dimanche, mars 07, 2021

Luc 15, 14. Il avait tout dépensé quand une famine survint dans le pays et il se trouva dans le besoin.

J'ai raconté, dans un commentaire sur le chapitre 15 de Luc, les paraboles de la miséricorde, https://giboulee.blogspot.com/2016/09/les-paraboles-de-la-misericorde-luc-15.html , ce que le père de la parabole a pu ressentir. 


J'ai raconté très récemment ce que l'aîné, celui qui est le modèle pour les scribes et les pharisiens qui récriminent contre Jésus, a pu vivre au moment où son frère, modèle des impies, est revenu à la maison.https://giboulee.blogspot.com/2021/03/luc-15-32-32-il-fallait-festoyer-et-se.html


Ce matin j'ai eu envie de compléter le tableau (peut-être manque-t-il une figure féminine), en me penchant sur le vécu de celui qu'on appelait autre fois le fils prodigue, ce prototype de ceux qui vivent mal mais qui sont capables de rentrer en eux-mêmes et de se mettre en route.


Matthias, le benjamin, celui qui est sûrement considéré comme un impie, raconte

 

Je dois dire que cette famille où l'on n'a aucun droit sauf celui de travailler, d'aller à la synagogue, de respecter la Loi, elle me gonfle. Impossible de vivre sa vie, de faire ce que l'on veut. Alors on pensera de moi ce qu'on pensera, et je suis sûr que mon frère aîné va hurler, mais je me tire. Celui-là ce Samuel, qu'est ce qu'il est pénible! Quand on était petit c'était bien, il me défendait, mais maintenant il se prend pour mon père, il critique tout, tout le temps, et il a une vie dont je ne veux sous aucun prétexte. Moi je m'appelle Matthias, mais je ne crois pas que je sois un cadeau! Moi, je veux vivre comme je l'entends, avec mes règles à moi.

 

J'ai un peu parlé avec des amis, qui comme moi ne supportent plus leur famille; et ils m'ont dit que j'avais le droit de réclamer ma part d'héritage. Faire comme si mon père était mort, c'est étonnant, mais c'est permis, alors je l'ai fait. Je ne veux pas attendre, je veux ce qui me revient: je veux dire l'héritage de mon père, gonflé par celui de ma mère. Et ce qui m'a étonné, c'est que ça s'est fait facilement, comme si mon père s'y attendait. 


Alors à moi la belle vie! Parce que les champs, les moutons, les bœufs, ça ne m'intéresse pas. Ce que moi, je veux, c'est des sous pour vivre comme je l'entends, me faire des amis, avoir des filles, me saouler, et même si je dois comme on dit brûler la chandelle par les deux bouts, c'est ce que je veux; et aussi me casser très loin d'eux.


Et les sous je les ai eus! Et je suis parti, là où les filles sont plus belles, là où les filles sont jolies, là où on peut vivre, là où on peut boire jusqu'à plus soif.

 

Là où je suis allé, je me suis fait plein d'amis, qui venaient à mes fêtes. J'avais de l'argent plein les poches, alors ils étaient là. Seulement, les meilleures choses ont une fin. Une famine est arrivée, et tous les prix se sont mis à flamber. Ceux que je croyais être des amis ont disparu, et je me suis retrouvé seul, sans rien; et j'ai eu faim, tellement faim, faim de nourriture, mais aussi faim liée à la solitude. 

 

Et j'ai fini par trouver un marchand de porcs qui a bien voulu m'embaucher pour que je garde ses bêtes. Eux ils avaient des glands à satiété, et moi je les regardais et mon estomac se tordait en moi et à force de les regarder, j'avais l'impression de devenir comme eux: sale, laid, ne pensant plus qu'à manger, et cela ça ne me plaisait pas.

 

Et je ne suis mis à penser, surtout que je n'avais que ça à faire... Peut-être qu'il était temps de rentrer un peu en moi-même, de réfléchir à comment j'en étais arrivé là. Peut-être que j'aurais dû employer mon argent autrement, penser à faire des réserves. Mais je ne l'ai pas fait. 


Par contre ce que je sais, c'est que dans la maison de mon père, il y a des ouvriers qui sont mieux payés que je ne le suis, et surtout qui ont de quoi manger. 


Alors mon orgueil, je vais faire une croix dessus, et je vais me lever.  Je ne veux plus rester vautré à garder des cochons, et j'irai chez moi, enfin chez lui, mon père. Et quand je le verrai, je lui dirai que j'ai péché contre le ciel et contre lui (c'est une phrase qui lui plaira sûrement), que je ne suis plus digne d'être appelé sont fils (et peut-être qu'il ne me reconnaît plus comme son fils, qu'il m'a renié, un peu comme moi je l'ai renié); et je lui demanderai qu'il me traite comme un de ses ouvriers. Au moins j'aurai à manger, même si c'est la honte. Il faut bien que je me sorte de là.

 

Et je suis parti. J'ai mendié sur la route, et je n'étais vraiment pas fier de moi, surtout que certains m'ont reconnu et ont vu ma crasse et ma misère. Quand je suis arrivé au domaine, à ma surprise j'ai vu mon père qui déboulait littéralement vers moi, comme s'il m'avait attendu. Moi qui pensais qu'il m'avait renié, je n'en croyais pas mes yeux. Et j'ai eu du mal à lui dire ma jolie petite phrase que j'avais si bien préparée, cette phrase qui reconnaissait que j'avais péché contre le ciel et contre lui, que je n'étais plus digne d'être appelé son fils… 


Sauf que ma phrase je ne l'ai pas terminée. Il m'a pris dans ses bras, il m'a regardé avec un tel regard, que je me suis senti fondre.. Je suis redevenu son fils, son petit, son benjamin, son aimé...

 

Il a appelé ses serviteurs, il leur a ordonné de me vêtir, de me mettre des sandales, de passer un anneau à mon doigt et de préparer un festin. Bien sûr, je suis entré dans la maison et j'ai eu droit à un bain... Et ça a été la fête, et quelle fête! Je me sentais presque le roi, sauf qu'à dire vrai, je n'avais pas très faim... Mon père avait un sourire comme je ne lui en avais jamais vu.

 

Là où il y a eu un problème, c'est quand mon frère est arrivé. Comment pouvait-il comprendre? Il était comme enragé contre mon père. Moi je me faisais tout petit mais en même temps, j'étais à l'abri de cette colère dirigée comme mon père.

 

Il ne voulait pas entrer; il était fou furieux. Il a dit qu'il ne comprenait pas pourquoi on avait tué le veau gras pour moi, un moins que rien, alors que lui, on ne lui donnait même pas un agneau pour faire la fête. 

 

Et là mon père lui a dit que tout ce qui était à lui lui appartenait, et surtout qu'il fallait faire la fête parce que pour lui, j'étais revenu à la vie. 

 

Oui, je suis revenu à la vie. Il a juste fallu que je me lève que je quitte cette fange qui essayait de m'aspirer; et les bras de mon papa se sont ouverts, et j'ai retrouvé ma place. Peut-être que si je n'avais pas vécu comme cela, je n'aurais jamais pu comprendre qui était mon père. Car le père qui est le mien, il n'est pas comme les autres.  

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