Pourquoi ai-je ouvert la bouche ?
Une petite introduction.
Nous travaillons avec un petit groupe le livre des juges. Cet après-midi nous rencontrerons la figure de Jephté, cet homme qui en ouvrant un peu inconsidérément la bouche condamne son unique fille à terminer sa vie sur un bûcher en offrande à un Dieu qui n’’accepte pourtant pas les sacrifices humains.
En repensant à ce texte ce matin, je me suis rendue compte que la phrase prononcée par Jephté, (verset 31 du chapitre 11) est en soi effrayante. Je cite : Et Jephté fit un vœu à Yahvé : « Si tu livres entre mes mains les Ammonites, celui qui sortira le premier des portes de ma maison pour venir à ma rencontre quand je reviendrai vainqueur du combat contre les Ammonites, celui-là appartiendra à Yahvé, et je l'offrirai en holocauste ».
Dans la conquête de la terre promise, ce qui est offert en anathème (détruit) ce sont les ennemis , pas ceux de votre maison. Là on a l’impression que Jephté prononce une sorte d’anathème sur sa propre maison et que d’une certaine manière il se fait prêtre.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’ironie divine est lourde, car d’une certaine manière ce qui sort de la maison c’est la fille en fleur de Jephté et c’est ce prémisse qu’il doit donner à son corps défendant.
Quand un texte s’incarne en moi, il me permet d’écrire, et voilà ce que ça a donné...
Une réécriture du texte.
Je suis Jephté de Galaad et je suis « juge » en Israël. Moi dont le nom signifie « ouvrir » moi qui ai ouvert des brèches chez nos ennemis, jamais je n’airais du ouvrir ainsi ma bouche. Qui suis-je pour mettre l’anathème sur un des habitants de ma maison,serait-ce un esclave ?
J’ai sauvé ma tribu des menaces d’envahissement des ammorites, ce peuple qui ose revendiquer des terres qui sont nôtres depuis notre sortie de Cadès du temps de notre père Moïse. Même si mon histoire sera racontée le soir parmi les enfants de ma tribu, pour servir en quelque sorte de leçon, pour faire comprendre qu’il ne faut pas faire de marché avec notre Dieu, béni soit-Il, je serai mort sans laisser de descendance, sans pouvoir transmettre quoique ce soit de moi.
J’ai vécu beaucoup d’humiliations. Parce que je suis le fruit d’une relation avec une femme étrangère à notre clan, une femme du dehors, une femme « étrangère ». Mes frères disent que ma mère est une prostituée, comme pour la salir davantage. Ils m’ont mis à la porte de la maison de mon père. Pourtant j’honore le même Dieu qu’eux.
Je suis allé l’amertume au coeur loin de chez moi et je me suis fait une réputation de chef de guerre. En fait j’impose « ma protection » et ça marche. Et ma petite bande est devenue une petite armée, bien organisée.
Quand la menace d’invasion s’est faite trop forte, les anciens se sont rappelés que j’existais et sont venus me demander de l’aide. Je suis rentré dans ma ville, avec mon enfant, ma fille, mon espérance.
J’ai essayé d’obtenir que l’invasion n’ait pas lieu en rappelant ce qui s'était passé autrefois, mais ils n'ont pas voulu écouter et se sont mis en marche contre nous.
Alors j’ai dû passer à l’action. Et j’ai ressenti à ce moment là en moi une grande force, comme si j’allais accomplir ce pour quoi Dieu m’avait appelé; mais malgré cela il y avait du doute en moi.
Et c’est là que tout s’est gâté. J’ai conclu un marché avec Dieu : s’il me donnait la victoire, je lui consacrerais en holocaute le premier être qui franchirait le seuil de ma maison. Cela j’ai le droit de la faire, car je suis maître en ma demeure et tout ce qui y vit est à moi. J’étais prêt à offrir un animal, même un animal de prix, j’étais prêt à offrir un de mes esclaves.
Ce marché , ce voeu je l’ai fait, parce que je doutais de la force que je sentais en moi, parce que je doutais de la présence de Dieu à mes côtés.
Vainqueur je l’ai été. Alors ce voeu j’ai du l’honorer.Je savais bien que lorsque je rentrerais chez moi, ma maisonnée sortirait pour m’accueillir.
Mais jamais je n’aurais imaginé que ma fille sortirait la première avec son tambourin pour m’honorer. Elle est sortie la première et le monde s’est effondré pour moi. Qu’avais-je dit, qu’avais-je fait ? Avais-je besoin de ce voeu stupide pour remporter la victoire, puis que l’Esprit de Dieu était en moi ? Pourquoi ai-je douté de Lui ?
Je n’ai pas pu pleurer, parce qu’un homme ne pleure pas. Au lieu d’être en colère après moi, j’ai fait porter sur elle le poids de ma colère en la rendant responsable de ce désastre. Je lui en ai voulu d’être sortie la première. Ne pouvait elle pas, comme toute femme normale attendre dans la maison que son père soit rentré et l’accueillir à ce moment-là par des chants et des danses ? Pourquoi ses suivantes ne l’ont elles pas empêchée de se donner en spectacle et d’aller ainsi à sa mort?
Ce qui est étonnant et ce qui fait mon admiration et ma fierté, c’est qu’elle ne s’est pas révoltée, qu’elle a adhéré à mon engagement. Elle m’a juste demandé de surseoir à sa mise à mort. Elle est partie durant deux mois dans la montagne avec ses compagnes pour pleurer sur sa virginité, sur sa non descendance.
Peut-être aurai-je du voir les prêtres, faire annuler ce voeu stupide, mais je suis un chef et la parole d’un chef ne doit pas être reprise.
Mais l’offrir moi-même en holocauste, cela je ne le pouvais. Je l’ai conduite au temple du seigneur, elle a disparu et je ne sais ce qu’elle est advenue.
Certes des enfants, je pourrais en avoir d’autres, mais pas un ne remplacera ma fille, mon unique, mon aimée. J’attends la mort pour pouvoir parcourir à sa recherche ce shéol dont on nous parle comme lieu de notre résidence au delà de notre mort..
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