J'écoute en cette période de carême l'office des vêpres chantées par les dominicains de Lille. Et je suis frappée par le nombre de fois où l'on associe péché et miséricorde.
Nous avons péché, aie pitié de nous, fais nous miséricorde (laisse ton coeur s'émouvoir, ne nous condamne pas). Et cela induit une posture de l'être humain que me dérange, qui renvoie pour moi à la peur et non à la certitude de l'amour.
Il y a quelques jours un prêtre qui commentait la parabole du maître qui remet la dette de deux millions de pièces d'argent (Matt 18,23-35) dette qu'une vie entière en prison ne pouvait rembourser, disait que le maître avait eu pitié de son serviteur et qu'il n'avait pas voulu que lui et sa famille soient enfermés. Mais après l'incident où ce même serviteur est incapable de faire un geste envers son débiteur, il est alors jeté en prison, jusqu'à ce qu'il ait tout remboursé. J'ai beaucoup aimé cette manière de parler de ce qu'on appelle la rémission.
Par ailleurs je suis actuellement en rémission de "mon" cancer, mais je ne me considère pas comme guérie et même si je peux dire qu'il est derrière moi, je ne me considère pas comme "guérie".
La dette est remise, mais il y a un mais, encore faut-il que cela entraîne un changement en nous et nous permette de ne pas attendre de remboursement de la part de ceux que nous estimons être nos débiteurs. Je peux imaginer que ce maître là a été saisi aux tripes par l'immensité de la dette de son serviteur, (miséricorde) mais la sanction reste toujours possible.
Théoriquement la rémission des péchés, c'est la levée de la dette, de la sanction qui pesait sur nous et nous savons bien que parfois la main de Dieu peut sembler lourde (le déluge, la destruction de Sodome et Gomhore, la destruction du temple de Jérusalem, l'exil du peuple).
Quand on parle de rémission des péchés, au sens strict on parle bien de pardon, mais avec la théorie de la substitution ce serait Jésus qui aurait payé à notre place, lui qui n'avait pas commis de péché. Si on parle de jugement c'est bien que du moins dans notre conscience, les choses ne sont pas si simples.
Si remettre les péchés, c'est d'une certaine manière ne pas les oublier, alors effectivement le Dieu qui est présenté ainsi est un Dieu qui fait peur et qu'il faut implorer encore et encore. Cette conception entretient la peur, et la peur n'est pas la "crainte de Dieu" qui pour moi est sous-tendue par l'amour, par la reconnaissance de la distance qui existe entre l'humain et son Dieu.
Nous les hommes, nous ne sommes pas capables de pardonner au sens de oublier, car nous avons une mémoire qui ne nous le permet pas. Nous pouvons parfois vivre à nouveau en bonne intelligence avec quelqu'un qui nous a fait du mal et même désirer de bonnes choses pour lui. Cependant dans notre conception, seul Dieu a la capacité de pardonner: c'est la dernière demande de Jésus: "Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font" est une des demandes de la prière transmise aux disciples.
Quand nous croyons que Dieu pardonne, que croyons nous? Est ce l'oubli de la faute? Est ce l'abolition, la suppression de la sanction? Est-ce échapper à l'enfer? Ce Dieu là est un Dieu qui fait miséricorde à un être humain qui court à sa perte. Mais si Dieu, contrairement à la plus part des humains ne retire pas son amour et ne se retire pas non plus dans un lieu où nous ne pourrions plus l'atteindre, alors là oui, je rencontre un Dieu de compassion, un Dieu rempli d'amour.
La justice de Dieu n'est pas la justice des hommes et quand on lit le premier testament on voit bien comment les choses évoluent. Le passage d'un Dieu de tendresse et de pitié, mais qui retient les fautes des pères sur les fils jusqu'à la quatrième génération, à celle d'un Dieu que désire que le pécheur se convertisse et vive, est progressif, très progressif. Et c'est bien le deuxième testament qui montre que Jésus ne fait pas miséricorde dans le sens précédent, mais qu'il est rempli de compassion pour cette foule qui erre comme un troupeau sans berger.
J'aime à me représenter non pas un dieu de miséricorde, mais un dieu de compassion, un dieu qui désire aider l'être limité et imparfait que je suis à sortir de mes comportements instinctifs qui me conduisent à une sorte de déshumanisation.
Si le chrétien est celui qui peut dire comme Paul "ce n'est plus moi qui vit, c'est le Christ qui vit en moi" si d'une certaine manière chacune de ses cellules, de ses molécules est comme transfigurée par cette espèce de fusion qui se fait un jour sans que rien ne l'ait laissée prévoir, alors la relation avec Dieu Père n'est plus une relation sous tendue par la peur, mais par l'amour. Et quand on a fait l'expérience de cette présence de chaque instant, la relation bascule totalement et le Dieu de miséricorde devient Dieu de la Vie.
Dans "Prions en Eglise", j'ai trouvé une phrase de Maurice Zundel sur la "souffrance" de Dieu. Or avant de retranscrire cette phrase, je dois dire que lorsque j'entends quelqu'un dire que mon péché fait "bobo" à Dieu, le rend triste, je saute au plafond. Le Dieu en lequel je crois n'est pas réductible à un petit être humain, Il est le tout autre, il n'est pas diminué ou abîmé par mes manques ou mes impuretés. Jésus purifie le lépreux, il n'est pas atteint par la maladie...
Comme je l'ai déjà écrit ailleurs, j'imagine que lors du moment où Jésus a "répandu" son Esprit sur le monde en mourant, il y a eu une grande joie dans le ciel parce que le plan prévu a été réussi et que Dieu est devenu non pas Le Père mais Un Père qui laisse son fils tracer son propre chemin.
Revenons à la phrase de M.Zundel: "Mais Dieu ne souffre pas d'une souffrance qui peut l'affecter en le détruisant, non! Dieu souffre de cet amour d'identification qui est le pur amour sans réserve, l'amour sans retour, l'amour pur don, et qui est l'éternel berceau de notre vie."
Je ne prétends pas comprendre la pensée de Zundel, mais ce que je lis est quelque chose qui pour moi s'intitule la compassion bien différente de la miséricorde. La compassion c'est pouvoir s'identifier à qui souffre, sans jamais être lui, mais avoir son coeur qui se déchire et qui s'ouvre. Cela ne détruit pas, cela ouvre à un autre regard, à un amour plus grand, plus véridique.
Mes limites, mes incapacités je le découvre sans cesse. Il est bien vrai que parfois en voulant faire bien ou du bien on fait mal ou du mal. Mais je suis là pour apprendre petit à petit, à faire de la place à celui qui vit en moi et qui Lui sait comment s'y prendre. Je n'ai pas peur (peut-être à tort) de ce qui se passera dans l 'Au-delà après ma mort, mais mon désir (et non besoin) est d'être en relation avec un Dieu qui a compassion de moi, de ma faiblesse de mon manque d'amour, alors oui, ce Dieu là, ce Dieu indulgent, je désire le rencontrer à chaque seconde du temps que j'ai à passer sur cette petite planète qui est la mienne.
Ce Dieu là peut me permettre petit à petit à moi aussi de regarder ceux que j'aime et ceux que j'aime moins, ceux que je connais et ceux que je ne connais pas avec compassion, ce qui est pour moi une manière d'aimer dans laquelle je peux advenir.
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