vendredi, septembre 15, 2023

Jn 19,25-27. Notre Dame des sept douleurs - 15 septembre 2023.


Hier c’était ce qu’on appelait autre fois l’exaltation de la Sainte Croix, et aujourd’hui la Croix glorieuse, avec la lecture de quelques versets du chapitre 3 de Jean: Le fils de l’homme sera élevé. Or certes il est élevé sur cette croix, mais de fait il y est pendu comme un criminel; il est peut-être dressé sur le monde, mais il est abaissé, lui le Fils de l’homme; il est alors totalement dans la volonté divine, et le monde est sauvé. Mais cela se fait dans le sang et dans la mort. 

 

Aujourd’hui c’est Marie des douleurs, avec un texte très bref de Jn 19: deux versets. 

En revenant sur ce texte de matin, j’ai senti la nécessité de laisser Marie raconter. Raconter ce qu’une maman peut ressentir quand elle assiste à la mort de son fils, totalement impuissante, et qu’elle reçoit une espèce de mission qui lui permet peut-être de se projeter dans le futur, un futur où elle sait - parce que la foi de Marie lui permet certainement de ne pas douter de la résurrection annoncée - qu’elle aura une place, un rôle: être la mère de ceux qui deviendront le corps de son Fils. 

 

Le texte

 

Est-ce que c’était fréquent que la famille ou les proches soient présents sur le lieu même de la mise à mort? Une exécution avait valeur d'exemple. Mais je pense qu'il a fallu en braver des obstacles, pour être là, sur le lieu. 

 

 

Je vois toujours Marie, avec son fils qu’elle ne peut pas toucher, et qui a du sang plein de visage et les mouches, parce que pour moi elles sont là. Et personne ne peut éponger le visage de Jésus. Il y a les autres qui se moquent de lui. Et elle est là, droite, debout. 

 

Elle n’est plus toute jeune Marie, elle peut avoir près de 50 ans. Et 50 ans, c’est peut-être déjà vieux, même si on a Anne dans l’évangile de Luc qui a 84 ans . Nous ne savons  pas à quel âge Marie est partie rejoindre son fils.  

 

Mais quelle souffrance. Je n’arrive pas imaginer qu’elle puisse voir le futur ressuscité dans cet homme de douleur. Mais peut-être que je me trompe. Maintenant il est plus que possible que sa foi lui permette un certain apaisement. 

 

Lui, Il a tout fait comme il le fallait. Il est au bout de sa vie. Peut-être que Marie est comme ceux qui perdent un être cher, mais qui savent qu’il a eu une vie pleine, et qui comprennent l’inéluctable. Mais un être humain reste un être humain et même si les oraisons parlent de la compassion (mot que je trouve trop faible) de Marie pour son fils, je pense que elle, elle souffre, et que comme toute mère, elle voudrait que ce soit elle qui souffre et pas lui, mais cela c'est impossible. 

 

 Je n’imagine pas qu’elle puisse elle en vouloir à Dieu, comme nous, trop souvent, mais quelle épreuve. Notre dame des 7 douleurs , disait-on disait autrefois.

 

 

 

25 Près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie Madeleine.

 

Donc auprès de Jésus, il y a 3 femmes et un homme; et les soldats. Qui est cette Marie, femme de Cléophas ? Est-ce que ce prénom, qui évoque les disciples d’Emmaüs, est donné par le rédacteur pour faire penser à la résurrection ? 

 

26 Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. »

 

Là il y a ce changement de registre: je pars, mais je ne te laisse pas seule; cet homme je te le donne, qu’il soit un fils pour toi. Tu prendras soin de lui et lui de toi. Il y a ce "femme" qui reste curieux, mais qu’on a déjà eu à Cana. A Cana c’est l’eau transformée en vin. Là c’est le sang qui devient source de vie, qui devient fleuve de vie. C’est presque le sang qui devient eau, comme le Jourdain. Le prêtre qui commentait cet évangile aujourd'hui, faisait remarquer que Jésus crée du lien entre ces deux qui sont en souffrance, entre ces deux qui l'aiment, entre ces deux qu'il aime.

 

27 Puis il dit au disciple : "Voici ta mère". Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui.

 

Normalement elle aurait dû demeurer dans sa famille: peut-être est-ce cette famille qui est représentée par l’autre Marie; mais avec quel statut ? Une pestiférée ? Une maudite. La sortir de ça, cela semble très important: et le disciple devient comme un fils qui prend soin de sa mère. Est-ce que cela veut dire que le matin de la résurrection elle est chez Jean quand Marie Madeleine vient annoncer que le corps a disparu. Et là, je peux imaginer la joie envahissante car pour elle, si le corps n’est plus là, c’est qu’Il est vivant son Fils. Il est le Vivant, il est passé de la mort à la vie.


 

Marie raconte

 

Le vieux Syméon me l’avait bien dit (1)qu’un glaive de douleur transpercerait mon cœur, mais cela je l’avais mis dans un petit coin de ma mémoire, et j’avais commencé à comprendre quand mon Jésus était parti retrouver son cousin sur les bords du Jourdain[2)Enfin j’avais déjà compris lorsque nous étions montés à Jérusalem avec lui, pour sa première Pâque[3]Il était resté là-bas à parler avec les rabbis qui étaient dans le Temple, et nous l’avions cherché trois jours et trois nuits. Et quand je lui ai dit que pour son père et moi, cela avait cause d’une grande souffrance il nous avait répondu qu’il lui fallait être chez son Père; je n’avais pas trop compris, mais cela m’a quand même, bien fait comprendre que ce Fils, donné par l’Esprit Saint, ne m’appartenait pas. Bien sûr je le savais, mais pour une mère ce n’est pas facile, surtout qu’il est mon unique, même s’il a des cousins et cousines très proches. 

 

Je ne sais pas ce qui s’est passé sur les bords du Jourdain, mais je sais que Jean, quand il l’a vu, a dit qu’il n’était pas digne de délier la courroie de sa sandale, et qu’il avait vu l’Esprit descendre sur lui, tel une colombe et y demeurer. Et que Jésus était l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. Je sais qu’il a pris avec lui André, Simon, Philippe et Nathanaël, ainsi qu'un jeune de Jérusalem avec lequel il avait un lien très fort. 

Quand je l’ai revu à Cana, [4]j’ai bien vu qu’il n’était plus le même. Je lui ai fait remarquer que le vin allait manquer, il m’a regardé un peu comme si je le dérangeais, comme si je lui demandais quelque chose d’impossible, mais moi je sais bien qu’il peut faire tellement pour que les hommes ne manquent de rien. Il m’a dit « Femme, que me veux-tu, mon heure n’est encore venue ». Je me suis sentie mise à distance et en même temps, je savais bien qu’il m’avait entendue et j’ai dit aux serviteurs que s’il leur demandait de faire quelque chose, ils le fassent. Moi, j’avais foi en lui. Et le vin n’a pas manqué, il a été en abondance. 

 

Aujourd’hui, je suis là. Aujourd’hui, mon cœur se tord en moi. Aujourd’hui ce sont d’autres noces que celles de Cana et je le sais. Aujourd’hui ce sont les noces qui se font avec le sang de mon fils entre tous les hommes et notre Père du ciel, que son nom soit béni!

 

Mais moi, je suis là, devant lui qui est torturé sur cette croix. Il y a deux autres femmes avec moi, et Jean, ce petit que mon fils aime tant. Tous les autres sont partis, ils l’ont abandonné. Je ne peux pas le toucher, je ne peux pas chasser les mouches qui rampent sur son visage ensanglanté, je ne peux pas enlever cette horrible couronne qui a été enfoncée sur sa tête par les soldats. Je ne peux comprendre pourquoi ils lui ont fait ça, pourquoi ils font du mal pour faire du mal; je ne comprends pas et mon cœur est dans la tourmente. Oui, c’est un glaive qui transperce mon cœur.

 

J’étais là, et il y avait aussi les soldats qui avaient partagé ses vêtements. Moi je pensais au corps de mon petit garçon, de mon premier-né, de mon beau petit garçon; dans quel état il est. Il a dit qu’il devait passer par toutes ces horreurs et qu’il reviendrait à la vie le troisième jour, et de cela je suis convaincue, lui qui a transformé de l’eau en vin, lui qui demeure dans le Père, lui qui est la lumière, et que les ténèbres de la mort ne pourront pas retenir; mais je suis là, douloureuse de sa douleur à lui.

 

Il m’a regardé, il a regardé Jean. Son regard était comme noyé par la douleur et la souffrance. Comment a-t-il trouvé la force de parler alors que chaque souffle était une victoire sur la mort ? Il m’a dit: "Femme voici ton fils". Et à lui il a dit: "Voici ta mère". Et c’était comme si la vie continuait: il me donnait quelqu’un à aimer, quelqu’un avec qui je serai comme une mère. Et lui a dit oui de la tête, et il m’a prise comme sa propre mère. 

 

Je dois reconnaître que retourner à Nazareth dans ma famille, moi qui n’ai plus de mari, moi dont le fils vient d’être condamné à mort comme un malfaiteur par les Romains, ne me souriait guère. Quelle vie m’attendait là-bas? J’aurais eu une vie dans la solitude, et surtout dans la honte. Là je vais rester avec lui dans cette famille qu’il a créée autour de lui, la famille de ceux qui ont écouté sa parole et qui l’ont mise en pratique. Et avec eux, j’attendrai qu’il revienne à la vie; car de cela je suis certaine. Mais que mon aujourd’hui est dur pour mon cœur. Que le Très Haut dont je suis la servante se souvienne de moi,  et vienne à mon secours et au secours de son Fils. 

 

Jean n’a pas voulu que je reste jusqu’au bout; je n’ai pas pu résister. Marie de Magdala, elle, est restée, elle a vu qu’il inclinait la tête, qu’il rendait l’Esprit, qu’un soldat en fin de journée lui avait transpercé le cœur et qu’il en était sorti du sang et de l’eau. Elle était là quand Joseph d’Arimathie et Nicodème l’ont enveloppé dans un linceul et mis dans une tombe neuve dans ce jardin qui est tout près du lieu de son exécution; et je suis chez Jean, et j’attends, comme la femme du Cantique des cantiques qui attend que son bien-aimé vienne la chercher. 

 



[1] Lc 2 25 et svts

[2] Jn 1 , 27-36

[3] Lc 2,43-52

[4] Jn 2, 1-5 

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