’ont façonnée. Que je désire en changer, certainement parce que en dernier ressort, c’est à moi qu’ils font du mal en ne me permettant pas de m’humaniser pleinement, d’être en relation « positive » avec moi-même et ceux qui m’entourent que je dépende ou non d’eux.
Par ailleurs, étant un être humain « normal » j’ai acquis ce qui s’appelle « la permanence de l’objet », alors ce n’est pas parce que je ne « pense pas à Dieu ou à Jésus « en faisant les actes de la vie ordinaire, que je me détourne de Lui. Cela ne le rend pas non existant. Il est en moi, permanent, je ne le fais mourir si je ne pense pas à lui. Ma foi d’aujourd’hui me permet de croire, c’est que Lui est en moi, et me fait vivre. Alors là aussi je refuse de me culpabiliser si le divin n’est pas en permanence au centre de mon conscient, puisque l’important c’est cette permanence d’existence en moi. Être pécheur, ce n’est pas cela.
D’ailleurs quoique l’on puisse dire et écrire sur le manque à l’heure actuelle (source des blessures, source du péché) le manque lié au besoin est aussi et surtout source du désir et c’est bien ce qui fait sa valeur. On sait qu’il est nécessaire de ne pas combler tous les besoins du bébé pour que celui-ci puisse développer toutes ses facultés !
Récemment je me suis demandée si cette reconnaissance « être un pécheur avec d’autres pécheurs » au début d’une assemblée, ne permet aussi de se constituer en groupe, en famille un peu comme chez les A.A. où chacun se présente comme ayant ce problème. Cette reconnaissance étant de fait le premier pas vers la guérison. Cela, je peux tout à fait l’entendre, mais encore faut-il peut-être s’entendre par ce que l’on met derrière ce mot. Il me semble que jamais on ne trouve dans l’évangile de phrases de culpabilisation. Car Jésus sait de quoi l’homme est fait : il sait que poussière nous sommes, mais il sait aussi que nous sommes faits pour l’éternité. Récemment un prêtre disait que dans des versions primitives de l’Evangile, le mot de Sauveur était remplacé par celui de Vivificateur, celui qui donne la vie et le message de l’Evangile c’est bien là qu’il se situe: devenir vivant, même s’il faut passer la mort de la croix.
Pour en revenir au début de cette réflexion, je pense bien souvent qu’il y a confusion entre fragilité et péché. La fragilité est un fait, le péché est volonté de se détourner, ce qui est bien différent. Cette confusion est sous-tendue par un postulat : tout se passe comme si l’homme a été crée capable de ne pas pêcher. Il se serait abîmé en succombant à tentation d’être comme un dieu, c’est-à-dire de connaître le bon et le mauvais. Être dieu à la place de dieu, cela se retrouve dans beaucoup de mythologies et explique la condition humaine vécue comme une punition d’avoir voulu prendre quelque chose qui ne devait pas lui appartenir à l’être humain que ce soit l’ambroisie, c’est-à-dire la fin de la mort, ou le feu, qui permet aussi se survivre, de ne pas s’éteindre, et de créer des armes et des instruments. Le « devenir » dieu provoque la séparation, la mise à l’écart, la vie et la mort.
Ne dit-on pas dans un des canons de la messe: « Comme il s’était séparé de toi Tu n’as cessé de multiplier les alliances avec lui, pour qu’il Te cherche et puisse Te trouver ». La séparation ici est quelque chose d’actif, alors que ce n’est pas certain. Choisir n’est pas toujours simple et encore faut-il pouvoir choisir.
Dans le vocabulaire religieux, elle est par la faute ou le péché (l’envie ou la jalousie) sous-tendue par la représentation d’un homme originel ou originaire, presque l’égal de Dieu: « A peine le fis-tu moindre qu'un dieu; tu le couronnes de gloire et de beauté »Ps 8,6. Il y a un midrasch qui décrit l’Adam d’avant la chute comme un être magnifique, resplendissant, grand, et qui se rabougrit littéralement après pour devenir l’humain que nous sommes. Simplement je crois pour ma part que « l’ouverture » des yeux est quelque chose de fondamental pour l’être humain et que ce « goûter » comme toute action a du négatif et du positif.
Or ce postulat, est bien pratique, car il est crée d’une certaine manière la culpabilité. L’homme étant libre, pouvait choisir. S’il a fait un mauvais choix, c’est en toute connaissance de cause (ce qui serait à prouver) donc il est coupable, mauvais, indigne (et j’en passe). Mais un tel homme a-t-il jamais existé ? n’est-il pas un homme « mythique » ?
Le mythe est un système qui nous permet de comprendre pourquoi notre vie est ce qu’elle est, et c’est une croyance partagée par tout un groupe humain, qui le crée d’ailleurs en tant que groupe. La Genèse, du moins les chapitres de 1 à 11, a cette dimension. Elle répond à bien des questions que pouvaient se poser les exilés de Babylone et que nous nous posons tous. Il donne du sens : la séparation d’avec le Divin conduit au malheur. Si je choisis Dieu, alors je choisis le bonheur (c’est bien la thématique qui court dans le deutéronome).
Mais cette représentation d’un homme « parfait, presque tout puissant » est-elle cohérente avec ce que nous savons de l’évolution de l’homme sur cette planète ? La réponse est non. Pourtant, elle est cohérente avec ce que nous savons aujourd’hui du développement psychique du petit d’homme. Elle renvoie à ce vécu de toute puissance que nous avons tous expérimentée et que nous avons perdue ou cru perdre par notre faute (attaque fantasmée de la mauvaise mère qui est en nous).
Or si la perte « normale » de la toute puissance infantile au cours de la première année de la vie, permet la mise en place de la culpabilité, elle est aussi à l’origine de la symbolisation, de la réparation, donc de la création. C’est dire qu’elle est un passage obligatoire, positif, du moins en théorie.
Je pense que ce mythe d’un homme « parfait » tout puissant, immortel, repose sur une réalité psychique que nous partageons tous. Mais que ce mythe permet aussi de comprendre parce que nous y avons en principe renoncé, (ce que Dolto appelle les castrations symboliques), c’est que nous ne sommes pas tout puissants, et que notre non puissance (à défaut d’impuissance, car toutes nos découvertes sont là pour pallier), n’est pas péché, même s’il est fondamental à la fois de connaître ses limites, mais de ne pas s’y complaire.
Outre la confusion entre péché et faiblesse et faudrait aussi se pencher sur la relation entre péché et blessure. « Je suis venu pour sauver les bien portants mais les malades »Lc 5,31, or le péché, notre difficulté à aimer, et notre propension à vouloir nous sentir existant au détriment de l’Autre, est bien souvent conséquence des blessures que nous avons subies et que nous perpétuons souvent à notre insu.Alors peut-être qu’il ne faut pas tout mélanger.
L’épître aux hébreux est très centrée sur la réconciliation. Elle insiste sur le fait que cette réconciliation a été faite une fois pour toute, qu’il n’y avait donc plus besoin de sacrifice d’expiation, mais de sacrifice de louange, envers ce Dieu qui nous permet d’entrer dans Sa vie dès aujourd’hui.Alors pourquoi ne pas essayer de sortir de ces images de colère, de destruction liées à des représentations archaïques d’un certain dieu pour sortir d’un bon nombre de confusions qui nous entraînent dans la mort.
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