vendredi, septembre 30, 2022

Luc 15 et Nb 21: J'ai péché contre le Ciel et contre toi.

 Livre des Nombres (Nb 21) et Parabole du fils perdu: "J'ai péché contre le ciel et contre toi". 

 

Il se trouve que, juste après la lecture du chapitre 15 de Luc, la liturgie de semaine propose, pour la fête de l'exaltation de la croix, le texte du livre des Nombres (Nb 17, 4-9) qui est presque toujours associé à ces fêtes de la croix. L'extrait proposé rapporte l'incident où, une fois de plus, les fils d'Israël n'en peuvent plus de ce désert dans lequel Moïse les a entraînés pour qu'ils soient libérés de l'esclavage égyptien. Ils n'en peuvent plus de cette manne... Car quoi qu'en dise le livre de la Sagesse (Sg 16,20) - "À l’inverse, tu donnais à ton peuple une nourriture d’ange; tu envoyais du ciel un pain tout préparé, obtenu sans effort, un pain aux multiples saveurs qui comblait tous les goûts" -, il devait bien avoir toujours le même goût ou certainement la même texture, et il y a de quoi s'en lasser.  

 

Et les voilà qui récriminent; c'est leur bouche qui profère cela. Le terme récriminer doit être très en deçà de la réalité. Je pense que des injures devaient être proférées.

 

Du coup, c'est un peu la loi du talion; ils sont punis par où ils ont péché. 

Dans leur bouche il y a des paroles brûlantes de haine ou de colère contre leur Seigneur; et apparaissent des serpents venimeux, à la gueule brûlante, qui les mordent (comme eux ont mordu et Moïse et le Seigneur) et en font périr un grand nombre. 

 

Alors, dans l'épreuve, vient la réflexion: si nous n'avions pas récriminé contre le Seigneur et contre Moïse, cela ne serait pas arrivé. Ce qui nous arrive c'est une punition. Et du coup, même si c'est un peu simpliste, un peu infantile, un peu pensée magique, les voilà qui font le lien entre leurs injures et les morsures. 

 

Et c'est tout penauds qu'ils vont voir le seul qui peut trouver une solution. C'est la phrase de reconnaissance du péché, de la faute: "Nous avons péché contre Dieu et contre toi " 

 

Puisque toi, tu es l'ami du très Haut, puisqu'il te parle comme un ami à son ami, fais quelque chose pour nous. Nous reconnaissons que nous avons dû l'offenser par nos récriminations et oublier tout le bien qu'il nous a fait, (on peut noter qu'ils ne demandent pas pardon, comme on le ferait aujourd'hui). C'est à Moïse d'intercéder pour que ces attaques cessent. 

 

On peut d'ailleurs remarquer que bien souvent dans la suite il suffira, par exemple à David ou même au roi Achab, de reconnaître leur faute, de s'humilier devant Dieu, pour que la sanction, sans être forcément levée, soit allégée, ou déplacée dans le temps.

 

Après le meurtre de Nabot, on peut lire (1R 21, 27): Après avoir entendu les paroles d'Elie, Achab déchira ses habits, se couvrit d'un sac à même la peau et jeûna. Il dormait avec ce sac et il marchait tout lentement. 28 La parole de l'Éternel fut adressée à Elie le Thishbite:. 29 «As-tu vu qu'Achab s'est humilié devant moi? Eh bien, parce qu'il s'est humilié devant moi, je ne ferai pas venir le malheur durant sa vie. Ce sera pendant la vie de son fils que je ferai venir le malheur sur sa famille.»,

 

Ou encore dans les Chroniques (2Ch 33, 12): Manassé s'humilie devant le Seigneur, et l'Éternel se laisse fléchir.

 

Je ne m'attarderai pas sur la suite: la confection du serpent d'airain, dressé sur un mat, et qui permet à celui qui le regarde d'être sauvé de la mort, à défaut de la douleur de la morsure.  

 

Mais ce qui m'a frappé, ce qui a résonné en moi, c'est que le début de la demande du peuple est, à un mot près (ciel à la place de Dieu), la même phrase qu'élabore le fils prodigue dans sa misère: "Je me lèverai et j'irai vers mon père, et je lui dirai : J'ai péché contre le ciel (Dieu) et contre toi, je ne suis pas digne d'être appelé ton fils. Traite-moi comme l'un de tes ouvriers."

 

Cette parabole des deux fils est racontée par Jésus pour que les pharisiens renoncent à leur perception d'un Dieu qui punit, qui juge; pour qu'ils comprennent sa bonté, sa fidélité et sa miséricorde. 

Alors, entendre cette phrase, qu'est-ce que cela peut générer en eux? 

 

Se rendent-ils compte que, comme le fils cadet, ils sont coupables de ne pas faire confiance en l'amour de ce père, qui sans se lasser, attend le retour de son fils; fils qui, certes, n'a pas été emmené en exil, mais qui s'est exilé lui-même? Donc que, contrairement à ce qu'ils peuvent penser, eux aussi sont attendus. Et pas seulement ceux qu'ils considèrent comme des pécheurs?

 

Se rendent-ils compte que cet homme, Jésus, pourrait être, comme un nouveau Moïse, un intercesseur entre eux et leur Dieu? Cela semble inimaginable, mais sait-on jamais. Il suffit parfois que la parole tombe dans un bon terrain pour qu'elle fructifie et rapporte ce qu'elle peut rapporter. Je veux dire que peut-être certains des auditeurs de Jésus l'auront entendu cette parole, cette parabole, et qu'elle aura porté du fruit.

 

Se rendent-ils compte qu'eux aussi, malgré tout leur savoir, parfois malgré leurs richesses - et leur amour de l'argent reproché par Jésus - sont cependant dans un temps de famine? Qu'il leur manque quelque chose? Qu'ils sont dans le besoin? Est-ce que cette parabole va leur ouvrir les yeux? 

 

Se rendent-ils compte qu'ils ont besoin de Jésus pour aller vers cette vie éternelle qu'ils cherchent avec une telle ferveur, alors qu'ils sont étouffés par leur savoir? 

 

Je ne sais pas. Mais je sais que cette petite phrase venue d'un livre ancien, ce livre qui raconte ce temps d'exil dans le désert, m'a permis d'entendre un peu autrement cette parabole des deux fils.: de ne pas oublier que Jésus, le nouveau Moïse, nous fait sortir de notre terre d'exil, à condition tout simplement que nous reconnaissions que seuls nous ne pouvons pas faire la traversée. Bien souvent nous nous empêtrons dans des tas de règles qui ne servent à rien, qui rigidifient tout alors qu'il suffit de reconnaître notre impuissance pour que, avec nous, il intercède son père pour que la terre promise nous soit donnée. Et enfin ce serait ne jamais oublier cette figure du père, de ce père chaleureux, qui attend ce simple retournement vers lui pour ouvrir les bras, et accueillir. 

 

Pour faire parler Jésus, ou pour le laisser raconter, lui, dans la mesure où j'ai réfléchi sur ce verset que l'on trouve à la fois dans l'évangile et dans le livre des Nombres, je ne peux pas utiliser comme je le fait d'habitude le texte de l'évangile de Luc. J'ai besoin de celui de Jean, de la rencontre avec Nicodème (Jn 3), car c'est là que l'on trouve en filigrane la présence du texte des Nombres, avec la phrase: "Quand je serai élevé de terre, j'attirerai tout à moi". C'est un verset que j'aime énormément. Souvent quand je l'entends, je vois, parce que j'ai fait des études scientifiques, la limaille de fer attirée par un aimant: Jésus, l'Aimant, sur la croix, élevé entre terre et ciel, attire à Lui tous ceux qui veulent bien le reconnaître, et leur donne la Vie. 

 

Jésus raconte - Jésus nous raconte.

 

Je ne suis plus tellement loin de terminer le temps qui m'a été imparti sur cette terre. Ma mort approche de jour en jour. Et de jour en jour, aussi grandit l'écart, l'incompréhension, entre ma bonne nouvelle, celle du Père qui est là pour tous ses enfants, pour tous ceux qui le reconnaissent qu'ils sont besoin de lui pour entrer dans le royaume, et les pharisiens; qui m'en veulent de plus en plus, pour tout et pour rien.

 

Je sais très bien que guérir un homme un jour de Sabbat, un homme qui n'a rien demandé, mais qui pourtant est venu parce que moi, j'étais invité au repas, ce jour-là par un notable pharisien, cela les choque. Ils ne veulent pas entendre, pas comprendre, que je suis là, que mon père est là, pour sauver, pour donner la vie. Et la vie, cet homme malade en avait besoin. 

Alors, une fois de plus, j'ai voulu leur faire comprendre que certes, ils peuvent penser être justes, parce qu'ils respectent certaines prescriptions de Moïse... Ils en ont rajouté tellement d'autres, avec leur tradition des anciens, qu'ils ne sont plus si justes que cela, et eux aussi ont besoin de conversion; mais cela ils ne veulent pas l'entendre. Avec Jean c'était déjà la même chose.

 

La parabole que je leur ai racontée parle de deux fils, de deux frères. Le cadet, celui qui si souvent dans nos écritures est le mieux aimé, celui qui est choisi, comme Abel, comme David, celui-là décide de partir, de faire sa vie, alors que l'autre reste près du père; mais il reste là parce que ça ne se fait pas de partir, et qu'il est sûr d'hériter du domaine en bonne et due forme par la suite. Son père, il le sert, mais au fond il ne l'aime pas. 

 

Le petit, qui est parti pour avoir la belle vie, un jour, parce qu'il a tout perdu, parce qu'il se sent dans les griffes de la mort; quelque chose en lui se réveille. Bien sûr, c'est intéressé, mais si j'ai mis dans sa bouche la phrase que disent nos ancêtres qui, dans le désert, avaient récriminé contre Moïse et contre mon Père et qui avaient été confrontés à la mort par l'attaque de serpents venimeux, ce n'est pas pour rien.

 

 La faim, c'est un peu comme un serpent, ça vous brûle en permanence. Les anciens, eux, ont compris que s'ils n'avaient pas récriminé contre Moïse et contre le Seigneur, cela ne serait pas arrivé, et ils ont reconnu, comme le garçon le reconnaît, qu'ils ont péché contre le Seigneur et contre Moïse; et cette reconnaissance donne le remède.

 

Accepteront-ils de me regarder, le jour où ils m'auront suspendu au bois de la croix, pour reconnaître que je leur donne cette vie éternelle, qu'ils essayent d'attraper, de posséder comme un dû? 

 

La fin de mon histoire montre la jalousie entre les deux frères. Quand l'aîné entend le son des flûtes, et qu'il sent les bonnes odeurs du festin, il est incapable de se réjouir. Il reproche à son père d'accueillir le paria, celui qui de son point de vue est devenu un maudit, un intouchable, et de lui donner l'amour dont il avait besoin. Acceptera-t-il de partager ce repas de fête, lui qui est dans la haine? Et eux, ils sont dans la haine.

 

Pourquoi refusent-ils de comprendre que je suis le Berger, le bon Berger qui donne sa vie pour son troupeau et pour ses brebis; pourquoi refusent-ils de comprendre que la miséricorde est tellement plus importante que la condamnation; pourquoi refusent-ils de comprendre que je ne suis pas venu pour condamner; que je suis la lumière du monde? Pourquoi restent-ils dans leur aveuglement? 

 

Oui, il me reste peu de temps. Bientôt je serai à Jérusalem, ce sera la Pâque, et je serai l'Agneau Pascal. Comprendront-ils qu'une fois élevé, j'attirerai tout à moi? 

  

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