Chaque fois que je lis en Gn32,24 le combat de Jacob contre cet inconnu qui vient l’assaillir à Yabbok, pendant la nuit qui le sépare de la rencontre avec son frère jumeau dont il a usurpé la place (droit d’aînesse et bénédiction), je me dis qu’il s’agit peut-être d’un combat contre l’Ange de Dieu, mais peut-être aussi du combat contre la figure d’ombre (celle qui cherche à détruire et qui a détruit) qui est en lui.
Ces figures d’ombre nous en portons tous et nous avons tendance à les fuir de peur qu’elles ne nous mettent à mal. Pourtant, tant qu’elles n’ont pas été affrontées elles restent toutes puissantes.
Jacob est né en tenant le talon de son frère, en s’y accrochant d’une certaine manière, comme s’il n’était pas dissocié de ce frère. Qui est-il ce bébé (qui sera le préféré de la mère) et qui s’arrangera pour prendre par la ruse (la force des faibles) les attributs de son frère ? Qui est-il cet homme qui prend la fuite et qui se fait berner par Laban et même par ses femmes? Jacob n’est pas un fort, il est un faible (comme nous tous).
Mais cette nuit là, il n’a pas le choix ; c’est lui ou l’autre, comme demain ce sera lui ou son frère qui sera la vainqueur. Alors là, il se bat. Il sort blessé de cette rencontre, mais il pourra affronter son frère, maintenant qu’il n’usurpe plus une identité qui n’est pas sienne (une des signification de ce prénom est usurpateur) et surtout il a reçu un nom nouveau à défaut d’une bénédiction. Or ce nom Israël qui est le nom générique des 12 tribus fait de lui un des pères fondateurs du peuple avec le quel Dieu a fait alliance. Quant au nom reçu Israël qui veut dire fort avec Dieu ou contre Dieu, je me demande si le contre ne doit être entendu dans le sens de tout proche, qui est tout contre, mais maintenant il est fort, la faiblesse est partie.
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Si pour Jacob, il est relativement facile de comprendre ainsi ce combat, il me semble que ces mêmes combats se retrouve avec Moïse et Abraham.
En Ex4,34 l’auteur rapporte un épisode très étrange où l’Ange de Yahvé décide d’attaquer Moïse pour le tuer. Pourtant Moïse vient enfin de se décider à partir pour affronter le pharaon, ce qui ne lui sourit guère, malgré ce que Yahvé lui a dit, montré, et promis. Sa femme circoncit leur fils et répand le sang sur les pieds de Moïse ce qui fait de lui un père de sang.. Maintenant il est bien possible que le mot « pied » soit un euphémisme. Mais du sang, Moïse en a sur les mains si j’ose parler ainsi. N’est-il pas un assassin qui a fuit son pays pour ne par payer le crime dont il s’est rendu coupable ?.
Peut-être que cette peur d’être mis à mort pour cela le taraude encore, car y a t-il comme cela est dit dans l’alliance noachique un prix du sang à payer pour que la dette : soit abolie . Gn9,6 : « qui verse le sang de l’homme, par l’homme aura son sang versé ». Tant que le sang n’est pas versé, la figure d’ombre demeure et n’accepte de partir que lorsque la faute est reconnue et le prix payé, même si le prix est payé par le fils.
Il est certain qu’après cet épisode, le Moïse que demandait à Dieu d’en trouver un autre que lui pour faire sortir le peuple de l’esclavage, va devenir capable se rencontrer pharaon, de lui tenir tête et de devenir un Père du peuple choisi.
Quant à Abraham, le combat qu’il livre est celui qui se passe lors du « non sacrifice » d’Isaac. Or si on se rappelle l’histoire de ce patriarche, il a condamné son fils Ismaël à une mort certaine en l’envoyant avec sa mère dans le désert, avec une cruche d’eau et une miche de pain.. Nous, nous savons que l’Ange du Seigneur n’a pas permis la mort de ce fils, mais Abraham lui ne le sait pas. Alors on peut penser qu’il y a un prix du sang à payer. D’autant que pour conserver sa propre vie, Abraham est prêt à bien des compromissions, comme de se faire passer par deux fois pour le frère de sa femme. Comment Dieu va t il lui permettre de changer, de se déprendre de cette figure d’ombre ?
Car demander l’immolation de son fils, c’est le propre des Dieux cananéens comme ceux du roi de Moab. Et il n’est pas certain que Abraham qui vient quand même de Ur où on adorait des dieux mésopotamiens ait été capable de choisir YHWH comme l’unique. Alors il lui est demande de sacrifier son unique fils, pour que YhWH devienne son unique et que la peur ne soit plus en lui.
Dans ce texte le passage du nom Elohim à YHWH, montre bien que ce dont Abraham doit se déprendre c’est d’une certaine idolâtrie:
Gn9-10 : « Ils viennent au lieu que lui a dit l’Elohim, Abraham bâtit l’autel et prépare les bois. Il ligote son fils Isaac et le met sur l’autel au-dessus des bois. 10 Abraham lance la main et saisit le coutelas pour égorger son fils. 11 Le messager de YHWH crie vers lui des ciels et dit : Abraham, Abraham : Il dit me voici ».
Les dieux cananéens demandaient des sacrifices humains et pour Abraham, son Dieu à lui rentrait dans la même catégorie. Pour en faire son allié, il semble ne pas hésiter à obéir de peur de l’offenser et de disparaître lui. Or là, il s’agit aussi de détruire en lui une fausse image de Dieu, Dieu ne demande pas des êtres humains en sacrifice, mais une relation de confiance. Ce qui caractérise peut-être Abraham c’est même si c’est parfois tout à son honneur une certaine passivité. Je veux dire qu’il ne se révolte pas quand Sarah lui demande de mettre Agar et Ismaël dehors, il invente des moyens pour ne pas être mis à mort par Pharaon ou Abimelek en faisant passer sa femme pour sa sœur. En permettant à Abraham de ne pas immoler son fils, YHWH lui permet de devenir un homme libéré.
Quand Abraham retourne chez lui, il n’est pas fait mention d’Isaac. Peut-être que par ce combat une défusion des liens père fils a-t-elle pu se faire, le fils n’est pas l’objet du père.
De tels combats qui sont de durs combats car il s’agit de sortir de la peur et de l’esclavage que cette image d’ombre a sur nous, nous sont certainement proposés, mais sommes nous capables de les affronter ?
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