mardi, juin 25, 2019

La multiplication des pains: Luc 9, 11b-17

C'est l'évangile retenu pour la fête du Corps et du Sang du Christ.

 Encore un texte que nous connaissons bien, qui pose ou ne pose pas de questions... Pour certains, le miracle ce serait le partage (repas sorti du sac, comme on dit aujourd'hui) entre les personnes qui étaient là ce jour-là, ou plutôt ce soir là. Pour d'autres, il y a bien eu quelque chose qui s'est passé et qui montre le pouvoir de cet homme sur la matière. Il ne part pas de rien, il utilise ce qui est là. Sauf que la question demeure: comment a-t-il fait? 

Car, finalement, comment se représenter les choses? Il y a bien le contexte de prière, d'offrande, de bénédiction, de partage. Jésus prend un pain, il le rompt, et deux morceaux deviennent quoi? Quatre, huit, trente deux? Je suis incapable de me représenter quoi que ce soit. Ce qu'on nous dit, c'est que tout le monde a de quoi manger, et que tout le monde est rassasié. Bien sûr, on fait le parallèle avec la Cène, mais ce n'est pas si simple. 

Et pourtant cette multiplication, racontée différemment, se retrouve partout, et même deux fois chez Matthieu et Marc. Alors il a bien dû se passer quelque chose. Ce qui est certain, c'est que le prophète Élisée (2R 4,42-44) l'avait fait à petite échelle: les vingt pains donnés, qui sont dans un sac, vont se multiplier pour pouvoir nourrir cent personnes.

Quand Elisée fait cela, il y a une famine dans le pays et pourtant quelqu'un lui apporte les vingt premiers pains, faits avec ce qui a bien voulu pousser. Élisée fait alors tout distribuer aux personnes qui sont avec lui, au grand dam de son serviteur. Il ne les garde pas pour lui et ses proches, mais multiplie le don, pour que tous puissent en avoir. Le fait que cela se passe au moment de la récolte de l'orge, évoque la fête de la Pâque. Alors certes, on peut faire le rapprochement avec ce qui se passera lors de la Cène (les gestes sont les mêmes), mais aussi voir dans ce miracle comme un monde nouveau qui arrive: les pauvres seront rassasiés. 

Comme Pierre a vécu la pêche miraculeuse, qui est un peu comme une multiplication des poissons, j'ai voulu le laisser parler.


Pierre raconte:
  
Il nous avait donné pleins pouvoirs sur les esprits mauvais et pleins pouvoirs pour guérir. Je dois dire qu'on n'était pas peu fiers qu'il nous fasse ainsi confiance. Cela devait montrer que le règne de Dieu était bien là, aujourd'hui, sur notre terre de Galilée. Et cela, nous pouvions l'annoncer avec force et puissance. Seulement, pour ne rien simplifier, il nous a envoyés avec rien dans les mains, rien dans les poches, pour compter sur la générosité de ceux qui nous accueilleraient chez eux.

Nous avons fait ce qu'il nous avait demandé. Quand nous sommes rentrés, il a compris qu'on avait besoin de temps pour digérer ce que nous venions de vivre, parce que c'est usant de faire le bien. Je me demande comment il fait lui. Je veux dire que nous étions heureux, mais épuisés.

Seulement, notre Maître, il est connu maintenant comme le loup blanc, et le bouche à oreille fonctionne très bien. Et du coup, on s'est retrouvés avec une véritable foule, qui venait pour l'écouter mais surtout pour se faire guérir; et lui, enseigner, annoncer le royaume et le règne de Dieu et guérir, il ne s'en lasse pas. 

Seulement nous, on était lassés par tous ces gens qui arrivaient et arrivaient sans arrêt. On n'avait qu'une envie, avoir notre Rabbi pour nous tous seuls.

Alors, quand on a vu que la nuit tombait, on lui a demandé de renvoyer la foule, parce que là où nous étions, il n'y avait pas d'habitations. Seulement, il l'a mal pris et il nous a dit de trouver nous-mêmes à manger pour cette foule; et cette foule, elle débordait de partout, il y avait plus de cinq mille hommes, sans parler des femmes et des enfants. Et nous, pour une fois on avait des provisions, mais juste pour nous, et encore pas grand chose: cinq pains et deux poissons. Qu'est ce qu'on peut faire avec ça? Nous rien, cela c'est sûr..

Comme souvent, il nous a pris de court. Il nous a demandé de dire à tous ces gens de s'asseoir, et de lui apporter ce que nous avions. On lui a apporté les pains et les poissons. Je sais bien qu'autrefois le prophète Élisée a multiplié vingt pains pour nourrir cent personnes, et que personne n'a compris comment il avait fait, et là… cinq pains pour je ne sais combien de personnes. Mais il est plus qu'Élisée, et il l'a bien montré.

Nous avons posé les cinq pains devant lui. Il a regardé vers le ciel, comme s'il s'adressait à celui qui siège dans les cieux, il a prononcé la bénédiction que nous disons lors des repas qui nous réunissent tous, le soir du sabbat; il a fait comme le fait tout père de famille, il a rompu le premier pain, et là, cela a fait un peu comme pour les poissons qui sont venus de prendre dans les mailles de mon filet, il y avait le pain rompu, et les quatre pains entiers et les deux poissons et il y a eu plein de pains et plein de poissons et nous pouvions les distribuer.

Ceux qui étaient assis ne pouvaient pas savoir ce qui se passait; nous étions les seuls à le savoir. Ce n'est pas lui qui a donné à ces hommes et à ces femmes qui étaient là: non, c'est nous qui avons apporté petit à petit, nous qui ne voulions plus voir personne, nous qui voulions rester entre nous. Et nous étions comme les bienfaiteurs; alors que le donateur c'était lui, même si c'était avec nos provisions.

Seulement du coup, certains qui avaient pris avec eux de quoi remercier Jésus s'il guérissait un des leurs, ont donné aux autres ce qu'ils voulaient nous donner à nous et cela a permis finalement un vrai repas. Et curieusement, ce pain, il était un peu comme la manne, dont on dit qu'elle avait un goût différent pour chaque personne. Car c'était bien du pain, mais il n'avait pas le goût du pain. Enfin moi, j'avais l'impression de manger bien autre chose qu'un simple morceau de pain.

Et à la fin, il y avait des restes, beaucoup de restes: douze corbeilles. Et puis, quelque chose s'est ouvert en moi. D'accord, c'est un peu tordu, mais ce qui se passait là, c'était comme si un monde nouveau naissait, un monde où le pain était là pour tous, où le poisson n'avait plus besoin d'être pêché. Et je me suis dit que cinq, cela renvoyait aux cinq premiers jours de la création, que deux, c'étaient les jours de la création de l'humain et du sabbat; et que ce que nous vivions, c'était comme le huitième jour.. Mais ça, je ne l'ai dit à personne, mais pour moi, Jésus était bien le Seigneur, le maitre de la matière. 

Et quand, quelques jours plus tard, il nous a demandés qui il était pour nous, la réponse a jailli de mes lèvres. J'ai presque crié qu'il était le Messie, le nouveau David, notre Sauveur, l'Envoyé, le Seigneur. Il est celui qui donne sans compter, sans mesurer. Et moi, avoir un tel "patron", ça me remplit de joie, sauf que j'ai l'impression que ce qu'il fait et dit, ça ne peut pas plaire à tout le monde et que ça risque de mal de terminer.  

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