Luc (Lc10, 42) nous rapporte que
Marie, la sœur de Marthe, « a choisi la meilleure part, qui ne lui sera
pas enlevée ». Si on se remémore la scène, on sait que Jésus s’est invité
dans la maison de Marthe, que celle ci s’affaire à la préparation du repas et
que Marie, sa sœur, reste paisible au pieds de Jésus et l’écoute. Jésus dit que
cette place ne lui sera pas enlevée dans le ici et maintenant de ce repas qui
se prépare, mais pourtant cette place lui a été ravie, enlevée. N’a t elle pas
perdu son Seigneur le jour de la mort de celui-ci et plus encore en découvrant
que son corps avait disparu ? On peut dire que certes à ce moment là,
Marie avait choisi en étant aux pieds de Jésus une certaine place, la meilleure
place, mais que cette place a été temporaire, le temps de la
préparation d’un repas. Par la suite, ce contact, ce corps à corps avec son
Seigneur il lui a été arraché, volé, pris. De cette perte, elle ne s’en remet
que lorsque Jésus se manifeste à elle en l’appelant par son prénom et lui donne
une mission : aller annoncer qu’il est vivant. Et de la place
contemplative (ou passive)qui semblait être la sienne, elle prend une place
active, comme si l’un et l’autre étaient complémentaires et nécessaires.
Ce terme « enlevé » ou
« ôté » dans certaines traductions, a fait écho en moi et j’ai voulu
le retrouver dans les différents évangiles, car un même mot peut avoir
plusieurs sens.
- On le retrouve dans les
synoptiques quand les disciples des pharisiens reprochent à Jésus de ne pas
imposer de jeûnes à ses disciples, par exemple en Mt 9, 15 : « les compagnons de l’époux peuvent-ils
mener le deuil tant que l’époux est avec eux ?Mais viendront des jours où
l’époux leur sera enlevé alors ils
jeuneront ». Ici ‘enlevé’ s’entend dans le sens de parti, absent,
disparu. jésus annonce qu’il ne demeurera pas toujours là. Sil prend à son
compte ce terme d’époux, mot par lequel Jean Jean le Baptiste l’avait désigné, il
me semble qu’il se situe comme celui qui est Dieu présent dans son peuple. Les
disciples sont les compagnons que l’époux, qui attends sa fiancée (et l’on peut penser
aux textes des prophètes, Amos en particulier), mais la fiancée, c’est la
croix, c’est la victoire apprente du mal, c’est la mort, la peine, la tristesse.
Et cela ne peut être compris à ce moment de la vie publique. Jésus ressuscité
n’a plus rien à voir (ou peu à voir) avec si je puis dire « leur »
Jésus de la vie publique. Et peut –être que cette relation là leur manque. Une certaine représentation imaginaire de
Jésus leur sera enlevée, ce jour là ils seront dans la peine et dans le deuil
mais une autre image la remplacera quand le temps de l’Esprit sera advenu.
Enlevé ici revoie au départ, à l’absence, autant qu’à la mort.
- C’est dans le même sens qu’on
retrouve ce mot chez Luc au moment de l’Ascension, Lc 24, 51 : « Pendant qu’il les bénissait, il se
sépara d’eux et fut enlevé au
ciel » Il est question de disparition de celui qui était déjà présent
sous une forme autre.
- Ce mot se trouve dans un sens
beaucoup plus terre à terre, dans le sens de prendre, « à celui qui n’a pas, on
enlèvera même ce qu’il a »Mc 4,25.
- Et enfin au sens de volé Lc11,52 « Malheur à vous les légistes, parce
que vous avez enlevé la clé de la
science ! » Mais aussi le même sens quand Marie dans l’évangile
de Jean se plaint qu’on ait enlevé le corps
du Jésus. Là il y a perte, il y a vol.
L’inverse d’enlevé pourrait être
gardé, retenu, possédé. Seulement voilà, Jésus on ne le garde pas, on ne le
retient pas, on ne le possède pas... Et c’est bien ce qui sera signifié à Marie
lors de sa rencontre avec celui qu’elle prend pour le jardinier : « ne
me retiens pas »..
Alors oui, Marie a eu une place
« bonne », cette place elle a dû la laisser, l’abandonner pour en
découvrir une autre, et cela c’est un chemin qui nous avons tous à faire. Les
temps de béatitude (je pense que nous en avons tous connus) avec le Seigneur,
ne durent parfois que l’espace d’un instant, même si c’est un instant
d’éternité, mais ils sont dans le temps, ils passent. Il en reste le souvenir,
ces cailloux de joie qu’il faut déterrer quand on a l’impression d’avoir perdu
la saveur de la présence, cette meilleure part que nous pensions être la
notre..
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