dimanche, juillet 24, 2016

Elisée raconte.

La liturgie a proposé un certain nombre de lectures tirées du premier livre des Rois et racontant les hauts faits du prophète Elie. Or ce prophète, qui se manifeste par des œuvres de violence, ou du moins que je perçois comme tel, j’ai du mal à le reconnaître comme le modèle des prophètes et je me demande pourquoi Dieu l’a enlevé de son vivant sur un char de feu, sans connaître la mort. Je suppose que pour l’histoire d’Israël, cet enlèvement était important, comme pour nous l’enlèvement de Jésus après la résurrection est important et qu’il signe un temps autre. Mais quand on lit les « exploits » de ce prophète, il est certain que les signes donnés pas Jésus ne font pas le poids. Bien sur Jésus a guéri, Jésus a nourri, mais Jésus n’a pas fait tomber le feu du ciel que ceux qui venaient l’arrêter, il n’a pas provoqué la chute des romains, il a œuvré comme les prophètes pour changer le cœur de ses concitoyens, et en cela il a réussi à faire ce qu’aucun d’entre eux n’avait réussi à faire à donner l’Esprit du Père à tous ceux qui le reconnaissaient comme le Fils.

M’est alors venue l’envie d’écrire, raconter l’histoire de ce prophète, enlevé nu sur son char de feu, au travers de ce que celui qui avait été choisi pour le remplacer a pu percevoir de cette personnalité pour le moins complexe.

Elisée le prophète.

J’étais en train de labourer le champ de mon père Chafath près de la ville d’Abel Mehola dans le territoire de la tribu de Manassé. C’était un grand champ, 12 arpents, et j’arrivais enfin au bout de mon travail, quand un homme est apparu dans mon champ de vision. Il portait un pagne de peau et un manteau en poils d’animaux.

Cet homme, j’en avais entendu parler. Il avait une réputation curieuse : à la fois prophète et homme de Dieu, osant parler au roi et lui reprocher sa conduite, mais faisant du mal autour de lui. Par sa faute, ou par sa parole, la pluie n’était plus tombée depuis trois ans en Israël, et les récoltes étaient maigres pour ne pas dire nulles et même nous, nous en souffrions de cette famine. Ne venait-il pas de tuer de sa main, tous les prêtres de la reine, qui avait mis sa tête à prix ? Alors que venait-il faire là, près de moi, dans mon champ ?

Il ne m’a pas dit un mot, pas une parole. Il a enlevé son manteau, l’a jeté sur moi comme pour m’en recouvrir, le manteau a glissé sur le sol, il l’a repris. Quelque chose en moi m’a soufflé que par ce geste, il me revêtait de sa puissance, qu’il m’appelait à devenir comme lui, un prophète de son Dieu, (mais son Dieu, je ne le connaissais pas vraiment, parce que chez nous ces dieux de la fécondité, ces dieux qui font pousser l’orge, ces dieux qui protègent les brebis, les troupeaux sont importants et nous leur offrons aussi des sacrifices) et que je devais le suivre.

J’ai juste dit que j’allais partir avec lui, mais que je voulais prendre congé de mes parents. Mon père est âgé, je suis son aîné, c’est à moi que devait revenir la propriété, et voilà que je vais partir suivre cet homme rude, sale, qui me fait un peu peur. Elie m’a répondu que je pouvais faire ce que je voulais, que cela ne le concernait pas, alors, je n’ai pas pas aimé du tout sa réponse. Je pouvais comprendre que pour lui, c’était tout de suite, mais quand même. Alors pour montrer que je comprenais, au moins un peu, j’ai tué deux des bœufs qui m’avaient aidé dans mon travail, j’ai fait bruler le bois de ma charrue, et tous mes serviteurs me regardaient comme si j’étais devenu fou, et j’ai offert pour eux et pour moi un sacrifice à ce dieu que je ne connaissais pas vraiment et je suis parti avec lui.

Etre son serviteur, son disciple, n’a pas été facile, parce qu’un serviteur, il en avait déjà un. J’ai fini par comprendre que lorsqu’il avait fuit les hommes de la reine Jézabel, lancés à sa poursuite, il était parti vers l’Horeb et qu’il avait voulu mourir. Là, sur son chemin, Dieu lui avait envoyé un ange avec de quoi manger. Son Dieu est vraiment un Dieu secourable, puisque pendant tout le temps de la famine, il lui avait fait porter à manger par des corbeaux sur les rives du torrent du Kerrith. Il avait mis quarante jours pour arriver à la montagne de Dieu. Je dis la montagne de Dieu, parce qu’il m’a expliqué qu’aux temps anciens, notre père Moïse avait demandé à Dieu de se montrer à lui, et que ce dernier lui avait dit que c’était impossible, parce que l’homme ne peut contempler Dieu, mais qu’il lui montrerait sa Gloire et lui donnerai son nom. Pour ne pas être aveuglé par la toute puissance, Dieu avait dans sa douceur posé sa main sur les yeux de Moïse et lui avait parlé. Et mon maître, avait cherché cette grotte où Moïse avait en quelque sorte conversé avec son Seigneur.

Cette grotte il l’avait trouvée et y avait passé la nuit  Puis au cous de la journée suivante, la montagne s’est mise comme à frémir. Elie s’est réfugié au plus profond de la grotte. Il y a eu un ouragan,  mais Elie savait que cela ce n’était pas la présence de Dieu, son Dieu était un Dieu fort, le maître des éléments, mais il n’était pas un Dieu de destruction. Puis la terre s’est mise à trembler comme si elle était prise de peur, et les pierres volaient de partout, mais, Dieu n’était pas là. Puis il y au eu du feu qui dévorait tout, mais Elie s’était rendu compte, que lui qui avait tomber le feu sur le taureau offert en sacrifice lors de son combat contre les prêtres de la reine, que son Dieu n’était pas un Dieu incendiaire, mais le Dieu du buisson ardent.

Et puis un silence s’est fait, un grand silence, un beau silence, un silence qui chante, un silence qui prie et là, dans ce silence, il y avait comme une brise légère, une brise que l’on sentait à peine, et là, Elie a su que Dieu, que son Dieu se manifestait à lui, qu’il se donnait à lui l’homme qui venait de tuer d’autres hommes. Il s’est souvenu que jadis, Dieu prenait plaisir à parler avec Adam à la brise du soir, et il s’est dit que Dieu voulait lui parler à lui, Elie.

Et mon maître est sorti de la grotte, il a voilé son visage en signe de respect et Dieu s’est adressé à lui, en lui demandant ce qu’il faisait là, lui l’homme dans ce lieu de la présence du Tout Puissant. Elie a eu du mal à répondre, mais il a expliqué que lui seul, parmi tous les prophètes avait défendu l’honneur du Dieu d’Israël, du Dieu de ses pères et que cela l’avait conduit à devenir un homme « mort ». Alors Dieu lui avait confié trois tâches : oindre Hazaël comme roi de Syrie, consacrer Jéhu comme roi d’Israël, et me chercher moi pour lui succéder. Or cette demande là, pour Elie elle fut une épine dans sa chair. Me chercher cela voulait dire que don travail allait prendre fin, que je lui succèderai. Et il ne me connaissait pas, et il doutait de moi ; et ce doute, n’a jamais cessé et a été pour moi très lourd à supporter. Je pense que choisir son successeur de son vivant cela doit être dur, car cela veut dire que la mort est proche. C’est peut-être pour cela que notre vie en commun a été si difficile d’autant qu’Elie avait son propre serviteur, celui qui l’avait accompagné sur le mont Carmel et qui scrutait le ciel pour voir si la pluie allait enfin tomber ;

Le temps a passé. Nous avons été dans la montagne du Carmel où nous avons alors retrouvé l’autre serviteur, celui qu’Elie avait choisi.  Nous avons appris que le roi Achab avait obtenu pas mal de victoires sur le roi de Syrie, l’actuel, pas celui qu’Elie avait oint. Mais comme Elie n’avait pas mis à mort ce roi, comme cela aurai dû être fait, Dieu avait été très mécontent et l’avait fait savoir au roi non par mon maître, mais par un prophète, membre de la communauté des prophètes, et cela avait inquiété le roi, mais il n’avait pas changé sa conduite.

Or le travail d’un prophète, c’est de rappeler à temps et à contre temps ce que Dieu attend de son peuple, et de son roi. Un prophète Michée, dira un jour que pour être agréable à Dieu, il ne s’agit pas d’offrir des holocaustes, mais « pratiquer la justice, aimer la miséricorde, et marcher humblement avec notre Dieu ».

Et puis, j’ai vu mon maître à l’œuvre. Le roi avait obtenu d’une manière plus que déloyale une vigne qui jouxtait ses champs, vigne qui appartenait à Naboth. Celui ci ayant refusé de la céder, la reine s’était arrangée pour le faire mourir et la terre était revenu au roi. Alors Elie est allé trouver le roi, et lui a annoncé sa mort en représailles et la ruine de toute sa famille. Ces paroles ont provoqué une grande peur chez Achab qui a reconnu sa faute et Dieu (et cela était important pour moi, parce que ce Dieu d’Elie me faisait peur), a renoncé à le faire mourir lui. De fait, Achab est mort au combat. Mais sa mort a réalisé la parole annoncée par Elie : des chiens sont venus lécher son sang..

Petit à petit Elie m’a raconté..

Il m’a raconté comment son Dieu lui avait enjoint de quitter le torrent qui s’était asséché et d’aller à Sarepta.. Or aller à Sarepta, c’était aller dans la contrée de la reine Jézabel, dans cette contrée remplie de faux dieux. Et Elie n’avait pas vraiment envie d’y aller. Et pourtant son Dieu avait prévu qu’une femme, une veuve s’occuperait de lui, durant toute cette famine et pour cela, il y a eu de l’huile et de la farine durant des années. Il m’a raconté comment le fils de cette femme était mort et comment en priant sur lui, le souffle était revenu en lui. Il m’a raconté ce qui s’était passé à l’Horeb. Il m’a raconté, mais j’avais l’impression qu’il ne me considérait pas comme son successeur.

Puis le temps a encore passé. Et Elie a eu maille à partir avec le successeur d’Achab. Ce dernier au lieu de se tourner vers notre Dieu pour savoir s’il guérirait de la mauvaise chute qu’il venait de faire, s’était tourné vers Baam Zeboub le Dieu d’Ecron. Elie a alors dit aux messagers du roi que ce dernier allait mourir parce qu’il ne s’était pas tourné vers le vrai Dieu. Le roi, a alors essayé de faire périr Elie et là j’ai vu ce qu’il pouvait faire et comment son Dieu l’aidait. Par deux fois, il a fait périr par le feu les cinquante hommes venus pour l’arrêter. Puis il est allé en toute tranquillité annoncer à Ahazia qu’il allait mourir. Ce fut son dernier exploit. Fidèle à lui-même et à notre Dieu, il avait rappelé que Dieu seul guérit et que seul le Dieu d’Israël est le tout puissant.

Et puis Elie a vieilli.. Il me semblait que quelque chose se passait en lui, mais moi, je n’avais aucune puissance, aucun pouvoir. Je n’avais pas de vision, je n’avais pas de relations avec son Dieu. Nous étions à Guilgal et un matin il m’a dit que le Seigneur l’envoyait à Bethel et que je devais rester. Bethel c’est le lieu où son Dieu était apparu à Jacob lorsqu’il avait pris la fuite pour échapper la fureur de son frère. Là nous avons rencontré des fils des prophètes qui m’ont dit que mon maître allait être enlevé, et j’ai dit que le savais. Puis il m’a dit que le Seigneur l’envoyait à Jéricho et que je devais rester à Bethel, mais j’ai refusé. Jéricho c’est la ville conquise par Josué, il y a longtemps. La aussi les prophètes qui y résidaient m’ont dit que mon maître allait être enlevé. J’ai dit que je le savais, mais est ce que je le savais vraiment. Il a alors dit qu’il devait franchir le Jourdain. Cela ça m’a étonné, parce que cela revenait à quitter notre terre, à se retrouver là où Moïse était mort, avant d’avoir pu traverser le Jourdain. Il ne voulait pas de moi, mais moi je n’ai pas lâché, je voulais voir, je voulais savoir. En arrivant au bord du fleuve, il n’a pas cherché s’il y avait un gué, non il a roulé son manteau et il a frappé les eaux du Jourdain qui se sont écartées, comme autre fois Josué l’avait fait, et nous sommes passés.

Elie m’a alors adressé la parole ; il m’a demandé ce que je voulais qu’il fasse pour moi avant qu’il ne soit enlevé. J’ai répondu sans vraiment réfléchir que je voulais recevoir en héritage une double part de son esprit prophétique. Il m’a répondu que c’était difficile, mais que si je le voyais au moment où il serait enlevé, alors la demande serait réalisée. Il avait à peine fini de parler, que j’ai vu comme un char de feu qui se posait et Elie qui qui prenait place et disparaissait dans un tourbillon de feu. Oui j’avais vu.. Oui le don des prophètes, ce don de voir je l’avais. Et j’étais heureux. Puis j’ai vu le manteau, ce manteau qu’il avait jadis jeté sur mes épaules qui gisait sur le sol. Pour moi, ce manteau était un peu un manteau magique, qui réalisait les désirs de son propriétaire. En même temps, j’étais triste, je me sentais abandonné. J’ai déchiré mes vêtements en signe de deuil, et j’ai pris le chemin du retour.

Il me fallait franchir le Jourdain dans l’autre sens. Je me suis arrêté au bord du fleuve, et comme Elie j’ai frappé les eaux avec le manteau, mais comme il ne se passait rien, j’ai crié, j’ai appelé le Seigneur, le Dieu d’Elie et le fleuve s’est ouvert. C’est là que j’ai compris ce qu’était la puissance de ce Dieu qu’Elie avait servi toute sa vie. La puissance ne résidait pas dans le manteau, mais dans ce Dieu, qui est le Dieu de nos pères et que je connais si mal.

J’ai retrouvé les frères de Jéricho, qui ont vu que je n’étais plus le même. Ils ont voulu quand même chercher Elie, parce que parfois Dieu enlève puis repose, et cela il l’avait déjà fait une fois pour Elie qui après le massacre des prêtres était allé au devant d’Achab, porté par l’Esprit de son Dieu, pour lui annoncer que la pluie allait tomber. Mais Elie n’est pas revenu et je suis devenu à mon tout prophète du peuple d’Israël.

Je pense avoir eu une vie différente de celle de mon maître, car j’ai utilisé la puissance de mon Dieu pour faire le plus de bien possible autour de moi. J’ai permis à une femme d’échapper à la prison, j’ai nourri des hommes qui avaient faim, j’ai purifié une source, j’ai guéri un général ennemi de la peste et évité une guerre, j’ai même donné la berlue à des soldats qui voulaient nous envahir, j’ai été condamné à mort par le roi qui me jugeait responsable de la famine, mais mon Dieu a fait fuir l’armée qui nous affamait et nous avons mangé tous à notre faim. Puis Jéhu a pris le pouvoir comme Elie l’avait prédit. Je suis devenu très âgé, je suis tombé malade, je suis mort et même après ma mort, j’ai pu donner la vie à un homme que l’on avait jeté dans mon tombeau. Oui j’ai été un prophète qui a veillé sur le peuple que Dieu m’avait confié, mais jamais je n’ai eu le panache d’Elie.


Bien des années après ma mort, au retour de cette épreuve que fut l’exil, un homme a raconté l’histoire des hommes qui ont fait la grandeur d’Israël. Il a consacré 12 lignes pour décrire son œuvre et seulement 2 ou 3 pour moi, mais l’un comme l‘autre, nous avons œuvré pour que le peuple se convertisse et renonce à ses péchés, pour qu’il comprenne que seul le Dieu d’Abraham, de Jacob et de Moise pouvait lui donner la Joie de connaître la paix dans ses murs et dans son cœur.

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