mardi, mars 17, 2020

" ..et l'eau que lui donnerai deviendra en lui source d'eau jaillissant pour la vie éternelle". Jn 4, 14

C'est l'évangile du 3° dimanche de Carême, du moins pour cette année. C'est un texte connu, commenté, mais toujours renouvelé et renouvelant. On y trouve encore une femme qui n'a pas de nom; certains lui donnent le nom de Photine (la lumineuse); c'est une femme qui, comme plus tard Marie de Magdala, est déjà apôtre.

Quand nous avons lu ce chapitre en groupe, l'idée d'écrire un texte pour raconter cette rencontre auprès d'un puits était là; mais le temps a passé. Et ce dimanche, ce drôle de dimanche de retour de Savoie, en lisant, relisant et re-relisant encore ce texte, la phrase "en source d'eau jaillissant (et non pas jaillissante comme je l'avais toujours lu) en vie éternelle, ou pour la vie éternelle" a fait son chemin. 

Dans la mythologie grecque, les dieux boivent un nectar, l'ambroisie, qui leur procure une vie sans fin, une vie sans mort, mais une vie qui, si on y regarde de près, est complètement centrée sur eux mêmes. L'eau que propose Jésus est bien autre, parce qu'on ne la garde pas pour soi. Elle comble la soif d'infini, la soif de relation et elle devient source. Elle fait un curieux chemin. Elle entre en nous, mais elle ne demeure pas enfermée: elle rejaillit à son tour, elle devient source, ou peut-être gouttelettes; elle peut féconder. 

J'ai choisi pour raconter cette rencontre de laisser parler le rédacteur de l'évangile, parce que malgré tout il faut bien que quelqu'un ait été témoin de cette rencontre, dans cette zone de Samarie près de Sichem, là où se trouve un puits profond acquis par Jacob, et donné aux fils de Joseph; puits qui n'est pas celui où Jacob a fait la rencontre de Rachel (Gn 29, 6-12), mais puits qui est lié à Jacob et à son histoire. Ne raconte-t-on pas que Jacob fut capable de rouler d'un seul bras la pierre qui était sur la bouche de puits, et que l'eau alors monta du puits et se mit à déborder, abreuvant ainsi toutes les bêtes du troupeau. Voir http://bit.ly/2UgGjWH.


Jean raconte:

Il faut dire que ce matin-là nous étions partis un peu tard de Judée - où nous avions séjourné pas loin de l'endroit où Jean baptisait - pour retourner en Galilée. Nous devions hélas passer par la Samarie; et vers la sixième heure le soleil s'est mis à cogner. Nous étions encore loin de la ville de Sychar, cette ville samaritaine. On n'en pouvait plus, ni les uns ni les autres. On savait bien que le puits de Jacob n'était pas trop loin, mais comme nous n'étions pas trop familiers des lieux, parce que nous les juifs nous n'aimons pas du tout passer chez les Samaritains, ces faux frères qui refusent d'aller au Temple de Jérusalem pour prier le Très Haut, et qui continuent à adorer une sorte d'idole sur le Mont Garizim, nous avons mis du temps pour le trouver. Et puis, impossible de demander notre chemin: il n'y avait pas un chat dehors. Il faut dire qu'avec cette chaleur, qui aurait l'idée de sortir... 

On s'est arrêté au puits. La pierre n'était pas posée sur l'ouverture. On entendait l'eau qui clapotait un peu. On raconte que quand Jacob était auprès du puits, l'eau montait et se répandait toute seule pour abreuver hommes et bêtes. Mais là, pour pouvoir s'abreuver, il fallait trouver une jarre ou quelque chose, et nous n'avions rien avec nous. Les autres sont partis acheter des provisions; moi je suis resté avec Jésus, qui manifestement n'en pouvait plus. C'est rare qu'il soit fatigué; en général il marche d'un bon pas, mais là, la chaleur manifestement avait eu raison de lui. 

J'ai dit qu'avec cette chaleur il n'y avait pas un chat dehors, et pourtant voilà qu'arrive une femme, portant une jarre sur son épaule. Je me suis vraiment demandé ce qu'elle pouvait faire là, alors que l'eau on va la puiser à l'heure fraîche; bizarre cette femme. Elle doit sûrement ne pas être bien vue par les femmes du village, pour aller chercher de l'eau en pleine chaleur et non pas au petit matin. Je me demande ce qu'elle a bien pu faire, ou leur faire. 

Et voila que Jésus lui demande à boire! Il ne s'embarrasse pas de formules de politesse, il lui dit: "Donne moi à boire!", même pas s'il te plait. Et elle lui répond du tac au tac qu'il n'a rien pour puiser et qu'elle se demande pourquoi il lui adresse la parole. Mais lui ne se laisse pas déconcerter: il lui rétorque que, si elle avait les yeux du cœur, elle aurait deviné que celui qui lui demande à boire n'est pas n'importe qui, et que c'est elle qui lui aurait dû lui demander à boire! Parce que lui, ce n'est pas une eau dormante dans un puits qu'il donne, mais une eau vive, une eau de source. Bon ça c'est du Jésus tout pur. Il vous emmène toujours ailleurs. La pauvre dame, elle ne pouvait pas comprendre! Bien sûr, l'eau vive, c'est autre chose. 

Et du coup, elle lui fait remarquer que comme il n'a rien pour puiser, elle ne voit pas comment il pourrait lui donner à boire. Elle elle en reste à l'eau du puits, cette eau qui pouvait quand même couler d'abondance du temps de Jacob. Et Jésus lui fait alors comprendre que cette eau là, celle qui sort du puits, jamais elle ne pourra vraiment étancher la soif, la soif du gosier, car la soif revient toujours; mais qu'il y a une autre soif en chaque être humain et que lui, cette soif là il peut la combler. Je ne crois pas qu'elle ait compris, sauf que bien sûr ça l'intéresse cette eau, de ne plus avoir besoin de puiser. Il sait y faire Jésus pour déplacer les gens, je veux dire pour leur faire découvrir des choses complètement inattendues..

Je ne sais pas de quelle eau il parle, mais il lui dit que l'eau qu'il lui donnera, deviendra en elle source d'eau jaillissant pour la vie éternelle. Et moi, j'ai vu comme une fontaine qui jaillissait de lui, une fontaine où des oiseaux venaient s'abreuver; et les gouttes d'eau qui tombaient sur eux, les transformaient en colombes qui s'envolaient. Et chaque oiseau, je ne sais comment le dire, devenait lui même source. Mais ça ne se décrit pas. Non, c'était autre chose. Il y avait une source, et les gouttes qui en jaillissaient, en tombant sur le sol donnaient naissance à d'autres sources, et la vie était là, et se renouvelait en permanence. Quand il a dit: source d'eau jaillissant pour la vie éternelle, quelque chose s'est comme ouvert en moi; mais c'est tellement difficile de l'exprimer. La femme, elle, elle a sauté sur la proposition et elle lui a demande de cette eau-là. Je ne sais pas pourquoi, j'ai eu l'impression qu'elle commençait à voir en lui une sorte de magicien.

Dans notre histoire à nous, bien souvent quand il se passe quelque chose auprès d'un puits, auprès d'une source, c'est qu'une histoire d'amour n'est pas loin: c'est là que Jacob a rencontré sa bien-aimée Rachel. Alors je me demandais ce qui aller se passer, et voilà que Jésus lui dit d'aller chercher son mari. A quoi elle répond qu'elle n'a pas de mari. Là je n'en croyais pas mes oreilles, mais je comprenais que ce n'était pas une femme très fréquentable. Et Jésus de lui dire qu'elle a dit la vérité, que l'homme avec lequel elle vit n'est pas son mari, mais qu'elle a pourtant été mariée cinq fois. 

Là, elle a du se dire que cet homme, qui lisait en elle comme dans un livre, il était non pas un magicien, mais un prophète. Et du coup elle lui a posé une question de fond: où faut-il adorer le Très Haut? Il lui a répondu que le lieu n'était pas important (je dois dire que j'ai quand même eu du mal à entendre ça), et que les vrais adorateurs adoreront en esprit et en vérité. Qu'est ce que ça veut dire? Sauf que ces mots là ont fait écho en elle, parce qu'elle a dû en adorer des faux dieux avec tous ces maris! Et elle lui a dit - et cela m'a vraiment étonné - qu'elle sait que celui que l'on attend, celui que les Écritures appellent l'Oint (le Messie), va venir, et qu'il fera connaître toutes choses. 

Jésus lui répond alors que c'est lui le Messie; lui qui est en train de lui parler. Elle l'a regardé alors autrement. Je crois qu'elle voulait lui poser une autre question, mais les autres sont arrivés de la ville.

Quand ils ont vu que Jésus était en train de parler avec cette femme, ils ont compris que ce ne n'était pas le moment de poser des questions. Mais elle, un peu comme un petit oiseau effarouché, quand elle les a vus, elle a laissé sa cruche en plan, et elle est partie. On a su ensuite qu'elle a ameuté tout le monde en disant qu'elle avait rencontré un prophète qui lui avait dit tout ce qu'elle avait fait, et qu'elle se demandait s'il n'était le messie, annoncé par Elie et par Jean le Baptiseur.

Quant à mes amis, ils n'en revenaient pas; Ils avaient laissé un homme épuisé au bord du puits, et voilà qu'ils retrouvaient un homme en bonne forme, un homme qui avait récupéré, un homme heureux, un homme comblé. Il leur a expliqué que ce qui le rendait ainsi c'était de faire la volonté de son Père, que c'était sa nourriture à lui. Je dois dire que ça encore, ce n'est pas facile à comprendre. Ensuite, il a eu une de ces petites phrases sibyllines que je comprends mal: il a dit que le temps de la moisson, peut-être la première moisson, celle du temps de la Pâque, arriverait dans quatre mois, mais que si on savait voir, on pouvait deviner la moisson. Il a ajouté qu'il nous envoyait moissonner là où nous n'avions pas semé; mais jusque là, il est le seul à semer. Est ce qu'il parle de la Samarie, où il aimerait que son Père soit connu? 

Je pense que ça doit être ça, parce que les Samaritains sont venus vers nous, ils ont écouté la parole de Jésus et ils ont cru qu'il était l'Envoyé, qu'il était le Sauveur du monde. Et cela, en dehors de nous, personne ne le reconnaissait, ni en Judée, ni en Galilée!

Alors finalement cette femme, qui s'est laissée toucher par la parole de Jésus, elle a été comme le vent qui permet à la graine de pousser, et elle est bien devenue la source qui permet la fécondation. 

J'ai encore bien du mal à entendre, à comprendre, à me laisser prendre par la parole du Maître, par la parole de celui qui est mon Seigneur; mais je me dis que j'ai eu bien de la chance de ne pas être parti avec les autres pour rapporter de quoi manger, parce que moi aussi, j'ai reçu une autre nourriture, de celui qui se nourrit de faire la volonté de celui qu'il nomme son Père.

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