lundi, février 28, 2005

Catherine Lestang: Bibliographie. 1983-2003

Catherine Lestang

Docteur en Psychologie

BIBLIOGRAPHIE

1984

C. Lestang, Cl Saint Maurice

Le vécu de l'anesthésie chez l'enfant in Cahiers d'Anesthésiologie Tome 32 N°5

1987

C. Lestang, C Flavigny

Peut-on préparer l'enfant à l' anesthésie? in Lieux de l'enfance. L'enfant malade et son corps. N° 9-10 Juin 1987 p.339-350.

1990

C. Lestang

La rééducation des bébés et des jeunes enfants. in Kiné plus. Juin 1990 p 14-17

C. Lestang

Evaluation à l'aide des tests projectifs du poids d'une atteinte somatique congénitale invalidante sur l'organisation psychologique de quatre adolescents. In Rorschania XVII n° 64 p.434-437

1991

C. Lestang

"Alors ça marche?" Interaction du somatique et du psychique chez des enfants et adolescents handicapés moteurs. Thèse de Doctorat. Paris V. Mars 1991 270 pages.

R .F Buissonnière, C. Lestang, M.C. Clément.

A propos du handicap "L'enfant au cerveau blessé", in Neuropsychiatrie de l'enfance 1991 39 (4-5) p.143-149

1992

C. Lestang

Le sommeil après une intervention chirurgicale. In Journal de Pédiatrie et de Puériculture, n°5 1992 293-298

C. Lestang, X. Bied-Charreton.

Manifestations somatiques des émotions chez les polyhandicapés. GERSE[1] Chroniques des journées d'Albertville-Montailleur.p 49-57

C. Lestang

"Qui suis-je?"in CESAP Informations p. 5-6

1993

C. Lestang

Reconstruction psychique à travers la rééducation fonctionnelle. Création d'un espace relationnel permettant au polyhandicapé de se reconnaitre comme sujet.In La Spécificité de la prise en charge de la personne polyhandicapée en institution. Formation des médecins. Octobre - Novembre 1993. CESAP. p 70-82.

C. Lestang

"Ouvrez ouvrez la cage aux cerveaux". Une réflexion sur l'empreinte et sur l'identification.

GERSE. Sens et sources de sens de notre action. Chroniques des journées de Dardilly. p 16-26

1994

C. Lestang, X.Bied-Charreton. A propos de la souffrance en chirurgie infantile. in Perspectives sanitaires et Sociales. Douleur et souffrance. 9ème Journée médicale de la FEHAP p 92-100

C. Lestang

"Et si vous m'écoutiez" Prix GERSE 1994.

C. Lestang

Objets en souffrance. GERSE. La souffrance des uns et des autres au quotidien. Chronique des journées d'Alès. p 17-22.

C. Lestang

"Et si mon corps parlait, et si mon corps racontait?" 4 ème journée de psychologie de l'AP-AH. Mémoire et Mémoires. p 61-63

C. Lestang, Catherine Valaster, J. Vasseur L'unité de soins intensifs en chirurgie. Livret à l'usage des enfants et des parents. Edité par les hôpitaux de l’Assistance publique de Paris

1995

C. Lestang

A l'hôpital peut-on limiter le "risque autistique" chez l'enfant porteur d'une déficience neurologique. Journées de Neuropédiatrie; Hôpital Saint Vincent de Paul. Juin 1995.

C. Lestang

Signes de vie au Rorschach et au T.A.T. chez des adolescents porteurs d'un handicap congénital lourd. Société du Rorschach et des techniques projectives. Juin 1995

1996

C. Lestang

Langage et Handicap physique invalidant. Journal de pédiatrie et de puériculture. Vol 9 N°5 p 285-291

C. Lestang

Douleur, souffrance et dépression chez l'enfant et l'adolescent hospitalisés en chirurgie. Psychologues et psychologies. N°133. p 9 – 11

1998

C. Lestang

« Et la culture psy ? » journées du GERSE

2000

C. Lestang

Plaidoyer pour une certaine normalité ou comment garder notre spécificité de psychologue clinicien.

Journées de Psychologues de l’Assistance publique des Hôpitaux Parisiens

2003

C. Lestang

Inhibition intellectuelle, refus scolaire et malformation congénitale chez un jeune adolescent poly opéré. In Pratiques cliniques de l’évaluation intellectuelle. Etudes de.cas. Dunod p 219 232.

* * * * *



[1]GERSE Groupe d'Etudes et de Recherche du Sud-Est sur la Déficience Mentale. Atelier denis Cordonnier, 16 chemin de Cuers, 69570 DARDILLY

dimanche, février 27, 2005

A propos de la "Samaritaine". Jean 4

Catherine Lestang

Les premiers versets de cet évangile me paraissent aujourd'hui plus vivants, si je les regarde dans une perspective un peu différente.

Jésus est tout seul, fatigué. Je me le représente un peu allongé à côté de ce trou d'eau, qui n'est pas un puits au sens classique de chez nous. Je peux aussi le voir, un peu transpirant, un peu suant, bref un peu crade. Il n'a rien d'un messie... c'est juste un homme fatigué, qui a chaud et soif.

Arrive la femme qui elle, est chez elle, dans son village. L'étranger, l'autre, l'inconnu dans cette histoire c'est Jésus.

Jésus lui demande de l'eau. Peut-être ne l'avait elle pas vraiment remarqué. Peut-être est-elle un peu interloquée par sa demande, qui semble un peu manquer de s'il vous plait!Peut-être, le trouve-t-elle un peu gonflé, lui le juif, de lui demander quelque chose.

Sa réaction je l'entends comme " Tu es qui toi?" et quand Jésus se lance dans la première réplique sur l'eau!" si tu savais qui est celui qui te parle, c'est toi qui lui aurait demandé de l'eau...." Il y a dans sa réponse quelque chose qui me fait penser à "d'où est ce que tu causes?".
Presque ," pour qui tu te prends"...

Ce qui me frappe c'est que la samaritaine se fie à ce qu'elle voit, à l'extérieur "toi un juif tu me demandes quelque chose à moi?" et que la réponse de Jésus la décentre et la renvoie sur l'intérieur de celui qui est là. Et de cet intérieur là, elle passera au sien propre jusqu'à reconnaître en lui, le sale, le fatigué, l'affalé peut-être "le prophète" et même le "messie".

Regarder l'autre, se faire une idée sur qui il est, juste comme cela, c'est si facile, c'est tellement nous, même si nous nous en défendons.

Alors sortir ce ces jugements un peu hâtifs, aller plus loin, se laisser interroger par l'autre, passer du dehors au dedans et du dedans au dehors, me semble être pour moi, aujourd'hui, un moteur de ce texte.

On dit toujours qu'il ne faut pas penser que le raisonnement de l'évangéliste est un raisonnement grec, mais là c'est bien proche de la maïeutique. Et ce jeu du dehors au dedans et du dedans au dehors est bien un jeu propre à faire naître le sujet. En laissant toujours de l'ouverture.

27 fécrier 2005

jeudi, février 24, 2005

L'Exode. Réflexions diverses.

Catherine Lestang
24 février 2005



Une première approche: et si ce temps de l'exode, ces 40 ans avaient servi de sélection, presque de sélection génétique.

Tous ceux qui ont quitté l'Egypte, tous ceux qui ont connu un certain type de vie liée à l'esclavage et à une certaine facilité, tous ceux là meurent et n'entrent pas dans la terre promise. Ceux qui entrent sont nés dans le désert, ils sont certainement mieux adaptés à la vie qui les attend ensuite en Canaan.

Et puis compte tenu de la mortalité liée à la vie dans ce milieu relativement hostile, seuls les plus forts résistent!

Même si tout le discours(livres deJosué et des Juges en particulier) sera de montrer que seul Yahvé donne la victoire, il n'en demeure pas moins qu'il a quand même besoin d'hommes forts.

______________

En commencant à préparer une réflexion sur les chapitres 33 à 40 de l'exode, je suis frappée par la relation entre Yahvé et Moïse après l'incident du veau d'or.

Yahvé dans un premier temps dit ne plus vouloir séjourner dans ce peuple, car il veut le détruire et par contre donner une descendance à Moïse. Après tout, Il l'a fait pour Abraham, pourquoi pas pour Moïse?

Au verset 32/32, Moïse donne sa vie pour celle du peuple, ce que Yahvé refuse. Il "frappe" le peuple et envoie"son ange". Il se présente comme un Dieu punisseur.

Au verset 33/3, à nouveau Yahvé refuse de "monter "avec ce peuple, de peur de l'exterminer.

Puis on arrive à un nouveau marchandage 33/12 que je traduirai par:" moi Moïse, je ne veux pas de ton ange, mais je désire que ce Toi qui nous guide, parce que toi, je sais que Tu sauves".
Avec en arrière plan" l'élection" en sorte que moi et ton peuple soyons distincts de tous les peuples qui sont sur la terre.

Puis vient la demande de "voir" ou" connaître la gloire".

Ce qui semble curieux car Moïse rencontre Yahvé dans la tente et lui parle comme un" ami à un
ami". On passe certainement à un autre régistre de connaissance. Il y a le Dieu qui est dans la nuée, comme si la nuée protégeait, mais aussi laissait comme un flou un peu comme ces images qui tremblent à cause de la chaleur.Puis, ce Dieu qui ne peut être regardé en face, mais uniquement de dos.

J'aurais tendance à dire "dans l'après coup" car il y a des événements qui ne prennent sens que lorsqu'ils sont passés depuis longtemps..

Et la prière de Moïse redouble 33/9 " que mon Seigneur veuille bien aller au milieu de de nous"

Et à la finale, qui est un parallèle avec ce qui se passe au livre des rois, quand Yahvé prend possession du temple, La nuée remplit la demeure et le poids est tel que Moïse ne peut y rentrer! Quel est ce Dieu?

samedi, février 19, 2005

A propos de "Je te fiancerai" Osée 2/

Catherine Lestang
19 février 2005

Ce texte de Osée est un beau texte, mais il y a une partie de moi qui y réagit négativement.

Je sais bien qu'il ne faut pas en principe citer hors du contecte. Je sais très bien que l'image qui est donnée là est celle de la relation entre Dieu et une nation qui se détourne de lui, qui adore d'autres dieux, qui est adultère (bien gros mot) et que malgré cela, Lui le tout puissant revient la chercher. Ceci dit, il le lui fait quand même bien payer! Du moins c'est ce que les prophètes clament.

Mais...

Pour moi, l'acte de fiancailles est un acte qui concerne deux personnes. Si l'un d'eux, soit il Dieu (tout ce qu'Il veut Il peut le faire!) décide d'une manière relativement unilatérale, il y a risque majeur que cela ne marche pas, du moins dans une perspective humaine perspective qui est la notre.

Peut-être que les femmes rêvent d'être enlevées par un prince charmant, mais toutes les femmes qui d'une certaine manière ont été "enlevées" par l'amour de l'autre, finissent par se retrouver seules et souvent niées dans ce qu'elles sont ou croient être.

Professionnellement j'ai rencontré tant de femmes qui m'ont dit en parlant de leur conjoint: "moi je ne l'aimais pas vraiment", mais lui, il disait "qu'il m'aimait tant, qu'il m'aimerait pour deux", "que j'ai cru que c'était possible et je me suis laissée faire"ou plutôt, j'ai cédé, parce qu'il y avait une pression. Et en fait c'est à la pression que je n'ai pas su résiter. Bien entendu, c'est quelque part très satisfaisant d'être l'objet du désir de l'autre, mais la question qui se pose un jour ou l'autre, est de ne plus être l'objet de l'autre mais sujet dans le relation.

En d'autres termes, toute relation qui n'est pas dans la réciprocité a de fortes chances d'aller à l'échec.

Mais cela peut expliquer aussi les "infidélités " de la fiancée qui un jour, a peut-être besoin d'exister d'abord à sa manière. Etre la chose de l'autre n'est jamais une bonne chose.

Bien sûr Dieu étant ce qu'Il est, l'omniscient, le tout Autre-, devrait savoir que la fusion pour l'humain est un risque énorme, risque de se perdre, et de disparaître dans l'autre. Cela réactive toutes ces peurs archaïques de manger, de dévorer, mais surtout d'être mangé ou dévoré.

Dans le "cantique des cantique", les deux parlent, les deux s'émerveillent, même si la femme doit aller hors les murs pour retrouver celui que son coeur aime.

Je me demande si on ne doit pas rapprocher ce texte d'Osée qui peut être lu autrement, avec certaines plaintes de Jérémie.

Je pense àJr 20/1
"Tu m'as séduit Yahvé, et je me suis laissé séduire;
tu m'as maîtrisé, tu as été le plus fort....
Je suis prétexte continuel à la moquerie,
la fable de tout le monde.

ou Jr15/18
Vraiment tu es pour moi comme un ruisseau trompeur aux eaux décevantes.

Alors Yahvé répondit;
si tu reviens, et que je te ais revenir,
tu te tiendras devant moi.
Si de ce qui es vil tu tires ce qui est noble,
tu seras comme ma bouche.

La relation avec Yahwé n'est pas une relation facile. Il est peut-être parfois terrible de tomber dans les mains du Dieu vivant...

jeudi, février 17, 2005

Ces institutions qui s'occupent du corps.

Catherine Lestang

1997

Il s'agit d'un cours fait à des étudiants en psychologie clinique à Paris V dans le cadre du DESS.


Ces institutions qui s'occupent du corps.

A propos du travail de psychologue

en milieu chirurgical, en centre de réadaptation

et en maison d'accueil spécialisé.

Tous les enfants ou adolescents dont je vais parler sont atteint d'un handicap physique.

Celui peut être unique c'est à dire toucher un membre, qu'il soit congénital comme par exemple un membre trop court, ou acquis: ostéosarcome. Il peut être plus global comme la maladie des os de verre ou les atteintes neuro musculaires dont le prototype est la myopathie ou encore comme conséquence d'un traumatisme crânien.

Il a toujours une incidence sur l'enfant tout entier et sur sa famille. Il est donc presque impossible de se centrer uniquement sur l'atteinte somatique en tant que telle.

Souvent le handicap physique, qui est celui qui se donne à voir s'accompagne dans les cas grave d'un handicap intellectuel et d'un handicap relationnel. Le mot d'autisme est actuellement très, trop employé. Les enfants nous font "de l'autisme", comme ils font la rougeole. Il existe un certain nombre d'atteintes qui peuvent provoquer un comportement autistique chez un enfant, par exemple les épilepsies sévères et les atteintes neurologiques; qui s'accompagnent d'un déficit intellectuel.

Je dois dire que d'une certaine manière ce sont les enfants porteurs de handicaps associés qui ont le plus influencé ma manière d'être. Dans la mesure où ils ne parlent pas, mais où ils s'expriment à leur manière, ils obligent d'une certaine manière à être. Bien que cela soit contraire à tout ce que j'ai pu apprendre, je me permets de toucher en demandant bien entendu la permission, s'il s'agit d'enfant qui parle. Le contact physique est dans certains cas, le seul qui passe, le seul qui rassure. Bien sûr il faut l'analyser, mais il ne faut pas s'en méfier.

L'important est de ne jamais oublier que l'enfant est sujet, qu'il a quelque chose à dire, quelque chose à communiquer et aussi qu'il a quelque chose à m'apprendre.

J'ai aussi appris que trop de parole, ça noie et que pour certains enfants il ne faut pas donner de choix, parce qu'on les met dans des situations trop difficiles pour eux.

En fait je vais beaucoup vous parler de mon propre ressenti face à la douleur, face à la souffrance, et du traumatisme lié à l'annonce de la maladie, à l'annonce du handicap. Je travaille dans trois lieux qui se complètent relativement bien.

A l'hôpital saint Vincent de Paul qui reçoit des enfants et des adolescents dans le service de chirurgie pédiatrique. Dans un centre de réadaptation Fonctionnelle, situé en banlieue parisienne qui reçoit des enfants en post-opératoire dont un certain nombre venant de SVP et enfin dans une MAS qui est un lieu de vie pour adultes lourdement handicapés.

En guise d'introduction je voudrai vous raconter l'histoire de Dumbo l'éléphant volant car .elle me paraît décrire très bien de ce qu'il en est du handicap physique chez l'enfant mais aussi du regard social et du traumatisme lié à la révélation du handicap.

L'histoire de Dumbo, l'éléphant volant

Il était une fois, une Madame éléphant, qui attendait son petit. Malheureusement du père, on ne sait rien, mais cela se passe chez les animaux. Le petit se fait un peu désirer, mais voilà qu'il arrive enfin. Et là, eh bien, on voit tout de suite qu'il n'est pas comme les autres. Il a de drôles d'oreilles, il a des oreilles immenses. Et aussitôt, les autres madames éléphants qui étaient autour de la nouvelle maman, commencent à ricaner, à discuter dans leur coin. D'emblée, la mère est confrontée au regard social, et ce regard, est un regard qui tue. Ce qui est sous-jacent, c'est que si le petit est comme ça, c'est que sa mère a fait quelque chose de pas bien, qu'elle a fauté, et que c'est la marque de la faute. Et la maman se trouve seule avec son petit, et seule avec sa peine. Si ça avait été un petit d'homme, on l'aurait séparé de sa maman pour le mettre dans un service hospitalier spécialisé, pour réparer le handicap le plus rapidement possible. Actuellement certaines échographies prénatales permettent d'éviter le choc lié à l'annonce de la différence et de la séparation, mais c'est loin d'être le cas.

Dans l'histoire de Dumbo, cela ne l'empêche pas d'être une bonne mère et de donner à son petit son content de maternage.

Et le temps passe. Dumbo doit se montrer dans la parade des animaux du cirque. et c'est là que les choses se gâtent. Car Dumbo, pour la première fois de sa vie, va être confronté à son handicap: il n'arrive pas à marcher droit, et à la conséquence de celui-ci: la moquerie des autres. La différence provoque toujours l'agressivité. Les rires et les moqueries rendent Dumbo très malheureux. Il est d'autant plus malheureux, que son handicap l'empêche de se sauver. Plus il veut aller vite, et plus il s'empêtre dans ses oreilles. Alors la maman arrive pour aider son petit garçon. Je devrai dire son petit éléphant. Mais elle fait, ce que toute mère fait, quand son petit est maltraité par d'autres enfants, elle va à son secours, et elle attaque les moqueurs. Là du point de vue de la société, elle a fait une faute. Alors on la met en prison. On la sépare de son enfant, au moment où celui-ci a certainement un énorme besoin du corps à corps avec la mère. On dit que la mère est devenue folle. Folle certainement pas, mais folle de tristesse oui. Heureusement, les éléphants ça a une trompe, et Dumbo, pourra quand même avoir son bercement avant de s'endormir. Mais maintenant l'enfant et la mère sont séparés.

Comprendre ce que peut faire la douleur sur le comportement d'un adulte est souvent difficile à comprendre. Je dis cela, car, professionnellement, je suis parfois confronté à des parents qui en veulent au monde entier du handicap de leur enfant. Cette agressivité est parfois très lourde à supporter car le personnel ne la comprend pas. Il y a des histoires de poussettes, de non remboursement qui servent de support à cette souffrance. On a l'impression que la société leur doit une réparation pour cette souffrance qu'ils vivent au quotidien.

Je me souviens d’une Maman dont la fille devait être opéré du dos e tque j’avais rencontrée la veille de l’intervention. Le jour de l’intervention alors que sa fille était partie au bloc, elle m’a reproché violemment de ne pas dormir dans le service ! Car elle était allée se plaindre auprès des infirmières de l’étage du dessus qui faisiaent trop de bruits avec leurs sabots et qui avaient empêché sa fille (et elle) de dormir. Je dois dire que je n’ai pas compris ce qui m’arrivait, parce que je trouvais déjà très courageux d’être à 8 heures du matin dans le service. En fait, ce que j’ai vécu comme une agression était son moyen à elle de me dire sa souffrance. Moi je n’ai pas d’enfant handicapé, moi je ne peux pas comprendre, alors moi, je peux servir de déversoir à l’angoisse…

Et le temps passe encore, et Dumbo, l'éléphant, lui qui renvoie à une image de force et de puissance, doit jouer aux amuseurs avec les clowns. La dépression s'empare alors de lui, et le fait de boire avec son copain. Son copain c'est Thimothé le souriceau qui fait peur à tous les éléphants.

C'est souvent au moment de la réparation chirurgicale du handicap que les enfants sont confrontés à un vécu dépressif très important. Car d'une manière générale la réparation est douloureuse et elle entraîne très souvent une séparation après l'hospitalisation. Cette dépression s'exprime de manière très variable, mais elle touche très souvent à l'oralité avec des anorexies massives ou au comportement: soit comportement actif qui conduit à un rejet, mais qui est une lutte active contre la dépression, soit à quelque chose de beaucoup plus passif qui se traduit par un retrait important en particulier sur le plan des acquisitions scolaires.

On peut penser que la peur renvoie ici à la culpabilité et que Thimothé fonctionne un peu comme un Surmoi, mais aussi comme un moi, dans la mesure où il aide Dumbo à vivre de la meilleure manière possible. Ce sont leurs échecs répétés qui provoquent la dépression. Boire pour oublier, boire pour effacer ce qui fait mal, boire trop, pour s'endormir et ne plus se réveiller. La pulsion de mort est ici très forte.

Alors le miracle se fait, et voilà que le handicap se retourne et que Dumbo l'apprivoise, arrive à en faire quelque chose d'extraordinaire: il peut voler. Malheureusement dans la vie quotidienne, si certains enfants peuvent compenser leur handicap en étant très brillants ailleurs, le handicap lui, ne se retourne pas en son contraire. Il reste mauvais, pénalisant. Il rend différent, il rend souvent incompris l'enfant qui le porte, et la famille.

Puis dans l'histoire de Dumbo, tout est bien qui finit bien. Car même la mère de Dumbo, qui a procrée un éléphant qui fait rentrer autant d'argent dans le cirque, devient quelqu'un de célèbre, qui a le droit d'avoir sa propre maison. Belle revanche sur les vilaines madame éléphants qui s'étaient tant moqué d'elle.

Dans la réalité, le handicap physique, place toujours l'enfant et sa famille à l'extérieur du consensus social. Faute et handicap sont très intimement lié depuis toujours. Est-ce lui ou est-ce son père qui a pêché, demande-t-on à Jésus quand il veut guérir un aveugle? La révélation du handicap provoque souvent une sorte de mise à l'écart, et génère un vécu très dépressif. Bien sûr, dans les cas simples, le handicap sera réparé, mais quand, comment, par qui? Il est encore trop souvent annoncé très maladroitement, et les mots sont toujours des mots traumatiques: "on m'a dit qu'il lui manquait tout un côté à ma fille, alors qu'il s'agissait seulement d'un fémur trop court"... "On m'a demandé si je ne voulais pas mettre mon bébé à l'assistance publique"... Alors là, la blessure narcissique est intense, il y a un traumatisme massif qui risque de rester actif durant des années.

Il sera peut-être responsable de la fragilité narcissique de ces enfants, d'autant que bien souvent. l s'est installé chez les parents un vécu dépressif important. Celui-ci s'exprime de manière très différente chez les parents et si mère, se trouve bien souvent très seule face à cet enfant différent. Si les gestes de maternage sont là, le plaisir n'y est pas, surtout si le bébé est un bébé qui ne s'éveille pas bien. s'il est trop différent de l'enfant imaginaire.

La maman d'un garçon porteur d'une malformation d'un membre inférieur m'a dit qu'elle a pleurer pendant deux ans, toutes les nuits. Les pleurs se sont taris quand l'enfant s'est mis à marcher malgré son handicap, car cela montrait bien qu'il était "normal".

Voilà donc quelques réflexions à partir du handicap physique. Nous allons essayer d'entrer dans le vif du sujet maintenant.

Dans les trois milieux où je travaille, milieu chirurgical, centre de réadaptation fonctionnelle et maison d'accueil spécialisé, le corps est premier. Il prend toute la place, car il faut le soigner, le réparer, le garder vivant, par exemple dans le cas de coma provoqué par un accident de la voie publique, bref le maintenir en vie avec le maximum de fonctionnalité possible.

Il est souvent très difficile de ne pas se laisser prendre par le réel de ce corps, souvent abîme, meurtri, déficient.

Cela fait mal de voir des jeunes filles avec d'énormes bosses dans le dos.

Cela fait mal de voir un garçon de 12 ans qui ne mesure que 1m1O centimètres, et qui se fracture dès qu'on le touche et qui change de couleur qui devient tout gris, quand il doit rencontrer le chirurgien qui s'occupe de lui.

Cela, ça fait mal d'entendre un enfant pleurer chaque matin, au réveil, quand on le change de position.

Il est des atteintes qui touchent plus que d'autres: une amputation, même si quelle que part, elle doit permettre de vivre, reste insupportable.

Il est souvent difficile difficile d'essayer de comprendre ce que ce corps là peut bien dire, surtout quand il n'y a pas de parole. Or ceci est de plus en plus fréquent, car de nombreux enfants, en particulier d'enfants souffrant de séquelles de prématurité ou d'anoxie néonatale, ou encore d'anomalies génétiques, ne meurent plus comme autrefois dans les premiers mois de la vie. Quelle que soit l'atteinte, ce corps est celui d'un vivant, d'un être qui sent et ressent les émotions, les souffrances voire les rejets. Les termes de légume ou de plante verte que l'on employait pour parler des grands encéphalopathes montre bien à quel point c'est plus confortable de supposer que le corps que l'on soigne est un corps muet, sourd et aveugle.

Une des questions qui se pose d'ailleurs en permanence est de savoir comment la souffrance physique et la souffrance psychique peuvent s'exprimer quand il n'y a aucune parole.

J'organiserai cet exposé en trois parties. La première sera consacrée à des généralités sur le travail de psychologue auprès d'enfants porteurs d'atteintes somatiques invalidantes. Dans la seconde je développerai un cas clinique et dans la troisième je définirai de manière plus précise les différents lieux et les différents modes de travail..

I- GENERALITES SUR LE TRAVAIL EN MILIEU SOIGNANT.

.

Il s'agit pour le psychologue qui travaille dans des lieux ou le corps est premier, d'essayer de ne pas nier, voire dénier la souffrance en plaquant des modèles explicatifs. La douleur est là. Elle est symptôme, elle dit quelque chose. Toute la question est celle du sens. Et trouver du sens à la douleur est très difficile.

Les modèles que nous avons en tête sont souvent des modèles contra phobiques qui ont pour nous valeur de réassurance face à la maladie, la malformation, la mort. Même si à un moment donné, la douleur peut avoir valeur d' hystérisation, il n'en demeure pas moins que la plainte de l'enfant ou l'adolescent doit être entendue. Dire: " c'est hystérique", ou " c'est dans la tête" est un peu trop facile.

C'est une attitude de fuite que l'on rencontre souvent chez certains soignants, médecins ou infirmières quand ils ne comprennent pas ce qui se passe. Aider celui qui souffre dans tout lui-même, à donner un sens à cette douleur dans une histoire qui se joue ici et maintenant, sans toujours savoir si c'est le corps, ou le psychisme qui a mal, c'est c'est notre travail. Je dois dire, que bien souvent, je travaille au premier degré. J'essaye de faire comprendre aux parents, qu'être parents dans des conditions aussi difficiles, c'est parfois demander les calmants dont l'enfant a besoin, parce que eux, ils savent bien que leur gamin ne joue pas la comédie.

Même s'il est satisfaisant d'avoir des éléments qui permettent de faire des hypothèses sur le déclenchement d'une atteinte somatique grave, ou d'un accident de la voie publique, il ne faut cependant pas oublier qu'il s'agit souvent de nos reconstructions et non de celles de nos patients. Dire à une famille que l'accident de leur enfant est l'équivalent d'une tentative de suicide est toujours très mal accepté! L'an dernier il y a eu à l'hôpital une jeune fille qui s'était defénestrée. Elle était tombée du 7°étage, à minuit, parce qu'elle s'était mise à faire les carreaux, pour ne pas se faire attraper par sa mère. En fait, il s'agissait de la deuxième chute. La première fois, il y avait perforation des poumons. Cela faisait vraiment tentative de suicide. Elle a vu le psychiatre à l'hôpital. Je l'ai revu dans le centre où elle avait été mise à cause de ses fractures. Elle m'a dit qu'elle ne voulait plus jamais voir ce monsieur, parce qu'il avait parlé de suicide et que c'était un accident. L'anamnèse de Sabrina va dans le sens de l'équivalent suicidaire, mais elle était incapable de le reconnaître, de l'entendre.

Dans le cas d'atteinte somatique acquise, les anamnèses montrent bien souvent l'existence d'événements facilitant. Mais ceci ne permet pas de comprendre pourquoi c'est tel type d'atteinte qui s'est mise en place. Dans le cas des atteintes cancéreuses, on trouve très souvent chez les adolescents des événements qui pourraient avoir valeur déclenchante, comme un divorce ou un décès. Dans le cas des ostéochondrites, affections qui touchent les hanches des enfants qui sont en plein conflit oedipien, il semble que la maladie est un excellent moyen de ne pas aborder le dit conflit, en recréant ou en maintenant une relation infantile très privilégiée avec la mère. Et pourtant, au fond de nous mêmes, nous savons bien qu'un bon nombre des ces maladies, de ces atteintes, de ces accidents, ont valeur d'appel.

1- Le symptôme somatique. Essayer de se le représenter et de savoir comment l'enfant se le représente.

Essayer de se représenter ce que cela peut faire de ne pas être "comme tout le monde", même s'il s'agit de quelque chose de temporaire. ne pas se laisser aller à la banalisation, parce qu'on connait la pathologie. Nous ne la connaissons que de l'extérieur et seuls ceux qui en sont porteurs peuvent nous en dire quelque chose.

Comment vit-on avec une jambe laquelle il manque plus de 1O centimètres? Est-il facile à 7 ans, d'être appelée "gros talons" par les camarades de classe?

Comment vit-on avec des membres inférieurs qui ne bougent pas, qu'il est impossible de déplacer même d'un millimètre? Est-ce supportable d'être obligée d'appeler toutes les nuits une veilleuse pour faire déplacer ses jambes? (c'est le cas des myopathes)

Comment accepte-t-on de vivre avec une vessie qui fuit en permanence, avec des matières que quelqu'un doit évacuer pour vous? Alex, a14 ans, parlait de son désir de mourir, tant les odeurs liées à ses troubles sphinctériens le faisaient rejeter par les autres. Qui un jour pourrait aimer un garçon qui sent mauvais?(c'est le cas des Spina-bifida)

Comment peut-on se servir d'un fauteuil électrique quand au fond de soi, chaise électrique et fauteuil électrique c'est la même chose?(c'est le cas de certains IMC adultes qui ont vécu la marche comme "être valide", même si c'était une marche assistée

Comment supporte-t-on à cinq ou six ans de se trouver immobiliser pendant toute une année scolaire, avec des poids au bout des pieds, parce que les têtes fémorales sont en mauvais état?

Comment passe-t-on au moins un an de sa vie avec une chimiothérapie qui vous perdre vos cheveux, qui vous rend malade et différent de tous vos amis, avec la menace de perdre l'organe ou le membre attaqué?

2-Réflexion d'un impact possible de la malformation sur la mise en place de l'appareil psychique.

Quand on travaille avec le corps malade, le corps atteint, il est important de ne pas se laisser aller à son émotivité, mais il est indispensable de réfléchir sur l'impact du symptôme somatique sur la mise en place de l'appareil psychique. Par exemple, comment se mettra en place la phase anale, chez un enfant qui ne dispose d'aucune possibilité de contrôle sphinctérien? Comment se mettra en place la phase orale, si pendant les premiers de la vie, l'enfant est gavé en continu c'est-à-dire qu'il ne peut faire les expériences de plaisir et de déplaisir liés à la faim? Comment se mettra en place l'autonomie et donc la distanciation, si l'enfant ne peut se déplacer par lui-même, s'il ne peut dire non avec sa musculature? Comment se mettra en place la différence des sexes et la différences des générations, si dans l'inconscient des parents, l'enfant porteur d'un handicap doit rester un enfant toute sa vie, un enfant non sexué, non génitalisé? Parfois certains enfants porteurs d'une myopathie finissent par vivre une symbiose totale avec la mère, qui devance tous les gestes, même si ceux-ci sont possibles comme si l'adolescent qui est là était un bébé .

3- Comprendre comment l'enfant et ses parents s'organisent avec ce symptôme somatique. Je dis tout de suite qu'il ne s'agit pas de porter un jugement, parce que nous ne savons pas ce que nous aurions fait nous, si nous avions été confrontés à des telles souffrances. Mais il s'agit parfois d'essayer de réintroduire une loi, qui permet de redonner un peu de symbolique alors que le réel du corps ou de la pathologie est omniprésent. M-C Célérier dans son livre "Corps et fantasme" fait l'hypothèse que la caractéristique des familles confrontés à la maladie grave de l'enfant est une importante difficulté quant à l'expression de l'affect. Le discours médical, permet d'ailleurs de bloquer toute émotion. Il y a des descriptions de la maladie données par les parents, qui sont tellement médicalisées que cela fait parfois mal d'entendre parler comme cela de l'atteinte. Il est évident que l'atteinte somatique de l'enfant qu'elle soit congénitale ou acquise, provoque une énorme fragilisation du narcissisme familial. La question qui est sous-jacente est toujours "pourquoi lui, l'enfant, pourquoi moi, la mère; qu'avons-nous fait pour que cela nous tombe dessus". Plus l'atteinte est précoce, plus le narcissisme familial est atteint, et plus ceci aura de répercussion sur l'organisation psychique de l'enfant. Je reprendrai ce point dans la troisième partie.

4- Le respect.

Il s'agit aussi de ne pas se mettre à la place de l'enfant où de ses parents, de ne pas au nom d'un savoir, étouffer ce que cet enfant là ou ces parents là disent parfois non pas avec des mots mais avec des comportements qui ont finalement valeur de symptôme. Une certaine identification est indispensable pour essayer de comprendre ce qui se passe, mais nos fantasmes d'adultes ne sont pas ceux que vivent les enfants, et cela il faut le savoir pour éviter et des interprétations sauvages et des placages défensifs. Il ne s'agit pas de se mettre à la place des patients, car cela est impossible, mais d'essayer d'imaginer ce que peut représenter pour un enfant ou pour un adolescent, un vécu ponctué par des interventions chirurgicales et par une très grande dépendance et de lui permettre d'en parler avec ses mots à lui, avec ses révoltes à lui. On peut parfois "imaginer "un peu ce qu'ils peuvent vivre, mais contrairement à une des phrases type des feuilletons américains, jamais nous ne savons ce qu'ils ressentent. Quoi qu'on en dise, on ne s'habitue jamais à des interventions chirurgicales répétées. Certes le lieu est peut-être moins inquiétant par ce que connu, mais il se fait à chaque fois, tant du côté de l'enfant que du côté des parents, une espèce de sommation des angoisses et des souffrances liées aux anciennes interventions.

Il y a un point sur le quel je travaille beaucoup pour essayer de comprendre le vécu de ces enfants, c'est ce que l'on appelle l'identification projective. L'hypothèse que je fais est que lorsque certains de ces enfants nous font vivre des émotions, des affects très violents, c'est qu'ils essayent de se débarrasser ce ces mêmes affects, de ces mêmes émotions à travers nous.

Malika a été soignée pour un médulloblastome quand elle avait deux ans. Elle en a guéri, mais elle est paraplégique et incontinente. Elle doit, quinze ans plus tard être réopérée du dos, pendant les vacances scolaires. Elle me dira peu de temps avant l'intervention "J'ai dit à ma mère qu'elle pouvait partir en Algérie, avec toute la famille, que ça m'était égal, mais qu'elle me retrouverait peut-être au cimetière". Et c'est bien ce qui a failli arriver. Une anorexie très grave s'est développée après l'intervention. Il a fallu plusieurs mois pour la limiter à défaut de l'enrayer. Cette anorexie disait les expériences passées, les solitudes, les douleurs. Elle disait que la reprise ne voulait pas se faire, parce que c'était trop difficile de se remettre dans ce corps là, parce qu'avant, ce corps là, il n'était pas comme ça. Elle disait toutes les dépressions qui avaient déjà été vécues. Elle disait toute la colère face à la mère absente. Elle disait aussi l'incompréhension de ce qui était arrivé jadis. Cette anorexie réapparaît chaque fois que Malika est confrontée à ce qu'elle ressent comme une injustice, comme un abandon. Ce comportement peut s'entendre comme une mémoire. Mémoire d'un corps qui sait ce qu'il en est d'une possible mort.

Il y a chez elle une autre expression de la trace de ce vécu de souffrance. Comme un certain nombre de handicapés physiques, elle a une manière très autoritaire de parler aux soignants. On a l'impression qu'elle considère les autres comme des objets à sa disposition. Le comportement de rejet qu'elle induit en nous est certainement la projection de ce qu'elle ressent au plus profond d'elle même. Elle se sent rejetée, abandonnée, pas aimée. Alors, elle fait passer en nous ce mauvais qui l'étouffe et qui l'empêche aussi d'avaler. Ceci étaye l'hypothèse sur l'identification projective comme trace émotionnelle du vécu de douleur, de souffrance et d'abandon. A nous, de lui restituer par des mots, ce qu'elle nous fait ressentir et qui renvoie à une souffrance sans nom. Certes elle nous parle comme à des chiens. Mais qui a été dans les hôpitaux sait aussi que le ton utilisé par certains membres du personnel est loin d'être amical, surtout si l'enfant est opposant et si sa pathologie fait peur.

Ecouter le corps c'est entendre la souffrance mais aussi la douleur. Douleur de l'enfant qui a mal, douleur de l'enfant qui ne comprend pas, douleur des parents confrontés à un diagnostic au quel ils ne s'attendaient pas, auquel ils n'étaient pas préparés, avec lequel il va falloir continuer à vivre. Souffrance des parents confrontés à la souffrance de leur enfant. Mais aussi, souffrance du corps soignant, qui reste toujours, qu'on le reconnaisse ou non, confronté à la mort.

Le fait pour moi, de travailler dans trois lieux qui sont d'une certaine manière complémentaires, me permet d'échapper un peu au morcellement propre à chacune des trois institutions et à organiser mon travail auprès des enfants, des parents, et des soignants.

Pour illustrer ceci je voudrai vous raconter l'histoire de MARTIN.

II- HISTOIRE DE MARTIN

Il s'agit d'un petit garçon de 4 ans et demi, qui vient en externe dans le Centre de Réadaptation fonctionnelle où je travaille. Il ne tient pas bien sa tête, bave beaucoup, surtout quand il s'ennuie, ne se sert pas de ses mains, et bien entendu il ne marche pas. Le diagnostic est: encéphalopathie d'origine inconnue, vraisemblablement d'origine virale. Il a une place prévue dans un IMP, mais actuellement il est sur liste d'attente. Bien entendu Martin ne parle pas, mais comme pour beaucoup d'enfants encéphalopathes, la communication passe par le regard. Martin est tout a fait capable de tenir sa tête, mais il faut le lui demander. Comme il ne peut se servir de ses mains, sa maman lui demande d'utiliser sa bouche et ses dents pour tenir. C'est ainsi qu'il attrape et fait bouger son Babar. Le placement au Centre de Villiers se situe donc comme un temps intermédiaire entre la crèche où il a passé un an, très protégé, et l'IMP. Il est relativement bien assis dans sa poussette, ce qui lui permet de regarder autour de lui. Il est dans un groupe, qui reçoit beaucoup d'enfants encéphalopathes, groupe dans lequel la stimulation est première.

J'ai rencontré deux fois sa mère. La première fois, elle m'avait dit qu'elle n'envisageait pas la vie sans Martin, et qu'elle n'avait pas besoin de psychothérapie, bien des amies le lui aient conseillé, car elle assumait bien le fait que Martin ne soit pas comme les autres. Il s'agit d'une jeune femme, qui exerce une profession paramédicale, qui a vécu deux fausses couches, un avortement thérapeutique et qui s'est retrouvée malgré une grossesse très suivie et très contrôlée avec un enfant encéphalopathe. Elle a à la fois une relation encore assez fusionnelle avec cet enfant, mais aussi très tonique: elle essaye de ne pas oublier l'âge réel de Martin. Il se déplace chez lui avec une flèche et la stimulation en particulier au niveau des objets est importante: Martin doit jouer avec les objets qui lui sont présentés par sa maman. La demande faite à l'institution est double. Elle désire que Martin soit sans cesse stimulé, de préférence avec ses jouets à lui, ce qui est presque impossible dans une collectivité, et elle veut savoir ce que Martin fait dans la journée (ou ne fait pas) pour pouvoir en parler avec lui le soir. . J'ai ressenti cette jeune femme comme quelqu'un qui se défendait trop fort...

Dans les mois qui ont suivi ce premier entretien, il s'est installé par le biais d'un cahier de correspondance, une relation très particulière entre elle et l'éducatrice référente de son enfant. Tout tournait autour du corps. Pourquoi Martin était-il griffé, pourquoi dormait-il mal à la maison, pourquoi faisait-il des cauchemars, pourquoi se mordait-il le pouce? Or il était impossible de répondre à ces questions car nous n'avions pas d'éléments de réponses. Ce questionnement cachait une telle angoisse, qu'un nouvel entretien a été proposé.

La maman de Martin est enceinte de presque quatre mois. Elle en parle facilement devant nous et devant Martin. Mais en même temps, alors que Martin est là sur ses genoux, et qu'il est très attentif à ce qui se passe, elle dit que Martin n'est pas au courant. Elle le lui annoncera quand cette nouvelle grossesse sera une certitude. Ceci d'emblée montre combien cette Maman pourtant très attentive vit à certains moments son enfant comme un enfant chose, comme un enfant sans oreilles, comme un enfant qui ne doit entendre que ce qu'il faut entendre, au moment choisi par elle.

Depuis le début des grandes vacances, ce qui correspond à peu près au début de sa grossesse, elle veut faire comprendre à Martin, qu'il est un grand. Pour ce faire elle lui donne à manger des morceaux plus volumineux, des morceaux de 4 ans et demi... A lui de se débrouiller pour avaler sans s'étouffer. Elle lui a aussi demandé pendant les vacances de l'avertir si le bébé qu'elle gardait faisait des bêtises, tâche dont Martin s'est tout à fait bien acquitté en criant. Ceci est très important car cela prouve que Martin n'est pas débile.

De là nous passons à la question des morsures, car Martin parfois mord les autres et se mord lui-même très fort, comme s'il n'avait pas de sensibilité, et là grâce à l'éducatrice il devient possible de donner un sens à cette agressivité, car Martin ne se mord pas n'importe quand. Il mord et se mord quand il est en colère après les autres, quand on ne s'occupe pas de lui assez vite, quand on le fait attendre. Ceci permet de parler de la mauvaise qualité du sommeil de Martin depuis son retour au Centre.

Devant l'insistance qu'elle met à savoir si Martin est capable de se défendre quand on le griffe, s'il est capable d'attraper des jouets mis sur sa tablette, bref, s'il est finalement capable d'avoir des réactions comme tous les petits garçons de 4 ans, je me demande ce qu'elle attend de cet enfant et ce qui lui a été dit du handicap de son petit garçon. A ma demande elle évoquera cette annonce. Ce moment d'évocation de ce qui a été un moment éminemment traumatique pour elle a été un moment clé de l'entretien. Il a permis de mobiliser des affects bloqués plus ou moins bien depuis des années. Elle dira s'être rendue compte au cours du deuxième mois de la vie, que Martin ne tenait pas sa tête, qu'il ne suivait pas des yeux, qu'il était en retard par rapport à ce qu'elle savait du développement psychomoteur du jeune enfant. Un scanner a révélé l'atteinte cérébrale. Le praticien a alors dit à cette jeune mère sans précautions, comme cela est encore de pratique courante, que son fils serait un "légume", qu'il n'y avait rien à faire. Je vous laisse imaginer l'impact traumatique généré par un tel diagnostic. C'est elle qui a dû annoncer le diagnostic à son mari, mais elle, comme elle l'a dit, elle a mis des gants...

Ce choc lié à l'annonce du diagnostic est quelque chose que l'on retrouve dans toutes les anamnèses, et qui pose la question du soutien que ces parents seraient en droit d'avoir, et ce quelle que soit l'atteinte. D'une certaine manière la vie s'arrête, puis elle reprend parce qu'il faut agir, mais il y a une zone morte à l'intérieur de soi, une zone qui ne vit plus, une zone qui s'enkyste d'autant plus qu'elle n'est plus jamais parlée avec des émotions, mais avec des termes plaqués sur le discours médical. Il ne s'agit pas d'un refoulement, mais de bien autre chose. Il y a comme un hurlement qui se gèle et qui gèle tout autour de lui. Il semble qu'en France, encore maintenant nous soyons très en retard en ce qui concerne de telles annonces.

Au canada, cela se fait en équipe, les deux parents étant présents, et dans un lieu non médicalisé. Les travailleurs sociaux sont là pour prendre immédiatement le relais. Bien souvent le diagnostic est donné à par le médecin, qui s'en va ensuite sans essayer de savoir ce que la mère a entendu, et compris. Lors de l'annonce il y a un blocage qui s'installe. Celui-ci fait que toutes les paroles ne sont pas entendues, ce qui crée ultérieurement une situation conflictuelle, puisque le médecin lui est sur de tout avoir dit. Il y a un monde entre l'information, le savoir et la réception du message.

Par ailleurs, s'il est peut-être satisfaisant de savoir que le comportement autiste d'un enfant est parfois lié à la maladie de Rett, qui est une maladie génétique et non à une faute dans la relation mère-enfant, cela ne change pas grand-chose quand à la question de base, à savoir, pourquoi mon enfant, pourquoi nous. Qu'avons-nous fait...

Comme beaucoup de mères d'encéphalopathes elle s'est bien juré que même si Martin était différent des autres, il apprendrait et se développerait avec ses moyens à lui, il ne serait ni un légume, ni une plante verte. Elle a pu alors parlé de sa peur renouvelée chaque matin de laisser Martin dans notre Centre, peur que Martin non stimulé devienne un légume, peur que l'institution lui abîme son enfant, peur que l'institution lui cache des choses. Cette peur se trouvant alimentée par des "on dit". Et de raconter alors les deux faits suivants: dans certains centres, on donne des médicaments aux enfants pour qu'ils ne dérangent pas, et si les parents ne peuvent venir quand ils le désirent, c'est parce que le jour de la visite, il n'y a pas de médicaments... Elle a donc eu très peur le jour où demandant un rendez-vous pour parler de Martin avec la kiné-chef, cela lui a été refusé...dans d'autres, on met pendant la sieste les enfants dans des sacs en plastique, comme cela il n'y a pas de problèmes pour changer le lit. En d'autre terme cette maman vit avec une projection du mauvais sur le centre, avec des fantasmes très puissants, fantasmes qui peuvent bien évidemment provoquer des troubles du sommeil chez Martin quand il se retrouve chez nous après une période de vacances. Il est certain que la plupart des enfants encéphalopathes, comme les enfants psychotiques restent en prise directe sur l'inconscient maternel et qu'ils réagissent aux émotions et angoisses de celle-ci sur un mode qui ne peut qu'être que somatique, puisque la médiation de la parole n'existe pas.

Le fait que tout ceci ait pu être parlé devant Martin a provoqué un changement dans la relation de la mère de Martin avec l'éducatrice..

Il est presque sûr que Martin un jour où l'autre devra subir une, voire des interventions chirurgicales permettant une meilleure assise. Ce jour là, à l'hôpital, il y aura un travail à faire auprès du lit de Martin avec sa mère, pour mettre des mots sur ce qu'il va vivre, sur l'angoisse de sa mère, angoisse qui a toute chance de se focaliser sur l'anesthésie, puisque celle-ci dans l'inconscient, réactive souvent une angoisse, voire un désir de mort. Il y aura toute une écoute à mettre en place auprès de ces parents, écoute d'autant plus importante qu'eux seuls seront capables de décrypter les signes de bien-être ou de mal-être de leurs enfants. Il y aura ensuite un travail à faire pour permettre à Martin et à sa famille d'accepter la souffrance, l'immobilisation et peut-être un placement temporaire dans une institution de réadaptation.

Puis Martin deviendra un jeune adulte et il faudra lui trouver un lieu d'accueil, car ses parents ne pourront plus prendre en charge un corps devenu un corps d'homme. Et il paraît évident, que ce n'est pas à la soeur de Martin de prendre le relais. Car Martin a une petite soeur, qui se développe tout à fait normalement. Là le travail de psychologue sera d'aider les équipes à ne pas rester au niveau élémentaire de la satisfaction du besoin, encore que ceci soit la condition de base, mais de maintenir une certaine pulsion de vie, par le biais de la reconnaissance du désir.

Pour résumer je dirai que l'histoire de Martin montre le travail d'écoute et d'accompagnement qui est le notre quand on travaille dans des institutions qui s'occupent d'abord du corps.

III- DESCRIPTION DES DIFFERENTES INSTITUTIONS.

Je vais maintenant décrire les lieux où je travaille ainsi que ma ou mes manières d'intervenir.

III-1 DESCRIPTION DES LIEUX.

III 1 1- Le milieu hospitalier chirurgical, est un milieu où il s'agit de réparer, de soigner, de guérir ou de limiter le handicap, la malformation, la maladie. C'est un milieu où au fil des années j'ai appris que l'accompagnement se faisait essentiellement du côté des parents, car presque toujours ce sont eux qui ont encaissé le diagnostic et qui ont pour tâche implicite d'être un écran aussi protecteur que possible entre la maladie et leur enfant. Les enfants ont de quelques heures à parfois plus de vingt ans. Mais actuellement je ne travaille pas avec les nourrissons. La maman d'une petite fille opérée d'un cancer des os, me disait: nous les parents on est cassé.

Les pathologies se répartissent en pathologies touchant au viscéral, et à l'orthopédie. Le viscéral c'est-à-dire le mou, l'interne, s'occupe de pathologie comme les hernies ou les appendicites, mais aussi de grosses malformations des sphères anales, vésicales, génitales, pulmonaires, digestives. Ces malformations congénitales nécessitent souvent des interventions multiples, génératrices d'angoisses importantes, surtout quand il y a des échecs, et qui peuvent avoir une incidence importante sur la scolarité. Une chose est de réparer la malformation et de permettre la vie, une autre est la question de la qualité de la vie. En orthopédie, le dur, on rencontre des pathologies qui vont des luxations de hanches, des pieds bots des membres trop courts, à maladies telles que les myopathies, les Spina-bifida, les arthrogrypose et surtout les tumeurs osseuses. Il y a également un service de chirurgie plastique et un important service de Réanimation. C'est un service où je vais beaucoup, car il reçoit beaucoup d'encéphalopathes et il y a un travail à faire avec le service, pour que la douleur ne soit pas méconnue. Ces enfants qui ne parlent pas, ne peuvent s'exprimer que par leur corps. Ceci veut dire que les tremblements ne se soignent pas avec d'avantage d'anti-convulsivants, amis avec d'avantage d'antalgiques. Il y a aussi un service de Réanimation qui accueille des nourrissons âgés de quelques heures et des enfants et des adolescents qui risquent de présenter des difficultés respiratoires.

III-1-2- Un Centre de réadaptation fonctionnelle, c'est à dire un centre où vont en général des enfants et des adolescents qui ont besoin d'une rééducation de type kiné très importante, après une intervention chirurgicale orthopédique. Ceci me permet de faire le lien entre l'hôpital et le centre. Ceci permet aussi de pouvoir déjà raconter une histoire, celle de l'hospitalisation et des réactions tant de l'enfant que des parents, et donc d'être lien, voire objet permanent. Ce type de Centre, outre les soins médicaux et la rééducation kiné, assure une scolarisation et un hébergement. La population est très hétéroclite, puisqu'on y trouve des enfants porteurs de maladies congénitales plus ou moins sévères, d'encéphalopathies, mais aussi de maladies acquises nécessitant une immobilisation plus ou moins longue: ostéochondrites, épiphysiolyse, accidents, séquelles de traumatismes crâniens. Tout est centré sur le rééducation du membre atteint. C'est un centre qui travaille dans le plâtre, et d'un point de vue institutionnel, la rigidité est considérable...

III-1-3- Enfin je travaille dans une M.A.S., c'est-à-dire dans un lieu qui a pour vocation d'assurer la vie et le bien-être d'adultes incapables d'y subvenir par eux-mêmes. On y rencontre donc des autistes, des traumatisés crâniens handicapés moteurs, mais aussi un grand nombre d'infirmité cérébrale, avec déficit intellectuel. Ces structures, compte tenu de la meilleure espérance de vie vont se multiplier, et c'est certainement des lieux où les embauches restent possibles.

C'est dire que dans ces lieux, le corps a une place très importante, et que la prise en charge globale de l'enfant ou de l'adulte reste difficile, car le morcellement permet une certaine dilution de l'angoisse, angoisse souvent très importante, surtout quand on est confronté de près ou de loin à la mort. Compte tenu du nombre d'intervenant qui s'occupent du même corps, le morcellement est presque inhérent, et la lutte est très difficile.

Ainsi à l'hôpital, l'enfant a son chirurgien qui est le "prescripteur", mais il a également l'anesthésiste et/ou le réanimateur, le pédiatre, les internes et les externes, les infirmières, les aides-soignantes, les élèves. Il rencontre également une institutrice, des éducatrices, une assistante sociale, et même une psychologue....

Au C.R.R.F., il gardera son chirurgien ou un représentant de celui-ci. Il y aura une équipe médicale, avec médecin et infirmière, une équipe paramédicale qui assurera la rééducation, une équipe éducative avec éducateurs et animateurs, et enfin une équipe enseignante.

III-2 LE TRAVAIL.

Je pense , plutôt qu'une description un peu fastidieuse , qu'il sera plus intéressant de répondre tout à l'heure à vos questions concernant mon travail dans ces lieux.

Disons pour simplifier qu'il s'organise autour de deux axes: travail individuel et travail collectif avec les équipes.

III-2-1 Le travail individuel avec les parents et avec les enfants.

Cela pourrait s'appeler de l'accompagnement. Ceci est vrai du milieu hospitalier où le travail se fait au lit du malade, avec les parents. Il s'agit d'un travail d'écoute, mais aussi de parole, car c'est peut-être ce qui manque le plus en milieu hospitalier. Il faut dire que pour les praticiens, tout ce qui n'est pas de leur ressort est du ressort du psy, ce qui est une manière magnifique de se décharger de tout. Du fait de la non préparation à la réalité de l'intervention chirurgicale, tout un travail doit souvent être fait avec les parents pour qu'ils ne soient pas trop choqués par la vision de l'enfant après l'intervention, surtout quand il s'agit d'un réveil en unité de soins intensifs. Je dis avec les parents, car ce n'est que dans un deuxième temps, qu'ils pourront eux, avec leurs mots à eux, expliquer à leur enfant ce qui se passe, et pourquoi c'est comme ça. Dans le cas d'intervention lourdes, il y a un travail d'étayage pour que les parents puissent parler de ce qu'ils vivent, mais aussi servir de contenant pour leur enfant.

Il y a bien entendu de véritables prises en charge psychothérapeutiques, prises en charges qui sont parfois difficiles à gérer surtout dans les centres, car il est impossible de ne pas voir ce qui se passe dans les différents lieux de vie et que le poids de la réalité est difficilement escamotable. Il s'agit souvent de thérapies ponctuelles, qui permettent une certaine reprise des pulsions de vie, et où il s'agit d'entendre une souffrance, une douleur, des réactions, dans ce qu'elles traduisent de souffrance. Avec les adultes, qui sont pour de très longues périodes dans un même lieu, il s'agit de véritables psychothérapies, même si parfois, il y a beaucoup de tâtonnements de ma part, car il est évident que c'est à moi de m'adapter à leur pathologie. Il m'arrive d'utiliser un peu de relaxation, surtout avec les IMOC, mais j'essaye au maximum de privilégier la parole. Il est parfois possible de saisir plus précisément certains mécanismes psychologiques. Carole qui est une adulte de 25 ans, et qui a beaucoup de mal avec le je et le tu, ce qui montre à quel point, par moments la différenciation est difficile, dit parfois en parlant d'un des AMP: il me fait peur. En décortiquant avec elle, voilà ce qui se passe. T. lui demande d'aller faire sa toilette. Carole a certes une certaine autonomie, mais l'éducateur pense qu'il faut le lui rappeler. ceci provoque chez elle un petit mouvement dépressif: si je n'étais pas handicapée, il n'aurait pas à me dire ça. Ceci provoque alors un mouvement de colère: ce n'est pas de ma faute si je suis comme ça, il n'a pas à me le rappeler. La colère est alors projetée sur l'autre, qui lui étant valide peut tout faire, et qui peut donc agresser Carole, comme elle aimerait elle pouvoir agresser T. et la boucle se conclue, par la phrase, il me fait peur.

Il y a aussi les bilans psychologiques. Quand j'assistais aux réunions de synthèse j'arrivais toujours avec un bilan comprenant en général un PM 38, une figure de Rey, car celle-ci est très importante quant à la représentation de soi et du corps, et des tests projectifs. Ceci me permettait de me situer dans une certaine spécificité par rapport aux médecins et enseignants. Ces bilans à base de tests ont été très utiles dans l'élaboration de ma thèse qui a été consacrée à ces enfants qui ont tellement de mal avec la marche. Les tests restent un apport précieux, je voudrai donner un exemple récent: Isabelle a vécu un accident de la voie publique quand elle avait 6 ans. Son père et sa belle-mère sont décédés. Elle a été dans le coma pendant plusieurs semaines. Elle est venue au centre pour rééducation de fractures de la jambe. Les difficultés familiales étaient telles qu'un suivi psy a été mis en place à la sortie de centre. En fait Isabelle a fait une scolarité au rabais. Elle vient de revenir pour douleurs inexpliquées et baptisées d'hystériques... Après plusieurs entretiens, j'ai proposé un bilan et là j'ai pu me rendre compte que la mémoire à court terme était catastrophique, aussi bien à la mémoire de la figure de Rey qu'à la mémoire des chiffres. Bien entendu il n'est pas question de faire l'impasse sur les facteurs explicatifs psychologiques, mais il est certain qu'une rééducation des fonctions supérieures, en particulier des fonctions mnésiques aurait du être faite il y a de nombreuses années....

III 2-2 travail collectif

Il se fait avec les équipes avec les équipes éducatives, et/ou paramédicale. Il s'agit bien souvent par le biais d'une approche clinique de mettre au point des prises en charges le mieux adaptées possibles aux patients, et quand il s'agit d'encéphalopathes qui n'ont pas la parole pour s'exprimer mais simplement un langage non verbal et comportemental, ce n'est pas une mince affaire.

Il est normal qu'un enfant petit exprime son anxiété ou son mécontentement par des vomissements. Si pour des raisons médicales, le vomissement qui est un comportement archaïque de rejet (mettre en dehors de soi le mauvais) n'est plus possible, comment s'exprimera le mécontentement. Ce sera alors vraisemblablement sur un mode encore plus primitif, plus archaïque, par exemple avec une respiration qui devient une crise d'asthme. S'il est indispensable de lutter contre la difficulté respiratoire il faut aussi se poser la question du déclenchement de cette difficulté: souffrance physique, souffrance psychique. Ainsi Franck qui est un encéphalopathie de 17 ans, et qui vient de subir une arthrodèse du rachis, c'est à dire une intervention qui pour maintenir la capacité respiratoire, bloque tout le dos, en particulier la nuque, va brusquement déclencher des troubles respiratoires importants. La veilleuse de nuit expliquera qu'elle a donné un peu d'aspirine et que les troubles ont cédé... Il est vraisemblable que la souffrance physique, souffrance que Franck est incapable d'exprimer est à l'origine de ce trouble de la respiration.

Il s'agit donc là d'un apport psychologique sur l'histoire du patient, sur le décodage, parfois très difficile, de l'expression de son désir ou de son non désir. C'est ce j'appelle le travail clinique. Il est important de connaître la date des hospitalisations, car il y a des âges qui sont plus fragiles que d'autres, il est important de connaître les réactions aux hospitalisations, etc...

Il s'agit aussi d'un travail où l'expression de l'angoisse suscitée par tel ou tel enfant puisse se dire, où l'agressivité puisse se parler, où certains conflits entre les différentes équipes responsables du même enfant puisse se s'exprimer verbalement et non pas s'agir, bref d'un travail d'analyse.

Il s'agit souvent d'un travail autour de la loi. En effet quand la maladie ou le handicap frappe un enfant jeune, bien souvent il a en contre partie tous les droits, c'est-à-dire qu'il ne passe pas par les castrations symboligènes décrites par F.DOLTO. C'est d'ailleurs là où un travail conjoint avec les familles est indispensables, pour que ceux ci puissent fonctionner comme parents, garants d'une certaine loi: La maladie, l'atteinte, ne permet pas tout. je pourrai là citer la réflexion d'une jeune fille myopathe. La maladie ayant été découverte tardivement, le médecin a dit à la famille qu'il fallait lui laisser faire ce qu'elle voulait. La jeune fille n'a rien compris au changement d'attitude de ses parents, qu'elle a ressenti comme un désintérêt. Cela est encore plus vrai dans les cas d'encéphalopathie, car les troubles relationnels qui y sont toujours associés, traduisent souvent que l'enfant handicapé fonctionne dans la toute puissance et manipule ses parents comme ce n'est pas permis. Je connais une jeune femme qui était obligée de se déguiser pour que sa fille âgée de cinq ans ne se mette pas dans des états de rage qui faisaient accourir les voisins... J'en connais d'autres qui rient chaque fois que leur fille gifle ou pince ses frères et soeurs quand ils passent à portée de sa main... Or ceci est à reprendre avec les éducateurs, en particulier les éducateurs spécialisés qui ne se permettent pas une certaine autorité paralysés qu'ils sont par la peur d'être de mauvais éducateurs. Récemment dans un des groupes, les éducatrices se plaignaient du comportement d'un petit garçon de 5 ans. Il s'agit d'un enfant qui souffre d'une hémiplégie alternante et qui faire des crises d'épilepsie généralisées très impressionnantes. Il est décrit comme n'écoutant personne, et refusant de rester à un endroit donné. Je suggère alors de le confronter à un des médecins hommes de l'institution pour remettre un peu les pendules à l'heure. Je sais que chez lui, sa mère a les plus grandes difficultés pour se faire obéir. Son père qui s'est arrêté de travailler pendant près de trois ans pour s'occuper de lui, a encore moins d'autorité que sa maman. Il faut dire que dans la mesure où toute contrariété peut provoquer une crise grave, il n'est peut-être pas facile de prendre le risque. Cette proposition surprend, et l'une des éducatrices me dit: ce n'est pas la peine de le déranger, je pourrai peut-être moi, commencer par attraper Sébastien quand il fait des bêtises... Dire non, s'opposer, même pour des éducateurs reste difficile et d'autant plus difficile que le poids du handicap est là pour freiner l'éducatif.

Il s'agit enfin à un autre niveau d'être contenant pour lutter contre le morcellement inhérent à des prises en charges multiples, prises en charges qui souvent renvoient à la compétition: qui est le plus utile, qui fait le mieux...Ce travail de contenant se traduit à certains moments par une réassurance narcissique sur la qualité et sur le sens du travail entrepris avec tel ou tel enfant, car le travail auprès d'une population lourdement handicapée qui ne progresse que très lentement est un travail parfois très déprimant, qui finit par bloquer toute créativité, ce qui montre l'importance de la pulsion de mort.

Enfin, actuellement j'essaye de travailler sur l'identification projective, c'est-à-dire à accepter de me laisser en quelque sorte saisir les affects qu'ils provoquent en moi.

Je pense que lorsque certains comportements vous mettent très très en colère, c'est que ces comportements sont là pour exprimer justement la colère qui les habite eux. ce peut être vrai de la souffrance. Je vais donner un exemple. Christophe a 26 ans. C'est un adulte tétraplégique, qui se déplace péniblement en fauteuil manuel. Sa mère a toujours été très méprisante envers le personnel de couleur qui s'occupe de Christophe. Il vient me voir, pour me raconter qu'il ne peut s'empêcher d'insulter le personnel. Ceci est repris dans la réunion de l'après-midi. L'AMP m'explique qu'elle s'est occupée d'un autre résident et que C. lui a dit avec un gros soupir: tu es gonflée. ceci est entendu comme une insulte. je demande à Cécile ce qu'elle a ressenti. Elle me dit" ça m'a fait mal". Et l'hypothèse que l'on peut faire, c'est que c'est justement "ce mal" que Christophe a essayé de communiquer au delà des mots. du coup elle s'est rendue compte que l'arrivée dans l'unité d'une autre résidente avait complètement déstabilisé ce jeune homme et qu'il avait un peu perdu son statut de leader. Ne pas s'occuper de lui, c'était encore enfoncer le clou, et c'était normal que Christophe y réagisse avec ses mots à lui, avec son mode à lui. Ce genre de travail ne peut se faire que si dans l'équipe il existe quelque chose qui permet aux gens de s'exprimer sans se sentir jugés par les autres.

CONCLUSION

Ce travail avec le corps est un travail d'autant plus difficile qu'il est impossible surtout avec des enfants porteurs de tumeurs cancéreuses ou d'adultes atteints de maladies à potentiel létal, de faire comme si la mort n'existait pas. Maintenir en soi et chez ceux qui soignent la pulsion de vie est assez difficile, même si en général ce qui se passe en milieu hospitalier ne peut que forcer l'admiration. Notre travail à nous les psy, dans des milieux souvent hautement qualifiés et disposant de techniques permettant des survies inimaginables est peut-être de ne pas rentrer dans le technique pour être à l'écoute tant du corps quand celui-ci ne peut s'exprimer, que de la parole quand elle peut se dire. En dix ans de pratique je reconnais être passée de quelque chose de très opératoire, qui me permettait parce que moi je parlais, contrairement à certains médecins, de me sentir un objet rassurant, voire un bon objet dans un milieu par ailleurs très angoissant à une attitude plus passive, donc peut-être plus thérapeutique. Actuellement, mais peut-être évoluerai-je dans les années à venir, le travail le plus important me semble à faire autour de l'élaboration de l'affect.

* * * * *