vendredi, décembre 31, 2004

incidences psychologiques de la douleur chez l'enfant:1999

Catherine Lestang

8 avril 1999

Incidences psychologiques de la douleur chez l’enfant.

Introduction.

Quand en 1946 Spitz décrivait dans son livre « la première année de la vie de l’enfant » les effets de l’hospitalisme[1], c’est-à-dire l’impact de la séparation sur de jeunes bébés, il mettait en évidence que la perte de l’objet maternel créait une souffrance tellement importante qu’elle pouvait conduire à la mort. Quand la douleur physique s’abat sur un enfant, quel que soit son âge, et nous reviendrons sur ce point, la douleur dont il ne comprend pas l’origine, et qui parfois perdure, tant que le l’origine exact du symptôme n’est pas trouvée, provoque chez lui un vécu de désarroi, une projection du mal sur la mère qu’il ressent comme une maman abandonnante. A la souffrance somatique se joint alors une autre douleur, plus psychique mais qui est inséparable de l’autre. Même si un jour on arrivait à contrôler la douleur en chirurgie post-opératoire, on ne peut gommer ni la réaction de l’entourage, ni le comportement de l’environnement, ni l’influence de la séparation, ni de la perte des repères et de l’autonomie,ni l’interprétation que l’enfant va donner à ce qui lui arrive. Ces autres éléments font en quelque sorte corps avec la douleur et peuvent majorer celle-ci considérablement. Car un enfant qui a peur est souvent un enfant plus douloureux qu’un enfant qui se sent en sécurité. Ces éléments sont fonction de l’âge de l’enfant et de la qualité et de la permanence de ses représentations internes. Ils sont liés à un contexte socio-familial et culturel différent pour chaque enfant (capacité pour les parents de reconnaître les signes de souffrance chez leur enfant et d’y répondre de manière adaptée), mais aussi à son développement psycho-affectif et psycho-intellectuel. Ils restent difficiles à évaluer mais ils auront une incidence sur les douleurs ultérieures, car le corps surtout chez l’enfant petit, qui n’a pas de mots pour le dire, l’enregistre, et toute nouvelle douleur réactive le passé et tous les événements qui l’ont accompagnée. L’angoisse des parents est également ressentie par le jeune enfant. Elle peut avoir elle aussi une incidence. Ceci explique que des enfants opérés très tôt dans leur vie, à une époque où la douleur n’était pas gérée comme elle l’est maintenant, sont des enfants ou des adolescents qui nécessitent plus de calmants que les autres, comme si le seuil de tolérance à la douleur fonctionnait différemment.

Je voudrais avant de présenter des effets psychologiques de la douleur chez l’enfant proposer quelques cas cliniques qui correspondent à ma pratique en milieu hospitalier et qui essayent de mettre en évidence les effets psychologiques de la douleur somatique..

I- cas cliniques.

I 1- Romain

Il s’agit d’un bébé de 8 mois, qui est hospitalisé depuis sa naissance pour une malformation grave de l’appareil respiratoire. Les difficultés alimentaires ont retardé son départ de l’hôpital. Maintenant, il va enfin pouvoir rentrer chez lui et vivre une vie de bébé. Et voilà que brusquement on parle pour cet enfant d’un trouble psychique grave : le mérycisme, qui traduit un dysfonctionnement grave de la relation mère enfant[2]. Romain se fait vomir. Ce comportement inquiète le personnel soignant qui en veut à ce bébé car par ce comportement il leur fait comprendre qu’elles ne sont pas de « bonnes »soignantes. Or certes Romain met la main dans la bouche, parallèlement il adopte une position antalgique(genoux ramassés). S’il se fait vomir c’est que son estomac lui fait mal. Il faut donc évacuer l’air qui distend l’estomac. Aussitôt le comportement du bébé change totalement et il retrouve son sourire. Romain a été confronté à une incompréhension passagère de l’environnement. Ceci peut mais là il n’est pas question de généraliser car tous les bébés sont différents), augmenter le sentiment de persécution qui est encore très vif à ce moment de la vie et reculer l’âge d’entrée dans la position dépressive décrite par Mélanie Klein et qui est moment crucial du développement : acquisition de la permanence de l’objet, accès au début de la symbolisation, différenciation. On peut penser que les mécanismes de projection du mauvais sur l’extérieur vont durer chez lui plus longtemps que chez un bébé « normal ». Les difficultés alimentaires importantes chez lui, liées en partie à la peur d’avoir mal, traduisent aussi la peur de ce qui vient du dehors.

Chez l’enfant de moins d'un an, les moyens cognitifs [3] pour comprendre la douleur sont liés au développement de l’intelligence sensori-motrice, c'est-à-dire que l’enfant ignore en l’absence de schéma corporel les limites de son corps et s’attribue tout ce qui est bon, le mal provenant de l’entourage. Sur le plan psychoaffectif, on peut penser (voir plus haut) que la douleur risque de décaler dans le temps la notion de permanence de l’objet[4] et surtout la dissociation entre bon et mauvais objet[5]. Plaquer sur l’enfant un jugement négatif va renforcer la mauvaise image qu’il a de lui (enfant malformé) et aura une incidence sur la formation de son narcissisme primaire[6] qui est à la base de la confiance qu’il aura (ou n’aura pas) plus tard en lui.

I-2-Dimitri

Dimitri est un petit garçon de 4 ans. Il vient à l’hôpital pour des douleurs dans les jambes. Il ne peut plus marcher. Il est vu aux urgences par un orthopédiste qui pense à un phénomène inflammatoire et qui le met en extension. Il est immobilisé avec des poids au bout des pieds pour soulager les hanches. Ce traitement en général très efficace ne sert à rien. La douleur demeure, Dimitri ne supporte pas la traction et lutte contre elle, en ramenant les jambes sous lui. Ceci est typiquement une attitude antalgique, mais les médecins ne s’en rendent pas compte. Même sa maman peut à peine le toucher au moment de la toilette. Au bout de quelques jours à la suite d’autres examens, on découvre qu’il est porteur d’une masse tumorale dans l’abdomen et qu’il y a des métastases osseuses. Le traitement antalgique, morphinique est aussitôt (on devrait dire enfin)mis en route, mais il a fallu attendre le diagnostic pour que la douleur soit reconnue et traitée. Or l’un des problèmes lié à la douleur aiguë, c’est que souvent les médecins ont tendance à penser que l’enfant en rajoute pour qu’on s’occupe de lui, qu’il est « mal élevé » et la douleur est sous estimée et « mal traitée ». Le fait de ne pas être cru est quelque chose d’insupportable chez l’enfant qui se sent trahi par le monde externe, voire même par ses parents qui ne savent plus s’il faut croire les médecins ou croire l’enfant. Cela génère parfois une hostilité importante entre l’enfant et son entourage et l’agressivité se manifeste sous forme de rejet. L’enfant se mure, rentre en lui-même, ne communique plus. Plusieurs mois après le traitement chimiothérapeutique de la maladie, Dimitri refusera de retourner dans un service où on ne l’a pas cru, où on ne lui a pas fait confiance.

La douleur est ici liée à un sentiment d’être différent, d’être incompris, d’être abandonné. 4 ans, c’est aussi à la fois le stade phallique, mais aussi l’entrée dans l’Oedipe[7]. Le stade phallique c’est être dans la puissance de la virilité, c’est être dans la séduction vis-à-vis de la maman, c’est vouloir prendre la place de son papa que l’on aime quand même beaucoup par ailleurs. Etre incapable de marcher à ce moment-là de sa vie, être sur un lit, perdre toute son autonomie, c’est aussi être blessé dans la représentation que l’on a de soi. Et cette blessure-là peut rester très profonde et facile à rouvrir par la suite. La maladie, et cela va avec les développement de l’intelligence chez l’enfant telle que la décrit Piaget, peut alors être ressentie comme une punition du désir d’avoir sa maman pour soi tout seul. L’abandon vécu est la conséquence de la culpabilité. Ne pas être cru c’est souvent aussi être méchant. Tout ceci fait corps avec la douleur et peut parfois la majorer.

II-3 Domitille.

Domitille a 5 ans. Elle vient d’être opérée d’une péritonite. Avec son infirmière tout se passe bien. On est à trois jours de l’intervention. Dès que la maman arrive, le comportement de la petite fille change. Elle dit avoir mal, se remet au lit, refuse de manger. L’infirmière a l’impression que la douleur est provoquée par la maman. Les processus intellectuels à cet âge-là, sont très différents des nôtres. L’enfant se fie uniquement à sa perception et ramène tout à lui (quand il marche en montagne, c’est le sommet qui se rapproche !). La douleur a sa source à l’extérieur, bien souvent dans la maman qui n’a pas pu protéger son enfant. Dire qu’on a mal, c’est d’une certaine manière inquiéter la maman et aussi lui faire payer tout le traumatisme lié à l’intervention et au réveil. C’est lui dire qu’elle est une mauvaise maman qui ne guérit pas, qui n’ôte pas la douleur ; bref, c’est un moyen d’exprimer son agressivité.

La douleur et c’est là un des difficultés à laquelle est parfois (très rarement ) confronté le personnel soignant peut aussi être un moyen d’exister, différent de l’autre. En effet dans ce cas particulier, la maman de cette petite fille est une maman très envahissante. Domitille ne peut rien décider. Elle est un peu l’objet de sa maman. Alors avoir mal, c’est peut-être aussi exister de manière autonome, séparée. Et peut-être que plus tard la douleur sera pour Domitille un moyen d’exister. Ceci pour dire que la douleur physique peut parfois servir à exprimer quelque chose du désir d’exister, mais cela ne doit jamais être un prétexte pour ne pas donner une réponse à la douleur.

Beaucoup d’enfants ont peur de dire qu’ils ont mal, surtout en l’absence de la mère. Un enfant petit, a peur de se retrouver à nouveau au bloc opératoire ! Et puis à cet âge-là on a peur de la piqûre qui transperce, on a peur des mots qui ne veulent pas toujours dire grand chose mais qui peuvent être menaçants. Toutes les mamans disent un jour ou l’autre à leur enfant : tu vas te calmer où... Alors avoir un calmant, c’est quoi ? je me souviens d’une enfant de 9 ans qui disait : « je ne veux pas de calmants parce que ça m’endort, je veux ma mère ».

I-4 Claire.

Claire est une pré-adolescente de 12 ans. Lors d’un cours de gymnastique, elle a ressenti une douleur très violente dans le ventre. Elle s’est pliée en deux et n’a pas pu se relever. Depuis elle ne peut plus marcher. Une hospitalisation faite près de son domicile n’a pas permis de trouver une explication. Elle est transférée dans un service de neurologie pédiatrique avec un diagnostic d’hystérie de conversion[8]. Dans l’anamnèse, on trouve des événements qui pourraient étayer cette affirmation. Pourtant, les bilans psychologiques montrent certes une fragilité narcissique fréquente à cet âge, mais ne sont pas du tout évocateurs d’hystérie. Claire se rend bien compte qu’on ne croit pas « à sa maladie » que celle-ci est dans sa tête. En d’autres termes, elle est un peu « folle » et doit être soignée par des « psy » pour guérir. Cette attitude fréquente chez certains soignants quand on ne comprend pas l’origine d’une douleur qui perdure et/ou qui est parfois fluctuante, est très nocive. Dire à un adolescent que c’est lui qui se crée cette douleur dans un but précis, est très déstabilisant à un moment où se joue une reprise du conflit oedipien. De nouveaux examens vont montrer qu’il s’agit d’une maladie génétique, rare, difficile à soigner. Claire peut enfin parler de « sa maladie » qui est reconnue comme étant une maladie douloureuse et très difficile à guérir. Que la douleur soit parfois majorée par des événements de la vie tous les jours, cela ne fait aucun doute, mais dire ou laisser clairement entendre que la douleur sert à attirer l’attention, est très violent et cette violence peut jouer sur le narcissisme. A 12 ans, l’enfant est capable d’exprimer très clairement ce qu’il ressent. Les dessins faits par Claire pour montrer les variations vécues par son corps en particulier au niveau de la colonne vertébrale (axe de tout le corps) montrent à quel point ces modifications fluctuantes sont difficiles à vivre. L’atteinte narcissique se joue ici à deux niveaux : l’une au niveau du corps propre qui se dégrade et l’autre au niveau du regard de l’autre qui n’entend pas la souffrance et la dépression engendrée par la maladie.

A douze ans, les moyens d’expression de la douleur sont les mêmes que les nôtres. Sur le plan psychique la fin de la phase de latence et le début de l’éveil pulsionnel lié à l’approche de la puberté peuvent provoquer une grande fragilité narcissique. Ne pas faire confiance à ce qui est montré, c’est augmenter cette fragilité et prendre le risque de déclencher un vécu dépressif. La confiance est la première chose demandée par le pré-adolescent à son thérapeute. Un soutien psychologique qui ne doit en aucun cas se substituer au traitement antalgique, est nécessaire pour permettre à la détresse de s’exprimer (y compris celle des parents qui se sentent alors totalement responsables du symptôme de leur enfant)

I- 5 Leila.

Je voudrai terminer en parlant de Leila , bien qu’elle soit une jeune adulte, car son histoire montre d’une manière assez exemplaire l’impact de la douleur sur la constitution d’une personnalité. J’espère que dans les décennies à venir on ne trouvera plus de cas analogue au sien. Elle synthétise à elle seule les effets de la douleur chez le petit enfant, l’adolescent et le jeune adulte.

Cette jeune fille est paraplégique suite à un néphroblastome[9] de la toute petite enfance (deux ans), traité par chimiothérapie, mais aussi par radiothérapie. Quand elle parle de cette période, elle parle surtout de son sentiment d'abandon, car sa mère attendait un autre bébé et c’était son papa qui avait pris le relais.

A quinze ans, quand je fais sa connaissance, elle doit être opérée du dos (greffe vertébrale pour lutter contre une scoliose d’effondrement). L’intervention a lieu pendant les vacances d’été. Elle me dit en parlant de sa mère : « elle part en vacances comme d’habitude, elle me retrouvera peut-être au cimetière ». C’est dire que l’angoisse liée à l’intervention est massive et réactive tout le passé. Dans les jours qui suivent l’intervention, elle développe une anorexie massive. Il lui faut 30 minutes pour avaler les médicaments. Elle est violente en paroles, ne sait pas se faire aimer. Il me semble que son comportement peut être entendu comme « une identification projective » qui est un mécanisme primaire du tout petit pour se débarrasser des sentiments mauvais qui sont en lui. Le vécu douloureux lié à l’intervention la met dans un état de marasme psychique. Celui-ci provoque une régression importante, qu’elle ne peut exprimer que par le comportement : anorexie et agressivité et dépression. Elle a tellement souffert de ce qu’elle a vécu comme un rejet maternel induit par sa faute (la culpabilité vers deux ans peut être très importante) qu’elle est devenue incapable de se faire aimer, C’est ce que j’appelle la mémoire du corps[10]. Quand la douleur est là, le corps se souvient des circonstances qui ont accompagné la première douleur et le vécu de rejet qui a été vécu par l’enfant à un moment où il ne pouvait exprimer en mots ce qu’il ressentait, se traduit dans le comportement. Ultérieurement pour lutter contre les difficultés alimentaires qui persistent, elle sera opérée de l’estomac pour éviter un reflux gastro-oesophagien et alimentée par une sonde gastrique. Quand Leila parle de cette opération, elle dit avoir eu tellement mal qu’elle a voulu tout arracher pour « en finir ». Elle dit ne plus pouvoir supporter la moindre douleur, car elle a trop peur d’être à nouveau confrontée à ce désir de mourir. Ceci ne correspond pas à ce qu’elle est au fond d’elle même, quelqu’un de vivant qui de fait a déjà trouvé en lui le moyen d’être plus fort que la mort et qui connaît le plaisir d’être vivant au jour le jour. Ce potentiel de vie est une caractéristique des enfants ayant eu à faire face à une maladie engageant le pronostic vital et qui en sont sortis vivants, quelle que soit par ailleurs l’atteinte corporelle.

II- Les composantes psychologiques de la douleur chez l’enfant.

Quand une douleur se manifeste dans le corps de l’enfant, surtout quand il est petit et ne dispose pas de la parole, il va falloir la décoder et y répondre le mieux possible, voire le plus rapidement possible.

1- Le lieu de la douleur.

La douleur « attaque » en un endroit donné, et cet endroit n’est toujours facile à décrire. Le bébé s’agite dans tous les sens pour dire qu’il a mal, mais ne montre pas où est le siège de la douleur. Romain mettait sa main dans sa bouche pour dire qu’il avait mal à l’estomac. Certains enfants, surtout les bébés changent totalement de comportement : par exemple, ils refusent totalement de manger. Tout changement de comportement doit être pris très au sérieux, car c’est ainsi qu’un enfant très jeune ou qui ne dispose pas d’un cerveau intact (je pense ici aux enfants et adolescents lourdement handicapés), traduisent leur mal être sans pouvoir localiser la douleur. Le lieu a aussi une importance psychologique. Avoir mal aux jambes c’est ne plus pouvoir marcher, avoir mal au ventre, c’est d’une certaine manière ne plus pouvoir manger. Et les représentations sont différentes en fonction de l’âge et peuvent être vécues comme la réponse à une culpabilité inconsciente.

2-L’intensité.

Il faut évaluer l’intensité de la douleur. La description n’est pas si aisée que cela. Les termes employés en cas de douleur aiguë : « ça pique, ça brûle, ça lance, ça fait comme un coup de poignard, voire comme une décharge électrique », sont toutes là pour indiquer que la douleur est vécue comme une effraction. Le corps est donc fragile, il ne nous protège plus contre les agressions externes ou internes. Nous ne sommes donc pas tout-puissants mais dépendants. Personne n’a pu empêcher cette agression. La douleur peut donc provoquer une colère, une révolte contre nous mais aussi contre le monde entier. Quand la douleur est provoquée par une maladie grave qui n’est pas encore identifiée, elle développe un sentiment d’abandon, même si les parents sont présents. Car même présents ils ne peuvent éviter le changement dû à l’hospitalisation, les séparations dues à certains examens, les suites opératoires, etc. Parfois, la douleur est trop intense elle provoque chez les petits un important repli sur soi, avec une attitude antalgique d’atonie psychomotrice, avec une absence totale de communication, et chez les plus grands (voire supra Leila), un véritable désir de mort pour échapper à cette douleur dévorante. Alors se mêlent des sentiments de révolte, des sentiments de haine envers les autres et un authentique sentiment de dépression liée à la totale impuissance.

3- La durée.

Une douleur qui dure, crée une différence entre soi et l’autre qui se traduit bien souvent par un sentiment de persécution : « tu ne peux pas comprendre, tu n’es pas à l’intérieur alors je me referme sur moi, sur ma douleur, et je t’en veux ». Lle vécu douloureux provoque une agressivité importante vis-à-vis de la personne qui compte le plus pour nous à ce moment-là. C’est une attitude qui se voit fréquemment à l’hôpital où les enfants petits au lendemain d’une intervention boudent la maman, tourne la tête quand elle arrive, refuse d’être touché et câliné. Cette agressivité est très difficile à supporter par les parents qui doivent déjà faire face à leur propre angoisse et qui se sentent rejetés et totalement démunis.

4- La régression.

Il est courant de dire que la maladie, la douleur provoque chez le bébé ou chez l’enfant une régression. Cela veut dire qu’il y aurait reprise de comportement infantiles : se faire alimenter, se faire laver etc. Ceci peut être vrai pendant le moment où l’enfant est encore trop secoué par ce qu’il vient de vivre pour reprendre son autonomie. Cela est très fréquent chez les enfants « polyhandicapés » qui n’ont aucune notion du temps et qui ne pouvant comprendre la finalité d’une intervention destinée par exemple à lutter contre une attitude « vicieuse » des hanches. Le seul moyen pour eux d’exprimer leur mal être est par exemple de revenir à un comportement présentant une symptomatologie d’autisme (jeux stéréotypés, salivation importante, etc. Mais la pulsion de vie (là je fais à nouveau référence aux travaux de Winnicott), est chez un enfant normal très puissante et dès que la cause (ou les causes) de la souffrance diminuent suffisamment pour qu’il puisse reprendre confiance en lui, la vie redémarre.

Conclusion.

Tous ces sentiments, ces affects liés à la douleur, nous avons nous les adultes les mots pour les dire. Les enfants, surtout les enfants petits n’ont ni les mots, ni les processus intellectuels qui leur permettent de comprendre ce qui se passe, c’est pourquoi il est fondamental que les professionnels analysent les sentiments que l’enfant qui souffre dépose en eux, pour y répondre par une médication appropriée, mais aussi par des mots pour expliquer, car ces médicaments ont parfois des effets secondaires qui doivent être annoncés et il faut parfois du temps pour trouver la bonne médication antalgique.

Le traitement de la douleur de l’enfant a fait des progrès considérables. Mais en fonction de l’âge, le vécu douloureux s’associe à d’autres sentiments en particulier l’impuissance et son corollaire l’abandon. La présence des parents pendant les hospitalisations est un changement presque aussi important que la prise en compte de la douleur. Des réponses adaptées à l’âge de l’enfant concernant la nature de la maladie, la nature du traitement permet aussi une meilleure « maîtrise ». Le parlé vrai des parents est aussi très important, car la souffrance de ceux-ci doit pouvoir au moins partiellement être dite à l’enfant. Mais il n’en demeure pas moins qu’à la douleur physique s’accrochent toujours à d’autres sentiments, d’autres sensations. Ce n’est pas pour rien que la douleur est plus intense pendant la nuit. Bien entendu, il y a douleur et douleur. Mon souhait est bien entendu que la douleur soit allégée au maximum pour que l’enfant malade puisse continuer à vivre le plus normalement possible. Mais le traitement de la douleur n’est qu’une partie du traitement de l’enfant. La maladie, met l’enfant et sa famille dans un milieu inconnu, dangereux. En aucun cas, le traitement médicamenteux de la douleur ne doit nous faire oublier que l’annonce de la maladie, la séparation, le traitement dans un milieu inconnu peuvent avoir des effets très traumatisants et que seuls les mots permettent de lutter efficacement contre la douleur psychique, contre l’angoisse, contre la peur.

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Bibliographie.

SPITZ. R .1946 De la naissance à la parole, la première année de la vie de l’enfant. P.U.F. Paris 1968

KREISLER L ., SOULE M., FAIN M ; 1974. L’enfant et son corps. P.U.F. Coll Fil rouge.

PIAGET J. , 1964. Six études de psychologie Paris, Folio. Essais.

SEGAL H. 1964 Introduction à l’œuvre de M.Klein. Tr.Fr.1969. P.U.F.

Winnicott D.W. De la pédiatrie à la psychanalyse. P.B.P.n° 253. Voir chapitre 5.

FREUD S., 1905. Trois essais sur théorie de la sexualité. Tr. Fr. Paris, Gallimard, 1925.

[1] LESTANG C. 1994. Et si mon corps parlait et si mon corps racontait. Communication aux journées des psychologues de l’AP-AH.



[1] Spitz R . de la naissance à la parole, la première année de la vie de l’enfant. P.U.F. Paris 1968

[2] Kreisler L ; Soulé, M. Fain M ; 1974. L’enfant et son corps. P.U.F. Coll Fil rouge.

[3] Il est fait ici référence aux travaux de J. Piaget, en particulier :Six études de psychologie

1964. Paris, Folio. Essais.

[4] La notion de permanence de l’objet montre qu’en absence de l’objet il existe une représentation interne qui permet à l’enfant de le conserver. Cette notion est fondamentale aussi bien chez Spitz, que chez M.Klein et Piaget.

[5] SEGAL H. 1964 Introduction à l’œuvre de M.Klein. Tr.Fr.1969. P.U.F.

[6] Je fais ici référence à la notion de « vrai self » définie par Winnicott, et qui est le noyau de la confiance en soi, de sa valeur propre et de l’existence pour soi et non pour l’autre.

[7] Freud S. 1905. Trois essais sur théorie de la sexualité. Tr. Fr. Paris, Gallimard, 1925.

[8] Hystérie de conversion : le corps exprime « symboliquement » un conflit entre le Moi et le Surmoi.

[9] Cancer des reins

[10] LESTANG C. 1994. Et si mon corps parlait et si mon corps racontait. Communication aux journées des psychologues de l’AP-AH.

Quand certains enfants où adolescents par leur comportement, déclenchent en moi des états émotionnels importants, (colère, tristesse, agressivité), au lieu de parler de contre-transfert, je considère que les émotions qui vivent en moi sont leurs émotions propres, qu’ils ne peuvent verbaliser et que c’est à moi de les entendre et de mettre des mots, c’est-à-dire d’essayer d’assurer la fonction décrite par Bion de « machine à penser les pensées ».

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