vendredi, juillet 12, 2019

Thomas, surnommé Didyme, ce qui veut dire jumeau. Jn 20,24-28

Thomas dont le nom signifie le jumeau. Jn 20, 24-28.
Incrédule moi?

Fête de l'apôtre Thomas. L'évangile retenu est celui de Jean. Ce qui est normal, car cet apôtre y apparaît plusieurs fois, avec toujours ce commentaire de Jean: "Thomas appelé Didyme c'est-à-dire Jumeau". Or c'est quand même surprenant, car en araméen Thomas veut dire jumeau! Alors on peut penser que le rédacteur traduit l'araméen en grec: didyme, et que le grec est retraduit dans la langue courante: jumeau. Mais pourquoi cette insistance de l'écrivain? Si on cherche ce qu'il en est des écrits de cet apôtre, puisqu'il y a de nombreux écrits qui lui sont attribués, dont "l'évangile de Thomas" qui est un recueil de paroles de Jésus, on apprend que ce texte qui est considéré comme un apocryphe, est attribué à "Judas ou Jude Thomas" ou à " Didymos Jude Thomas".

Quand on parle de Pierre dans l'évangile de Matthieu au moment où Jésus envoie ses disciples, il est écrit: "Simon nommé Pierre"; nous y mettons une majuscule, mais il s'agit plus d'une qualité donnée par Jésus à cet homme: le roc, la pierre. Et il ne perd pas son prénom pour autant. Par contre Thomas reste Thomas, c'est ce nom qu'il porte; et si on y réfléchit ce n'est pas simple: venir au monde sans avoir de prénom autre que celui de "jumeau", donc une fonction, n'est pas bon. Si Thomas avait été un vrai jumeau, il aurait porté un prénom, comme c'est le cas des jumeaux portés par Rebecca ( Esaü et Jacob, Gn 25), ou par Tamar: Perets (la brèche) et Zerah ( Gn 38). 

Mais on sait que, du temps de Jésus, quand un bébé mourait en très bas âge, celui qui naissait ensuite pouvait prendre la place de l'enfant mort, il était son jumeau; c'était sa fonction et donc son prénom, puisque le prénom est souvent porteur de sens. Alors peut-être que celui qui se nomme - ou qui est nommé - Thomas, a eu pour fonction de remplacer un bébé mort avant lui: comme pour lui donner une existence, pour que ce petit être n'erre pas dans le Shéol. 

Seulement, avoir ce rôle, c'est quand même plus que compliqué: car il faut prendre la place d'un enfant merveilleux, imaginaire; combler le trou laissé par sa mort, combler. Et à ce jeu-là, on peut ne plus savoir qui on est. De nos jours, on parle des enfants médicaments, ces enfants qui viennent au monde pour pouvoir donner leur moelle osseuse, ou une autre partie d'eux-mêmes; et ces enfants-là, qui sont un peu comme des enfants-objet, ont bien du mal à se sentir exister pour eux-mêmes et à être aimés pour eux-mêmes.

Alors peut-être qu'on peut faire l'hypothèse que cet homme, ce Jude - Thomas Didyme, en suivant Jésus, a enfin eu une existence pour lui; et c'est peut-être cela qui lui a donné le courage d'entraîner les autres pour suivre Jésus malgré le danger au moment de la mort de Lazare: "Allons-y, tous aussi, pour mourir avec lui," (Jn 11,16) dira-t-il; mais aussi de dire tout haut ce que lui et les autres ne pouvaient pas comprendre: "Seigneur, comment pourrions-nous te suivre, si nous n'en savons pas le chemin". Et peut-être que la réponse de Jésus, pour un homme qui a dû jouer le rôle de double, mais aussi d'être l'enfant magique pour une mère endeuillée, lui a permis de comprendre qu'il était libre de suivre cet homme qu'il appelle Seigneur, et qui dit être "le chemin, la vérité et la vie."

Mais malgré cela, pour la postérité, Thomas est l'incrédule, comme Pierre est le renégat et Judas le traitre. Et même si Jésus a dit cela à cet apôtre choisi dès le début, et qui était prêt à mourir avec lui, je ne peux m'empêcher de penser que cela a dû être un peu difficile à entendre pour Thomas.

Incrédule. Voilà ce qu'il est. 
 
Et pourtant ici, ce dont Jésus parle, ce n'est pas de la crédulité, qui renvoie à croire sans passer au crible au de la raison; mais c'est d'être croyant, d'avoir foi dans ce que transmet l'autre ou les autres. Et cela pose la question de la confiance. Pourquoi Thomas n'a-t-il pas cru ce que lui racontaient ses frères? Peut-être simplement parce que le traumatisme de la mort de son maître était trop fort, avec le deuil qui aurait juste pu commencer à se faire. Ce n'est pas qu'il ne voulait pas, mais il ne pouvait pas. Et même si c'est exprimé maladroitement, c'est quand même de cela qu'il s'agit. Et en cela, parfois nous sommes bien les jumeaux de Thomas. Et pourtant pour tout quitter pour suivre Jésus, il en fallait de la foi. Alors Thomas raconte.



Thomas raconte:

Ils m'ont demandé d'aller en ville pour rapporter des provisions. Il faut dire que depuis que Jésus est mort, nous vivons dans la peur, peur que les Romains ne nous cherchent et ne nous fassent subir le même sort qu'à lui, mais peur aussi des dirigeants de notre peuple. Alors nous restons dans cette salle où il a rompu le pain et partagé la coupe, nous nous terrons. Nous avons peur. La porte est verrouillée et on a un mot de passe pour rentrer quand on doit sortir.. Mais il faut bien trouver à manger et aussi savoir un peu ce qui se dit dehors. 

Quand je suis revenu, ils m'ont dit que le Maître était venu. Là, j'ai eu l'impression qu'ils voulaient me faire une blague. Mais ils étaient sérieux, sauf que moi, je ne peux pas croire ça. Je l'ai vu mort. Je l'ai vu sur cette croix, j'ai vu sa tête qui était retombée. Je n'ai pas vu le coup de lance du soldat romain, mais je sais que son côté a été ouvert profondément et qu'il est bien mort. Il n'est pas descendu de sa croix, il est mort sur la croix. Et cela m'a anéanti. Quelque chose est mort en moi, avec lui. Et pourtant je sais qu'il est le chemin, la vérité et la vie. La vie.. Il me l'a dit et je le crois, mais ressuscité je n'y arrive pas.

Pourtant, par trois fois, il avait dit, qu'il reprendrait vie quand il aurait été mis à mort, mais bon, j'y ai cru sans y croire. Il disait qu'il ressusciterait d'entre les morts. Il a bien rendu la vie à des morts, que ce soit la fille de Jaïre, le jeune homme de Naïm ou Lazare. Mais lui, qui peut le ramener à la vie? Seul celui qu'il appelle son Père pourrait le faire. Mais jamais cela n'est arrivé. Certes Elie a été enlevé sur un char de feu. Mais lui, il est mort sur cette croix. 

Et là, eux ils racontent qu'il était au milieu d'eux, qu'il n'avait plus de marques de coups sur son visage, qu'il était souriant, qu'il avait mangé avec eux, qu'il leur avait donné ce qu'il appelle son Esprit et même le pouvoir de pardonner les péchés. Est-ce que ne pas croire c'est un péché? Est ce qu'ils vont me pardonner? 

Alors, d'un côté, je suis un peu jaloux, parce que si j'avais été là, je pourrais croire; mais voilà, je n'y arrive pas. Je ne les crois pas, ils ont inventé une belle histoire pour se rassurer, mais ce n'est pas possible. Ils ont eu une vision, une hallucination, cela leur a fait du bien. Mais pourtant... 

J'ai affirmé que si je ne mettais pas mon doigt dans le trou fait par les clous, que si je ne posais pas la main dans le trou fait par la lance dans son côté, je ne le croirais pas. 

Pourtant je crois que cet homme, qui m'a permis, à moi que l'on appelle "Jumeau" parce que j'ai remplacé un bébé qui est mort à la naissance pour le faire vivre quand-même, d'avoir enfin une identité, je crois que cet homme là, il est le messie, il est l'envoyé, il est un prophète, il est la parole, il est la lumière, mais que les forces méchantes ont été plus fortes que lui et qu'il est mort.

Et puis une semaine a passé. En fait c'était comme l'anniversaire du jour où d'après les autres il leur était apparu. Il faut dire que des femmes aussi l'avaient vu et entendu, ainsi que deux disciples qui rentraient chez eux, le désespoir dans l'âme. Alors au fond de moi, je crois que j'attendais quelque chose.

Et le quelque chose est advenu. On était ensemble, une fois de plus, la porte bien fermée. On ne pouvait pas la forcer cette porte. On était à table et d'un coup, il était là. C'était incroyable. Il était là pour de vrai. Mais il n'était plus comme avant. Il était, comment puis-je dire moins massif, plus fin, plus… Mais comment décrire. 

Et il m'a regardé et il a repris mes mots en me montrant les trous laissés par les clous et la lance. Il m'a dit de cesser d'être incrédule et de devenir croyant. Quelque part, cela m'a fait mal cet "incrédule". Devenir croyant, qu'est ce qu'il voulait dire?

Et j'ai regardé ses mains et son côté, et il n'y avait plus de sang, il n'y avait pas de peau; c'était comme un puits de lumière où quelque chose était vivant, mais les trous étaient bien là. Alors bien sûr, je n'ai pas touché... Et j'ai été pris dans cette lumière qui avait vaincu les ténèbres et la mort. Lui qui m'avait dit qu'il était le chemin, la vérité et la vie, là je comprenais ce qu'il avait voulu dire. Et ma bouche a proclamé qu'il était, et mon Seigneur, et mon Dieu. Quand j'ai dit cela, je proclamais qu'il était le Seigneur, et que sa divinité était visible: ce qu'on appelle la gloire. 

Et là, parce que j'étais comme transporté devant lui, qui était bien revenu à la vie comme il l'avait annoncé, parce que j'étais dans la joie, je m'attendais à le voir sourire. 

Mais non. Il n'a pas souri. Il m'a dit: "Parce que tu as vu, tu as cru. Heureux sont ceux qui croient sans avoir vu". À moi qui voulais croire, qui aurais aimé croire, et qui n'y arrivais pas, il a bien voulu se montrer, me montrer qu'il avait entendu ma demande et qu'il y avait répondu. Et cela, cette réponse, c'est le plus beau cadeau qu'il pouvait me faire; et je suis sûr que quand on demande, il répond. Et ce qu'il a ajouté, cette nouvelle béatitude, pour ceux qui croiraient sans avoir vu, je crois que cela a été le déclic pour moi. 

J'ai su, au de fond de moi, que ce que j'ai vu ce jour là, ce premier jour de la semaine qui finalement est un peu comme ma vraie naissance, je le raconterai au monde entier. Je ne resterai pas en Israël ou dans les pays proches, non. J'irai dans des pays inconnus, et grâce à ma parole, d'autres croiront en celui qui est venu pour nous les hommes. Je serai son témoin. Et pour cela, j'irai au bout du monde; et tout ce que j'ai entendu, je le transmettrai.


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