" Mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’aura jamais de pardon. Il est coupable d’un péché pour toujours. Et Jésus parla ainsi parce que qu'ils avaient dit: "Il est possédé par un esprit impur". Mc 3, 29-30
Cela fait presque une semaine que cette phrase, ou plutôt que ces deux phrases de l'évangile de Marc, me taraudent. La phrase du début se trouve aussi dans les autres synoptiques, mais aux chapitres 12, alors que dans Marc on est au chapitre 3: et déjà les pharisiens et les hérodiens ont décidé de faire disparaitre cet homme qui fait des guérisons le jour du sabbat. La vie publique de Jésus commence et tout le monde se ligue contre lui, que ce soit sa famille qui pense qu'il est fou, qu'il a perdu la tête, et maintenant les scribes qui eux déclarent qu'il est possédé par un esprit impur. Et compte tenu de leur autorité (ils viennent de Jérusalem), ils tuent aussi Jésus à leur manière.
Dans les évangiles de Luc et de Matthieu, la phrase qui concerne le péché contre l'Esprit est consécutive à deux miracles un peu différents: l'un concerne un homme muet (Mt 12,22-24), l'autre un homme muet et aveugle (Lc 11,14). Alors que chez Marc, il y a eu dans le début du chapitre 3 la guérison de l'homme à la main atrophiée suivie de beaucoup de guérisons et d'expulsions d'esprits qui disent de Jésus qu'il est le fils de Dieu; et c'est peut-être bien cela qui met le feu aux poudres dans le petit groupe bien fermé qui réside à Jérusalem, le groupe de ceux qui savent, qui connaissent, et qui ne veulent pas perdre leur pouvoir par cet étrange type, qui vit en Galilée, terre remplie de païens, et qui n'a pas fait d'études lui donnant la moindre autorité.
Il est intéressant de trouver dans cet extrait une sorte d'écriture en sandwich. D'abord on parle de la famille qui est en route pour se saisir de lui, puis on se centre sur les scribes qui eux sont sur place, sur la réponse de Jésus et sur cette petite parabole, et la phrase si difficile à comprendre, puis on revient à la famille qui est arrivée et se voit supplantée par l'autre famille de Jésus, ceux qui font la volonté de son Père et qui ainsi deviennent "sa mère, son frère ou sa soeur" ce qui est quand même une vraie bonne nouvelle.
En ce qui concerne la famille, on peut dire que Jésus prend de la distance par rapport à sa parentèle, en la remplaçant par ceux qui écoutent sa parole. Avec les savants, qui disent que c'est par Béelzéboul le chef des démons qu'il réussit à chasser les démons, il y a la réponse logique: tout royaume divisé contre lui même va à sa perte, puis la petite parabole qui fait comprendre que s'il guérit c'est qu'il a d'abord "lié celui qui ligotait les autres", et enfin cette phrase si difficile, qui est finalement aussi brutale que celle adressée à sa famille: pour eux pas de pardon, car ce n'est pas contre Jésus qu'ils ont blasphémé mais contre l'Esprit saint. Et Marc d'ajouter: il dit cela parce qu'ils avaient dit qu'Il était possédé par un esprit impur.
Curieusement cet adjectif impur s'est associé pour moi à la vision de Pierre dans les Actes des Apôtres (chapitre 11), où Dieu lui demande de ne pas considérer impur ce que lui, Dieu, considère comme pur, ce qui lui indique aussi que désormais, tous les hommes, les juifs et les autres, sont considérés comme pouvant être sauvés - ceci étant le fruit de la mort et de la résurrection de jésus. Pierre a du mal à accepter ce qui lui est dit, parce que cela l'oblige à changer toute sa vision du monde extérieur, mais il se met en marche, et ce sera l'effusion de l'Esprit sur la maison de Corneille qui sera pour lui le signe que ces notions de pur et d'impur doivent être, grâce à la force de l'Esprit, complètement repensées. Comme on le dit parfois dans les homélies, Pierre se laisse déplacer, même si c'est difficile pour lui, si on se réfère avec ce qu'écrit Paul dans la lettre aux Galates (Ga2, 11) où il reproche à Pierre de ne plus partager le repas des incirconcis.
Les scribes font l'inverse: ils considèrent comme possédé par l'esprit d'impureté celui qui est rempli d'Esprit de Sainteté. Ils ne comprennent pas que désormais celui qui a touché un lépreux n'est pas devenu impur: parce que l'impur a été purifié. Ils refusent d'ouvrir les yeux.
Et c'est pour cela qu'ils n'obtiendront pas le pardon.
Les scribes voient aussi ce que fait Jésus (dans les autres synoptiques il s'agit de la guérison, soit d'un homme muet Lc11,14 soit d'un homme aveugle et muet Mt 12,21); ils refusent de comprendre ce qui se passe, car cela leur ôte leur pouvoir. On peut même dire qu'ils refusent de comprendre que les muets et les aveugles ce sont eux.
Ils pourraient ouvrir la bouche pour louer leur Dieu d'avoir donné son Esprit comme il l'avait donné jadis à David, mais ils se servent de leur bouche en fait pour maudire, pour traiter Jésus de lépreux, de suppôt de Satan. Ils pourraient ouvrir les yeux et voir aussi la joie de tous ceux qui sont délivrés mais ils le refusent, et en cela ils sont proches des pharisiens auxquels Jésus dira: "Vous dites nous voyons, votre péché demeure" (Jn 9,41).
Ce qui ne permet pas le pardon, c'est qu'ils refusent de voir, ils refusent d'entendre, ils refusent d'ouvrir la bouche, pour proclamer que l'homme qui est là est l'envoyé, celui que l'on attendait, celui qui est rempli d'Esprit Saint. En quelque sorte la Trinité est sous leurs yeux, mais parce que cela ne correspond pas à ce qu'ils pensent savoir de Dieu, alors ils refusent, ils attaquent et ils se ferment à l'amour.
Dire de Jésus qu'il est possédé par un esprit impur, c'est le discréditer, le disqualifier aux yeux de ceux qui sont là.
Et en psychologie, quand on disqualifie quelqu'un, c'est qu'on ne le reconnaît plus comme un égal, mais qu'on veut le faire taire, le tuer, le mettre à mort.
Quand quelqu'un choisit de fonctionner de cette manière, il est dans la perversion, il se fait celui qui sait - le maitre de la loi; et son désir est un désir de mort. Et c'est peut-être cela qui est impardonnable : ne pas reconnaître en Jésus celui qui donne la vie.
En d'autres termes on pourrait dire que lorsqu'on pense que Jésus est possédé par un Esprit Impur, et que cela on le transmet cela aux autres, sous couvert d'autorité, alors on défigure complétement qui est Jésus, et on ne permet aux autres d'entrer dans le dessin de Dieu; de "comprendre avec tous les saints, tous les fidèles quelle est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur… et connaître ce qui dépasse toute connaissance : l’amour du Christ. …" (Ep 4,18); on les empêche d'accéder à celui qui donne la vie en sachant ce que l'on fait. Et cela ne peut être pardonné.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire