samedi, mars 06, 2021

Luc 15,32 - « Il fallait festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie...»

 Lecture de Luc 15 - Les deux fils. 

Pas facile, ces textes un peu trop connus. Le célébrant - mais la sono était déplorable - a centré son homélie sur l'héritage, sur la nécessité d'en parler, de prévoir. C'est vrai que dans ce texte, cet héritage donné alors que le père est vivant, c'est curieux. Si le "jeune" a pris ce qui lui revenait, qu'en est-il de l'aîné? À lire le texte, on a l'impression que lui, il n'en n'a pas vu la couleur: qu'il continue à faire fructifier ce qui appartient en propre à son père, qu'il se considère comme un bon ouvrier. Alors, quand il rentre du travail, on peut comprendre que ça le mette en colère, et c'est cela ce que j'ai voulu montrer en laissant parler ce fils aîné, qui dans la parabole est la figure des scribes et des pharisiens (ceux qui pensent être au service), qui récriminent contre Jésus qui prend le temps de festoyer avec ceux qui vivent mal. 

Samuel, le fils aîné, raconte.

 

Là, c'est vraiment le comble. Je rentre des champs où je me suis crevé le cul à travailler comme une bête pour faire fructifier les champs de mon père. Et de la pierraille il y en a. Plusieurs fois j'ai du redresser le soc de la charrue, plusieurs fois, j'ai dû m'occuper des bœufs, et cela à la longue c'est usant, d'autant que le père, il ne dit même pas merci. Je sais bien que c'est mon héritage, mais quand même.. Des fois j'en ai vraiment assez de cette vie, moi aussi je voudrais me barrer...Mais bon, ça je ne le dis pas.

 

Bref, j'arrive à la maison et j'entends de la musique. De la musique, mais chez nous, il n'y en a jamais. Et ça sent la viande grillée. Il n'a quand même pas tué le veau gras le Vieux? Est ce que quelqu'un serait arrivé chez nous? Quelqu'un de très important, comme les visiteurs de notre Père Abraham? Mais ça, c'est le passé... Qui ça peut bien être?


Je demande à un serviteur, et là, les bras m'en tombent. Il m'annonce que mon frère, ce petit con qui a réclamé son héritage et qui (ça je le sais parce que j'ai des amis un peu partout) a claqué son héritage en faisant la fête, et en couchant à droite et à gauche, mais aussi en faisant des placements qui l'ont ruiné - parce qu'il se fait avoir par n'importe qui, il est revenu. Revenu. 

 

Mais c'est fou ça. Il ne pouvait pas rester où il était? Le serviteur a ajouté que c'était parce qu'il était en bonne santé qu'on faisait la fête. Il est vraiment bizarre mon père. C'est un adulte mon frère, ce n'est plus un bébé dont il faut s'occuper et se réjouir parce qu'il n'est pas malade. Mais mon père, il a toujours, quoique j'en dise, été attentif à cela: que nous soyons en bonne santé. Un peu comme une mère, mais c'est normal parce que notre mère elle est morte quand nous étions très jeunes et le père a dû s'occuper de nous.

 

J'ai jeté un coup d'œil et j'ai vu que mon frère, il était habillé de neuf des pieds à la tête; sa barbe était bien taillée et ses cheveux aussi, et mon père avait l'air très heureux. Moi, si j'avais été lui, je ne l'aurais pas laissé rentrer, je l'aurais envoyé loger avec les ouvriers; et en plus, je l'aurais eu sous mes ordres - et je lui en aurais fait baver. Et je dois dire que la colère montait en moi, et j'avais l'impression que ça allait exploser. 

 

Là dessus mon père est venu vers moi. Ce qui m'a frappé, c'est qu'il avait rajeuni, comme si des années l'avaient quitté. Je lui ai dit que je ne comprenais pas qu'il fasse la fête pour mon frère, qui s'était quand même très mal comporté, qui est la honte de la famille; alors qu'à moi, il ne m'a jamais proposé de faire la fête avec mes amis. Et ma colère était là. Et moi, pas question de festoyer avec eux, de faire la fête. 

 

Et à ce moment là, quand ma colère était à son comble, quand j'avais -de fait - envie de rentrer pour foutre mon frère dehors, il a eu une phrase qui m'a retourné et qui a fait tomber ma colère. 


Il m'a dit "mon enfant". Et cela ça fait des années qu'il ne m'appelle plus comme cela. 


Et il y a eu un silence après ce "mon enfant". Puis il a ajouté: "Tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi". Ces mots là, ils ont résonné en moi. Tout ce qui est à lui est à moi. Sauf que je ne le savais pas, parce qu'il ne me l'avait jamais dit. Cela veut dire aussi que je n'ai peut-être pas à travailler comme une bête, mais que je peux trouver mon bonheur autrement. Servir oui, mais pas comme un esclave, parce que ce n'est pas ce qu'il demande. J'avais imaginé des choses sur ce qu'il attendait de moi, et du coup, je vivais avec une colère permanente en moi. Et là, la colère est partie. 

 

Alors quand il a ajouté qu'il fallait se réjouir et festoyer parce que mon frère qui était mort était revenu à la vie, je crois que j'ai compris ce qu'il voulait dire. En partant, la colère qui était en moi, elle m'a fait revenir à la vie.

Pour mon petit frère, je ne sais pas, mais si mon père dit qu'il est revenu à la vie, c'est qu'il sait ce qu'il dit et que du coup je pourrai faire la paix avec lui, le petit, et aussi avec moi et avec ma rancœur. 

Aucun commentaire: