jeudi, novembre 30, 2017

Le livre de Jérémie

Jérémie


Nous avons travaillé en groupe le livre de Jérémie, mais nous avons dû constater que c'est un livre où, outre des styles différents, les événements sont souvent rapportés dans le désordre; de ce fait le livre est difficile à saisir, malgré de nombreux passages que l'on pourrait qualifier de très riches pour notre vie spirituelle.

J'ai alors essayé d'écrire un texte à la première personne, en faisant parler Jérémie, ce prophète qui se plaint, mais qui se plaint à juste titre, ce prophète qui, un peu comme Job, tient tête à Dieu, qui proteste, qui crie, qui hurle même parfois. Mais cet exercice que pourtant j'aime beaucoup ne "coulait" pas facilement.

J'ai alors pensé qu'il fallait remettre l'histoire de Jérémie dans le déroulement chronologique, car avant de lire ce que Jérémie peut raconter, il est nécessaire de comprendre que qui se passait, et contre quoi et contre qui il avait à lutter.

Le texte proposé est donc articulé en trois parties: une introduction, qui se centre sur le message de Jérémie, une description de ce que furent les rois auxquels Jérémie dut s'affronter, et enfin une reprise à la première personne de la longue et douloureuse histoire de ce prophète.


Introduction

Le livre du prophète Jérémie est un gros livre: 52 chapitres. Il s'étale sur 40 ans; Jérémie a été le témoin de nombreux événements relatés dans le second livre des Rois et dans le second livre des Chroniques. Il a vécu la destruction du temple de Jérusalem et a assisté à la déportation de ceux qui ont réchappé au siège et aux destructions.

Le message de Jérémie est relativement clair: Jérusalem ne pourra pas résister à ses assaillants (Babylone) parce qu'elle s'est détournée de l'unique Dieu, mais aussi parce que la Loi n'a pas été respectée. Dieu, dans le futur, ramènera les rescapés (un "petit reste)"; la ville sera reconstruite: elle deviendra LA VILLE ,et une nouvelle alliance existera entre le Seigneur et son peuple. Les peuples dont Dieu s'est servi (car il est le Maître), seront à leur tour châtiés, et disparaîtront de la face de la terre.

Mais en fonction des rois qui règnent sur Juda, et qui veulent la libération du joug des Babyloniens, les oracles de Jérémie ne peuvent être entendus et acceptés, car ils évoquent la ruine et la captivité. Cela mettra donc le prophète dans des positions plus que difficiles, car en s'opposant aux autres prophètes - qui promettent la réussite (en caressant donc le roi et le peuple dans le sens du poil) -, il ose proférer des paroles de malheur, qui lui vaudront d'être emprisonné et d'être bien près de la mort. Les écrits de Jérémie, retranscrits pas son secrétaire Baruch et mis sous forme de livres ("prends un livre et écris", lui dit le Seigneur), ont été détruits volontairement par les rois. Et même si des réécritures ont été faites, la lecture de ce livre est compliquée parce qu'elle ne respecte pas vraiment une chronologique. Il s'agit finalement d'une reconstitution.

 Les oracles s'adressent tantôt à un roi, tantôt à un autre. S'y mêle aussi l'histoire propre de Jérémie, ses malheurs. C'est parce que le Seigneur lui demande d'acheter un terrain dans son pays qu'il sera arrêté (pris pour un déserteur), et passera de longs mois en prison.

Pour comprendre un peu mieux ce livre, il me semble nécessaire de présenter d'abord ces différents rois, qui furent tous, sauf Josias qui est le dernier grand roi d'Israël, des rois mis en place par l'ennemi, et qui sont influencés par des prophètes de cour, prophètes remplis d'un esprit de mensonge (1R 22, 23). Le projet de Dieu était bien, en conduisant son peuple en exil, de créer un petit reste qui apprendrait à vivre de lui et par lui, avec lequel il pourrait faire une alliance nouvelle, et qui serait le berceau duquel serait issu le Messie. On peut aussi penser que l'exil a permis aux scribes de réfléchir sur l'histoire d'Israël: leurs écrits ont permis aux exilés de conserver leur identité, et de ne pas se fondre parmi les impies en prenant leur manière de vivre.

En reprenant les livres des Rois et les livres des Chroniques, on comprend un peu mieux ce que fut le rôle de Jérémie, durant sa vie qui commence avec le Roi Josias, le dernier roi "autonome": il a succédé à son père Amon (assassiné par ses serviteurs) sans que la main des royaumes étrangers y soit pour quelque chose.


Rappel des derniers rois du royaume de Juda.

 Josias (640-609) règne 31 ans sur Jérusalem. C'est un roi qui suit la conduite de son ancêtre David. Non seulement il fait démolir les lieux de cultes consacrés aux Baals et le fait lui-même, mais il fait réparer et purifier le Temple de Jérusalem. La découverte d'un rouleau (on pense qu'il s'agit du Deutéronome) provoque un renouvellement de l'Alliance. Il est important de se souvenir que la fin de ce livre est très centré sur la rétribution: si la loi de Dieu est suivie, alors des bénédictions (bonnes récoltes, absence de stérilité) seront là. Dans le cas contraire, les pires malédictions tomberont sur celui qui n'a pas respecté les commandements. Or Josias s'opposa aux Egyptiens, qui venaient attaquer la puissance grandissante de Babylone, et perdit la vie, ce qui sembla "injuste" à Jérémie. Il composa une lamentation qui est peut-être dans le livre des Lamentations.

Les rois qui se succèdent ensuite sur le trône de Juda, sont des rois "postiches" mis en place par les puissances du moment: l'Egypte ou Babylone, qui l'une et l'autre lèvent de lourds tribus et n'ont aucune considération pour des rois qu'ils considèrent un peu comme des marchandises, dont ils disposent.

 Joachaz 609, succède à Josias et ne règne qu'un an. Il est "rapté" par les Egyptiens qui rançonnent le pays, mettent Elyaqim à sa place et changent aussi le nom de ce dernier en Joiaquim.

 Joiaquim 609-598 , bien que mis en place par les Égyptiens, est pris par la montée en puissance du royaume de Babylone. Il commence par accepter la soumission (3 ans), ce qui veut dire être soumis à l'impôt, puis se révolte et est vaincu, sans que les Égyptiens ne viennent à son aide.

 Joakîn 598, qui est mis sur le trône à 8 ans, , se laisse certainement manipulé par la cour, et fait ce qui déplaît au Seigneur. Il est fait prisonnier par Nabuchodonosor (ce qui dans la logique de l'époque est normal) et est remplacé par celui qui sera le dernier roi de Jérusalem et celui avec lequel Jérémie aura le plus de conflits, Sédécias. C'est le premier siège et la première déportation. Les trésors du temple partent à Babylone. Sont emmenés en exil, dix mille personnes, notables, dignitaires, artisans du travail du métal.
Le petit-fils de Joakin reviendra de Babylone après l'exil, comme gouverneur de Jérusalem.

 Sédécias 598-587 . Il n'est qu'un jeune homme quand il est mis sur le trône. Son nom est changé par le Roi de Babylone. Il ne respecte pas le culte du Seigneur. Puis il se révolte contre Nabuchodosor, fait des alliances désastreuses et c'est l'exil de la population en Chaldée.
Dans un premier temps, au bout de 9 ans de règne, Jérusalem est assiégée, et le roi est fait prisonnier et conduit à Babylone. 5 mois plus tard, la ville est à nouveau mise à sac, le temple est incendié, et le peuple déporté.

 Godolias est mis en place comme gouverneur de Jérusalem par Nabuchodonosor. Il rencontre ce qu'on pourrait appeler des forces armées résistantes à Miçpa, lieu sacré important dans l'histoire d'Israël (Livre des Juges et 1° livre de Samuel) et proche du Mont Hermon (Le choix de ce lieu se comprend d'autant mieux que le Temple a été détruit). Il leur demande de collaborer avec les forces babyloniennes. Ce discours ne peut être accepté et Godolias est assassiné. A la suite de cet acte, ce qu'il reste du peuple part en Egypte, en emmenant Jérémie avec eux.


Jérémie est à la fois un prophète du malheur, mais aussi un prophète qui parle de sa relation à Dieu, qui souffre, qui est parfois exalté, puis déprimé, qui en veut à ce Dieu qui l'oblige à dire des paroles qu'il ne voudrait pas dire, mais aussi un prophète qui annonce une autre alliance, cette alliance qui passe par la circoncision du cœur, et par la présence de Dieu non plus dans un temple, mais dans chaque être qui le reconnaît comme le Seigneur.


Le récit de Jérémie

Me voici en route vers l'Egypte, ce pays d'où mon peuple est sorti par la volonté de mon Dieu et sous la conduite de Moïse. Pourquoi ne suis-je pas mort à Jérusalem lors de l'assaut donné par les Babyloniens? Pourquoi, pourquoi? Mon Seigneur n'a t il pas dit à ces fous qui croient qu'aller en Egypte, le pays d'où Moïse les fit sortir est une bonne chose, que l'Egypte sera elle aussi vaincue par Babylone et que leur sort sera pire que ceux qui seront restés au pays ou qui auront choisi l'Exil?

Pourquoi mon Dieu m'a t il choisi moi le petit prêtre qui vivait dans le pays de Benjamin, suffisamment loin de Jérusalem pour couler des jours à servir mon Dieu en accomplissant le service demandé par David aux descendants d'Aaron? Pourquoi m'a-t-il donné une vie qui a été si difficile? Voir par deux fois la ville de Jérusalem envahie, voir le peuple emmené en captivité, est ce que ne n'est pas de l'ordre de l'insupportable? Que moi j'aie été emmené en captivité en Egypte, cela même si c'est difficile, je peux l'accepter parce que je crois que si mon Dieu m'a maintenu en vie, c'est pour une bonne raison, mais voir ces massacres, ces pillages, ces incendies, ces innocents tués, cela c'est affreux. Parfois j'ai l'odeur des morts, l'odeur des incendies qui m'envahissent.

Et pourtant j'en ai eu des visions qui allaient toutes ou presque dans le même sens: le Seigneur se détournait de son peuple et appelait les peuples du nord pour l'humilier, le dévaster le détruire.

La première vision que j'ai eue, c'était celle d'un amandier. L'amandier avec ses fleurs c'est l'arbre du printemps, l'arbre du renouveau. Cette vision m'a été donnée comme pour me dire que, oui, le Seigneur savait bien que je n'étais encore qu'un tout jeune prêtre, un enfant qui ne sait pas parler, mais qu'il ferait de moi un Veilleur; et pour un prêtre c'est bien mon rôle, et j'étais heureux. J'en avais presque oublié les paroles qu'il m'avait dite et où il me disait que ma fonction serait d'arracher et de renverser (et moi je suis un doux, je ne me vois pas entrain de renverser qui que ce soit ou d'arracher du sol quoi que ce soit), d'exterminer et de démolir (comment veut-il que je sois un messager de la mort, alors que Lui il est la vie et qu'il nous demande de choisir la vie), et de bâtir et de planter. Cela oui, mais si c'est pour bâtir et planter sur une terre dévastée, je n'arrive pas à voir. Seulement Dieu, lui, il est dans le long terme, il a des projets; et qui peut comprendre sa pensée. Sûrement pas moi. Alors la vision de l'amandier a été comme un baume sur mon cœur. Je me sentais un peu comme Aaron lorsque son bâton de prêtre a été couvert de fleurs d'amandiers, le confirmant ainsi dans son rôle de grand-prêtre.

Et, juste après, est arrivée la première de ces visions de destruction. Le Seigneur m'a montré une espèce de grosse marmite, comme remplie de lave, qui se déversait sur Jérusalem. Cette vision de destruction elle m'a dévasté. Ce malheur arrive parce que nos rois se sont détourné du vrai Dieu. Mais comment vais-je, moi, annoncer cela aux puissants qui sont à la tête de notre peuple?

Et les reproches que le Seigneur fait à son peuple se sont mis à résonner dans ma tête, et c'était insupportable. Ma tête aurait voulu que ça se taise, que ça s'arrête. Des reproches, des reproches, toujours des reproches. Et je sais bien qu'Il a raison, mais ma tête éclate, mon cœur éclate, et les cris et reproches que je vais adresser à mes frères je sais bien qu'ils ne serviront à rien.

Ce qui était incompréhensible pour moi, c'est que le Seigneur parlait des exilés, de ceux qui un jour devraient quitter le pays pour partir dans des terres lointaines, comme d'une espèce de semence. Ils partiraient, ils s'établiraient, ils fructifiaient, en quelque sorte Dieu serait avec eux; et un jour ils reviendraient pour faire un temple nouveau, une ville nouvelle avec une alliance renouvelée. Ce futur m'échappe.. Je ne le comprends pas, mais je dois l'annoncer.

Les gens de ma ville ont voulu me tuer, et je ne me suis pas rebellé; je ne savais même pas ce qu'ils tramaient contre moi (Jr 11), eux qui voulaient me mettre à mort. Mais j'aurais voulu comprendre pourquoi les méchants réussissent et pourquoi les justes sont mis à morts. J'aurais voulu que le Seigneur prenne ma défense. Certes je ne suis pas mort, mais je n'existe plus plus pour les miens.

Un jour il m'a demandé d'acheter une ceinture de lin et de la porter. Cette ceinture, elle était un peu devenue une partie de moi. Puis il m'a obligé à m'en séparer, à la mettre dans un trou, à côté du ruisseau qui coule près de chez moi. Et ce qui devait arriver arriva. Elle a pourri, elle est devenue un haillon. Elle est devenue inutilisable. Et le Seigneur m'a dit que c'était ce qui allait arriver à son peuple, qui se croyait fort, mais deviendrait comme un tissu qui se délite. Et cette ceinture, il la jetterait. Alors dire cela?

Puis peu après il m'a demandé de leur raconter une histoire de cruches. Une cruche, c'est fait pour être rempli de vin, et le vin ça rend ivre; et quand on est ivre on ne sait plus ce qu'on fait. Alors les habitants de Jérusalem, les princes, les prêtres, tous seront comme devenus ivres; ils seront comme pris par un esprit de destruction et ils se détruiront les uns contre les autres. J'ai raconté, mais ils n'ont pas compris que Dieu les menaçait. Ils n'ont pas voulu entendre qu'ils seraient la risée de tous. Et moi je devais raconter tout cela, et en moi mon cœur se brisait pour eux, malgré tout le mal qu'ils me faisaient.

Une autre fois, c'était au début du règne de Sédécias, il m'a demandé de me fabriquer un joug avec des cordes et de le mettre sur ma nuque. Quand j'y pense, quelle horreur. J'ai dû convoquer les représentants des rois d'Edom, de Moab, des Ammonites, de Tyr, de Sidon et je devais leur dire que s'ils ne se soumettaient pas au roi de Babylone, ils seraient soumis. Le Seigneur voulait leur faire comprendre qu'ils devaient accepter cette humiliation, s'ils voulaient rester en vie, car c'était Nabuchodonosor qui avait la faveur de notre Dieu.

Ce joug, le prophète du roi l'a enlevé de ma nuque et l'a brisé, car il savait disait-il que dans quelques mois tout ce qui nous avait été volé par nos conquérants nous reviendrait. Mais cela c'était dans sa tête, et je savais bien que ce n'était pas le projet du Seigneur, même si j'aurais tellement aimé pouvoir rassurer le peuple. Et le Seigneur m'a donné des paroles de mort pour lui, et proférer ces menaces, vous pouvez pas imaginer à quel point mon cœur se tord en moi quand je dois ainsi parler.

Puis il y a eu une famine, une famine affreuse, un de ces famines dont on sait qu'elles sont voulues par Dieu. J'ai invoqué le Seigneur et il ne m'a pas répondu, occupé qu'il était par sa colère et par sa volonté de détruire le peuple qu'il avait pourtant fait sortir d' Égypte. Voir ce que j'ai vu, ça m'a mis en colère moi aussi. Alors j'en ai voulu à Dieu, je lui ai dit que je me demandais pourquoi il m'avait laissé naître, pourquoi je n'étais pas mort. Pourquoi est ce que je me suis laissé séduire par Lui, pourquoi est ce que je ne peux pas me taire, pourquoi sa parole en moi fait si mal.. J'ai hurlé contre lui, j'ai hurlé: je lui ai dit (Jr 15, 16 ) que j'étais amer, déçu, inconsolable. Et il a fait comme s'il n'écoutait pas ma plainte, il il m'a dit qu'il continuerait à se servir de moi, qu'il ferait de moi comme un rempart de bronze fortifié et qu'ils ne pourront rien contre moi. C'étaient de belles paroles, elles m'ont redonné la force de continuer à "être sa bouche", mais pardonnez- moi de dire cela, même s'ils ne m'ont pas tué, ils m'ont enfermé, mis dans une citerne; et si un étranger n'était pas venu implorer le roi Sédécias, je serais mort. Oui, je suis vivant, mais "tomber entre les mains du Dieu vivant", parler en son nom, vous condamne à mort devant les autres.

Il faut aussi vous dire que le Seigneur n'a pas voulu que je prenne femme. Il disait que les enfants engendrés en cette période allaient mourir de maladies mortelles et qu'il n'y aurait personne pour les pleurer. Je crois que cela voulait dire que du fait de la déportation il ne resterait plus personne à Jérusalem, mais j'aurais bien voulu ne pas "être un signe", et vivre une vie prospère, la vie promise aux justes. Et en même temps il parlait de ceux qui un jour reviendraient, qui seraient comme de l'or purifié et qui seraient, eux le "reste" son peuple, peuple qui le connaîtrait et le respecterait, peuple qu'il chérirait à nouveau.

Curieusement quelques mois avant la fin, alors que j'étais prisonnier dans la cour des gardes du roi, un de mes cousins est venu me proposer d'acheter un champ à Anatot, ma ville. Cela me semblait fou, mais le Seigneur m'ordonna de le faire. Je fis faire une copie de l'acte et le fis mettre dans un vase de terre pour qu'il se conserve, car c'était comme un signe d'espoir, un signe qu'un jour à nouveau on vivrait heureux sur la terre de nos pères, on bâtirait, on planterait, on vivrait.

Pour me faire comprendre cela et pour le faire comprendre aux habitants de Jérusalem, Dieu m' a dit d'aller chez un potier (Jr 18), et de le regarder travailler. Le premier vase ayant été manqué, l'artisan en refit un autre que cette fois là, il garda. Et le Seigneur me fit comprendre qu'il allait faire comme ce potier. Les descendants du peuple choisi, du peuple qu'il avait fait sortir d'Egypte, ne compteraient plus pour lui. Il ne les regarderait plus, il les mettrait au rebut; mais il allait créer un nouveau vase, avec les descendants de ceux qui auraient été emmenés en exil; et avec ceux-là il ferait alliance.

Et puis Dieu m'a demandé d'acheter une cruche. Il doit bien aimer les cruches, parce que c'est la deuxième fois qu'il s'en sert. Et cette cruche, j'ai dû la mettre en morceaux, la briser devant les anciens du peuple, et les anciens des prêtres. J'ai dû leur dire que le Seigneur allait amener un malheur sur la ville, qui serait brisée comme cette cruche et que cela c'était la conséquence de leur idolâtrie. Comment ont-ils pu honorer d'autres dieux dans le Temple du Seigneur et croire que le Seigneur ne le verrait pas?

 Mais le prêtre Pashehur, qui était le fils du chef de la police du temple, a très mal pris mes paroles et m'a frappé, puis m'a mis au carcan. J'y ai passé la nuit. Moi qui avais échappé à un attentat ( Jr 15,18), je me trouvais humilié, bafoué alors que j'avais été la bouche du Seigneur. Le matin Il est venu me libérer, mais là j'avais une parole pour lui, parole qui ne pouvait que lui déplaire car mon Dieu m'avait montré cet homme entouré d'ennemis, ces ennemis terrifiants, voyant mourir ses amis et emmené en exil à Babylone. Cela serait sa punition pour ce qu'il m'avait fait, et surtout pour avoir prophétisé le mensonge.

Seulement moi, je n'en puis plus. Je suis prétexte à la moquerie (Jr 20, 7), je n'en puis plus de proclamer les violences et la dévastation; je voudrais me taire, mais ce n'est pas possible. La parole de Dieu est en moi comme un feu dévorant, et je ne peux faire autrement. Je suis tellement malheureux que, comme Job, je voudrais ne pas être né; cette vie, je n'en veux plus, je n'en veux pas. Quel est ce Dieu qui me force à vivre, qui se sert de moi, qui ne m'écoute pas?

J'ai prophétisé contre Joakîn, ce roi qui maintenant est admis à la cour du Roi de Babylone mais qui a perdu toute dignité; j'ai prophétisé contre Sédécias, qui écoutait les princes de sa cour; qui me demandait les paroles que le Seigneur me demandait de lui dire, mais n'en tenait pas compte; j'ai prophétisé contre les nations qui nous ont voulu du mal, parce que je savais aussi que le Seigneur un jour nous vengerait, et que les nations comprendraient que notre Seigneur est l'Unique.

Mais, si un jour vous lisez tout ce que le Seigneur m'a demandé de dire, m'a demandé de mettre par écrit, vous verrez que comprendre le dessein du Tout Puissant est impossible. Car une fois arrivé en Egypte, il m'a révélé que certes l'Egypte serait elle aussi conquise, mais que viendra un jour où Babylone sera elle aussi divisée, assiégée, piétinée et qu'elle paiera pour le mal qu'elle a fait à mon peuple et en ne reconnaissant pas que seul le Seigneur est l'Unique. Pour tous les crimes commis, elle aura à payer.


En attendant, j'attends la mort comme une délivrance, car mes yeux en ont trop vu, et je voudrais que celui qui a fait de moi un veilleur, à son tour veille sur moi, et me conduise dans les verts pâturages. Oui le Seigneur est mon Berger, je suis sa brebis, et il me prendra dans ses bras pour me faire passer la vallée de l'ombre et de la mort.

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