mardi, mai 15, 2007

Faut-il demander pardon pour notre faiblesse?

Catherine Lestang
Faiblesse, péché ou péché faiblesse?.


Sommes-nous pécheurs parce que nous sommes faibles ou sommes nous faibles parce que nous sommes pécheurs ? Cette question se pose régulièrement à moi, quand, au début des eucharisties, le célébrant nous invite à demander pardon pour nos péchés et pour notre faiblesse. Que la faiblesse favorise le péché certainement, mais est elle en elle-même péché ?

Aujourd’hui, c’est-à-dire en ce jour où je travaille cette question, je crois que la faiblesse entretient le péché. Le péché étant cette capacité à laisser agir en nous ce qui nous rapproche de l’animal, c’est-à-dire la convoitise, la violence, l’envie. Il s’agit de ce monde instinctuel, pulsionnel qui est en nous et qui souvent s’oppose à notre désir d’aimer. Je crois aussi que si on laisse vivre en soi cette « animalité » l’on s’y enferme et l’on devient littéralement aveugles ou comme le dit le premier testament, on s’endurcit. Vivre en se décentrant de soi, en ne faisant pas de l’autre un objet, mais un sujet, est difficile. Le commandement de Jésus : « aimez vous les uns les autres comme je vous ai aimés » oblige à se décentrer totalement, mais qui en est capable ? Pourtant je crois aussi que l’Esprit qui a été donné permet petit à petit de sortir des ténèbres. Mais si je peux dire cela aujourd’hui, il n’en demeure pas moins que je refuse de considérer la faiblesse comme une sorte de punition du péché des origines (en admettant que ceci a un sens).

L’hypothèse théologique serait que nous sommes devenus faibles à la suite du péché d’Adam (de la faute). Il est certain qu’avoir finalement une représentation de soi comme celle d’un homme fort, puissant (l’Adam des origines) est certainement plus agréable que celle d’un être mortel, fragile, animal. Si nous avons perdu notre splendeur passée, peut-être pourrons-nous la regagner un jour, si nous sommes gentils, comblants, conformes à ce qu’un Dieu est censé attendre de nous. Cette représentation est narcissiquement est plus agréable que d’accepter d’avoir été depuis toujours dans cet état de fragilité, de faiblesse, de dépendance.

Car l’humain est fragile et ses rejetons nécessitent un long temps de maternage pour devenir des participants actifs à la vie du clan, ce qui n’est pas le cas de la plupart des espèces animales appartenant à l’ordre des mammifères.

L’être humain est fragile par nature. Il n’a pas grand-chose pour se défendre, sa peau n’est pas épaisse, il n’a pas de toison, pas de fourrure. Il ne saute pas, court mal, sa vision est très inférieure à celle des félins, même son ossature est fragile. Il suffit de serrer un peu au niveau du cou et la mort est là. Nos capacités « intellectuelles » nous ont permis de trouver des parades à cette fragilité qui n’est pas pour autant synonyme de faiblesse.

Dans le monde animal, il existe des rituels de soumission : le plus faible se reconnaît comme tel et offre sa gorge à celui qui peut effectivement le mettre à mort. Ce rituel désamorce l’agressivité et permet la vie sociale du faible, même si par ailleurs, sa vie est bien difficile (en ce qui concerne l’alimentation et la reproduction par exemple).

Mais dans l’espèce humaine, la faiblesse doit être masquée. Il faut se montrer à la hauteur, être fort, le plus fort si possible. Et la faiblesse est si on regarde bien, à l’origine de la ruse, de la méchanceté, de l’envie, donc du mal d’une certaine manière. Jacob le faible réussit par ruse et provoque la haine de son jumeau ! Nous ne supportons pas faibles, dépendants. Alors parfois il faut aller jusqu’au meurtre pour prouver à l’autre (ou aux autres) que je suis plus fort que lui, ou que j’ai le droit d’exister moi aussi. Pour sortir de cette spirale de violence (le mal subi provoquant le mal commis) que nous connaissons trop bien, l’humain doit petit à petit apprendre à aimer, à mettre un frein à son désir de mainmise sur l’autre.

Dire de quelqu’un qu’il est faible veut souvent dire qu’il est influençable, qu’il peut changer facilement d’opinons, qu’il peut donc commettre des actes répréhensibles. Il n’a pas en lui de ligne « forte » de conduite interne, d’armature qui lui permettrait de résister aux tentations quelles qu’elles soient. Bref c’est quelqu’un qui ne sait pas ou qui ne peut pas résister. Pour être « admiré » il faut être fort, et souvent être presque un surhomme, si on pense à l’éloge de la femme à la fin du livre des proverbes.Pr 31,10-27.

Du fait de cette faiblesse intrinsèque, nous sommes capables du meilleur et du pire, mais faiblesse est-elle synonyme de péché ? Compte tenu de ce que je sais de l’évolution de l’homme dans l’univers, il me semble pouvoir dire que la faiblesse est intrinsèque à sa condition, mais qu’elle est à l’origine de bien des maux, mais que ce n’est pas un état qui nous est tombé dessus, alors que nous étions forts, en punition d’une désobéissance.

Que la faiblesse soit à l’origine de bien des désobéissances, certainement, mais pourquoi faudrait-il (comme le monde ecclésial le fait si souvent) demander systématiquement pardon pour cet état ? Je me reconnais faible, de ce fait je sais que je peux faillir, mais c’est ma constitution qui est ainsi.

Si je prends conscience de cet état, alors deux possibles s’ouvrent. Soit je me replie, je me referme sur moi, car j’en veux à celui qui m’a mis dans ce monde, avec cette tare. Soit je m’ouvre, car connaissant mes limites, je les accepte pour ce qu’elles ont et travaille à les repousser doucement. Et là je rentre dans la créativité qui me permet un peu d’être à la ressemblance de Dieu.

Je ne refuse pas de me regarder avec lucidité. Oui, je suis fragile, incapable de performances ; peu capable d’amour « agapé », mais est cela être pécheur ? Par rapport à ce que l’on nomme la sainteté de Dieu, certainement, et cela peut à un moment donné être même source de souffrance quand on prend connaissance de cette capacité à s’aveugler sur soi-même. Mais la perception de ces incapacités, peut créer alors un désir qui est source de vie, donc de créativité.

Aujourd’hui je dirai le péché est souvent lié à la faiblesse, que la faiblesse l’entretient, mais elle est constitutive de l’humain et elle peut aussi être chemin de vie. Il m’arrive de poser des actes qui ne sont pas bons. Parfois c’est volontaire, parfois ce n’est pas voulu, même si un autre en pâtit. Dans ce cas, je reconnais que ce louper traduit la violence et la convoitise et me rappelle ce que je suis et qui je suis. Je dirai même, me rappelle mon origine car la violence est inscrite dans l’être humain donc en moi, même si cela ne me plait pas. Mais si je peux admettre ma réalité, je refuse du moins aujourd’hui de me sentir coupable de mes échecs, ou du moins de certains d’entre eux. Se reconnaître avec ses limites, ses incapacités, cela donne toujours un coup au narcissisme qui est en soi, mais il est nécessaire de ne pas s’aveugler sur soi.

Je pense aussi que les injonctions parentales de l’enfance sont redoutables et source de culpabilité. En effet, si l’enfant n’est pas à la hauteur des espérances de ses parents, il se sent coupable de ne pas les avoir réparés. Et ceci lui fait croire que la perte de l’amour ou l’abandon, c’est de sa faute. Le rôle de l’enfant est bien souvent de réussir là où le parent croit avoir échoué et de lui renvoyer une bonne image de lui. Mais dans ce rôle, l’enfant réparateur est de fait un « objet » et non un sujet. Il est utilisé par l’adulte pour l’adulte. Or j’espère et je crois que ce n’est pas cela que Dieu attend de l’être humain ! Nous n’avons pas à réparer un Dieu que nous aurions abîmé en nous détournant de lui.
Il y a dans l’évangile ne phrase un peu redoutable : c’est celle qui conclue le discours des béatitudes Mat 5,48: « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait ». Et la perfection évoque aussitôt les attributs qui caractérisent Dieu et qui sont toujours dans le superlatif. Il me semble que ce révèle aussi la bonne nouvelle de Jésus, c’est que la perfection n’est pas dans le plus, elle est dans le moins. Quand Dieu se fait être humain, il bascule dans le moins. Il se fait serviteur, il se fait petit, il se fait mortel et la perfection pour moi aujourd’hui, c’est là qu’elle est à chercher. « Le très bas » disait Christian Bobin, parce que d’une certaine manière cette perfection-là, elle est dans mon possible. Elle va avec ma faiblesse, elle s’accorde avec elle. Quand Paul dit « c’est quand je suis faible que je suis fort », il fait lui peut-être allusion à son corps qui n’en plus et qui permet quand même l’annonce de Jésus. Faible nous le sommes, faibles nous le resterons, mais elle permet au divin de se manifester, de transparaître, d’être.

Pour moi, cette faiblesse que je vis au quotidien, elle est ce que je suis, elle est du coup le lieu où mon désir peut aussi advenir et ainsi devenir source de vie pour moi. Reconnaître mes fragilités, ma difficulté à supporter certains comportements, certaines attitudes, m’indique que j’ai un travail à faire pour changer dans la mesure de mon possible. Ce travail, je le remets à l’Esprit de Dieu qui m’a été donné parce que moi seule (ce serait de la toute puissance à l’état pur) je m’en reconnais totalement incapable. Je sais que contrairement à ce qui m’a été inculqué pendant mon enfance, vouloir ce n’est pas pouvoir. Je crois que lui seul peut faire cela en moi, « irriguer et drainer », me faire ainsi devenir plus « humaine », plus décentrée de moi. Je peux reconnaître tout ce qui s’oppose à cette ouverture, à cette dilatation du cœur, et je peux en souffrir. Mais est cela le péché, mon péché ? Ma faiblesse oui, ma lenteur oui, mais volonté de mal faire exprès, rarement.

Un prêtre parlait, il y a peu, de la béatitude des fêlés : heureux sont ceux qui ont des fêlures car la lumière de Dieu passe par là. ».Alors si cette lumière peut passer par là, merci au créateur pour ma fragilité. Et merci à Lui de m’ouvrir les yeux sur ma ou mes faiblesses.

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