vendredi, décembre 01, 2017

Marie douleurs..

Les tableaux et les statues qui me représentent, du moins en Occident, me mettent un beau sourire sur les lèvres. C'est peut-être le sourire que j'ai maintenant quand je viens pour vous parler, pour vous demander de prier sans vous lasser. Pourtant, lorsque je vois le monde dans lequel vous êtes, les conflits, les guerres, et aussi pour tant d'humains réduits à l'état d'objets, alors que mon fils était venu pour que chaque être puisse être rempli de justice, de paix, de joie, j'aurais envie de pleurer.

Je pense que me voir souriante vous rassure, parce qu'une maman c'est censé rassurer, et que ce sourire veut dire aussi que je vous aime; mais je n'ai pas toujours eu envie de sourire quand j'étais sur terre, du temps de mon fils.

Si vous connaissez un peu les icônes, vous verrez que souvent, quand je regarde mon fils, mon petit garçon, il y a de l'inquiétude dans mon regard. Il y a de l'inquiétude, parce que même si je sais qu'il est le Fils du Dieu qui a créé le ciel et la terre, même si je sais qu'il est rempli d'Esprit Saint, même si je sais tout cela, il est le fruit de mes entrailles; je sais aussi qu'un glaive de douleur transpercera mon cœur, et que ce fils tant aimé me sera enlevé. Et perdre son fils, c'est la pire des choses qui puisse arriver à une mère...

Il y a aussi des icônes qui me représentent avec des larmes qui coulent de mes yeux; parfois même des larmes de sang, comme le sang qui a coulé du corps de mon garçon quand il était dans ce  jardin, juste avant d'être arrêté.

Est ce que vous avez déjà pu imaginer que, juste après avoir célébré la Pâque avec ses amis, il est parti dans ce jardin en sachant ce qui allait arriver; mais en ne sachant pas quand cela allait arriver. C'est aussi pour cela qu'il avait tant besoin que ses disciples ne dorment pas, qu'ils fassent un peu rempart entre lui et ce qui allait arriver. Il savait qu'il allait être traité comme un malfaiteur, un bandit, qu'il serait condamné au supplice de la croix, mais là, il ne pouvait qu'attendre. Et moi, je n'étais pas là... J'aurais tellement aimé pouvoir juste être là, sans rien dire, mais être là. Et cette nuit là, elle est aussi inscrite en lettres de sang en moi.

Ce n'est qu'après que j'ai su ce qui s'était passé. Imaginez un résistant qui sait qu'il va être arrêté, que tout est en marche, mais qui ne sait pas quand "ça" va frapper à la porte (ou que la porte va être enfoncée), imaginez son angoisse. Bien sûr mon Fils a choisi, mais on peut dire qu'à la fois il maîtrise et il ne maîtrise pas. Imaginez son angoisse. Bien sûr il avait dit qu'il était venu pour jeter un feu sur la terre, qu'il voulait que ce feu soit déjà allumé, et qu'il devait être baptisé d'un baptême. Et que son angoisse était grande, parce que qui dit baptême dit bien être "plongé dans", et moi j'ai toujours su que ce baptême, ce serait un baptême dans le sang.

Ce qui s'est passé ensuite, ce sont les compagnons de mon fils qui sont venus me prévenir: que les choses ne se passaient pas du tout comme ils l'avaient pensé, que Judas l'avait livré. Qu'il était entre les mains de Pilate, ça je l'ai vu de mes yeux.

Quand vous pensez à cela, vous parlez de mystères douloureux. Mais pourquoi mystère. Que peut-il y avoir de pire pour une mère que de voir le corps de son fils déchiré par le fouet, plein de sang qui coule, le visage bleui par des coups, le nez cassé, le front percé par ces épines que vous souhaiteriez enlever à mains nues, les mouches qui sont là, la foule qui regarde, les soldats qui veulent bien, parce que je suis la mère, me laisser approcher; et ne pas m'effondrer. Attendre et supplier au fond de moi que ça aille vite. Et vous ne pouvez rien faire. Jamais on me voit pleurer, et pourtant! Oui même si on ne le dit pas, j'ai crié ma douleur, j'ai crié vers Dieu qui prenait mon (son) fils. Et mon fils n'est pas descendu de sa croix, il est mort, mort mort. Et moi, j'étais la mère du condamné dont le corps devait être mis dans une fosse commune; même son corps allait m'être pris. Heureusement que Joseph d'Arimathie est venu le réclamer ce corps, ce corps rompu, comme le pain qu'il avait donné à ses disciples, ce corps vidé de son sang, de ce sang qui contrairement au sang d'Abel ne criait pas vengeance. Il y a de splendides sculptures qui me représentent avec mon fils sur les genoux. Mais ce sont des sculptures. Elles sont là pour vous. En fait je n'étais pas là, il fallait que je me cache, parce que les soldats pouvaient très bien s'en prendre aussi à moi. Avec les Romains, on ne sait jamais.

Depuis toujours, la peur de le perdre a été là. Vous, aujourd'hui vous parlez de "mystères joyeux", mais peut-être pas...

Quand on est une jeune fille de 14 ans, quand on entend une petite voix qui vous parle avec respect et qui vous demande si vous acceptez, parce que vous avez été choisie pour cela, d'être la mère de celui qui sera le Messie, est ce que vous ne pensez pas que le oui prononcé est aussi rempli de crainte? Parce que nous vivions dans un monde occupé, un monde où les romains étaient les maîtres, où des messies s'étaient déjà levé et avaient été tués, et parce qu'être la servante du Seigneur, même si comme on le raconte j'ai été préparée à cela en passant mon enfance - comme jadis Samuel - dans le Temple, je sais ce que ce n'est pas facile. Je connais l'histoire de mon peuple, je connais l'histoire des prophètes; et être élu, ce n'est pas simple, ce n'est pas facile. Alors oui, être la mère de Dieu, se dire qu'on est l'arche qui contient le Tout puissant, c'est exaltant, mais…

Mais il fallait en parler à Joseph, celui qui m'a été destiné, mon "promis"; et oser demander à Dieu qu'il ouvre le cœur de cet homme, pour qu'il ne me répudie pas. Oui, Joseph a eu un songe; je peux dire que le Seigneur a répondu à ma prière, mais dans ma prière il y avait déjà des larmes. Quand Joseph m'a dit que le nom de ce bébé, qui ne serait pas le sien, serait Jésus, j'ai repris aussi courage, parce que ce prénom, la petite voix qui avait parlé en moi l'avait déjà indiqué. Et là j'ai rendu grâce; mais "Dieu Sauve", qu'est ce que cela veut dire?

Et puis il y a eu la naissance. Pour vous, c'est Dieu qui prend chair, qui s'incarne, mais moi c'était mon premier: personne pour m'aider, parce que - péché originel ou pas péché originel - un bébé il faut bien qu'il passe, qu'il sorte; et en cela j'ai été comme toutes les femmes.  Heureusement qu'auparavant la petite voix en moi m'avait aussi annoncé que ma cousine Elisabeth, ma cousine "la stérile", allait avoir un enfant, et que j'avais été là lors de la naissance; parce que cela m'a permis de savoir que faire. Curieusement la naissance de Jésus a été très différente de celle de son cousin Jean. Il n'y a eu que très peu de sang, la naissance a été rapide; et il m'a semblé qu'à la fin de cette naissance quelque chose se remettait en place dans mon dedans: comme si une porte s'était ouverte pour permettre la naissance, et se refermait. Mais c'est une impression?

Et puis il y a eu cette menace du roi Hérode, et il a fallu fuir loin de tout; attendre, attendre, pour revenir à la maison. J'ai dû me montrer forte pour que mon bébé ne se rende compte de rien; mais partir comme cela, être exilé, c'est affreux. Je me suis dit que peut-être le Seigneur voulait que son fils comprenne dans son corps ce que cela fait de partir en exil, parce que comme cela il comprendrait mieux plus tard ce qu'avaient vécu les Hébreux. 

Vous le savez, Luc, avec qui j'ai beaucoup parlé, raconte ce qui s'est passé dans le Temple  quand nous sommes allés présenter notre bébé et offrir ce qu'il fallait pour "son rachat". Je dois dire que c'est quand même un peu fou: c'est lui qui s'est donné en rachat pour que tous les hommes puissent avoir en eux l'amour du Tout Puissant, et il a fallu le racheter Lui ! Il y a eu cet homme âgé, qui a pris mon tout petit dans ses bras, et j'ai vu qu'il y avait entre eux deux un échange de regards, comme si le tout petit communiquait avec le tout ancien. Et ce que l'ancien m'a dit, c'est comme si mon tout petit me le disait par avance, qu'un glaive de douleur transpercerait mon cœur, parce que mon fils ne serait pas accepté, qu'il serait rejeté et que pour que le dessein de Dieu se réalise, il fallait qu'il y ait de la mort.

Il y a eu aussi cette première montée au Temple. Vous appelez cela "Perdu et retrouvé", et souvent vous vous dites que si ça avait été votre fils vous auriez été très en colère. Moi, j'étais surtout très angoissée: trois jours pour le retrouver, trois jours où je me demandais s'il n'avait pas été enlevé, parce que les brigands ça existe. Finalement, le retrouver dans le Temple ça a été un soulagement. Je savais bien que sa vraie maison, c'était là où on parlait et où on priait son Père; je ne savais pas si j'avais envie de rire ou de pleurer. Mais en moi, ça me disait que cette première fois serait suivie de beaucoup d'autres.

Et des beaucoup d'autres, il y en a eu. Vous, vous considérez que c'est normal, que c'est comme cela que la bonne nouvelle devait être annoncée; Oui, d'un côté j'étais heureuse parce qu'il guérissait les malades, il chassait les esprits mauvais, il montrait que le Royaume était là: était en train de se construire. Et il y avait autour de lui des hommes sûrs, comme ce brave Simon qui était pêcheur à Capharnaüm, mais il y en avait d'autres comme ce Judas qui ne me plaisaient pas.  Et au fond de moi, malgré tout, malgré ma confiance, il y avait une crainte, crainte qu'il ne soit trahi, crainte qui finisse comme ces messies qui ont été mis à mort au cours des dernières années.

Alors oui il y a mon sourire, mais derrière mon sourire, si vous regardez bien, il y a un autre regard, un regard qui est aussi un regard de souffrance, un regard qui ne juge pas, un regard qui contient peut-être toute la tristesse du monde. Et c'est bien parce que cette souffrance, cette tristesse, je l'ai vécue, que je suis aujourd'hui votre mère à tous. N'oubliez pas que derrière ce sourire que vous mettez sur mes lèvres il y a mon regard, un regard qui comprend vos souffrances, vos douleurs, parce que les ai vécues, malgré les grâces qui m'ont été données.

 On m'appelle souvent la nouvelle Eve, mais Eve d'après ce que disent nos livres était dans un jardin d'où le mal était absent. Alors que moi, j'ai toujours vécu dans un monde dans lequel le mal était là; et voulait empêcher la Lumière qu'est mon Fils de luire, et de réveiller le monde.

1 commentaire:

camille-madeleine a dit…

Bonjour Madame,
je n'ai pas trouvé d'autres moyens pour vous contacter, je me présente Nicole, 66 ans je suis inscrite au Certificat de spiritualité en liens avec les Carmes de Toulouse. J'ai choisi de "travailler" sur le psaume 118 (119) que je lis comme "le psaume du long désir", comme je me retrouve souvent dans ce que vous écrivez j'ose vous demander si vous avez écrit sur ce long poème. J'ajoute que j'ai beaucoup de difficulté à trouver une problématique (difficulté récurrente dans mes études)

Il va de soi que ceci n'a pas vocation à être publié d'autant que j'y note mon adresse:
nicole.petureauAROBASElaposte.net

J'espère que ce messager ne sera pas perçu comme une intrusion mais comme le souhait d'un échange.
En toute fraternité
Nicole