lundi, juillet 29, 2019

Un collègue de Matthieu se pose des questions sur les paraboles: Mt 13

Les paraboles du royaume: Mt 13


Le chapitre 13 de l'évangile de Matthieu est consacré à une nouvelle forme d'enseignement de la part de Jésus, l'enseignement en paraboles. Jésus essaie de faire comprendre ce que l'on peut entendre ou comprendre du mystère du royaume des cieux. Des paraboles, il y en aura d'autres, et ceux auxquelles elles s'adressent (la parabole de vignerons homicides par exemple) seront bien comprises par les prêtres et les scribes présents à ce moment là. Mais bien souvent, de nos jours, les "homélies" se centrent sur la moralisation de ces textes, et je me demande si c'est ce que Jésus voulait ou aurait voulu. 

Cette manière de parler n'est pas nouvelle dans la Bible, puisque Salomon s'exprimait déjà ainsi; et cela permet aux auditeurs de penser que Jésus est un nouveau Salomon, donc le roi choisi après David pour gouverner le peuple; mais elle semble quand même pas mal déconcerter les disciples - qui lui demanderont d'expliquer clairement la parabole de l'ivraie - et donc a fortiori la foule. 

A cette foule, Jésus dit: "qui a des oreilles pour entendre, qu'il entende", ce qui pour moi sonne un peu comme "Ecoute Israël"; et qui fait, de lui, la parole de Dieu; parole qui comme le dit le prophète Isaïe (Is 55), ne reviendra pas sans avoir porté son fruit.

Mais peut-être que Jésus, comme le prophète Isaïe, fait déjà l'expérience d'une foule versatile, dont les yeux ne sont pas ouverts, dont les oreilles sont bouchées, et qui ne peuvent entendre et comprendre que Dieu a envoyé son fils pour sauver autrement que par des guérisons ou des miracles. 


J'ai essayé de me demander comment quelqu'un de bonne volonté, dans la foule des anonymes qui écoutent Jésus, a pu recevoir ces petites histoires, d'autant que Jésus dit bien que, s'il a choisi à partir de ce moment là d'utiliser cette manière de parler, seuls les disciples en auront les clés. Et j'ai imaginé qu'un ancien collègue de Matthieu, un de ceux qui avaient participé au repas donné par ce dernier quand il a été appelé, va le voir et lui demande de l'aider à comprendre. 

Un ami de Matthieu raconte:

Quand mon ami Matthieu, le collecteur d'impôts qui était à l'entrée de la ville, a suivi cet homme étonnant qui se nomme Jésus, j'étais là. J'ai assisté au repas qu'il a donné ensuite. Lui, Matthieu, fils de Lévi, il a tout quitté pour le suivre. Moi, je n'ai pas été appelé ainsi, mais la transformation de mon ami m'a étonné, interloqué, et depuis, j'essaie d'écouter ce que raconte ce Jésus; et chaque fois qu'il parle, j'écoute. 

Il y a quelques jours, il était sorti de la maison de Simon, qui maintenant se nomme Le Roc, et il était allé sur le rivage. Moi je n'étais pas loin, et je n'étais pas le seul à le guetter. Très vite il y a eu plein plein de monde, plein d'éclopés, plein de possédés; mais lui, ce jour-là, il n'a guéri personne. 

Il a demandé à Simon de monter dans sa barque et s'est un peu éloigné; et il s'est mis à parler, mais pas comme d'habitude.. 

Il s'est mis - comme certains rabbins - à parler en racontant des petites histoires. Ces histoires, elles ont en principe une morale. Parfois elles font penser à des contes pour enfants. Et il a raconté une histoire étonnante, une histoire qui parle je pense du Très Haut, mais qui le transforme en semeur. Peut-être que le semeur c'est aussi Jésus, mais je ne suis pas trop sûr. Et ce semeur, il ne sème pas dans le champ,  prêt à recevoir le grain. Non il sème partout, il sème à tout vent, presque comme s'il était aveugle. Moi je pense qu'il est un fou ce semeur, et en même temps qu'il est plein d'espoir. Il veut utiliser tout ce qui pourrait produire du grain.

Alors, il sème sur le sol sec, tellement sec que la graine ne peut pas s'enfoncer; et lui il dit que les oiseaux du ciel vont se régaler, mais que du coup, pour le rendement, ça sera zéro.

Ensuite, il sème sur un terrain où il y a ces espèces de rochers qui affleurent à la surface de la terre, et là, oui ça va pousser au bout d'un certain temps. Seulement voilà, il n'y a pas assez de terre, alors quand le soleil donnera, ça va brûler sur place; et rendement à nouveau zéro. 

Puis il sème là où il y a des ronces. Sous les ronces, la terre est là et après tout, la terre fait bien pousser les ronces; ces ronces qui sont aussi la punition d'Adam: au lieu de porter du grain, la terre porte des ronces qui étouffent tout. Un terrain avec des ronces, c'est un terrain qui n'est pas entretenu. Alors semer là, quelle drôle d'idée. Bien sûr, avec la terre, ça a poussé un peu, mais finalement le rendement est nul. Comme si la terre se retournait contre le travail du semeur.

Et puis le semeur est arrivé là où la terre avait été retournée et préparée; et là, il y a eu du rendement. Et Jésus n'a rien ajouté; moi je suis resté sur ma faim. Il a juste dit: "Que celui qui a des oreilles , qu'il entende". Moi des oreilles, j'en ai, mais je n'ai pas trop compris. 

Ce que j'ai retenu c'est que par trois fois c'est du zéro pour le rendement et que par trois fois, il y a du rendement. Alors, cela fait finalement du cinquante-cinquante, ce qui n'est pas si mal. 

Après il a raconté une autre histoire. Il a parlé d'un homme qui a semé du bon grain dans son champ, enfin ses serviteurs ont fait ça. Et puis pendant la nuit il y a son ennemi qui est venu planter de l'ivraie. Et c'était facile, parce que le terrain venait d'être préparé. Et puis le temps a passé. Et d'un coup les serviteurs ont vu l'ivraie qui pointait en même temps que le blé. Ils ont cru que c'était le maître qui avait fait ça, mais il les a détrompés. Il leur a expliqué que c'était son ennemi qui l'avait fait pendant la nuit. Alors eux ont demandé s'il fallait arracher l'ivraie; ce n'était pas une mauvaise idée, mais lui a dit qu'il fallait attendre la moisson et que là, on séparerait les deux et qu'on brûlerait l'ivraie.

Et là encore, il n'a rien ajouté, il n'a rien expliqué. Bon, moi je pense que là, il ne doit pas s'agir d'un homme, mais du Seigneur, et que l'ennemi c'est le Satan, mais je ne suis pas trop sûr de moi. Et je me suis demandé si le champ, ce n'était pas moi, avec ces pensées qui sont en moi et qui ne sont pas bonnes et qui m'empêchent de faire le bon que le Très Haut me demande de faire.

Un autre jour, il a raconté encore d'autres histoires; il a parlé d'un homme qui doit cultiver un champ qui ne lui appartient pas, et qui trouve un trésor. Et là, au lieu de prévenir le propriétaire, il vend tout ce qu'il a et achète le champ: et le trésor est pour lui. Puis dans la foulée, il a parlé d'un homme qui est négociant en perles. Les perles, ce doit être toute sa vie pour cet homme; et il en trouve une d'une telle beauté et d'une telle forme qu'il vend tout pour l'avoir à lui. J'admets qu'on puisse faire cela. Mais qu'est ce qu'il veut nous faire comprendre? Est ce que pour mon ami Matthieu, Jésus est la perle rare? 

Matthieu a bien voulu m'expliquer comment il faut comprendre ces paraboles. On dit qu'autrefois Salomon parlait et interprétait les paraboles. Peut-être que Jésus est aussi un nouveau Salomon, un nouveau roi, qui nous donnera notre vraie place. Bon cela c'est mon rêve. 

Matthieu a dit que seuls ceux qui Le suivent ont reçu du Très haut de connaître les mystères du royaume de Dieu, mais pas nous, la foule. Donc ça veut dire que ce qu'il nous raconte, c'est une manière de parler du royaume des cieux. Il s'est plaint que notre cœur s'alourdisse, que nos oreilles soient devenues dures, que nos yeux soient incapables de voir; et que du coup nous ne pouvons pas nous convertir...

 Et c'est vrai qu'avec la vie que nous menons ce n'est pas facile de vivre comme de bons juifs, comme ces justes dont parlent nos écritures. Mais lui, il a guéri les aveugles, les sourds, les lépreux... Alors peut-être qu'il nous guérira de notre aveuglement et de notre surdité. Et je me dis que s'il explique le sens de ses histoires à ceux qui lui sont proches, c'est pour qu'ils nous expliquent, à nous, ce qui s'est dit là. J'ai de la chance, moi, avec mon ami Matthieu.

Ainsi la première histoire: il paraît que c'est un semeur qui ne lance pas du grain, mais des paroles. Et ces paroles, quand elles tombent sur un cœur sec (c'est comme cela que j'ai envie de raconter à mon tour), elles ne peuvent pas entrer en profondeur; et même si on a trouvé bien ce qu'il disait, le Mauvais s'arrange pour qu'il oublie. 

Quand elles tombent sur un sol pierreux - et moi j'ai envie de parler du cœur de pierre qu'un jour Dieu remplacera par un cœur de chair, lui, il dit que oui ça lève, mais que ça ne dure pas. Ce sont un peu des girouettes. Ils oublient vite. 

Quand elles tombent sur des ronces, et pour moi un terrain avec des ronces, c'est soit un terrain pas entretenu, soit un terrain encombré déjà par pas mal de choses; un cœur pas facile à atteindre. Lui il dit que c'est un cœur qui dans un premier temps est tout feu, tout flamme, mais que quand la vie avec ses ennuis arrive, eh bien cela se passe comme si tout était étouffé, comme un feu qui prend vite et qui s'éteint faute d'aliments. 

Et puis la bonne terre, qui attend, elle retient la parole; et la parole - c'est ça qui est important - à son tour elle va produire quelque chose. Et quand mon ami Matthieu m'explique, je trouve que la parole, en lui, porte beaucoup de fruits. 

Bien sûr, je me suis demandé quelle sorte de terre j'étais, quelle sorte de cœur j'avais. En fait je ne sais pas trop, je me dis que la parole parfois il faut du temps pour qu'elle se niche en soi et fasse son chemin. Simplement je veux continuer à écouter et entendre son enseignement.

Après, il m'a expliqué la parabole de l'ivraie, qui est plus simple. Elle concerne le présent, à savoir qu'il y a toujours du bien et du mal, et qu'à la fin des temps le mal, et ceux qui font le mal, iront brûler à tout jamais; et ça c'est une bonne nouvelle. Il m'a aussi dit que Jésus avait dit qu'à la fin des temps les anges jetteraient un filet sur tous les hommes, et qu'ils feraient le tri pour enlever les méchants du milieu des bons. Là, ça me plaît bien.. 

Seulement la question que je me pose, c'est bien de savoir si moi, tel que je suis, avec mon métier, avec ma famille, est-ce que je serai capable de porter du fruit, au moins un peu, pour que le royaume advienne. Il faudra que je demande à Matthieu, et qu'il m'explique quand lui aura compris…

Je sais que pour pousser, le grain a besoin d'eau. Quand l'eau est là, un terrain sec peut produire. Je sais aussi que quand il y a des ronces, il faut les couper, les arracher; et la terre produit. Et je sais aussi qu'après une bonne pluie, ces terrains où il y a de la roche produisent des fleurs magnifiques. Alors moi je vais demander au très haut qu'il fasse pleuvoir sur notre terre, sur la terre de mon cœur, pour qu'elle donne des fleurs et des fruits..



dimanche, juillet 21, 2019

Un disciple raconte la venue de Jésus chez Marthe. Lc 10, 38-42

"Marthe et Marie, au plus près du texte"

Quand nous lisons cet évangile, et moi la première, compte tenu de ce que nous savons par l'évangile de Jean, nous pensons que cette rencontre se passe à Béthanie, donc près de Jérusalem; mais Luc ne nomme pas le village. Par contre on sait (chapitre 9) qu'après la Transfiguration, Jésus prend avec courage la route qui va à Jérusalem. On apprend aussi qu'il envoie des messagers pour préparer sa venue, et que certains villages, dont un village de Samaritains, refusent de l'accueillir. Au chapitre 10, Luc rapporte comment doivent se comporter ceux qu'il envoie au devant de lui. Ils doivent prier le maitre de la moisson d'envoyer des ouvriers pour sa moisson (autre est le semeur, autre est le moissonneur), et partir sans rien, en sachant qu'ils sont comme des brebis au milieu des loups. Ils doivent quand ils entrent dans une maison dire, avant toute chose, "que la Paix soit sur et dans cette maison"; manger et boire ce que l'on propose, guérir les malades et dire que le règne de Dieu c'est approché.

Si l'on se réfère à cela, on peut penser que des disciples sont arrivés dans le village de Marthe et Marie - que nous assimilons à Béthanie alors que ce n'est pas dit dans le texte. Dans ce village, une femme propose d'accueillir Jésus. 

Voici donc le texte écrit par Luc: 

38 En ce temps-là, Jésus entra dans un village. Une femme nommée Marthe le reçut. 
39 Elle avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. 
40 Quant à Marthe, elle était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. » 
41 Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. 
42 Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »

Commentaires sur le texte

On est donc dans un village. Une maison accueille; on ne sait rien de cette maison. On sait qu'il y a une femme qui se nomme Marthe, qui a une sœur qui se nomme Marie; on ne sait rien de cette dernière, sauf qu'elle se met à l'écoute de celui qui est leur hôte. Elle ne joue pas son rôle d'hôtesse, contrairement à sa sœur. Cette dernière semble ne plus savoir où donner de la tête, et cherche de l'aide: donc sa sœur. 

Pourquoi s'adresse-t-elle à Jésus et non pas à Marie? Peut-être lui a-t-elle fait des signes, mais Marie ne les voit pas, ou ne veut pas les voir. Alors elle s'adresse à Jésus, en le prenant un peu par les sentiments... Et normalement Jésus, effectivement, devrait compatir à la peine de cette femme qui le reçoit. Sauf que ça ne marche pas: Jésus reconnaît que Marthe en fait beaucoup, mais que dans la vie il faut faire des choix, et que le choix de Marie est un bon choix; et ce n'est pas lui qui va lui dire de partir pour aider. Il y a donc des choix à faire. 

La question qui vient alors, c'est: que faire de ce texte; on a tellement l'habitude de voir en ces deux femmes les sœurs de Lazare, que l'on oublie peut-être que si Luc montre ces deux figures féminines à ce moment là, c'est avec une intention précise. Il y a eu, juste avant, la parabole du bon samaritain; et aussi Jésus s'est quand même fait plus ou moins chasser d'un village de samaritains. La présence de Jésus dans cette maison peut faire comprendre finalement que l'homme ne se nourrit pas de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. 

Laissons la parole à un disciple qui a rencontré Marthe avant l'arrivée de Jésus dans le village.

Un disciple raconte ce qui s'est passé dans la maison de Marthe

Il nous avait envoyés devant lui, dans un village où il comptait enseigner, guérir, et passer la nuit avant de partir plus loin. En fait on ne sait jamais très bien où il veut aller, mais c'est bien ainsi. Dans ce village là, c'est une femme qui nous a accueillis et a proposé l'hospitalité. Elle s'appelle Marthe; comme vous le savez, cela signifie "dame, maîtresse", et elle m'a bien semblé être une maîtresse femme. 

Dès que Jésus est arrivé, elle a mis sa maison à sa disposition. Lui s'est assis, comme souvent, et s'est mis à parler. Pendant ce temps, compte tenu de l'heure - le soir tombait, elle s'est affairée à la préparation du repas. Elle allait à droite et à gauche, je la voyais chercher une autre nappe, sortir pour avoir un peu plus de vaisselle parce qu'elle n'avait pas assez de coupes, surveiller la cuisson du pain, parce qu'il en fallait quand même beaucoup. Une vraie maîtresse femme. 

Sa sœur elle, est bien différente. On nous a dit qu'elle se prénommait Myriam. Elle m'a paru jeune. Elle est allée s'asseoir aux pieds de Jésus, et elle buvait ses paroles, un vrai bonheur de la voir. Mais c'est sûr que comme maîtresse de maison, ce n'est vraiment pas ça. Elle veillait quand même à ce que Jésus ait à boire, et elle s'est même levée plusieurs fois pour cela. 

Tout à coup, Marthe est arrivée. Elle s'est adressée à Jésus en lui demandant s'il trouvait normal qu'elle fasse seule tout le travail. Moi, je pensais qu'elle avait bien raison de se plaindre: quand autant de personnes arrivent chez vous, il faut des bras. Elle lui a donc demandé de dire à sa sœur qu'elle devait l'aider. 

En général, Jésus, quand on lui donne des ordres, et là, c'en était un, un peu déguisé certes, mais un ordre quand même, il n'aime pas. Il lui a quand même répondu gentiment; mais fermement. 

Il ne lui a pas dit que ce n'était pas bien de se donner du souci pour que tout soit parfait. Il ne lui a pas dit que ce n'était pas bien de s'agiter dans tous les sens. Je crois qu'il sait bien ce que c'est que de recevoir un hôte tel que lui et ses amis. 

Il a quand même eu une de ces phrases dont il a le secret; il lui a dit qu'elle s'agitait pour bien des choses, mais qu'une seule était nécessaire. Et cela, c'était une phrase bizarre, parce qu'il n'a pas dit que Marie devait l'aider, mais qu'elle avait choisi la seule chose nécessaire; et que cette chose ne lui serait pas enlevée. Et en disant cela il la regardait en souriant, un peu comme s'il y avait une connivence entre eux. Je me demandais ce que c'était que cette chose. C'est peut-être ce bonheur d'être là, avec lui, de l'entendre parler du royaume, de l'entendre parler sans se lasser, de se laisser en quelque sorte nourrir par lui.

Et Marie a eu un sourire de bonheur; et Marthe a regardé sa sœur aussi avec un sourire, et du coup certains d'entre nous, ont proposé leur aide; et le repas qui a suivi a été un repas finalement simple, où chacun se sentait accueilli comme un frère. 

En général, quand Jésus entre dans un village, souvent il guérit. Je me demande si, en douce il n'a pas guéri cette Marthe de quelque chose, de cette maladie de la perfection.

samedi, juillet 20, 2019

Marthe et Marie racontent la visite de Jésus chez elles. Lc 10, 38-42

Marthe et Marie, Luc 10. 38-42


C'est cet évangile qui sera lu - ou proclamé - le seizième dimanche du temps ordinaire. Comme le fait remarquer un commentateur, il fait suite à la parabole du Bon Samaritain. Est ce qu'il y a un lien entre les deux? Jésus est-il le samaritain de Marie qui se fait apparemment attaquer par sa sœur, ou de Marthe? Je pense qu'il est intéressant de regarder en même temps le chapitre 11 de l'évangile de Jean, où Jésus, au moment de la mort de Lazare, s'adresse successivement aux deux sœurs qui curieusement disent toutes les deux exactement la même phrase: "Si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort" (Jn 11,21 et 11, 32). 

La remarque ci-dessus, dans la bouche de Marthe, sonne un peu comme un reproche; de la même manière que ce qu'elle dit dans l'Evangile de Luc: "Cela ne te fait rien ma sœur m'ait laissé faire seule le service? Dis-lui donc de m'aider", que l'on pourrait remplacer par "Dis à ma sœur de m'aider"; phrase que pour ma part j'aime bien rapprocher de la demande de l'homme qui se pense lésé: "Dis à mon frère de partager avec moi l'héritage," auquel Jésus répondra par une fin de non recevoir. Dans l'évangile de Luc Jésus prend la défense de Marie, et fait comprendre à Marthe, qu'à ce moment là, Marie a choisi la meilleure part. Dans l'évangile de Jean, Jésus utilise la phrase de Marthe pour pousser celle-ci à poser une affirmation: "Oui je le crois, tu es le fils de Dieu"; et donc pour aller bien au-delà de ce qu'elle pouvait croire d'une résurrection dans le futur. On reconnaît bien la pédagogie de Jésus

Dans la bouche de Marie, c'est la même phrase (Jean 11), mais comme elle se jette aux pieds de Jésus (décidément c'est là qu'elle semble se sentir bien), celui-ci est bouleversé et ne parle pas; il va même se mettre à pleurer. Sa seule demande sera: "Où l'avez vous mis"? Comme si Marie, en le touchant au plus profond de lui-même, avait pu mettre en route l'acte qui va par ailleurs pousser les Juifs à décider de le tuer.

On a donc deux personnalités très différentes; et Jésus se laisse toucher par Marie, même si plus tard, à la résurrection, il lui dira ne ne pas le toucher, de ne pas le retenir. Mais il avait bien été touché par les pleurs et la volonté de cette femme de récupérer le corps de son Rabbouni. 

On a écrit bien des commentaires sur le texte de Luc; parfois très moralisateurs. Aujourd'hui, je voudrais laisser parler les deux femmes, qui ont eu certainement une vision très différente de l'hospitalité. Je veux dire que Marthe se comporte un peu comme Abraham qui va faire tuer le veau et demander à sa femme de faire cuire du pain pour ses trois hôtes, alors que Marie ne fait rien, elle est juste là, à la place qu'elle pense être la sienne, et elle écoute Celui que son cœur aime. 

Marthe raconte

Quand Marie est revenue à la maison après sa rencontre avec celui qu'elle appelle son maître, j'ai cru retrouver enfin ma sœur, mais elle n'est plus la même. Déjà avant ce n'était pas facile, mais maintenant elle est un peu dans la lune, elle ne fait pas grand chose, elle essaie de savoir où se trouve son Jésus. Et voilà que son Jésus, il est dans notre village, à Béthanie, "la maison des figues", et il s'invite chez nous. 

Naturellement il ne vient pas tout seul, et à moi de préparer le gite et le couvert. Bien entendu les serviteurs sont là, mais ils ne voient pas comme je vois; je dois, de fait, être derrière eux et veiller à tout. J'espérais que Marie, qui le connaît bien, pourrait m'aider, et même me dire ce qu'il aime manger. Mais voilà, elle s'est assise par terre, tout près de lui, à ses pieds. Lui, il parle, ou il raconte, ou il prie. Je ne sais pas. 

Et la moitié du village est là, et ma maison est envahie, et je ne le supporte pas trop. Du coup je ne sais plus où donner de la tête. Il faut bien leur donner aussi de quoi boire et de quoi manger, à tous ceux qui se sont invités. Et d'un coup, ça s'est mis à bouillir en moi. Moi aussi j'aimerais bien pouvoir m'asseoir, pouvoir écouter, pouvoir être remplie par sa parole, mais ce n'est pas possible, pas pensable. 

Alors j'ai osé l'interrompre le Jésus. Je lui ai demandé de dire à ma sœur de m'aider, ce qui est normal. Et puis, en plus, je n'aime pas qu'elle soit là, à écouter, à ne rien faire. Les autres, les pharisiens, les amis de mon frère Lazare, ils vont encore en profiter pour raconter des horreurs sur elle. 

Et lui, au lieu de faire ce que je lui ai demandé - je reconnais que ce n'était pas sur un ton très aimable, mais comme je l'ai dit, je me sentais submergée, il m'a regardée droit dans les yeux, et il m'a dit que je devais cesser de me donner du souci (tiens peut-être qu'il comprend aussi que je me soucie pour ma petite sœur), et de m'agiter pour bien des choses (et là, il a raison, je dois avoir la tête partout et c'est fatigant), mais que je ne devais pas compter sur ma sœur. Il dit qu'elle a choisi la meilleure part, et que cela ne lui sera pas enlevé. En d'autres termes, elle, elle reste là, elle peut se nourrir de sa présence, de sa parole, et moi... 

Il dit qu'une seule chose est nécessaire. Une seule.. Si c'est celle que ma sœur a choisie, pourquoi est-ce que je ne la choisirais pas aussi? Ne plus se soucier, ne plus s'inquiéter, être dans le présent avec lui; et faire confiance aux autres, que je forme quand même depuis des années. 

Et alors là, il s'est passé quelque chose. Je suis allée dire aux serviteurs de se débrouiller sans moi, et que je voulais aussi écouter ce que ce Jésus avait à dire du Royaume, et aussi comprendre pourquoi ma sœur est devenue autre depuis qu'elle l'a rencontré. Je vais leur faire confiance, parce que c'est peut-être cela qu'il veut me faire comprendre. 

Moi aussi, je me suis assise, moi aussi j'ai écouté, et moi aussi j'ai commencé à croire que Celui-là était le Fils du Très-haut.


Marie raconte

Il est là, il est là celui, que mon cœur aime. Il est dans ma maison, enfin dans la maison de ma sœur. Il est entré, il nous a saluées; il s'est installé dans la cour, et les autres sont arrivés, et se sont mis en cercle autour de lui. Il y a des têtes que je connais bien, ceux qui le suivent depuis le début, mais aussi des gens du village qui veulent l'entendre parler du règne de Dieu, de ce Dieu qui est certes le nôtre, mais que lui appelle son Père. Et moi qui ai versé sur ses pieds un flacon de parfum, moi qui ai versé des larmes parce que je me sentais si sale, bien plus sale que ses pieds, je me suis assise à ses pieds, parce que c'est là que je suis à ma place, que je suis bien; et je l'ai écouté, mais je crois aussi que je me remplissais de sa présence, que quelque part je me laissais remplir par lui. 

Et voilà que Marthe est arrivée, avec sa tête des mauvais jours. Elle l'a interrompu en lui demandant de me dire que je devais aller l'aider. Bon, elle a raison, mais Jésus je sens bien qu'on ne l'aura pas toujours alors tant qu'il est là, tant que l'Epoux est là, moi je veux me réjouir de sa présence et ne rien en perdre. 

Et le miracle, c'est qu'il est allé dans mon sens. Il lui a dit qu'elle devait cesser de se donner du souci et de s'agiter pour bien des choses. Et là, je me suis dit que vraiment il la connaissait bien, parce que ma sœur, elle ne sait pas se poser. Je crois qu'elle veut être comme la femme parfaite du livre des Proverbes, se lever la première, se coucher la dernière, veiller au bien-être de tous. Seulement elle, c'est un tourbillon, et elle ne goûte plus la vie. Si je suis partie, c'est un peu aussi pour ne pas devenir comme cela, être mangée par les soucis, alors qu'il y a autre chose. 

Ils se sont regardés. Il a ajouté que j'avais choisi la meilleure part, et que cela ne me serait pas enlevé. J'en aurais pleuré de joie si j'avais pu. Oui, aujourd'hui, c'est moi qui ai choisi cette place qu'il dit être la meilleure; aujourd'hui cette place, personne ne me la ravira et aujourd'hui, je peux dire que ma joie est totale. 

Et ma sœur m'a regardée, mais autrement; et elle est venue s'asseoir à côté de moi. Et quand Jésus a eu fini de parler et de répondre aux questions des uns et des autres, le partage du repas est ven. Et après le repas il est resté, il a demeuré chez nous, et nous sentions que toute notre maison était changée par sa présence. 

Cet homme là, je le suivrai jusqu'au bout du monde…

lundi, juillet 15, 2019

Un docteur de la loi raconte sa rencontre avec Jésus - Luc 10

Quinzième dimanche du temps ordinaire - Luc 10,  évangile dit "du bon samaritain".

Cet évangile a été lu en deux fois par le célébrant. Il a insisté sur le fait que le péché, c'était tout ce qui faisait que nous laissions passer du temps quand Dieu nous demande quelque chose; du moins c'est ce que j'ai cru retenir. Puis il a lu la parabole, pratiquement sans commentaires. Or ce texte pose deux questions, celle de la vie éternelle (et c'est l'évangile de Jean qui y répond: qu'ils te connaissent Toi et ton envoyé Jésus-Christ), mais surtout la question du faire. 

Ce sera la question du (jeune) homme riche (Mt 19,16, Mc 10,17 Lc 18,18) et celle de la péricope de ce jour.

Ce que Jésus fait comprendre, c'est que la vie dite éternelle est déjà là si on laisse à Dieu la première place; et si l'autre - pas seulement celui qui est proche, mais le prochain - a lui aussi la place qui lui est réservée. 

Je pense que c'est ce que Jésus veut faire découvrir à ce docteur de la loi qui à mon avis cherche à en découdre avec lui. 

Le Docteur de la Loi raconte sa rencontre avec Jésus

Cela fait un bout de temps que j'entends parler de ce Jésus. Il est de Nazareth, donc ça ne peut pas être lui le messie annoncé, quoiqu'il raconte. Mais pourtant il fait des miracles, il enseigne, et les gens l'écoutent bien plus que nous. Il y a même certains de nos disciples qui le suivent. Alors j'ai décidé de quitter Jérusalem et d'écouter ce qu'il raconte, et je suis bien décidé à faire comprendre à tous que seule la Tora est importante; et que celui-là, il n'est rien. Il dit que le royaume est tout proche.

Et il en dit des choses aux foules, qui semblent boire ses paroles. Le plus étonnant, c'est qu'il passe son temps à dire que les anciens ont dit certaines choses, mais que maintenant c'est lui qui parle, comme s'il se prenait pour Adonaï. Lui un homme, oser parler à la place du Tout Puissant.

Alors je vais me mêler à la foule, et je trouverai le bon moment pour le coincer et j'espère bien qu'il sera lapidé.
Et là je n'en n'ai pas cru mes oreilles. 

Comme les hommes qu'il avait envoyé au devant de lui pour dire qu'il allait passer dans certaines villes revenaient vers lui, il s'est mis à dire, en levant les yeux vers le ciel, comme s'il s'adressait au Dieu invisible, en l'appelant Père, mais avec une manière de le dire qui faisait penser à "mon père à moi, mon père très cher, mon père chéri" qu'il le bénissait parce qu'il avait caché aux sages et aux savants les mystères du royaume pour les révéler aux tous petits. 

Alors là en moi, mon sang n'a fait qu'un tour, moi qui étudie chaque jour la parole, moi qui mets ma joie dans l'étude, moi qui me répète sa loi tous les jours. Et il a ajouté que nul ne connaissait le Père si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler. Mais qui il se croit celui là. On m'a dit qu'il se donnait le pouvoir de remettre les péchés, qu'il se permettait de toucher des lépreux, de partager ses repas avec des pécheurs publics, de se laisser toucher par des femmes de mauvaise vie. Et il croit que c'est cela être le fils du très Haut? Je ne sais pas si ses disciples sont heureux de voir ce qu'ils voient, et d'entendre ce genre de paroles, mais moi qui sais, cet homme me dérange au plus profond de moi-même.

Alors comme il y a eu un peu de silence, je lui ai demandé ce que je devais faire pour avoir en héritage la vie éternelle. C'est une question piège que je lui ai posée là. Le très haut nous a donné cette terre en héritage si nous suivons sa Loi, mais la vie éternelle, cette vie qui demeure après la mort, qui peut y prétendre? Elle nous a été enlevée, cette vie, à cause d'Adam; et qui nous la rendra?

Et là, il m'a interrogé, comme le fait tout Maître. Il m'a demandé ce que la Loi disait. Alors je lui ai donné une réponse digne de mes propres maîtres, car j'ai choisi à la fois un verset du Deutéronome et un verset du livre du Lévitique. J'avais beaucoup réfléchi à cela. Pour moi, si j'aime mon créateur de tout mon cœur, de toute mon âme, et toute ma force et de toute mon intelligence et si j'aime mon prochain comme moi-même, peut-être que je pourrai dans l'au-delà ne pas être condamné à vivre dans le shéol, mais contempler la Gloire du très haut, et me joindre aux anges qui le célèbrent jour et nuit. 

Il s'est contenté de me dire que j'avais bien répondu, comme si je ne le savais pas: et de me conformer à ce que j'avais dit. Moi qui voulais une bagarre avec lui pour le mettre en défaut sur ce que lui appelle la vie éternelle, j'en étais pour mes frais. Alors je lui ai demandé qui était mon prochain. Je voulais qu'il me donne une définition. Et là-dessus il a raconté une petite histoire, ce qu'on appelle une parabole. 

Il a parlé d'un homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho. Et je pensais que cet homme ça pouvait être moi, parce que j'ai quitté Jérusalem pour me mettre en quête de ce Jésus. Et je suis descendu.. Mais l'homme dont il parlait est alors attaqué par des malfrats, roué de coups, dévalisé et laissé pour mort au bord de la route. Pauvre homme. Il aurait mieux valu qu'il soit tué, parce que passer la nuit dans le désert, c'est dangereux aussi, à cause des animaux. Je le voyais bien cet homme, en train de souffrir et peut-être de s'en vouloir. On sait bien que la route est dangereuse, alors pourquoi tenter le sort? 

Là-dessus passe un prêtre. Le prêtre n'a pas le droit toucher un homme qui saigne. D'après Jésus, il s'est dépêché de passer son chemin, en tournant la tête, comme s'il ne le voyait pas. Au fond de moi, je trouve que ce n'est pas bien. Peut-être que moi, je me serais arrêté, parce que je connais une phrase du prophète Michée qui dit que ce que Dieu attend de moi, c'est que je pratique la miséricorde. Mais bon, cet homme, on ne sait pas d'où il vient, alors peut-être que le prêtre a bien fait. Et puis, c'est vrai que les mendiants, bien souvent, on fait comme si on les voyait pas.

Puis c'est un lévite qui passe. Peut-être que lui, il monte vers le Temple, pour participer au culte, alors c'est certain qu'il ne fera rien. Et c'est bien ce que dit Jésus. Mais il aurait pu s'arrêter, dire un mot, dire qu'il allait prévenir, lui demander son nom. Mais non, rien.

Et il invente maintenant qu'un samaritain arrive. Moi, je n'aime pas les samaritains et eux ne nous aiment pas non plus. Un samaritain, c'est un hérétique, un sans Dieu, un adorateur de faux dieux, qui n'a rien à faire de notre Loi. Et lui,, le samaritain il le voit ce blessé, et il s'arrête. Il descend de sa monture, il se rend compte que l'homme est vivant. Alors il le soigne, le met sur son âne ou sur sa mule, je ne sais pas, continue sa route à pieds, et arrive dans une auberge. Il prend une chambre pour lui, le veille toute la nuit. Bon cela Jésus ne l'a pas dit. Et le lendemain, il donne de l'argent à l'aubergiste pour les soins et la chambre, et dit qu'il donnera ce qui manque quand il repassera. J'étais assez étonné qu'un samaritain puisse faire ce genre de choses. Et je commençais à me demander ce que moi j'aurais fait. 

Jésus me regarde et me dit:" A ton avis, qui a été le prochain pour cet homme tombé dans les mains des bandits"? Bien entendu il n'y avait pas trente-six réponses; il n'y avait que le samaritain qui avait su voir en cet homme blessé, un prochain, celui qu'il faut aimer comme soi-même, même si on ne le connaît pas, même s'il fait peur, même s'il est étranger. Je n'avais pas le choix. J'ai donc répondu le samaritain. Il m'a juste : "Va et toi aussi fais de même". Et il m'a planté là, et a continué sa route. 

Ce qui est certain c'est que ce rabbi, qui n'a pas fait d'études, qui ne se réclame que de Dieu, je n'ai rien pu faire contre lui. Je cherchais le combat, je ne l'ai pas eu. Et je dois reconnaître que le blessé c'est moi. Blessé parce que pour moi, Jésus était bien pire qu'un samaritain et que je m'étais trompé. Blessé parce que je voulais le mettre à l'épreuve avec mon savoir, et que c'est moi qui ai été mis à l'épreuve finalement. Blessé, parce que je me rends compte que j'aurais aimé qu'il me prenne avec lui. Peut-être que malgré tout, j'aurais pu servir à quelque chose. Blessé parce que je me rends compte que la miséricorde n'est pas de mon côté mais du sien. 

Alors j'ai obéi... Je suis reparti d'où j'étais venu, mais celui qui est revenu n'est plus celui qui est parti. J'ai compris que juger les autres, c'était en quelque sorte les mettre à mort et que ce que Dieu veut, c'est la vie. Et j'ai compris que la vie éternelle, ce n'est pas dans le futur qu'elle commence, mais ici, chaque fois que je peux me faire le prochain de celui que je rencontre. 

Alors merci à ce Rabbi, dont le nom dit que Dieu Sauve, parce que je crois qu'il m'a sauvé de moi-même et qu'il m'a fait comprendre que tout docteur, tout savant que je sois, c'est quand même à son école à lui que je dois me mettre. Mais comment est-ce que je vais faire comprendre cela à mes frères?










vendredi, juillet 12, 2019

Thomas, surnommé Didyme, ce qui veut dire jumeau. Jn 20,24-28

Thomas dont le nom signifie le jumeau. Jn 20, 24-28.
Incrédule moi?

Fête de l'apôtre Thomas. L'évangile retenu est celui de Jean. Ce qui est normal, car cet apôtre y apparaît plusieurs fois, avec toujours ce commentaire de Jean: "Thomas appelé Didyme c'est-à-dire Jumeau". Or c'est quand même surprenant, car en araméen Thomas veut dire jumeau! Alors on peut penser que le rédacteur traduit l'araméen en grec: didyme, et que le grec est retraduit dans la langue courante: jumeau. Mais pourquoi cette insistance de l'écrivain? Si on cherche ce qu'il en est des écrits de cet apôtre, puisqu'il y a de nombreux écrits qui lui sont attribués, dont "l'évangile de Thomas" qui est un recueil de paroles de Jésus, on apprend que ce texte qui est considéré comme un apocryphe, est attribué à "Judas ou Jude Thomas" ou à " Didymos Jude Thomas".

Quand on parle de Pierre dans l'évangile de Matthieu au moment où Jésus envoie ses disciples, il est écrit: "Simon nommé Pierre"; nous y mettons une majuscule, mais il s'agit plus d'une qualité donnée par Jésus à cet homme: le roc, la pierre. Et il ne perd pas son prénom pour autant. Par contre Thomas reste Thomas, c'est ce nom qu'il porte; et si on y réfléchit ce n'est pas simple: venir au monde sans avoir de prénom autre que celui de "jumeau", donc une fonction, n'est pas bon. Si Thomas avait été un vrai jumeau, il aurait porté un prénom, comme c'est le cas des jumeaux portés par Rebecca ( Esaü et Jacob, Gn 25), ou par Tamar: Perets (la brèche) et Zerah ( Gn 38). 

Mais on sait que, du temps de Jésus, quand un bébé mourait en très bas âge, celui qui naissait ensuite pouvait prendre la place de l'enfant mort, il était son jumeau; c'était sa fonction et donc son prénom, puisque le prénom est souvent porteur de sens. Alors peut-être que celui qui se nomme - ou qui est nommé - Thomas, a eu pour fonction de remplacer un bébé mort avant lui: comme pour lui donner une existence, pour que ce petit être n'erre pas dans le Shéol. 

Seulement, avoir ce rôle, c'est quand même plus que compliqué: car il faut prendre la place d'un enfant merveilleux, imaginaire; combler le trou laissé par sa mort, combler. Et à ce jeu-là, on peut ne plus savoir qui on est. De nos jours, on parle des enfants médicaments, ces enfants qui viennent au monde pour pouvoir donner leur moelle osseuse, ou une autre partie d'eux-mêmes; et ces enfants-là, qui sont un peu comme des enfants-objet, ont bien du mal à se sentir exister pour eux-mêmes et à être aimés pour eux-mêmes.

Alors peut-être qu'on peut faire l'hypothèse que cet homme, ce Jude - Thomas Didyme, en suivant Jésus, a enfin eu une existence pour lui; et c'est peut-être cela qui lui a donné le courage d'entraîner les autres pour suivre Jésus malgré le danger au moment de la mort de Lazare: "Allons-y, tous aussi, pour mourir avec lui," (Jn 11,16) dira-t-il; mais aussi de dire tout haut ce que lui et les autres ne pouvaient pas comprendre: "Seigneur, comment pourrions-nous te suivre, si nous n'en savons pas le chemin". Et peut-être que la réponse de Jésus, pour un homme qui a dû jouer le rôle de double, mais aussi d'être l'enfant magique pour une mère endeuillée, lui a permis de comprendre qu'il était libre de suivre cet homme qu'il appelle Seigneur, et qui dit être "le chemin, la vérité et la vie."

Mais malgré cela, pour la postérité, Thomas est l'incrédule, comme Pierre est le renégat et Judas le traitre. Et même si Jésus a dit cela à cet apôtre choisi dès le début, et qui était prêt à mourir avec lui, je ne peux m'empêcher de penser que cela a dû être un peu difficile à entendre pour Thomas.

Incrédule. Voilà ce qu'il est. 
 
Et pourtant ici, ce dont Jésus parle, ce n'est pas de la crédulité, qui renvoie à croire sans passer au crible au de la raison; mais c'est d'être croyant, d'avoir foi dans ce que transmet l'autre ou les autres. Et cela pose la question de la confiance. Pourquoi Thomas n'a-t-il pas cru ce que lui racontaient ses frères? Peut-être simplement parce que le traumatisme de la mort de son maître était trop fort, avec le deuil qui aurait juste pu commencer à se faire. Ce n'est pas qu'il ne voulait pas, mais il ne pouvait pas. Et même si c'est exprimé maladroitement, c'est quand même de cela qu'il s'agit. Et en cela, parfois nous sommes bien les jumeaux de Thomas. Et pourtant pour tout quitter pour suivre Jésus, il en fallait de la foi. Alors Thomas raconte.



Thomas raconte:

Ils m'ont demandé d'aller en ville pour rapporter des provisions. Il faut dire que depuis que Jésus est mort, nous vivons dans la peur, peur que les Romains ne nous cherchent et ne nous fassent subir le même sort qu'à lui, mais peur aussi des dirigeants de notre peuple. Alors nous restons dans cette salle où il a rompu le pain et partagé la coupe, nous nous terrons. Nous avons peur. La porte est verrouillée et on a un mot de passe pour rentrer quand on doit sortir.. Mais il faut bien trouver à manger et aussi savoir un peu ce qui se dit dehors. 

Quand je suis revenu, ils m'ont dit que le Maître était venu. Là, j'ai eu l'impression qu'ils voulaient me faire une blague. Mais ils étaient sérieux, sauf que moi, je ne peux pas croire ça. Je l'ai vu mort. Je l'ai vu sur cette croix, j'ai vu sa tête qui était retombée. Je n'ai pas vu le coup de lance du soldat romain, mais je sais que son côté a été ouvert profondément et qu'il est bien mort. Il n'est pas descendu de sa croix, il est mort sur la croix. Et cela m'a anéanti. Quelque chose est mort en moi, avec lui. Et pourtant je sais qu'il est le chemin, la vérité et la vie. La vie.. Il me l'a dit et je le crois, mais ressuscité je n'y arrive pas.

Pourtant, par trois fois, il avait dit, qu'il reprendrait vie quand il aurait été mis à mort, mais bon, j'y ai cru sans y croire. Il disait qu'il ressusciterait d'entre les morts. Il a bien rendu la vie à des morts, que ce soit la fille de Jaïre, le jeune homme de Naïm ou Lazare. Mais lui, qui peut le ramener à la vie? Seul celui qu'il appelle son Père pourrait le faire. Mais jamais cela n'est arrivé. Certes Elie a été enlevé sur un char de feu. Mais lui, il est mort sur cette croix. 

Et là, eux ils racontent qu'il était au milieu d'eux, qu'il n'avait plus de marques de coups sur son visage, qu'il était souriant, qu'il avait mangé avec eux, qu'il leur avait donné ce qu'il appelle son Esprit et même le pouvoir de pardonner les péchés. Est-ce que ne pas croire c'est un péché? Est ce qu'ils vont me pardonner? 

Alors, d'un côté, je suis un peu jaloux, parce que si j'avais été là, je pourrais croire; mais voilà, je n'y arrive pas. Je ne les crois pas, ils ont inventé une belle histoire pour se rassurer, mais ce n'est pas possible. Ils ont eu une vision, une hallucination, cela leur a fait du bien. Mais pourtant... 

J'ai affirmé que si je ne mettais pas mon doigt dans le trou fait par les clous, que si je ne posais pas la main dans le trou fait par la lance dans son côté, je ne le croirais pas. 

Pourtant je crois que cet homme, qui m'a permis, à moi que l'on appelle "Jumeau" parce que j'ai remplacé un bébé qui est mort à la naissance pour le faire vivre quand-même, d'avoir enfin une identité, je crois que cet homme là, il est le messie, il est l'envoyé, il est un prophète, il est la parole, il est la lumière, mais que les forces méchantes ont été plus fortes que lui et qu'il est mort.

Et puis une semaine a passé. En fait c'était comme l'anniversaire du jour où d'après les autres il leur était apparu. Il faut dire que des femmes aussi l'avaient vu et entendu, ainsi que deux disciples qui rentraient chez eux, le désespoir dans l'âme. Alors au fond de moi, je crois que j'attendais quelque chose.

Et le quelque chose est advenu. On était ensemble, une fois de plus, la porte bien fermée. On ne pouvait pas la forcer cette porte. On était à table et d'un coup, il était là. C'était incroyable. Il était là pour de vrai. Mais il n'était plus comme avant. Il était, comment puis-je dire moins massif, plus fin, plus… Mais comment décrire. 

Et il m'a regardé et il a repris mes mots en me montrant les trous laissés par les clous et la lance. Il m'a dit de cesser d'être incrédule et de devenir croyant. Quelque part, cela m'a fait mal cet "incrédule". Devenir croyant, qu'est ce qu'il voulait dire?

Et j'ai regardé ses mains et son côté, et il n'y avait plus de sang, il n'y avait pas de peau; c'était comme un puits de lumière où quelque chose était vivant, mais les trous étaient bien là. Alors bien sûr, je n'ai pas touché... Et j'ai été pris dans cette lumière qui avait vaincu les ténèbres et la mort. Lui qui m'avait dit qu'il était le chemin, la vérité et la vie, là je comprenais ce qu'il avait voulu dire. Et ma bouche a proclamé qu'il était, et mon Seigneur, et mon Dieu. Quand j'ai dit cela, je proclamais qu'il était le Seigneur, et que sa divinité était visible: ce qu'on appelle la gloire. 

Et là, parce que j'étais comme transporté devant lui, qui était bien revenu à la vie comme il l'avait annoncé, parce que j'étais dans la joie, je m'attendais à le voir sourire. 

Mais non. Il n'a pas souri. Il m'a dit: "Parce que tu as vu, tu as cru. Heureux sont ceux qui croient sans avoir vu". À moi qui voulais croire, qui aurais aimé croire, et qui n'y arrivais pas, il a bien voulu se montrer, me montrer qu'il avait entendu ma demande et qu'il y avait répondu. Et cela, cette réponse, c'est le plus beau cadeau qu'il pouvait me faire; et je suis sûr que quand on demande, il répond. Et ce qu'il a ajouté, cette nouvelle béatitude, pour ceux qui croiraient sans avoir vu, je crois que cela a été le déclic pour moi. 

J'ai su, au de fond de moi, que ce que j'ai vu ce jour là, ce premier jour de la semaine qui finalement est un peu comme ma vraie naissance, je le raconterai au monde entier. Je ne resterai pas en Israël ou dans les pays proches, non. J'irai dans des pays inconnus, et grâce à ma parole, d'autres croiront en celui qui est venu pour nous les hommes. Je serai son témoin. Et pour cela, j'irai au bout du monde; et tout ce que j'ai entendu, je le transmettrai.


mardi, juillet 02, 2019

Le disciple qui voulait enterrer son père: Mt 8,21-27

 Les versets de l'évangile de Matthieu proposés hier par la lecture continue de ce texte étaient très proches de ceux lus dimanche dans l'évangile de Luc. Mais dans Matthieu, la réponse de Jésus à ce scribe qui veut le suivre, et qui indique que le suivre cela veut dire renoncer à toute sécurité, et celle donnée à celui qui vient de perdre son père, sont rapportées dans un contexte très différent. Si chez Luc, on est au moment où Jésus commence la route (longue) qui va le mener à Jéricho puis à Jérusalem, là, on vient de terminer le grand discours sur la montagne, et Jésus en quelque sorte commence sa vie publique. J'ai pensé que ce disciple, qui vient d'entendre que Jésus veut partir sur l'autre rive, et qui vient d'apprendre que son père est mort et donc qu'il doit faire ce que tout bon fils doit faire, a dû être surpris par la réponse de son maître et que ce qu'il a vécu ensuite dans la barque lui a certainement permis de vivre quelque chose de l'ordre de la nouvelle naissance.

Le disciple qui voulait enterrer son père raconte

Quand il nous a dit qu'il voulait partir, aller sur l'autre rive, faire des guérisons et chasser les esprits mauvais, j'ai trouvé que c'était bien de quitter Capharnaüm. Seulement quelqu'un de ma famille est venu m'annoncer que mon père venait de mourir. Et du coup, j'étais bien partagé. C'est aujourd'hui qu'il va être mis en terre. Et normalement c'est à moi d'être là, de chanter le Kadish. Et cela ne changera pas grand chose, car je pourrai bien rattraper Jésus dès demain. Ma famille comprendra. Mais comme je fais partie des disciples, j'ai voulu mettre Jésus au courant de ce qui se passait, lui faire comprendre que j'allais m'absenter le moins longtemps possible, mais m'absenter quand même. Et là il m'a littéralement soufflé. J'ai eu un peu l'impression que le monde s'effondrait... Il avait déjà donné une réponse étonnante à un scribe qui, comme la Ruth de Naomi, voulait le suivre partout où il irait. Il lui a fait comprendre que lui, le Fils de l'Homme, n'avait pas de lieu pour se reposer, et que le suivre, ça n'allait pas être de tout repos, surtout pour un scribe, qui a quand même ses habitudes... Je crois que le scribe, ça l'a refroidi...

Ce que je veux dire, c'est que je m'attendais à ce qu'il m'embrasse, me console.. Mais non, pas du tout. Il a eu une phrase à la fois terrible, parce que c'était un "non", et étonnante, parce qu'il m'a dit: "Laisse les morts enterrer leurs morts". Sauf que je n'ai pas compris. Enfin ce que j'ai compris, c'est qu'en le suivant, il faisait de moi un vivant, et que c'était la vie que je devais proclamer, le salut, et non retourner en arrière, pleurer et me lamenter avec eux parce que mon père était mort. Mais ce n'est pas si simple... 

Ensuite j'ai embarqué avec lui. Et là, il y a eu une tempête comme j'en ai rarement vu. On aurait dit que la mer voulait absolument nous faire chavirer. Il y a un psaume qui parle de nos ancêtres qui ont pris la mer, et qui dit: "Et ils criaient vers le Seigneur dans la détresse; de leur angoisse il les délivre. Il ramena la bourrasque au silence et les flots se turent" 107, 28-29. Sauf que là, ce n'était pas le Seigneur qui avait envoyé cette tempête, c'étaient toutes les forces de mal qui se déchaînaient pour nous noyer, pour noyer Jésus, pour l'empêcher de continuer son œuvre. Et - ne me croyez moi si vous voulez - mais lui, il dormait comme un bienheureux.

C'était incroyable, il dormait vraiment comme une souche. Alors Simon, celui qu'on appelle Pierre est allé le réveiller. Il fallait qu'il fasse quelque chose, sinon on allait tous mourir. On était vraiment en danger de mort. Et là, sa réponse une fois de plus m'a déconcerté. C'est tout juste comme s'il nous avait engueulé en nous demandant pourquoi nous étions aussi paniqués, comme si nous ne savions pas, que lui avec nous, nous n'avions rien à craindre, qu'il était notre rocher, notre bouclier? 

Il s'est mis debout dans ce bateau qui tanguait, qui prenait du gite, et un peu comme Moïse, mais sans bâton, il a menacé la mer et celle-ci s'est calmée. Il y a eu un grand silence, et on n'entendait plus que le clapotement des vagues contre la barque. 

Peu de temps après, on a trouvé le port. Et ceux qui étaient là, qui avaient vu et entendu la tempête, et le calme qui avait suivi, étaient dans l'étonnement devant mon maître, qui est le maître des éléments. 

Alors moi, qui ai cru mourir sur cette barque, j'ai été vraiment sauvé aujourd'hui et j'ai bien fait de lui obéir, et de ne pas aller enterrer mon père. Il voulait que je sois un vivant. Désormais je pourrai expliquer aux autres ce qu'est le salut, et pourquoi son nom - "Dieu Sauve" - n'est pas un nom donné comme cela, mais qu'il est vraiment celui qui nous délivre de la mort.

lundi, juillet 01, 2019

Jean et Jacques veulent détruire un village samaritain: Luc 9, 51-56


L'évangile d'aujourd'hui, 13° dimanche du temps ordinaire, m'a un peu surprise. On n'est qu'au chapitre 9, et c'est déjà la route vers Jérusalem. Mais ce n'est vraiment que quand Jésus sera à Jéricho (chapitre 18) qu'il sera à l'entrée de la ville.

Toujours est-il que, du coup, j'ai relu ce chapitre, qui est très "rempli", puisqu'on y trouve l'envoi des apôtres en mission, la multiplication des pains, la profession de foi de Pierre, la transfiguration, la guérison de l'enfant épileptique, des annonces de la passion, et les deux péricopes de ce jour. La première raconte le refus d'un village samaritain d'accueillir Jésus, avec la réaction de Jean et de Jacques; la seconde porte sur l'appel, soit que l'on décide de suivre Jésus, soit que lui-même appelle; avec le côté radical: ne pas faire comme les invités à la noce qui ont de bons prétextes pour ne pas accepter l'invitation.  

C'est la réaction de Jean, celui qu'on appelle, avec son frère, fils du tonnerre, qui m'a intéressée. Car il est désireux de rayer ce village de la carte. La violence est là, il veut faire un exemple, mais Jésus ne se laisse pas faire. Je le laisse donc raconter…

Jean, fils de Zébédée raconte:

Je dois dire que Jacques, et moi Jean son frère, nous les premiers appelés par le Maître, nous étions très heureux. Il nous avait donné un peu de ses pouvoirs, et nous pouvions chasser les démons, et guérir les malades. Cela devait convaincre les gens des villages où Jésus allait passer qu'il était vraiment celui que nous attendions, et que Dieu visitait son peuple. Nous nous sentions un peu comme des dieux, nous sentions en nous une force.

Puis Il nous avait pris sur la montagne avec lui, et nous l'avions vu devenir lumineux, et nous l'avions vu avec Moïse et Elie. 

Je ne peux pas vous raconter, vous expliquer ce que j'ai pu ressentir; mais j'avais la certitude que la nuée qui était sur lui était aussi sur nous; et même si je ressentais de la crainte, il y avait cette toute puissance du Très Haut. Il y a eu aussi cette voix qui nous disait de l'écouter. Cette voix qui résonnait en nous, je sais bien qu'elle venait d'ailleurs, que ses sonorités étaient autres et qu'elle me faisait vibrer. Quant à la crainte, qui était là, je crois que c'est normal, parce que quand le Très Haut se révèle, Béni soit-il, quelque chose en nous est pris par tout ce qui est si sombre en nous, si loin de lui. On se sent tellement infirme, tellement minuscule mais aussi tellement incapable. 

L'ennui, c'est qu'ensuite, il avait aussi reparlé de ce qui l'attendait. Et ça ne nous plaisait pas trop, parce que ce serait la fin de quelque chose, et que cela nous faisait vraiment peur. Mais on n'y pensait pas trop et on se sentait capable de faire de grandes choses. 

Et puis, il a pris la longue route qui mène à Jérusalem. Il était déterminé, il savait que c'était sa vie. Il a quitté la Galilée, notre terre, là où nous avons nos racines. Et il s'est même mis à marcher assez vite. Comme d'habitude, il a envoyé des disciples dans un village proche, un village samaritain, pour préparer sa venue. Mais ceux-ci sont revenus et ont dit qu'ils ne voulaient pas nous recevoir parce que nous étions des juifs et que nous allions vers Jérusalem. Ah, ces samaritains, qu'est ce que je ne les aime pas. 

Alors mon sang n'a fait qu'un tour, et nous avons demandé à Jésus qui marchait devant nous, s'il nous permettait de faire tomber sur eux le feu du ciel pour les détruire, eux qui ne respectaient pas les lois de l'hospitalité. J'avais vraiment envie que ce village subisse le sort de Sodome, qui avait refusé hospitalité aux anges envoyés par le Seigneur. 

Comment peut-on refuser de recevoir celui qui vient au nom du Seigneur! Mais au fond de moi, je ne suis pas trop sûr que notre Dieu et le leur soit le même. Ils ne nous aiment pas, mais nous non plus.

Pourtant, je n'étais pas très sûr que Jésus soit d'accord avec cette idée, parce que jamais il n'a fait quoique ce soit de cet ordre là. Mais si par hasard, il était d'accord, moi, cela me remplirait de joie. Je peux même dire que cela me gonflerait d'orgueil, parce qu'après un tel exploit tout le monde parlerait de nous. 

Seulement il a très très mal reçu notre demande. Il s'est retourné vers nous, avec sa tête des mauvais jours, et il nous réprimandés comme des gamins! Et nous avons compris que nous aurions dû ne pas laisser la colère monter en nous. Et du coup un autre village a été trouvé, où il a pu parler du Royaume.

Mais j'espère bien que, quand il sera dans ce royaume dont il parle tant, il nous donnera les meilleures places, qu'on sera les chefs avec lui, et qu'on pourra faire tomber du feu là où on en aura envie, et leur faire comprendre qui est Jésus…

Pourtant quand Jean, le fils de Zacharie, celui qui baptisait dans le Jourdain, parlait du Messie qui allait venir, il en parlait comme de celui qui tenait dans sa main une pelle à vanner, et qu'il brûlerait la paille au feu qui ne s'éteint pas. Il avait aussi dit qu'il baptiserait dans l'Esprit Saint et dans le feu... 

Et lui, il a dit qu'il était venu apporter un feu sur cette terre, et qu'il avait hâte que ce feu soit allumé. Seulement il y a feu et feu, et vu son regard, c'est de l'autre feu qu'il parle! Ce n'est pas le feu qui détruit ou qui dévaste, non c'est un autre feu.

C'est un feu qui purifie, c'est un feu qui est comme le souffle de l'amour, qui rend le cœur brûlant. Et ce feu là, c'est celui qui est en moi depuis qu'il m'a appelé, depuis qu'il m'a pris avec lui pour le voir redonner vie à fille de Jaïre; c'est le feu de la nuée qui était là, sur lui et sur nous; c'est le feu de son amour à lui. Alors pourquoi est ce que j'ai laissé le feu de la colère m'envahir? 

Ce village qui n'a pas voulu de nous, tant pis. La paix que nous aurions pu lui apporter n'ira pas sur lui, mais sur cet autre village qui nous accueille. Et moi, qui me suis senti d'abord tout honteux devant le regard du Maître, je me sens maintenant plein d'amour pour lui, lui qui va par amour pour son Père, vers son destin...