Catherine Lestang
21 Avril 2006
A propos des pêches miraculeuses
Jn 21 et Lc 5.
Bien souvent dans l’évangile de Jean, on a l’impression de retrouver des épisodes appartenant aux évangiles synoptiques, mais traités très différemment. Il est quand même surprenant de trouver en finale (le texte de la pêche miraculeuse des 153 poissons entendu aujourd’hui à la messe) un récit qui se trouve presque en introduction chez les autres évangélistes. Et pourtant il s’agit d’épisodes centrés sur Pierre et sur le rôle particulier qu’il lui est demandé d’assumer, mais les visions sont très différentes si ne n’est que ces signes permettent à Pierre de reconnaître en Jésus le Messie.
En entendant ce midi les versets 1-15 du chapitre 21 qui termine l’évangile de Jean, j’ai eu une distraction, mais peut-on appeler cela une distraction ? Je me suis demandée comment Jésus, qui depuis sa résurrection semble se jouer de l’espace, s’y prend pour « faire apparaître » un repas (petit déjeuner) à ces hommes qui viennent de passer une nuit dans le froid. Car si on essaye de se représenter la scène (cène) cela fait un peu magique, miraculeux.
En fait, j’ai été comme sidérée par ce que j’entendais. La scène est banale, mais si je visualise Jésus qui fait cuire du poisson, et griller du pain, je me suis amenée à me demander comment il s’y est pris. Pas d’allumettes à l’époque, pas de magasins ouverts 24h sur 24! Et pourtant, Il y a un feu de braises, du poisson et du pain qui grillent. Et ce repas un peu surgi de nulle part, est aussi à l’image de Jésus ressuscité, que l’on ne retient pas, qui n’est plus limité dans le temps et dans l’espace, qui change même d’apparence.
Et j’ai eu comme l’impression d’être dans un ailleurs, où il suffit de désirer le feu pour qu’il soit là, des braises pour qu’elles rougeoient, du poisson pour qu’il vienne se mettre sous la cendre et du pain qui se rompt pour être partagé. Un peu peut-être ce qui se passe à chaque repas de la messe.
Le monde du miraculeux quand on essaye de le mettre en images, est bien déconcertant car il dépasse notre savoir, notre logique, notre rationalisme.
Ce qui semble certain c’est que quand les disciples ont embarqué il n’y avait personne sur le rivage. Sinon, ils n’auraient pas été surpris en voyant quelqu’un sur le rivage après leur pêche infructueuse.
Donc, quelqu’un est arrivé à l’aube (et si on est peu de temps après la résurrection, les nuits sont encore bien froides en cette saison) ; ce quelqu’un a fait du feu avec du bois ramassé quelque part, a préparé un casse croûte. Cela c’est la scène connue, habituelle. Mais comment s’y est il pris pour allumer ce feu ? Cela reste mystérieux.
Je ne peux imaginer Jésus quémandant des braises dans une maison proche du lac, les transportant dans un tesson de poterie, ramassant du bois en quantité suffisante pour en faire des braises. Même s’il a trouvé « miraculeusement » des braises à cet endroit, où a t il pris le pain ? Quand a-t-il péché les poissons ? Et cette interrogation qui est née sur le « comment » s’y est il pris, renvoie aussi à l’autre question qui elle court dans tout l’évangile, à savoir « Qui est Il celui la » (à qui la mer et les vents obéissent…°) qui est devenu le Vivant. On est tellement habitué à lire les récits de miracles que l’on finit par ne plus les voir. J’ai entendu dire que pour qu’il y ait miracle, il faut qu’il y ait un support : la multiplication des pains a nécessité les cinq pains, les guérisons s’appuient sur des demandes et sur un corps malade. On ne part pas de rien, on ne fait pas surgir du néant (ou du tohu-bohu). C’est la règle de notre univers où comme l’écrivait Lavoisier « rien ne perd et rien ne se crée ». Mais Lui, on dirait bien qu’il se joue de cette logique ! Ce Jésus qui a été capable de marcher sur la mer et après la résurrection de se manifester où il veut, comme il veut et quand il veut, qui est IL ?
Là, certes il y a du bois sur les rives du lac, mais comment s’y prendre pour enflammer les branchages ? Comment s’y prendre pour pêcher des poissons, comment avoir du pain ? Quel est ce nouvel ordre ? Est cela « le ciel nouveau, la terre nouvelle » ? Car ces signes obligent bien à regarder Jésus avec une autre dimension que la dimension du guérisseur charismatique de Galilée.
Ce questionnement m’a permis dans un premier temps (pendant le temps de l’homélie que je n’ai écoutée que d’une oreille !) de regarder Jésus de Nazareth comme un tout Autre, comme quelqu’un qui sort de notre univers, d’être surprise interrogée par Celui là. Pain grillé de ce petit matin là, sur la rive du lac, pain un peu inodore et sans saveur, qui est Lui dans cette assemblée. Et cela m’a permis de Le voir autrement, peut-être plus grand, peut-être plus Dieu, peut-être plus dans la « gloire ».
Et par la suite, au-delà de cette interrogation, « Qui est Il Celui là , qui fait surgir du réconfort», une autre thématique m’est apparu : celle du rôle de ces pêches miraculeuses, mais aussi des harmoniques liées à la pêche, à l’eau, au feu…Quand je parle d’harmoniques, ce sont ces espèces de ponts qui se font d’un évangile à l’autre, parfois d’un testament à l’autre, où cela s’éclaire, vibre autrement, chante autrement. Avant de revenir à ces harmoniques, je voudrais en citant le texte de Jean, faire des rapprochements avec d’autres passages (italiques) tirés de l’évangile de Luc.
21,3Simon-Pierre leur dit : «Je vais pêcher». Ils lui dirent : «Nous allons avec toi». Ils sortirent et montèrent dans la barque, mais cette nuit-là, ils ne prirent rien.
21,4C'était déjà le matin lorsque Jésus vint se placer sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c'était lui.
21,5Il leur dit : «Eh, les enfants, n'avez-vous pas un peu de poisson» ? «Non», lui répondirent-ils.
21,6Il leur dit : «Jetez le filet du côté droit de la barque et vous trouverez». Ils le jetèrent et il y eut tant de poissons qu'ils ne pouvaient plus le ramener.
Lc 5,5 Simon répondit : « Maître, nous avons péché toute la nuit, mais sur ta parole je vais lâcher les filets. » Et l’ayant fait ils capturèrent une grande multitude de poissons et leurs filets se rompaient.
21,7Le disciple que Jésus aimait dit alors à Pierre : «C'est le Seigneur» ! Dès qu'il eut entendu que c'était le Seigneur, Simon-Pierre ceignit un vêtement, car il était nu, et il se jeta à la mer.
Marc 3,16Il institua donc les Douze, et il donna à Simon le nom de Pierre,
Jn 13,9 Simon Pierre lui dit : « Pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! ». Jésus lui dit : « qui s’est baigné n’a pas besoin de se laver, il est pur tout entier. »
21,8Les autres disciples revinrent avec la barque, en tirant le filet plein de poissons : ils n'étaient pas bien loin de la rive, à 200 coudées environ.
21,9Une fois descendus à terre, ils virent un feu de braise sur lequel on avait disposé du poisson et du pain.
21,10Jésus leur dit : «Apportez donc ces poissons que vous venez de prendre»
Lc 9,16 : Prenant alors les 5 pains et les 2 poissons, il leva les yeux au ciel, les bénit, et les rompit et les donnait à ses disciples pour les servir à la foule
21,11Simon-Pierre remonta donc dans la barque et il tira à terre le filet que remplissaient 153 gros poissons, et quoiqu'il y en eût tant, le filet ne se déchira pas.
Lc 5,5 et leurs filets se rompaient.
21,12Jésus leur dit : «Venez déjeuner». Aucun des disciples n'osait lui poser la question «qui es-tu» ? : Ils savaient bien que c'était le Seigneur.
Lc 9,20 : Mais pour vous leur dit-il Qui suis-je ? Pierre répondit : « le Christ de Dieu »
21, 13Jésus vient, il prend le pain et le leur donne ; et de même le poisson.
Lc 21,19 : « puis prenant du pain, il rendit grâces, le rompit et le leur donna ….
Jn 21,15-18 : Fais paître mes agneaux, sois le pasteur de mes brebis, fais paître les brebis »
Lc5, 6 « A cette vue, Simon Pierre se jeta aux genoux de Jésus en disant : « Eloigne toi de moi car je suis un homme pécheur ! ». La frayeur en effet l’avait envahi…Mais Jésus dit à Simon : «sois sans crainte ; désormais ce sont des hommes que tu prendras. »
Pour revenir à ce que j’appelle les harmoniques (associations diraient les psychanalystes), il y a ce feu de braises. Cela rappelle un peu Emmaüs. Cœur brûlant, braises du feu, chaleur de feu et du repas. Partage. Mais c’est donné. Certes il y a les poissons pêchés, mais ils sont aussi cadeaux.
On voit toujours Jésus invité à des repas, on ne le voit jamais préparer. Donne moi à boire, dit il à la Samaritaine…Là, c’est lui qui invite, qui prépare. Une autre dimension naît. Pas venu pour être servi, mais pour servir…
Et puis si braises il y a, c’est que le feu brûle déjà depuis longtemps, alors peut-être que Jésus veille sur les apôtres, alors que eux n’ont pas pu veiller avec lui. Les braises, pour un tout à chacun c’est un peu le feu de l’amour qui rougeoie, qui éclaire dans la nuit. C’est un feu sans flammes qui apporte de la chaleur. Buisson ardent qui ne se consume pas, colonne de feu dans le désert…
N’est ce pas près d’un feu que Pierre a été pris de panique ? Qu’il n’a pas eu le courage de se déclarer « pour » Jésus ? Ce soir là (jeudi), cette nuit là, cette aube là (vendredi), le feu servait à se réchauffer, car la nuit était froide ! Feu témoin de la panique, feu témoin de la confiance renouée. Confiance renouée entre cet homme transi qui vient de se jeter dans l’eau et Jésus qui l’attend et qui donne en abondance chaleur et nourriture (besoins primaires indispensables à la vie).
Les braises c’est bien souvent pour nous le symbole de l’amour qui ne s’éteint pas, qui ne meurt pas. Sur ces braises, il y a peut-être des pierres plates qui chauffent et sur ces pierres, du poisson et du pain. Et là une autre harmonique qui surgit : la multiplication des pains.
Et ce feu, cette nuit là, va servir à réchauffer, mais aussi et surtout à nourrir, à restaurer (au sens fort du terme) Pierre le mouillé, Pierre l’impulsif, Pierre qui a subi son baptême du feu et son baptême de l’eau.
Quant au poisson, nous savons qu’il a été le symbole de Jésus « fils de Dieu », mais il y a aussi le poisson de Tobie qui doit être maîtrisé, tué et « vidé » pour devenir guérison de l’aveugle Tobit et ce drôle de poisson péché par Pierre qui contient la didrachme que Jésus doit payer à Capharnaüm.
Pour terminer, je cite le verset 12 qui fait un peu la transition avec ce qui va suivre, mais que nous entendrons au moment de la Pentecôte. Mais Pierre est prêt à aimer comme Jésus aime…
Jn21, 12: Aucun disciple n’osaient lui demander : « Qui es-tu » sachant bien que c’était le Seigneur. Ce fut la troisième fois que Jésus se manifesta aux disciples, une fois ressuscité d’entre les morts.
Troisième fois, troisième jour.
Jour de la présence de Yahvé sur la montagne sur Sinaï.
Jour de la résurrection…
Telle que je me connais, je crois que je lui aurai demandé « Qui es tu, Toi ? » Et cela je crois savoir que je n’ai pas fini de le découvrir.
Une nouvelle distraction en perspective ? Pourquoi pas ?
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