Etre responsable d’une certaine manière cela donne une assise, cela donne du poids, ce qui permet de comprendre pourquoi dans une fratrie les aînés sont parfois ravis en prenant la place des parents de faire payer aux petits leur existence… Mais il me semble que si nous avons à être en relation avec nos « frères » nous n’avons pas à nous « charger » d’eux, car il n’y a qu’un seul Berger, même si parfois nous le trouvons un peu gonflé de laisser le troupeau pour aller s’occuper d’une brebis qui n’en a fait qu’à sa tête et qui est tombée dans un creux de rocher.
Cela fait de moi le nécessaire de l’autre, le besoin de l’autre, mais cela permet d’oublier (car je risque de penser à sa place, de savoir ce qui est bon pour elle et d’imaginer ressentir ce qu’elle ressent) quelle est sa demande, son désir. Combler sous prétexte de responsabilité les désirs de l’autre conduit bien souvent à la catastrophe relationnelle.
Pour l’avoir vécu je sais m’être laissée entraîner à créer parfois des liens beaucoup trop forts et qui n’avaient pas leur raison d’être et qui au lieu de permettre la vie et la liberté conduisaient à l’enfermement. Cela fait cependant toucher du doigt la phrase de Paul :Rm 7,19 : puisque je ne fais pas le bien que je veux et commets le mal que je ne veux pas. Etre responsable c'est aussi non pas maîtriser ni contrôler la relation, mais l'ajuster et pour cela la passer au crible de l'Esprit Saint.
En d’autres termes créer des liens oui, mais pas n’importe comment. Le lien ne doit jamais se transformer pas en câble qui empêche de bouger, de vivre d’agir. Si le lien se rigidifie, si en son nom je m’empêche de vivre (je dois me sacrifier pour elle pour lui, parce que sans moi il ou elle ne pourra pas se débrouiller, c’est d’une certaine manière créer quelque chose de mortifère.
Après le miracle de la multiplication des pains, il est rapporté que Jésus sachant qu’ils voulaient le faire roi (je dirai mettre le grappin sur lui, en faire leur chose) partit dans la montagne et renvoya ses disciples sur la mer. Car là aussi dans une relation il est nécessaire de ne pas se laisser « manger » par l’autre, et c’est cela être responsable dans le bon sens du terme : trouver la bonne distance pour que la liberté demeure, pour que l’étouffement ne s’installe pas.
Il n’est pas bon de laisser l’autre se cramponner à vous, car le risque de tomber à deux dans le gouffre est trop grand. Je pense que les règles qui fonctionnent dans une thérapie sont justement là pour éviter cette sorte de fusion. Mais le lieu thérapeutique est une chose, les relations amicales une autre.
Couper un lien quand il se transforme en câble avec une ancre au bout est difficile et ne se fait pas sans casse (sans blessure), mais c’est la séparation de la maman de son fœtus qui permet le vie. S’en rendre compte est une première étape, mais s’en dégager en est une autre et cela peut être douloureux, un peu comme une naissance.
Si Jésus passe autant de temps à « délier » ce n’est peut être pas pour rien, car des liens nous en créons, nous en avons crées et certains d’entre eux peuvent être mortifères. Les dénouer c’est aller vers la vie et cela c’est bien le Salut.
Quand Jésus nous demande de nous décharger sur Lui de nos fardeaux, je ne pense pas qu’Il nous demande de laisser choir l’autre, de le laisser tomber, de l’abandonner (ce qui serait une mort pour celui ci) mais de ne plus faire de ce « porter » une fin en soi et de trouver une relation où l’un n’entraîne pas l’autre dans le gouffre.
La réaction de Jésus qui dit à Pierre « Passe derrière moi Satan »Mt 16,23 veut peut être dire que à ce moment là, Pierre veut se saisir de Jésus, en faire sa chose, son objet, disposer de lui (pour le sauver) mais que ce n’est pas ce qui lui est demandé. Il se croit responsable de Jésus parce qu’il l’aime, mais est cela aimer ? Sa responsabilité sera l’annonce de la bonne nouvelle, mais pas de décider ce qui est bon pour Jésus. Ce qui est l’œuvre de Jésus c’est d’accomplir ce que dit son nom « Dieu sauve ».
Jamais personne n’a osé dire que Jésus en tant que chef de communauté pouvait être responsable de la trahison de Judas. Si l’évangéliste Jean note que le « diable « était entré en lui (et aussi qu’il faisait nuit), c’est que face à la tentation nous sommes responsables de nous mêmes et que les choix sont les nôtres. Il est parfois bien difficile de ne pas laisser « la ténèbre nous parler ».
Il est étonnant d’ailleurs que ce soit lui et non pas Matthieu qui s’y connaissait en argent (collecteur d’impôts) qui ait été chargé de la gestion financière du groupe. Peut être était il plus instruits que les « pécheurs » de Capharnaüm, peut-être était il très seul avec une éducation plus poussée ? N’est il pas le seul à appeler Jésus « Rabbi » ? Peut être que le groupe de disciples à quelque chose à voir avec ce que nous appelons facilement la trahison de Judas. A défaut de responsabilité (Juda est responsable de son ou de ses choix) peut être faut il parler de solidarité les uns envers les autres. La guérison du paralytique est obtenue grâce à l’aide des porteurs de civière qui ne se laissent pas démonter par des difficultés qui semblent insurmontables.
La responsabilité est de fait un poids terrible, car si nous ne réussissons pas à faire ce qu’on attendait de nous (et ceci peut être extrêmement vague, non dit, suggéré, imaginé même) alors nous avons échoué, nous nous sentons nuls, voir coupables. L’échec de l’autre ou des autres devient notre échec. Et je crois que le piège est là …
L’échec de l’autre n’est pas mon échec mais le sien et de fait je ne peux même pas être sure qu’il en soit un.
La mort de Jésus sur la croix est bien un échec total et pourtant ? Il est allé au bout de ce qui lui était demandé être lié sur une croix pour délier tous les faux liens, toutes les fausses responsabilités pour que la vie soit manifestée.
2 commentaires:
Aime ton prochain "comme toi-même."
Il faut aussi s'aimer et d'abord être responsable de soi-même.
La seule chose que nous pouvons faire c'est apprendre à l'autre à s'accepter et à être responsable de lui-même. C'est en cela que nous sommes "frères", dans une certaine solitude.
Quand c'est une relation comme parents-enfants c'est une longue aventure car nous désirons la fusion! Dans la vie c'est comme la fable des hérissons qui ne doivent être ni trop ni trop loin pour ne pas se piquer.
j'ai bien aimé votre approche.
Jésus assume sa solitude et nous dit avant tout: "lève-toi et marche"
Merci de ce billet qui me donne toute une réflexion. Pour moi les liens avec mes proches sont très ténus et c'est bien compliqué.
MC
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