mardi, novembre 29, 2005

A propos du livre de l'ecclésiaste

Le livre de Qohélet.Premières réactions

Il est une attitude pour commenter les textes de l’écriture qui consiste d’une certaine manière a toujours dédouaner Dieu de tout ce qui pourrait être interprété négativement. Mettre du négatif revient plus ou moins à soupçonner Dieu de ne pas être le tout bon. Or bien souvent certains événements douloureux de notre vie, (ces événements qui nous font dire, qu’est ce que j’ai fait au bon dieu pour que...) ne prennent un sens positif que longtemps après. Pour moi, ce n’est pas soupçonner Dieu d’être mauvais ou méchant, c’est exercer l’intelligence qu’Il m’a donnée pour aller ailleurs, pour ne pas l’enfermer dans des schémas ou des images, mais essayer d’actualiser ce qui a été révélé à un moment donné.

J’ai choisi pour le moment lorsque je lis un texte de la bible de me laisser prendre par le texte brut, de le lire peut-être avec l’outil « psychologue »qui est le mien, de l’analyser, de le laisser prendre son envol, sans chercher à voir forcément la bonté de Yahvé.

En travaillant en groupe le texte de Quohélet, j’ai été au-delà de la beauté de l’écriture très étonnée par le pessimisme et de l’athéisme de ce texte. On peut dire que se contenter de ce que l’on a, est une philosophie, et dénote un certain optimisme. Je n’en suis pas sûre. A aucun moment l’auteur n’aborde la possibilité d’une véritable relation entre l’homme et son Dieu. Ilse livre à une critique sévère de la religion enseignée à son époque, il en montre les limites, les incohérences, les insuffisances. La « sagesse » ne débouche pas sur une vie spirituelle.

Je sais que la conservation de ce texte parmi les livres inspirés ne s’est pas faite sans mal et cela se comprend. Mais il reste pour moi un petit chef d’œuvre d’écriture et tout ce qui est art peut être entendu comme une sorte de Révélation.

Je voudrai donc juste « parler » un peu de ce livre, tel que je le ressens aujourd’hui.

1, 7Tous les fleuves coulent vers la mer et mer n'est pas remplie. Vers l'endroit où coulent les fleuves, c'est par là qu'ils continueront de couler.

Quohélet

Souviens toi que le temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c'est la loi,

Le jour décroît; la nuit augmente ; souviens-toi !

Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide. Baudelaire, « Les fleurs du mal ». L’horloge.

Si j’ai choisi ces deux textes, c’est qu’un parallèle peut être fait. Cette phrase très connue de Quohélet, me rappelle aussi que pour les juifs la mer est un lieu de mort. Ce lieu maléfique, peut être vu non comme le bel océan dont nous avons l’habitude, vaste étendue miroitant sous le soleil, mais comme une sorte de bouche désireuse d‘avaler tous les hommes qui vont ainsi finir leur vie -qu’elle soit heureuse ou malheureuse- dans ce gouffre. L’homme n’a pas le choix, la mort est là, elle le guette, et sera la plus forte.

Ceci permet le parallèle avec le poème « l’horloge », de Baudelaire. Le temps est l’équivalent de la mer, de la mort, et il se nourrit de la vie des hommes. « Le gouffre a toujours soif, la clepsydre se vide ».

C’est donc une vision assez noire assez négative du destin humain.

Le texte de l’ecclésiaste, je le connais depuis mon enfance. Mon père le citait souvent, mais en retenait des maximes qui me faisaient un peu peur, comme « ce qui est courbé ne pourra pas être redressé » et surtout « tout est vanité » que je ne comprenais pas du tout et qui me faisait penser au monsieur vaniteux du petit Prince !

En reprenant aujourd’hui ce texte dans un petit groupe, je suis prise autant par la facture de ce texte que par son négativisme et peut-être par une sorte d’athéisme ou de rejet d’un certain Dieu, celui de la rétribution.

A aucun moment contrairement aux psaumes qui magnifient le travail de Dieu dans le monde, et pour son peuple, Quohélet apprécie la beauté de ce qui lui est donné. Il n’en voit que le côté négatif. Que le style employé soit superbe est une chose, mais il n’en demeure pas moins que la désillusion est omni présente.

Il me semble que comme dans une parabole, à mots peut-être couverts car il faut être entendu par l’assemblée, le discours de Quohélet traduit sa perplexité devant l’illusion de croire en la rétribution, puisque de toutes les manières, juste ou méchant, riche ou pauvre, on n’emporte rien avec soi dans l’au-delà. Peut-être serait donc important de se déprendre de cette croyance en la rétribution ici bas, puisque de toutes les manières dans l’au-delà elle n’a pas cours. La critique est tellement cinglante, que l’on peut se demander si cette analyse n’est pas un moyen de virer à l’athéisme. Au lieu de se réjouir de ce qui est donné, Quohélet se lamente de ce qui est perdu. Et le regard donné par la religion ne lui est d’aucun secours.

Si on pense aux textes mésopotamiens qui retracent l’épopée de Gilgamesh, lorsqu’il descend aux enfers à la recherche de la plante de vie il lui est dit la vie de l’homme est bornée par la mort, que celle-ci est inéluctable. Il lui est alors conseillé de se réjouir du boire, du manger et du plaisir pris avec son épouse. Cela peut se dire comme « vis l’instant présent, et contente toi de cela ; car au-delà, il n’y a rien. Il semble bien que deux mille ans plus tard, le constat est identique.

Ce qui est étonnant dans ce texte, c’est du moins dans les 9 premiers chapitres, l’absence de référence à un Dieu sauveur, à un Dieu « juste ». Certes le mot Dieu est cité, mais d’une manière très laïque, car il s’agit d’une entité un peu lointaine, qui n’a rien à voir avec le Dieu (le Seigneur) qui s’est révélé sur le Sinaï. Ceci est en soi très différents des autres textes appartenant à la littérature sapientielle.

Les chapitres 1 à 8, renvoient à un regard de désespoir sur le monde existant. Par certains côtés cela m’évoque les « romantiques » du 19°. Ce monde est mauvais, la jouissance n’apporte rien puisque la mort en est le terminus.

En filigrane se trouve la question de la rétribution du juste et du méchant, mais il faut passer une certain nombre de versets pour avoir une sorte de réponse. Est-ce dangereux de la mettre en question ouvertement ?

On trouve par exemple au chapitre 3, la question du jugement. 3,17« Je m’étais dit en moi-même, le juste et le criminel, Dieu les jugera, car il y a un temps pour toutes choses et pour toute action ici ». Mais cette phrase reste sans réponse explicite. Une première réponse très ambiguë est donnée : Dieu n’intervient pas ; les épreuves qu’Il envoie apprennent à l’homme (lui font comprendre) qu’il a un comportement de bête (peut on dire animal) et que comme l’animal, il meurt. La réponse n’est pas la justice, mais la mort et une mort sans espoir puisque « un chien (homme du peuple) vivant » vaut mieux « qu’un lion (roi) mort ».

Mais la vraie réponse est donnée au verset2 du chapitre 9 : « Tout est le même pour tous un sort unique, pour le juste et le méchant, le bon et le mauvais, pour le pur et l’impur, pour celui qui sacrifie et qui ne sacrifie pas, pour le bon et le pécheur, pour celui qui prête serment et qui craint de prêter serment. La conclusion est alors : C’est un mal, parmi tout ce qui se fait sous le soleil, qu’il y ait le même sort pour tous.

Quohélet met donc fortement en cause la théorie de la rétribution, qui avait d’ailleurs déjà été mise à mal dans le livre de Job. Car si Job retrouve une certaine crainte du Seigneur, celle-ci lui permet de découvrir un Dieu Autre, ce qui n’est pas le cas de Quohélet.

Mais il y a une autre critique, c’est que le « comportement » de Dieu est incompréhensible ; il semble ne pas respecter les règles du jeu. Car si le méchant vit longtemps, mais pas toujours, si le juste meurt jeune et pauvre, mais pas toujours, alors comment savoir quel est le dessin de Dieu ? Et une deuxième critique apparaît : 8,11 : « Parce que la sentence contre celui qui fait le mal n’est pas vite exécutée le cœur des fils d’Adam, est plein de l’envie de mal faire ».

« Que le pécheur fasse cent fois le mal, il survit »

Ce qui est profondément injuste et contraire à la rétribution.

« Mais il n’arrive pas de bien au méchant et que comme l’ombre, il ne prolongera pas ses jours parce qu’il est sans crainte devant Dieu ».

Alors qui croire ? Il y a comme une incohérence…

« Mais moi, je sais aussi qu’il arrive du bien à ceux qui craignent Dieu parce qu’ils éprouvent de la crainte devant lui, »

Parfois le juste est récompensé, mais ce n’est pas systématique, donc difficile à comprendre.

Donc, comment comprendre le chemin divin quand tout semble aussi absurde, sans règles établies.

Quel est ce Dieu qui vit au- dessus du soleil, qui donne des règles stables aux éléments, mais si incohérentes pour l’homme ?

Ce Dieu peut-on l’atteindre ? Est Lui qui donne à l’homme le bonheur ? Il n’y a me semble t il aucune réponse explicite à cette question ce qui peut s’entendre comme un doute, somme toute très contemporain !

Ce qui est aussi étonnant, c’est que à aucun moment Quohélet ne s’extasie devant la beauté d’un coucher de soleil, le scintillement des étoiles. On dirait que cela n’est pas pour lui et cette répétition de même est finalement profondément déprimante.

Car si riche soit-il si béni de Dieu soit-il (puisque normalement la richesse est un signe de bénédiction), il n’en tire pas de la joie. Il est omnubilé par la disparition, par la mort. D’une certaine manière, Quohélet semble être un grand déprimé (ou un grand boulimique, ce qui revient à peu près au même). Il vit dans un manque que rien ne peut combler. Il entasse richesses sur richesses, expériences sur expériences, pour ressentir au fond de lui cette sensation d’une injustice totale, la mort qui dépossède et qui nivelle les différences. Il y a en lui un manque et normalement sa sagesse aurait du ouvrir, proposer une ou des solutions.

Ce que je trouve frappant dans ce texte, qui date de -330, donc à une époque où la philosophie grecque était connue de tous, c’est l’absence totale de propositions. A aucun moment il ne sort de sa bulle pour être en relation avec les autres, pour leur proposer une relation. La crainte de Dieu est elle relation ? Je n’en suis pas sûre !

Il propose de trouver un mode de vie où l’on n’est pas trop juste, pas trop sage, pas trop méchant, bref pas trop d’excès, car l’excès raccourcit la durée de la vie. 7, 16. C’est une espèce de vie à minima qu’il semble proposer. Même la sagesse ne peut être bonne: « J’ai dit je serai sage, mais c’est hors de ma portée (7, 23). Pas d’excès, profil bas : se soumettre aux ordres des puissants (qui ont le pouvoir de mettre à mort) et même dans l’étude du monde, savoir que la compréhension n’est pas pour l’homme (trop de choses lui échappent).

La relation à l’autre, qui est tellement valorisée par la torah et les prophètes, est elle aussi comme a minima : « donne ton pain à sept ou huit, car tu ne sais quel malheur peut venir sur la terre » Qo 11, 2, mais on n’est pas me semble t il dans la gratuité : donne parce que cela peut toujours servir ! De fait, dans ce texte, l’autre n’existe que comme objet d’étude, et non comme être de relation.

Quant à la relation à Dieu, peut-être peut-on entendre une louange : « Souviens toi de ton créateur aux jours de ton adolescence, avant que ne viennent les jours mauvais et qu’arrivent les années dont tu diras, je ne les aime pas » Qo 12, 1, mais la finale du texte : Qo12,13 « crains Dieu et observe ses commandements, car c’est là tout l’homme : oui, Dieu fera venir toute œuvre en jugement, tout ce qu’elle recèle de bon ou de mauvais », me semble être d’une écriture tout autre que celle du texte initial, et donc peut-être trace (rajoutée) d’une époque où la rétribution post mortem commence à faire son chemin dans le cœur du peuple d’Israël.

Et je ne peux m’empêcher de penser à Bouddha (-600). Comme Qohélet, il est prince donc à l’abri du besoin, il possède des richesses, une femme, la beauté, le luxe. Mais lui décide de sortir des murailles qui l’enferment et reçoit de plein fouet le choc de la misère, de la souffrance et de la mort. Il va essayer de donner une réponse à cette vie, en proposant une manière de vivre, une manière d’être qui permette d’accéder au bonheur. Car l’accès au bonheur est bien la question qui taraude tout être humain compte tenu de la vie qui est loin d’être un chemin de roses.

Quohélet sort aussi, mais il revient dans son confort. Il voit, il observe et la sagesse qu’il dit avoir, quelle est elle ? Si on se réfère au premier livre des rois, il s’agit du discernement. Si on se réfère à d’autres écrits, la sagesse est comme la manifestation de la présence du divin. Et la sagesse de Quohélet est autre. En quoi consiste t elle ? En fait elle dit que le monde est absurde, qu’il n’y a pas de lois sauf celles de la répétition (qui chez Freud est régie par la pulsion de mort) que les promesses de Dieu ne sont pas tenues, et que la vie est un non sens.

Alors que conclure ? Peut-être faudrait il ne pas séparer ce texte de celui qui le suit directement dans notre Bible, à savoir « le cantique des cantiques » qui lui est célébration de la relation.

« Les grandes eaux ne pourront éteindre l’amour, ni les fleuves le submerger »Can 8,7

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