vendredi, septembre 02, 2022

Lc 5, 1-11. L'appel des premiers disciples sur le lac. 1° septembre 2022

Une  pêche improbable.

 

Cet épisode de pêche miraculeuse ne se trouve que dans l'évangile de Luc; il signe en quelque sorte la conversion de deux familles de pêcheurs, celle de Simon et celle des fils de Zébédée; des hommes faits; sûrement pas des intellectuels. 


Ce qui me frappe c'est qu'il n'y a pas d'appel, contrairement à ce qu'on peut lire dans l'évangile de Marc; ce qui laisse à supposer que ce qui a été vécu ce jour-là a provoqué un tel changement intérieur que ces hommes laissent tout pour suivre Jésus, qui, même si sa réputation commence à être connue, n'est quand même qu'un petit guérisseur, un petit prophète, comme il devait y en avoir tant d'autres. Le fait que dans cet évangile Jean ait été arrêté, mais non mis à mort, peut désigner Jésus comme un successeur possible; mais il semble bien que les disciples de Jean restent fidèles à Jean. 

 

Ce qui m'a paru intéressant, c'est ce qui se passe sur la barque, car il est dit que Simon tombe à genoux devant Jésus (ce qui sur des poissons n'est pas évident), et qu'il dit "éloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur", et qu'il est rempli d'effroi. Cela me fait penser à ce qui se passe dans le temple, lors de la vision d'Isaïe Is 6,5 "Je dis alors :" Malheur à moi ! je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures: et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l’univers ! " Je pense que Simon fait, là, l'expérience du divin, de la Présence, et cette expérience-là lui permet de partir à la suite de cet homme, qui est certes un homme comme tous les autres, mais qui est tellement plus que cela: qui est signe de la Puissance du Dieu. 


C'est ce que le récit de Simon essaiera de montrer, en repartant de ce qui s'est passé dans la synagogue, et dans la maison de sa belle-mère.

 

Mais tout d'abord, le texte.


Le texte.

 

 

1 En ce temps-là, la foule se pressait autour de Jésus pour écouter la parole de Dieu, tandis qu’il se tenait au bord du lac de Génésareth.

2 Il vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac ; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets.

3 Jésus monta dans une des barques qui appartenait à Simon, et lui demanda de s’écarter un peu du rivage. Puis il s’assit et, de la barque, il enseignait les foules.

 

Les propriétaires des barques sont à terre et lavent les filets. Jésus commence par être étouffé par la foule, donc la solution pour continuer, c'est prendre une barque. Et il prend celle de Simon. A-t-il un projet en tête à ce moment-là? 

 

4 Quand il eut fini de parler, il dit à Simon : « Avance au large, et jetez vos filets pour la pêche. »

5 Simon lui répondit : « Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre ; mais, sur ta parole, je vais jeter les filets. »

 

Et c'est peut-être la manière de remercier que Jésus a trouvé. Lui donner plein de poissons. Il s'agit donc de ramer, de partir au large, d'avoir des filets dans la barque et de les jeter. Mais en plein jour, cela ne se fait pas. Si, même la nuit, ils n'ont rien pris, qu'en sera-t-il dans la journée.

 

6 Et l’ayant fait, ils capturèrent une telle quantité de poissons que leurs filets allaient se déchirer.

7 Ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider. Ceux-ci vinrent, et ils remplirent les deux barques, à tel point qu’elles enfonçaient.

 

Et c'est l'abondance, la surabondance. Il faut l'aide des deux autres. C'est étonnant que la deuxième barque soit là. Mais c'est important de pouvoir compter sur les frères, sur les autres. Ce qui me surprend un peu, c'est les filets qui allaient se déchirer, ce qui laisse à supposer que la pêche retournerait dans le lac, or ils ne se déchirent pas, malgré le grand nombre de poissons et les barques qui enfoncent mais qui ne chavirent pas. Quand le Seigneur fait quelque chose, il le fait bien. 

 

8 À cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, en disant : « Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur. »

9 En effet, un grand effroi l’avait saisi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, devant la quantité de poissons qu’ils avaient pêché ;

10 et de même Jacques et Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon.

 

A quoi est dû ce grand effroi que l'on a déjà entendu avant-hier après l'expulsion de l'esprit Impur. La réaction de Simon évoque à minima celle d'Isaïe dans le Temple. Mais c'est bien le questionnement par rapport à Jésus; il n'est pas un simple prophète, ou alors il est comme Elie: il est rempli de puissance et de force; et c'est le contact avec le Divin, et cela est inquiétant. Simon a peur: Dieu ne répond pas aux pécheurs, mais à ceux qui sont emplis de sa présence. Simon se reconnait pécheur, et peut-être qu'il a peur d'être foudroyé sur place. 

 

Jésus dit à Simon : « Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras.»

 

Je suppose que dans cet évangile, c'est la première fois que cette phrase: sois sans crainte, arrive. N'aie pas peur: je te veux du bien; je veux ton bien. Et un jour, ce sont des hommes que tu prendras, comme moi.

 

11 Alors ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent.

 

Cet effroi me plaît. Car il y a aussi cela en Jésus et j'ai (on) a tendance à l'oublier. Il est pleinement homme, mais tellement autre, tellement différent que cela peut faire peur; et on oublie trop facilement qui il est; et en même temps, certes il y a ce miracle, mais aussi l'expression d'une gratitude. Tu m'as prêté ta barque, elle était vide, et la voilà pleine pour ta famille. Et tu m'as fait confiance, et tu m'as accueilli chez toi. 

 

Comment raconter cet épisode:

 

Pour raconter ce qui vient de se passer, je suis volontairement restée dans le récit lucanien. Contrairement à l'évangile de Jean, où Simon est choisi grâce à son frère André, dès le tout début de la mission de Jésus, rappelons que Jésus après son baptême et les tentations au désert, commence sa mission en Galilée. On ne sait pas trop ce qui se passe, mais l'accueil à Nazareth montre que des guérisons ont déjà été accomplies., puisque Jésus ne peut pas faire grand chose, à cause de leur manque de foi. Après avoir été rejeté de sa ville natale, Jésus arrive à Capharnaüm, avec déjà une certaine réputation. Il chasse un démon impur, et semble ensuite s'inviter chez Simon. Il guérit sa belle-mère, guérit ensuite beaucoup de malades et de possédés, s'en va dans un lieu désert (pour prier, dit Marc), et dira à ceux qui le cherchent qu'il lui faut annoncer le règne de Dieu et qu'il proclame l'évangile dans les synagogues des pays des juifs. On peut donc supposer que Jésus a quitté Capharnaüm, et qu'en y revenant, il est normal qu'il demande à Simon de lui prêter sa barque, puisqu'ils se connaissent et que Simon d'une certaine manière est en dette par rapport à lui. . 


Et ce qui va se passer là, c'est quelque chose qui marque Simon tellement en profondeur, qu'il va tout quitter pour suivre cet homme, alors que contrairement à ce qui se passera pour l'appel de Lévi, il n'y a pas d'appel à proprement dit, mais le vécu, le chamboulement intérieur qui suit. L'expérience de la Présence de Dieu dans cet homme provoque le désir profond de tout quitter et de le suivre. C'est ce qui se passe au plus profond qui provoque le changement de vie. 

 

Simon raconte:

 

Par le plus grand des hasards j'étais à la synagogue, lors du dernier Sabbat. Je suis pêcheur, et parfois je reconnais que je pêche alors que cela n'est pas autorisé, mais je dois faire vivre ma famille. Et là, il y avait cet homme, Jésus, qui a commenté les écritures. Pour une fois, je ne me suis pas endormi. Avec lui, c'était vivant, c'était concret et je me sentais concerné. Et tout à coup, un homme s'est mis à lui crier dessus, à l'interrompre. Cet homme était possédé, et Jésus a menacé l'esprit impur qui était en lui, avec une autorité étonnante. Je voyais bien qu'il n'était pas impressionné, qu'il n'avait pas peur, alors que moi, j'avais peur. Il a ordonné à l'esprit de la fermer et de partir, et c'est ce qui s'est passé. Tous nous étions remplis d'effroi devant ce qui venait de se passer. Et le service a repris. Jésus m'a demandé de le recevoir. J'ai accepté; cela m'ennuyait, parce que ma belle-mère est malade. Mais je n'ai pu dire non;

 

Dès qu'il est arrivé chez moi, j'aurais voulu qu'il se lave les mains, qu'il puisse faire ses ablutions, il est allé voir la maman de ma femme. Il l'a regardée, il a menacé la fièvre, comme il avait menacé l'esprit impur; et Madeleine, c'est son nom, s'est levée. La fièvre était tombée, elle était guérie; et aussitôt elle a repris sa place de maîtresse de maison et s'est occupée de le servir, de nous servir. 

 

Comme c'était la fin du sabbat, beaucoup qui avaient appris ce qui s'était passé à la synagogue sont venus pour être guéris, et ils l'ont été; et beaucoup d'esprits ont été chassés. Et toute la nuit ou presque a passé à cela. Au petit matin, je ne sais pas comment il a fait, mais il a disparu. Moi j'étais tellement fatigué que je m'étais endormi. 

 

Un peu plus tard, il y avait à nouveau plein de malades devant chez nous. Alors nous sommes partis à sa recherche, et il nous a dit qu'il devait annoncer la bonne nouvelle aux villes et villages de Galilée et qu'il ne fallait pas le retenir. Et il est parti.

 

Quelques jours ont passé. Nous avions passé la nuit à pêcher, sans succès. Et c'était pour nous une vraie galère, car nous avions besoin de vendre du poisson pour vivre. Nous étions en train de laver les filets, et nous étions tristes et abattus. 

 

Et tout à coup, il y avait plein de monde qui arrivait et Jésus qui était revenu; la foule était tellement dense qu'elle l'étouffait presque. Il m'a alors demandé de lui prêter ma barque. Il s'y est installé, et il a commencé à leur parler, et tous étaient subjugués par sa parole, par ses paroles. Moi, j'étais dans la barque avec lui et avec mon frère André. Nos collègues Jean et Jacques, je ne sais pas trop pourquoi, avaient remis leur barque à l'eau, peut-être pour mieux l'écouter. Et voilà qu'il me dit d'aller en eau profonde et de jeter mes filets. 

 

Je l'ai regardé comme s'il était fou. On voit bien qu'il ne connaissait rien à la pêche. Tout le monde sait que dans la journée ce n'est pas le moment de pêcher. Mais je l'avais vu guérir ma belle-mère, alors je lui ai fait confiance. Nous avons ramé et jeté les filets et voilà que les filets étaient pleins, comme ils ne l'avaient jamais été. Un miracle je vous dis, un miracle. On a appelé les deux autres, et il y avait tellement de poissons que les deux barques enfonçaient.

 

Je me disais que si c'était sa manière de nous remercier de lui avoir prêté notre barque, c'était bien la marque d'un dieu, car cette surabondance pour moi elle était divine. Et pourtant il n'avait rien dit, et en même temps, je me sentais tellement petit, tellement ridicule, devant lui. Il avait fait ce miracle pour moi, j'en étais certain. Et comme je l'ai dit, quelque chose en moi me faisait comprendre que cet homme, qui commandait aux poissons de la mer, était bien plus que ce que je voyais de lui. J'ai alors ressenti un véritable effroi, une véritable crainte, la crainte du Seigneur dont parlent les écritures, et je me suis prosterné devant lui, en lui disant de s'écarter de moi, car j'étais un homme rempli de péché. Et, croyez-moi si vous le voulez, mais je suis tombé à genoux devant lui. 

 

J'avais beau être sur mon bateau, avec ces poissons, j'avais l'impression d'être comme le prophète Isaïe dans le Temple du Très Haut, rempli de mon péché, de mon impureté, à avoir envie de disparaître, mais aussi de le contempler. Il m'a regardé, m'a dit d'être sans crainte, moi qui en étais rempli et qu'il ferait de moi un pêcheur d'hommes. Je ne sais pas vraiment ce qu'il voulait dire, mais lui, il attire à lui, alors peut-être que c'est cela qu'il voulait dire. Mais ce que je sais, c'est que cet homme, je le suivrai jusqu'au bout du monde. Et peu importe si personne ne comprend.

 

Nous avons ramené les barques à terre, le poisson a été mis dans des bourriches, il a été vendu, et l'argent est revenu à nos familles, mais nous, nous, moi et mon frère, Jean et son frère Jacques, nous sommes partis avec lui, à sa suite, puis annoncer que Dieu est présent et qu'il a donné sa puissance à cet homme.

 

Pour conclure, je dois dire que voir en Jésus cette puissance, et non pas toujours la miséricorde, même si l'évangile de Luc est présenté comme l'évangile de la miséricorde, me permet de voir en Jésus le Christ, celui en qui la force de l'Esprit demeure. Et pour moi, c'est beaucoup plus vivifiant.

  

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