Catherine Lestang
Petites réflexions suscitées par un accident de ski.
Il m’est arrivé il y a quelque temps un accident de ski: fracture du poignet; cet évènement m’a progressivement amenée à un questionnement sur la faute, sur le péché, car je me suis sentie comme obligée à lutter contre une certaine culpabilité et du coup à « marcher » sur ma douleur et essaye d’en faire le plus possible, comme si rien ne s’était passé. Cela se passait comme si c’était de ma faute ! Comme si la chute était comme la sanction du plaisir pris (volé même). Comme si j’avais transgressé des interdits (aller peut-être un peu trop vite, prendre du plaisir). Comme si l'hypothèse de "pas de chance" n'était pas envisageable. Et ceci m’a amenée à réfléchir une fois de plus sur la faute, le péché, la culpabilité et ce qui en est dit dans la bible.
En fait je voudrai structurer ma réflexion autour de deux axes. Le premier étant sur l’intériorisation des interdits et ce qu’il en coûte de les transgresser, le second étant plus centré autour du péché et de sa connotation anale, mais ce point fera à lui tout seul l’objet d’un autre post et seules quelques prémices seront abordées ici..
De l’intériorisation des interdits.
Les interdits surmoïques ont la vie dure et je crains aujourd’hui de les avoir transmis à mes enfants ! Même si j'ai au moins la capacité de mettre des mots, d’associer avec des événements de mon enfance, je dois dire qu'il s’agit d’un véritable travail psychique à engager et mettre à diustance la culpabilité n'est pas si simple.
Si je reviens aux interdits, à ceux qui ont structuré une partie de mon enfance, concernant cet accident je peux en relever deux, qui sont « gravés », non sur la paume de mes mains, encore que..., mais bien au fond de moi (ce qui revient au même). Cela peut s’appeler des injonctions et j'en retiens deux.
La première était : « regardes où tu mets les pieds quand tu marches (ne regarde pas le paysage) sinon tu vas tomber et ce sera de ta faute ». Il y avait aussi une interdiction de marcher dans les flaques d’eau, car éclabousser, donc salir ma mère était défendu. Et pourtant dieu sait à quel point les enfants adorent marcher dans les flaques ! Donc premier point, s’il m’arrive un accident, c’est que je l’ai cherché en n’étant pas attentive et en prenant du plaisir ! Il y a une image de désobéissance, de culpabilité, de faute, donc de punition. Ce qui renvoie bien à une lecture immédiate de l’interdit de ne pas manger de l’arbre de la connaissance donné dans la genèse.
Je veux dire que si on me montre que c’est bien appétissant (bien tentant) alors en oubliant ce qui m'a été prescrit, je vais en prendre, goûter, expérimenter, avoir du plaisir, apprendre, savoir…°Donc, si cela me rend malade, il ne faudra pas me plaindre (et d’ailleurs personne ne me consolera), car je l’aurai bien cherché ! Très longtemps quand je marchais sur un sentier de montagne et quand je cognais une pierre, j’étais persuadée que j’aurais du l’éviter, que c’était de ma faute. Voir d’autres que moi buter dans les pierres m’a beaucoup rassurée. Moi je n’avais pas d’ange « pour éviter qu’à la pierre mon pied ne heurte », ce que au fond de moi, je trouvais très injuste!
La deuxième injonction était autre, il s’agissait de « faire honneur à ma mère » et donc de ne pas lui « causer » de soucis. Ainsi, si je suis malade, elle va devoir s’occuper encore plus de moi, et ça il ne faut pas. Je ne dois pas l’empêcher de vivre sa vie de femme. Je ne dois pas être un poids (poids nié /poignet). Si je pèse, alors je suis coupable. Et puis si je suis malade, outre le souci que cela va générer, il y a des choses que ma mère m’avait confiées et qu’elle devra faire à ma place.
Par ailleurs pour tout humain, « le faire » donne le sentiment d’être utile, donc d’exister…Et ne plus pouvoir faire est donc très culpabilisant du moins pour moi. L’idée de se faire servir, de faire faire à un autre ce que j’imagine être de mon ressort (m’appartenir) est d’ailleurs proscrite.
Aujourd’hui, à un niveau conscient, je pense que l’enfant que j’ai été, n’a pas été consolé quand il en avait besoin et qu’il a appris à se débrouiller seul et c’était cela aussi qui lui donnait un sentiment d’exister de manière autonome. C’est un moyen comme un autre de se narcissiser. Je crois aussi que cette manière de fonctionner revenait à « réparer » ma mère et à lui permettre de donner d’elle, dans le milieu social qui était le notre, l’image d’une mère qui élevait bien sa fille. Je veux dire qu’il me fallait être une petite fille valorisant sa mère, et marcher sur ma douleur, pour qu’elle soit fière de moi, était une véritable gratification (que je pouvais m’offrir).
Aujourd’hui, avec le recul, je peux me dire que ce n’est pas pour rien que professionnellement j’ai essayé de « consoler » des personnes malmenées dans leur corps, alors que moi, je sais qu’il m’est très difficile d’accepter la consolation ! La prière de François d’Assise, il y a plus de plaisir à consoler qu’à être consolé, je l’ai certainement fait mienne, mais ce faisant, je crois aujourd’hui que je me suis privée ou que je me prive de quelque chose. Ce n’est pas quelque chose qui m’a été donné et ce d’autant moins que ma mère qui m’a eue juste au moment de l’exode en juin 1940, n’a pas pu non plus se faire chouchouter par qui que ce soit, puisque sa mère n’était pas là !
Pour en revenir à l’oubli des injonctions maternelles, cela revenait à faire comme si ma mère n’existait pas, comme si je la niais. Et nier quelqu’un qui s’est « sacrifié » pour vous, cela ne se fait pas et c’est mal. Par voie de conséquence, si je vis ma vie comme je l’entends, si je prends des risques et si la réponse à la prise de risque est une réponse du type accident ou maladie, c’est que je l’ai bien cherché en « désobéissant » et donc que je suis coupable.
Or une certaine lecture de la bible va dans ce sens. Pour que l’alliance entre YHWH et son peuple fonctionne, il faut que ce dernier soit en lien constant avec son créateur, que ce soit dans son cœur et dans son corps. Tout oubli est en général sanctionné avec une grande violence. Les livres de l’Exode et des Nombres sont assez exemplaires pour ce type d’enseignement.
Et si on y réfléchit un peu, cette posture de relation constante à l’autre est assez antinomique(1) avec le développement humain qui va vers l’autonomie (relative) de se suffire à soi même, de combler ses besoins de « gagner » sa vie.
C’est bien l’oubli (plus ou moins volontaire) de l’interdiction donnée en Gen2, 19(2). « De tous les arbres du jardin, tu mangeras, tu mangeras, mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu ne mangeras pas, oui du jour où tu en mangeras, tu mourras tu mourras. » qui provoque la catastrophe, qui de mon point de vue est double. La première est l’exclusion du lieu « paradisiaque » avec en prime la finitude (la mortalité), la seconde étant de se voir dans sa fragilité intrinsèque, car l’homme est un animal bien fragile et bien peu armé pour se défendre contre les animaux et le climat.
Si on revient au mythe rapporté dans la genèse, l’ouverture des yeux est très importante. Combien de fois Jésus reprochera t il à ses auditeurs d’être « aveugles ». Le petit d’homme à la naissance ne voit que les différences de luminosités, et il faut presque 8 années pour que la vision de l’enfant devienne celle de l’adulte. Le « voir » prend du temps à se mettre en place. La transgression ne donne pas le pouvoir du dieu, mais la perception de la juste réalité de l’homme, à savoir sa faiblesse. Il passe brutalement de la toute puissance infantile à la réalité de l’impuissance et à son incapacité à se défendre lui qui n’a ni carapace, ni armes ! Lacan dans le stade du miroir a une très belle formule ; il parle de « l’assomption jubilatoire » de l’enfant dans les bras de sa mère qui se voit et qui la voit dans le miroir et qui alors qu’il ne marche pas encore se voit vertical, debout, entre terre et ciel, en devenir. Tous nous passons par là, tous nous apprenons que la terre est basse et que les chutes sont rudes.
La suite du récit qui suit cette « ouverture », cette perte d’un certain infantilisme (que l’homme devait perdre un jour ou un autre), insiste sur la peur, sur la nudité. Je cite : Gn,3 ,9-10 Yahvé Dieu appela l'homme : "Où es-tu ?" dit-il; "J'ai entendu ton pas dans le jardin, répondit l'homme; j'ai eu peur parce que je suis nu et je me suis caché."
Je crois que la peur n’est pas liée à la honte de se voir nu et sexué. Elle est sous tendue par la réalité corporelle de la fragilité de l’humain. Je me demande même si la feuille du figuier n’est pas de l’ordre du camouflage : si l’homme peut se fondre avec la nature environnante, il ne se fera pas attraper, et les mains d’un Dieu peuvent être bien inquiétantes ! Les images d’ogre et de géant sont omni présentes et bien dangereuses ! Et on peut bien imaginer la peur de l’Adam devant ce Dieu qui lui ressemble, mais qui possède toute la force du dieu créateur.
Le problème c’est qu’il y a comme un amalgame entre nudité sexualité et saleté et que de ce fait celui qui faute devient sale…
L’oubli de la parole de l’Autre, fait entrer la mort, et désormais la quête de l’humain sera de retrouver une vie éternelle, accordée -si et seulement si- la volonté du Dieu créateur est respectée et aimée. Etre sauvé, (salut) c’est cela : être vivant. Curieusement, c’est dans un autre lieu, qui lui est un lieu de mort, à savoir le Golgotha, que l’obéissance « amoureuse » permettra de sortir de la mort pour accéder à la vie. Mais cette obéissance là, qui n’est pas liée à la peur, à la crainte, l’homme en est il capable ?
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