vendredi, février 04, 2005

autisme ou manifestation d'un mal-être?

Catherine LESTANG

Docteur en Psychologie

A l'hôpital peut-on limiter le risque autistique

chez l'enfant porteur d'une déficience neurologique

Benoît ne sourit plus.

Introduction.

En guise d'introduction je voudrais vous parler de Benoît, car il s'agit là d'un cas récent, typique qui montre ce que peut faire la douleur sur un enfant porteur d'une déficience neurologique. Ce lundi là, en effet sa maman m'a accueillie par ces mots "Benoit ne sourit plus", phrase qui est le sous titre de ma communication.

Benoît a 13 ans. Quand il est né, il était "tout noir". Pourtant il est le quatrième d'une fratrie de 4 et la maman savait ce qu'est un accouchement. Pourquoi était-il comme ça? On ne sait pas. Ce que l'on sait, c'est qu'il est différent de ses frères et soeurs. Il ne marche pas, ne s'assied pas seul, doit être assisté. Il est ce qu'on peut appeler un enfant polyhandicapé. Benoît est toujours resté chez lui. Il sait que malgré son handicap, il n'a pas le droit de tout faire. Il est pleinement associé à la vie familiale.

Il se présente comme un enfant très souriant, communiquant bien. Je dois dire que faire naître un sourire chez lui, c'est comme de voir un rayon de soleil le matin.

Il y a un an des troubles alimentaires ont motivé une hospitalisation pour poser une sonde gastrique à demeure. Benoît est rentré chez lui. Récemment de nouveaux troubles sont apparus et il a fallu faire une véritable intervention chirurgicale, avec surveillance en unité de soins intensifs. Quand je suis arrivée le lundi dans le service, Benoît était dans sa chambre, mais il ne souriait plus. Il était comme rentré en lui-même. Il ne répondait plus aux stimulations. Si Benoît ne sourit plus, c'est qu'il a passé toute une journée à souffrir, parce que les calmants ont été brutalement interrompus à la sortie du service de réanimation. Il a eu son plein de douleur, il a hurlé pendant toute la journée, alors qu'en général on ne l'entend pas. Il a eu aussi son plein de souffrance. Je dis souffrance, parce que Benoît sait que sa Maman est là pour l'aider, et là, elle a failli à ce qu'elle a toujours fait pour lui et cela il ne peut le comprendre. Par contre ce qu'il a pu ressentir et intégrer à sa manière c'est la colère et la souffrance de sa maman. Et cela a pu majorer sa propre douleur. Alors maintenant, il montre qu'il est à bout, qu'il est au bout. Il ne veut plus communiquer.

Cela ne durera que 48 heures, et le premier nouveau sourire sera adressé à une infirmière. Ceci montre comment la douleur a pu provoquer un comportement qui évoque le repli, le retrait, la non-communication chez un enfant qui habituellement n'a pas de troubles autistiques repérables. On peut donc se demander sur quel mode, des enfants qui présentent ou ont présenté troubles évocateurs d'autisme vont réagir à une hospitalisation, à une intervention chirurgicale.

J'en arrive maintenant à quelques réflexions plus générales sur ces enfants porteurs d'une atteinte neurologique. je présenterai ensuite des cas cliniques puis nous réfléchirons à la manière de les aider eux et leurs parents.

I Réflexions générales sur l'impact de l'atteinte neurologique.

Il a peu de temps, j'entendais un jeune homme expliquer doctement à sa petite soeur, qu'il n' y avait pas de pensée sans langage. Il m'est aussitôt venu en tête une phrase de BION: "pas de sein, une pensée". Et pourtant si les bébés n'ont pas de langage parlé, ils sont tout à fait capables de communiquer. Ils sentent, ressentent, vivent des émotions qui peuvent d'ailleurs avoir une incidence sur le plan somatique, puisque c'est aussi comme cela qu'ils s'expriment.

Les enfants porteurs d'atteintes neurologiques graves sont souvent semblables à ces tous petits qui ne parlent pas. Longtemps on a voulu croire qu'ils ne comprenaient rien parce qu'ils n'avaient pas les mêmes réactions que nous, et qu'il n'y avait pas à prendre des précautions avec eux, puisque leur système nerveux était différent du notre. Nous savons maintenant qu'il y avait là une faute de raisonnement qui avait certainement valeur de défense pour ceux qui soignaient alors de tels enfants.

La question qui se pose est de savoir comment les enfants et adolescents porteurs d'une atteinte neurologique vont réagir à une hospitalisation, à une intervention chirurgicale lourde, qui engage tout l'individu. Car si ces enfants ne souffrent peut-être pas comme nous, ils réagissent à la douleur physique, ils réagissent à tout changement d'environnement, et cela peut avoir une incidence sur leur comportement habituel. et créer des comportements évocateurs d'autisme

Par autisme, j'entends un comportement qui peut se traduire à deux niveax. Le premier est la perte de la communication (plus de regard, plus de gestes, refus de tout). Le second étant l'apparition de troubles somatiques graves: anorexie, troubles du sommeil, majoration de la douleur, qui traduisent la perturbation profonde de l'enfant, son mal-être mais aussi l'état de sidération dans lequel il se trouve.

Ces enfants sont très souvent porteur d'un triple handicap. Un handicap moteur, qui va être réparé par l'orthopédie, un handicap intellectuel lié à l'atteinte cérébrale en tant que telle, mais aussi au handicap moteur, car les expériences motrices qui permettent d'accéder à la représentation du monde et du temps, n'existent pas. Il y a déjà là un facteur d'insécurité, qui va jouer sur la manière d'appréhender le monde et d'être au monde. Le handicap relationnel peut trouver son origine dans l'incapacité à comprendre les mondes internes et externes. Il est aussi souvent très lié à la manière dont les parents vivent le handicap de leur enfant et arrivent à faire face aux multiples mots qui réactivent en permanence le traumatisme lié à l'annonce du handicap. Je voudrai juste citer une phrase qui me revient en mémoire à propos de l'annonce du handicap " Le médecin a été très gentil. Il n' y a pas eu de problèmes pour moi. Mais si je n'avais pas été aussi équilibrée, je serais allée me jeter dans la Seine".

Quand un enfant porteur d'une atteinte neurologique va être hospitalisé et subir une intervention chirurgicale, il y a toujours un risque de provoquer des troubles importants. Quand on n'a pas en soi les capacités de se représenter et d'anticiper, de comprendre que ce qui se fait, est fait dans le sens de la vie, il y a de quoi se retire. J'insiste sur ce point aller dans le sens de la pulsion de vie. Certaines interventions, malgré leur lourdeur, semblent être bien acceptées par les enfants dans la mesure où elles vont dans le sens d'un plus, d'un mieux. Tout se passe, comme si, une fois la douleur maîtrisée et l'adaptation faite, l'enfant ressentait à quel point cette intervention qui a en général pour but de permettre la position assise dans de bonnes conditions était importante pour ses parents et pour les équipes qui s'occupent de lui.

Il y a un autre point sur lequel il est nécessaire de réfléchir, c'est de savoir comment ces enfants, ces adolescents vont vivre les modifications imposées à leur corps et si celles-ci ne vont pas provoquer une opposition et un retrait. J'ai rencontré la maman d'une jeune Isabelle qui devait être opérée du dos. Cette jeune fille était en boule dans son lit, un peu comme un petit chat. La tige qu'on allait mettre dans son dos, permettrait de maintenir une meilleure capacité respiratoire. Mais, la position "petit chat" ne serait plus possible et Isabelle ne pourrait plus traduire, ne pourrait plus communiquer ses états internes de cette manière là. Alors sa maman avait très peur qu'Isabelle ne "lui refasse de l'autisme" alors que grâce au travail effectué dans son centre elle était justement en train d'en sortir.

Je pense que la position des parents est fondamentale. Si l'intervention est faite dans le sens de la pulsion de vie, alors l'enfant ou l'adolescent qui sent qu'il fait plaisir à ses parents, et cela est fondamental, pourra accepter ce changement dans son corps, changement qui lui permettra peut-être de retrouver une petite maîtrise sur ce monde qui a tendance à lui échapper.

Il est évident et je reviendrai sur ce point, que si les enfants n'ont pas les moyens de tout comprendre, les parents eux doivent savoir ce qui va être fait à leur enfant, de manière à pouvoir en quelque sorte métaboliser les choses, et ne pas être vaincus par une émotion trop forte. Quand les parents d'Elodie ont vu leur fille, avec un halo, des poids aux pieds et sur un stricker, des tuyaux partout, ils se sont effondrés, car ils ne s'attendaient pas à ça.Et pourtant ils savaient qu'il y aurait pose de halo, mais ils ne savaient pas ce que c'était. Ils m'ont dit: "On a pensé qu'on a pratiqué sur elle de la vivisection, parce qu'elle est polyhandicapée." S'ils avaient été mieux informés, le choc émotionnel, aurait été moins important et ils auraient pu mettre des mots pour que leur fille s'y repère un peu.

Je voudrai vous présenter maintenant quelques cas cliniques, qui posent la question de la douleur, la question de la modification apportée par la chirurgie, la question de l'environnement parental et hospitalier. D'une certaine manière ces cas portent en eux les réponses sur l'aide à apporter aux enfants et à leur famille pour limiter les régressions autistiques.

II Cas cliniques.

II-1 Malika

Malika a 13 ans. Elle présente un retard staturo-pondéral important, des troubles psychotiques et une importante scoliose. Sa psychose est très évocatrice d'une psychose symbiotique. Elle vit actuellement chez elle. Elle a déjà vécu plusieurs placements pour lutter contre la scoliose. Le premier plâtre à l'âge de 4 ans, a provoqué une régression très importante et l'éclosion de troubles autistiques. Elle a été placée dans un centre de réadaptation Fonctionnelle en banlieue parisienne pour préparer l'intervention par des plâtres. Elle parle un peu, de manière très stéréotypée; fait beaucoup de bêtises. Il faut l'avoir sans cesse à l'oeil. Elle a une très bonne relation avec son père, qui restera avec elle tout le temps de l'intervention chirurgicale. Mais il n'est pas certain, car il est d'origine arabe et ne manipule pas bien le français, qu'il comprenne en quoi consiste l'intervention chirurgicale. Il sait que c'est nécessaire, parce que les médecins l'ont décidé et il veut bien faire ce qu'on lui demande, pour que sa fille aille le mieux possible. L'intervention est faite dans le corset plâtré qu'elle porte depuis 3 mois. Ce corset ayant été détruit par inadvertance, il faut le refaire le lendemain de l'intervention et malheureusement il sera refait sans anesthésie générale. On peut se demander comment une enfant douloureuse un lendemain d'intervention, peut supporter ce soin qui est un soin très intrusif. Ce qui est certain c'est qu'une forte fièvre se déclare, sans cause. Et l'appétit se perd complètement. Et le regard se détourne. Malika n'est plus là. Elle est très loin en elle même, elle est prostrée. Les infirmières disent qu'elles ont perdu le contact. Il n'est pas possible de la rendre à la famille. Quand elle regagne le centre, elle ne marche plus, ne mange plus seule, ne regarde plus. Peu à peu grâce au travail des soignants qui désirent que la vie redémarre, elle va tout doucement se mettre debout, faire comme ses premiers pas, recommencer à marcher, recommencer à parler, recommencer à faire des bêtises. Le tout étant ponctué par d'importantes crises d'angoisse et d'agitation surtout la nuit. La question du traitement de la douleur se pose. Quelle aide aurait-il fallu apporter aux parents pour éviter la perte totale de communication. quelles informations aurait-il fallu donner au personnel soignant pour que la fragilité de cette adolescente soit entendue?

II-2 Evelyne.

Evelyne a 19 ans. Elle a été victime d'un traumatisme crânien en quittant la clinique où elle était née. Elle est lourdement handicapée: surdité, hémiplégie, scoliose, déficit intellectuel. Elle se déplace en boitant et porte un appareil pour la jambe hémiplégique. Elle est très ritualisée, aime commander, peut se montrer agressive et a eu des troubles alimentaires pendant la petite enfance. Elle a toujours vécu en institution, la maman n'ayant pas supporté l'accident et s'étant séparée du papa. celui-ci présente depuis toujours des troubles dépressifs majeurs, et ne se rend pas compte que sa fille est devenue une jeune adulte.

La greffe vertébrale est prévue depuis longtemps, mais sera avancée pour des raisons techniques. La surdité de Evelyne fait qu'aucune préparation est possible. Son père viendra la voir régulièrement ainsi que les éducateurs du centre. Quand Evelyne rentre au centre, elle ne marche plus, alors qu'elle se déplacait sans problèmes. Il faudra environ 6 mois pour que la marche soit reprise. Une anorexie se développe ainsi qu'une énurésie. Au dire des éducateurs, Evelyne a beaucoup changé, beaucoup régressé. Elle ne participe à rien, et est incapable de s'adapter à de nouveaux rythmes. Il ne s'agit pas d'autisme, mais d'un vécu dépressif très important, qui affole l'équipe éducative. On trouve plusieurs éléments déclencheurs: l'absence de préparation donc la brutalité de l'intervention et le vécu douloureux qui s'y rattache, la modification du corps qui doit réapprendre à se mouvoir, et enfin l'absence de contenant. Ce vécu dépressif, qui peut aussi s'entendre comme un vécu de sidération face à une série d'événements traumatiques ou vécus comme tels, se trouve très fréquemment chez les adolescents opérés du dos. La perte de la marche traduit bien ce vécu dépressif. Si Malika elle, a pu s'en sortir aussi rapidement, c'est qu'elle a été prise dans un désir de vie très fort, qui peut s'appeler de l'amour.

II 3 Grégoire.

Il est le second d'une fratrie de deux. Il a 15 ans. Quand il est venu au monde, il avait une position des pieds très particulière. Il a pleuré presque sans arrêt le premier de la vie. Les hospitalisations précoces ont été mal supportées. Il a présenté un syndrome de Westà 6 mois. Actuellement il se déplace seul, mange seul, parle un peu, mais son comportement est très évocateur d'autisme. Le personnel qui s'occupe de lui dit ne pas avoir de problèmes relationnels avec lui. L'intervention sur le rachis se fera en un temps, et lui aussi portera un plâtre de sécurité pendant plusieurs mois. Après l'intervention lors du retour dans le service d'orthopédie,après les soins intensifs la douleur ne sera pas traitée correctement et Grégoire souffrira beaucoup trop. Immédiatement des troubles importants évocateurs d'autisme vont se manifester. Quand il revient au centre, il remarche un peu, mais il est anorexique. La reprise se fera sur six semaines. Et il a pour lui d'avoir des parents très aimants, très attentifs, très contenants, ce qui n'était pas le cas d'Evelyne.

S'il parait difficile d'éviter des manifestations de type autistique ou dépressif, car elles sont très liées au vécu de chaque enfant et des expériences qui sont les siennes. Il me semble que celles-ci peuvent être limitées dans le temps. Il y a un travail à faire les soignants, les parents, les enfants.

III Réflexions sur un travail possible pour éviter les retraits.

III-1 Les soignants.

Comme je l'ai dit , il existe a minima, une tendance qui consiste à penser que ces enfants ne ressentent pas la douleur comme nous et que peut-être ils ne la ressentent pas du tout. Un traitement correct et adapté de la douleur est peut-être le point le plus important. Ceci exige un certain changement des mentalités. Ceci oblige à les regarder non comme des corps, mais comme des sujets. Comme le montre l'exemple de Grégoire, il est nécessaire que le traitement de la douleur soit suivi, même si l'enfant change de service.

Ce que j'ai appris, c'est que ces enfants qui ne communiquent pas par la parole, ont des modes bien à eux d'exprimer la douleur. Un enfant atteint d'une déficience neurologique, pourra avoir des tremblements, des convulsions, qui traduisent sa manière à lui de dire qu'il a mal. Il est important d'apprendre à décoder ces signes.

Quand Benoît a les mollets qui tremblent, c'est un signe que quelque chose ne va pas. Lui c'est comme cela qu'il le dit. A nous de l'entendre et de trouver le moyen de le soulager. Bien entendu il ne faut pas passer à côté d'une recrudescence d'une crise convulsive, mais les tremblements sont souvent comme des signes d'alerte que quelque chose ne va pas, que quelque chose fait mal. Parfois un changement de position, un massage, permet d'apaiser complètement ce comportement.

Dominique a eu une greffe vertébrale qui l'immobilise presque complètement. On peut donc penser que ce changement de position ne va pas se passer sans douleur. Un soir à l'infirmerie, il présente des troubles respiratoires. L'infirmière, après accord du médecin de garde, lui donne de l'efferalgan. L'effet est immédiat: les troubles respiratoires se calment et le garçon s'endort. Ici le trouble respiratoire a eu valeur d'appel. Il faut dire que la douleur, ça peut couper le souffle!

Les soignants ont un rôle très important, car ils peuvent aider à gérer la douleur. Encore faut-il que ces enfants soient reconnus avec leur potentialité, non comme objets de soins, mais comme sujets à part entière. Ils ont besoin de mots, ils ont besoin d'explication. Il faut parfois anticiper leurs besoins ce qui n'est pas toujours facile. Comme ces enfants ne peuvent évaluer leur douleur, il faut pouvoir ne pas sous-estimer ce qu'ils ressentent et les traiter comme des enfants normaux, quelle que soit les idées qui traînent encore sur la non conduction de la douleur chez des enfants qui ont un système neurologique peut-être différent.

Il est possible que beaucoup de ces enfants vivent avec un fond de douleur permanent ce qui explique que les doses de morphine nécessaires pour les calmer vraiment, soient parfois si importantes.

III 2 Le travail auprès des parents.

Ce travail passe par une information complète. Il ne faut pas oublier qu'il existe à l'annonce d'une intervention un effet de choc, qui fait que même si l'information est bien faite, peu de choses vont passer. Les parents d'Elodie savaient que leur fille aurait un halo, mais ils ne savaient pas ce que c'était! Nous sommes nous, un peu trop habitué à ces positions, à ces appareils, mais les parents ne le sont pas.

Chaque fois que c'est possible; Je leur demande de prendre contact, d'aller voir seuls ou avec leur enfant le service de réanimation, pour permettre une petite familiarisation avec un monde impressionnant. Il est nécessaire d'aider les parents à vivre une angoisse raisonnable, car si celle-ci est trop intense, les enfants vont la ressentir, sans pouvoir comprendre ce qui se passe et ceci peut avoir des effets sur leurs réactions somatiques.

Il faut aussi que dans la mesure du possible, les parents puissent être présents auprès de leur enfant, de manière à humaniser les chambres d'hôpital. Cela passe aussi par la création d'un environnement que l'enfant connaît et aime: cassettes, odeurs, etc. Je veux dire par là, qu'il est important d'aider les parents à rester des parents et à être présents avec cet enfant.

Seuls les parents peuvent durant ce temps d'hospitalisation décoder les signes de souffrance de leur enfant et ils sont donc des auxiliaires précieux pour lutter contre un trop de douleur, un trop de mal-être qui peut provoquer un retrait autistique.

Il y a encore un point sur lequel je voudrai insister, c'est sur l'aide que nous devons tous apporter à ces parents qui n'avaient jamais imaginé mettre au monde un enfant "comme ça". Bien souvent l'hospitalisation réactive en eux des sentiments très douloureux, des sentiments qu'il est important de pouvoir entendre, car bien souvent, ils n'ont jamais pu s'exprimer. Les enfants porteurs d'atteintes neurologiques, bien souvent boivent les émotions de leurs parents. Si cela les débordent, ils peuvent aussi se renfermer pour lutter contre ce trop plein qui n'est pas leur, mais qu'ils doivent vivre à leur corps défendant.

III-3 Les enfants.

En principe ils ne comprennent pas nos mots. En fait, si les choses leur sont dites avec des mots simples, sans trop d'angoisse, beaucoup de choses passent. Ils ressentent que même s'il s'agit d'un mauvais moment à passer, il y aura un mieux après. Ils ressentent que ce mieux est le désir de leurs parents, le désir de l'équipe qui les a en charge. Ce rôle de contenant est fondamental car il permet la reprise de la pulsion de vie. Ce qu'il faut aussi savoir c'est que l'hospitalisation et l'intervention chirurgicale ne sont souvent qu'un moment. Car après, il y aura souvent un temps d'immobilisation, un temps de séparation, un temps de reprise.

Si pour les parents ce temps sont très douloureux, ils le sont aussi pour les enfants. Là encore la préparation et le soutien des parents pendant cette période est indispensable. C'est durant ce temps de post-opératoire que réapparaissent souvent les troubles alimentaires, les troubles du sommeil, les troubles antalgiques. Ceci pouvant très bien traduire l'expression d'un vécu dépressif qu'il faut essayer d'enrayer.

Conclusion.

Toute intervention chirurgicale chez un enfant non porteur d'atteinte neurologique est un temps difficile. Quand il s'agit d'un traitement orthopédique qui doit durer de longs mois, des vécus dépressifs sont souvent présents. Or chez ces enfants là, il s'agit de retrouver quelque chose qui a été perdu, de retrouver une certaine normalité. Ce moteur là, retrouver ce qui manque, fait défaut chez les enfants porteurs d'atteintes neurologiques. C'est pourquoi il est indispensable que la pulsion de vie soit très présente chez les parents, chez les équipes soignantes. Quelle que soit son atteinte, quel que soit son handicap, l'enfant, l'adolescent atteint dans son corps par une atteinte neurologique, n'est jamais un corps que l'on traite comme un objet à réparer, à remettre en bon état mais un enfant à qui l'on donne quelle que soit son espérance de vie, le moyen d'être sujet de son histoire singulière.

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Catherine LESTANG

Docteur en psychologie.

A l'hôpital, peut-on limiter le "risque autistique"

chez l'enfant porteur de déficience neurologique?

Les enfants porteurs d'atteintes neurologiques sont presque toujours confrontés à un moment de leur vie à des interventions chirurgicales qui ont pour but de maintenir soit la marche quand elle est possible, soit la position assise, soit de maintenir des fonctions vitales Ces interventions nécessaires risquent d'avoir des effets "secondaires" très importants.

Comment ces enfants qui pour la plus part ne parlent pas, ne s'expriment pas comme nous, vont-ils faire face à un "trop" de quelque chose. Trop de séparation, trop de variation, trop de douleur, trop de changement. Ces enfants si réceptifs, ne risquent-ils pas, face à ces "trops" de basculer dans un retrait évocateur de dépression ou d'autisme. Ceci leur permettant d'échapper à un monde trop menaçant et sans signification. Bien souvent en effet ces enfants n'ont pas à leur disposition les instruments qui leur permettraient de donner un certain sens à ce qui leur arrive.

Le travail au quotidien avec de tels enfants soit en chirurgie pédiatrique, soit dans un centre de rééducation qui assure le suivi post-opératoire montre que plus que les autres ces enfants réagissent à ces perturbations. Chacun réagit sur un mode préférentiel, mais beaucoup plus que chez des enfants normaux confrontés à la même intervention, la reprise est lente et difficile. Certains présenteront des troubles du sommeil pendant de longs mois, d'autres majoreront les difficultés alimentaires, certains refuseront de marcher, comme si ils nous disaient que l'opération les a cassés et qu'ils ne marchent plus dans nos combines.

Toute hospitalisation provoque une rupture avec le milieu parental et/ou avec le milieu institutionnel. Ceci, même si les parents sont présents, peut-être source de mal-être à cause du changement de rythme, de personnes. Ces enfants qui sont supposés ne pas comprendre, comprennent par le dit des parents. Encore faut-il que ceux-ci soient au clair avec ce qui va être fait pour leur enfant. Quand les parents s'effondrent parce qu'ils ne s'attendaient pas "à ça", il évident que l'enfant le ressent et qu'il risque de se sentir responsable de la détresse qu'il provoque. Ceci venant s'ajouter à la sienne propre peut avoir des effets de repli. Il y a donc là un premier facteur de risque de repli. ce risque est également présent si l'enfant se trouve seul dans un milieu qu'il ne connait et avec un personnel qui ne sait pas ce qu'il est capable de faire ailleurs, en particulier en ce qui concerne la communication. Il est donc indispensable d'aider les parents à vivre ce temps et à donner à leur enfant des repères qui sont les siens: musique, objets, odeurs...

Toute intervention chirurgicale provoque une douleur physique que l'on a trop tendance à sous-évaluer chez ces enfants là, parce que leur souffrance est difficile à évaluer et que beaucoup sont "durs" à la souffrance. Ces enfants m'ont fait comprendre que certaines manifestations somatiques: convulsions, troubles respiratoires sont de fait l'expression de leur douleur. Comment dire qu'on a mal, quand on est incapable de parler? Il faut bien se servir des mécanismes qui font en général accourir les parents parce qu'il y a un risque. Si la douleur n'est pas assez prise en compte, le retrait autistique risque de s'installer avec des troubles alimentaires gravissimes et une perte presque totale de la motricité.

Ceci sera illustré par des cas cliniques. Celui de Matthieu, l'enfant qui ne souriait plus, celui de Malika la petite fille qui était rentrée dans sa coquille, qui refusait de parler, de regarder, de manger, de parler, celui de Grégoire qui lui aussi parce que la douleur était trop présente a choisi pendant un moment de se rendre sourd et aveugle au monde extérieur et enfin celui de Séverine, qui a présenté à la suite d'une intervention non préparée un véritable vécu dépressif..

La prise en charge de tels enfants passe toujours par la prise en charge de la famille qui doit comprendre ce qui va être fait et pourquoi. Les parents sont en quelque sorte porteurs de la pulsion de vie qui anime une équipe soignante. Il faut, pour que l'enfant ne bascule pas dans la mort, qu'il sentent à quel point cette intervention est investie par les parents ou par l'équipe éducative qui s'occupent de lui au quotidien.

Elle passe aussi par la reconnaissance de ces enfants comme sujets. Il est indispensable de ne pas oublier qu'ils ressentent tout et que tout geste fait comme s'ils n'existaient pas, est un geste de mort et non de vie. Ils ont besoin d'être entendus. Ils ont besoin d'une parole qui explique, ils ont besoin d'un geste qui rassure. Il faut que leur douleur soit traitée le temps qu'il faut. Comme tout un chacun ils ont besoin d'être reconnus comme des individus, ayant un passé, une histoire et non comme un corps à soigner, à entretenir, à maintenir.

Elle passe par une très grande attention à tout signe de douleur. Certes la douleur liée à une intervention chirurgicale finit toujours par s'estomper, mais quand on connait les ravages provoqués par une douleur mal gérée chez des enfants "normaux" on, ne peut que s'affoler en pensant à ce qu'elle peut faire chez ces enfants qui ne peuvent mettre de mots sur ce qui leur arrive et qui bien souvent se sentent dépossédés de leur corps.

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