vendredi, mars 18, 2005

" La tentation au désert" Matthieu 4, 1-11:

Catherine Lestang

18/03/2005

A propos de « la tentation » dans Mat 4/1-11.

La question que je me pose est celle du héros, et là je fais référence au livre de Wladimir Propp, « morphologie des contes de fées ». Je veux dire, que Jésus après le baptême, qui peut être entendu comme une première étape, avec une révélation de son rôle : la colombe qui apparaît comme lors de l’alliance noachique, la voix, comme lors de l’alliance mosaïque, est conduit dans un lieu de mort (parce que le désert c’est aussi cela) et que des épreuves vont se présenter à lui.

On peut donc comme le montre Propp, interpréter ces tentations comme des épreuves d’une initiation. Ici, ce n’est peut-être pas le « pas dormir » qui est en cause, mais le « pas manger » ce qui revient au même, puisque « ne pas manger » conduit à la mort, et que ce « pas manger » est très chargé symboliquement. A la fois c’est le premier interdit donné dans le livre de la Genèse : ne pas manger « tout » et c’est la cause des conflits sans fin entre Moïse, et le peuple, dans le désert.

Jésus en ce lieu, doit prendre conscience de qui il est réellement, pour devenir celui qu’on appellera le sauveur de l’humanité.

Que ces épreuves soient « portées » par Satan, est en soit logique, il faut bien que ce soit un personnage externe qui « provoque » pour savoir comme le héros va s’en sortir.

Va-t-il ou non faillir ? Va-t-il ou non se laisser tenter et de fait mourir, même si ce qui lui est proposé a les couleurs de la réussite ?

Par ailleurs, quelle que soit la durée réelle du temps de jeune de Jésus, on peut admettre que physiquement, il ait vécu des sortes d’hallucinations, mais pas n’importe lesquelles.

La première touche à la faim, qui est un besoin au sens fort du terme. Et qui d’entre nous n’a pas rêvé soit d’être délivré de ce besoin, soit d’avoir toujours de quoi manger, puisque manger c’est vivre. Et il y a des représentations du paradis, celles qui le rapprochent d’un utérus ou d’un sein maternel toujours disponible, qui vont bien dans ce sens là. Ici, ce qui est mis en avant c’est le pouvoir sur les lois de cet univers : « dis à ce pierres de se transformer en pain… ». C’est faire comme Dieu qui a nourrit le peuple dans le désert, c’est se faire dieu, c’est être dans la toute puissance, cette toute puissance infantile où tout ce que l’on veut se crée (parce que la mère est là pour le créer à votre place, mais il faut du temps pour accepter de perdre cette relation au monde). C’est une espèce de régression fantastique à laquelle Jésus est confronté et qu’il refuse : « l’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». Passer à la parole c’est sortir du lien de fusion, de la confusion qui reste toujours possible.

La première tentation pourrait alors s’entendre comme : veux tu régresser et avoir tout à ta disposition, mais (et bien entendu cela est tu) si tu fais cela, d’une certaine manière tu te perds, car tu retournes dans une relation maternelle qui ne permettra pas d’être autonome, contrairement à ce que tu pourrais croire.

Et être délivré de la faim, n’est pas aussi se séparer de son corps, être plus fort que lui, le maîtriser et on revient à ces caractéristiques des anorexiques, pour lesquels le corps est mauvais…

La seconde, touche à autre chose, le désir de voler, le désir d’être plus fort que les lois de ce monde qui sont régies par la pesanteur. Pour Freud, le désir de voler dans les rêves, touche à la sexualité : le phallus dressé, érigé, en signe de puissance. Etre assujetti aux lois de ce monde comme un tout à chacun alors qu’il serait si simple de s’en abstraire.

Etre un homme volant, qui d’entre nous n’a pas fait ce rêve, qui est celui d’Icare, qui est aussi être un peu comme un Dieu. La tentation dit : « Il a donné ordre à ses anges pour qu’à la pierre ton pied ne heurte ». Et des pierres dans ce désert, il en a, des pierres qui peuvent se transformer en pain, des pierres, qui peuvent heurter, blesser, lapider aussi.

D’une certaine manière, c’est éviter la mort, voler, et être comme immortel. Etre Dieu.

Là encore Jésus ne tombe pas dans le panneau, homme il est, homme il reste, et il ne se prend ni pour un ange, ni pour Dieu. Cette pseudo toute puissance n’est pas pour lui. Sa réponse est cohérente « Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu ».

La troisième, elle c’est la toute puissance au sens fort du terme : posséder la terre, être le chef. Mais dans notre monde, ceci ne peut se faire que par la violence, car il faut aussi se maintenir au pouvoir, donc en permanence, violer des lois, être dans la convoitise.

La convoitise c’est le péché fondamental de l’humain, avoir et avoir toujours plus sans se préoccuper de l’autre, nié dans sa dimension humaine). De cette toute puissance là, Jésus qui pourtant dans l’évangile de Matthieu a été reconnu comme un roi par les sages, ne veut pas, car ce n’est cela qui fera de lui le « messie ».

Ces tentations jouent donc sur la maîtrise du corps, la maîtrise des lois de la nature et la maîtrise des autres. Le fait de renoncer à ces pseudos pouvoirs, qui de fait mènent à la mort, permet à Jésus d’entamer son rôle de héros.

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