lundi, avril 21, 2008

Une réflexion sur l'abus. Les anges de Lot (Gn19) et la concubine du lévite(Jg19)

Une réflexion sur "l'abus". 

La notion d'abus est finalement une notion assez récente dans notre vocabulaire. On parle d'abus sexuel, mais aussi d'abus psychologique.Il existe maintenant toute une littérature autour de ce terme. 

Une de caractéristiques ce cet acte, c'est qu'il vise à la destruction de l'humanité de l'abuseur (mais qui n'en n'est pas conscient)  que de celui qui est abusé. En tant que tel ce terme n'existe pas dans la Bible, mais à relire la fin du livre des Juges et en particulier ce qui arrive à la concubine du lévite, je me suis demandée si employer le terme d'abus ne permettrait pas de réactualiser ce texte. 

La sexualité c'est une chose, les déviations sexuelles aussi, mais l'abus c'est la mort psychique et parfois physiqye de cet autre qui pourtant est mon semblable. Cela pourrait permettre de comprendre les réactions violentes du Dieu créateur, quand il constate à quel point la créature qu'il a mise dans ce monde est mauvaise et méchante. Faut-il la laisser vivre? Le déluge est une réponse mythique à cette question... 

La première fois que j'ai lu ce que la Bible de Jérusalem appelle "appendices" (épisodes qui suivent la mort de Samson le dernier Juge de ce livre)j'ai été très choquée par l'histoire de la concubine du lévite et surtout par son démembrement en 12 morceaux qui sont envoyés aux 12 tribus d'Israël. 

Quant à la tribu de Benjamin et les rapts des jeunes vierges qui participent à un service sacré, cela m'avait fait frémir. Pas belle du tout l'histoire de cette tribu! Mais il est intéressant que de telles histoires n'aient pas disparu, car même si elles ne donnent pas une haute image du peuple choisi elle racontent que l'histoire d'une nation c'est aussi cela. 

Cette tribu qui donnera pourtant son premier roi à Israël, est tout sauf honorable. Ce n'est peut-être pas étonnant que ce premier roi n'ait finalement pas fait l'affaire et ait été remplacé par David de la tribu de Juda, tribu qui justement s'est affrontée avec elle de Benjamin.

Le terme même de "concubine" m'a toujours dérangée, pourquoi ne parle-t-on pas de femme? Qui est cette personne qui d'ailleurs décide de fausser compagnie à son "propriétaire" pour retourner dans la maison de son père à Beethéem? Comment l'a-t-il traitée pour qu'elle prenne la fuite un peu comme l'esclave de Sara? Pourquoi son père la rend-il? Je dois dire que cette pauvre femme fait un peu figure de "patate chaude" qu'il faut se refiler et ne pas garder!

Qui est-il ce lévite qui vit vers le fond de la montagne d'Ephraïm et qui se décrit comme un homme fréquentant la maison de Yahvé Jg19,18, qui possède des biens et qui pour échapper à la mort livre sa concubine aux vauriens qui veulent "le connaître et abuser de lui"? Cette négation de la place de la femme fait frémir. Ceci a d'ailleurs été souligné par Corinne Lanoir(1) dans un livre consacré aux femmes et aux filles dans le livre des juges. Elle constate qu' entre la position de Débora femme "juge" et celle de la fille de Jephté ou de la concubine, sans parler du rapt des vierges, il y a une dévalorisation extrême. Elle explique cela parle fait que c'est durant cette période la fille même mariée ne reste plus la fille demeurant dans la maison de son père, mais qu'elle devra vivre définitivement chez son mari.

Que le lévite pour échapper à la mort livre sa femme m'avait paru révoltant. Qu'il la coupe en morceaux après sa mort (consécutive au viol collectif) de manière à provoquer une vengeance (extermination de toute une tribu) m'avait juste poussée à me dire que cette finale du livre des juges était pour le moins incompréhensible. Ce qui m'avait paru certain c'est qu' Israël en tant qu'entité ethniquene peut se permettre d'éliminer un de ses membres, même s'il est criminel.(2)

En retravaillant pour un groupe la fin du livre des juges, j'ai été étonnée en relisant cet épisode de voir combien cette histoire est proche de celle qui est rapportée dans la Genèse au moment de la destruction de Sodome et Gomorrhe.

On trouve dans les deux histoires deux groupes de "passants" (faut il dire de nomades), dans un cas les anges dans l'autre le lévite, sa concubine et son serviteur. Ces deux groupes ont goûté une hospitalité telle qu'elle doit être pratiquée: eau pour se laver les pieds, bonne alimentation, repos, voire même festin dans le cas du lévite) . L'un comme l'autre ont une mission à accomplir. 

Ils quittent leurs hôtes et se retrouvent à la nuit dans une ville peu accueillante, ce qui est déjà un mauvais point pour la ville en question.

Ils rencontrent alors un étranger (Lot à Sodome, le vieillard à Gibéa de Benjamin, ville de Saül) qui insiste pour que les passants, ne restent pas la nuit dehors sur la place (on pourrait dire à la rue). Certes ils sont dans les murs de la ville, mais ils ne sont pas en sécurité: n'importe qui pourrait les dévaliser: les étrangers n'étant pas les bienvenus.

Dans les deux histoires, durant la nuit, les habitants de la ville viennent pour demander que les hommes qui ont été accueillis leur soient livrés pour subir des violences sexuelles. 

"Où sont les hommes qui sont venus chez toi cette nuit? Amène-les -nous dehors pour que nous en abusions"Gn19,5 et "J'ai deux filles qui sont vierges, je vais vous les amener: faites-leur ce qui vous semble bon, mais pour ces hommes ne leur faites rien puisqu'ils sont entrés sous l'ombre de mon toit"

"Fais sortir l'homme qui est venu chez toi, que nous le connaissions" Jg19,22, et "Voici ma fille qui est vierge, abusez d'elle, faites ce que bon vous semble, mais ne commettez pas à l'égard de cet homme une pareille infamie"

Les hôtes ont proposé de donner leurs propres filles  pour respecter les lois de l'hospitalité ce qui est refusé par ces voyous qui veulent autre chose. 

Les visiteurs de Lot, compte tenu de leur pouvoir ne permettent pas aux violeurs d'entrer dans la maison et de faire du mal à Lot et à sa famille. Le vieillard lui n'a pas ces pouvoirs et un homme (lui ou le lévite) met la femme "dehors" pour y subir des violences sexuelles, jusqu'à ce que mort s'en suive.

Les anges mettront la contrée à feu et à sang en la détruisant. Le lévite fera la même chose en déclenchant une guerre d'extermination contre la tribu de Benjamin. Cette guerre répondant d'une certaine manière à la destruction par le feu. 

Dans les deux histoires il y a une perversion sexuelle, qui va bien au delà de l'homosexualité. Rester au niveau de l'homosexualité  serait  très réducteur. L'attirance sexuelle consentie est une chose. Le viol ou l'utilisation d'un autre pour son plaisir est d'un tout autre registre. 

Or c'est bien ce qui se joue dans ces deux histoires. L'abus c'est chosifier l'autre, c'est en faire son objet sans jamais se demander ce qu'il peut ressentir et vivre. C'est le nier en tant qu'être humain et le réduire à être un objet de plaisir et tant pis si comme la concubine du lévite il doit en perdre la vie. un autre fera ensuite l'affaire.

Et là, on peut comprendre que Yahvé dans son ciel soit sensible aux cris des victimes et qu'il puisse opter pour la destruction d'une humanité aussi corrompue. Il semble d'ailleurs que ce soit cette perversion, cette violence faite à l'autre, si contraire à l'amour qui avait provoqué le déluge. Gn 6,11-12:"La terre se pervertit au regard de Dieu et elle se remplit de violence. Dieu vit la terre, elle était pervertie, car toute chair avait une conduite perverse sur la terre". Un peu plus loin:"car la terre est pleine de violence à cause des hommes et je vais les faire disparaître de la terre". 

Les similitudes entre ces deux histoires, même si elles se placent à des époques différentes (époque un peu mythique pour la Genèse, époque de la conquête de Canaan juste avant la mise en place de la royauté -il n'y avait pas de roi en Israël et chacun faisait ce que bon lui semble Jg21,25) sont troublantes et elles poussent à une réflexion sur le péché. Utiliser l'autre comme un objet (de jouissance)  ne peut rester impuni.  

Faire ce que bon vous semble (dernière phrase du livre des juges) conduit à la destruction. Le rôle du roi (rôle théologique) sera de donner des règles et de les faire appliquer de manière à ce que le peuple choisi, élu devienne un peuple saint, mais cela sera une autre histoire.

Les réponses du premier testament se disent en terme de destruction et d'élimination. Les réponses du second testament sont autres, puisqu'il n'y a pas de réponse à la violence par la violence. Ne peut-on pas dire que des hommes ont fait violence à celui qui était l'envoyé -Ange de Yahvé= Yahvé-), mais que l'acceptation par amour de la mort a permis à la vie d'advenir.

(1) Corinne Lanoir: femmes fatales, filles rebelles: figures féminines dans le livre des juges. Labor et Fidès, 2005

(2) Bien souvent les abus dans les familles sont des secrets dont il ne faut pas parler pour ne pas faire exploser la cellule familiale. Les règles qui régissent en principe la société ,ne fonctionnent pas de la même manière dans une famille qui a ses propres règles.

   





1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci Gib' pour cette reflexion sur ce texte. Je n'avais jamais pensé à le lire en terme d'abus et de destruction de l'autre.
Ta reflexion va alimenter la mienne...