C'est un texte que j'aime beaucoup, qui a un parallèle chez Luc, ce qui m'avait permis de travailler ce texte en 2020, https://giboulee.blogspot.com/2020/09/luc-6-1-6-guerison-de-lhomme-la-main.html. Un premier commentaire de l'évangile de Marc date de 2018 https://giboulee.blogspot.com/2018/01/etends-ta-main-mc-35.html et était centré sur l'ordre donné à l'homme d'étendre sa main.
Il se trouve que professionnellement j'ai connu des personnes qui vivaient avec des mains atrophiées, conséquences d'anoxies néonatales ou de traumatismes cérébraux, et je sais à quel point cela est invalidant et cause de la honte. Ces mains, il faut les cacher, les dissimuler, elles sont "pourries" comme disait une jeune fille qui cachait sa main déformée sous son pull. Or ces mains, je les ai tenues dans les miennes, pour les assouplir, leur permettre d'être un tout petit peu moins rigides, et je sais qu'il est possible d'arriver à ce qu'elles s'ouvrent. Ceci pour dire que cet homme porteur de cette pathologie, quelle qu'en soit la cause, devait avoir honte de cette main et vouloir la cacher.
Il me semble que pour mieux rentrer dans le texte de ce jour, il faut revenir un peu en arrière dans l'évangile de Marc. Car cet épisode se termine par la résolution des pharisiens de s'unir aux partisans d'Hérode pour faire périr Jésus. Et on est seulement au chapitre 3.
On se rend compte que si la notoriété de cet homme sorti de nulle part ou presque, qui n'a pas été formé par un Rabbi patenté à Jérusalem, qui fascine les foules, qui guérit, qui expulse les démons, qui parle avec autorité, qui dit qu'il est le Fils de l'homme, augmente sans cesse, cela commence à déranger sérieusement ceux que l'on appelle les pharisiens, ceux qui suivent la loi à la lettre - ce que Jésus leur reproche d'ailleurs avec véhémence, et là je pense à l'évangile de Luc.
Ce Jésus qui se dit capable de pardonner les péchés, ce qui est le privilège du Très-Haut, qui mange avec les publicains et les pécheurs, qui touche un lépreux, qui ne respecte pas les jeûnes supplémentaires que font les disciples de Jean et les pharisiens, qui ose dire qu'il est l'époux, qui n'a aucune autorité sur ses disciples car il les laisse transgresser l'interdit du travail du Sabbat en arrachant des épis de blés, ce Jésus qui ose dire qu'il est le Fils de l'homme et qu'il est le maître du Sabbat, ne faut-il pas s'en méfier comme de la peste? .
Ne faut-il pas le pousser dans ses retranchements, et en profiter pour le lapider et donc s'en débarrasser? Et c'est ce qui se passe dans ce récit, qui rapporte une guérison a priori non urgente, une guérison non demandée par celui qui en est porteur, une guérison faite un jour où il est interdit de le faire.
Par la suite, les scribes accuseront Jésus d'être de connivence avec le Prince des démons et d'être lui-même un possédé, donc un maudit, quelqu'un dont il faut se méfier, dont il faut se débarrasser.
Se débarrasser de Jésus, cela arrivera, mais en son temps. Mais il me semble qu'il est important de lire ce texte dans cette perspective de mort qui est déjà annoncée.
Le prêtre qui commentait ce texte a différencié le péché d'un tout à chacun, qui serait symbolisé par la main desséchée mais qui ne crée aucune colère chez Jésus, puisqu'il est venu justement pour ceux qui ont besoin d'un médecin, du péché des pharisiens qui est l'atrophie du cœur, et qui lui provoque cette colère, teintée de tristesse.
Le texte.
1 En ce temps-là, Jésus entra de nouveau dans la synagogue ; il y avait là un homme dont la main était atrophiée.
2 On observait Jésus pour voir s’il le guérirait le jour du sabbat. C’était afin de pouvoir l’accuser.
On peut penser que ce qui se passe là, c'est un piège que l'on tend à Jésus. Les pharisiens ont fait venir cet homme, en espérant que ce jour-là, Jésus viendra enseigner dans cette synagogue et qu'il verra cet homme. Et en fonction de ce qu'il fera ou ne fera pas, il sera possible de l'exclure, à défaut de le lapider.
3 Il dit à l’homme qui avait la main atrophiée : « Lève-toi, viens au milieu. »
4 Et s’adressant aux autres : «
Est-il permis, le jour du sabbat, de faire le bien ou de faire le mal ?
de sauver une vie ou de tuer ? »
Mais eux se taisaient.
Jésus a vu. Et il va prononcer deux phrases. La première est pour l'homme, qui est peut-être tout au fond de la synagogue: "Lève-toi et viens au milieu"... Deviens le point de mire… Se lever, ce verbe qui revient si souvent, ce verbe qui évoque la résurrection, montre que Jésus veut que cet homme redevienne un vivant.
Quand Lévi a été appelé, il s'est levé. Il est demandé à cet homme de se lever, d'aller en plein milieu, devenir le centre de l'assemblée. Si déjà cet homme infirme arrive à faire cela, c'est presque un miracle: sortir de sa honte, supporter le regard des autres.
La deuxième phrase est pour ceux qui lui tendent un piège, et c'est une question, qui est formulée en termes de permis/défendu. On pourrait dire :"Est-il défendu le jour du Sabbat de faire le bien ("le bien" c'est autre chose que "du bien")? Est-il permis de sauver une vie?" (Je regroupe les deux positifs ensemble). Et une deuxième question: Est-il permis de faire le mal et de tuer le jour du shabbat? Or que ce soit faire le mal ou tuer, c'est interdit tous les jours de la semaine, shabbat inclus…
Et là, on est dans le silence. Silence de l'homme qui a bougé, silence de cette assemblée, qui est peut-être paralysée par la présence des pharisiens et qui n'ose pas réagir; silence de ceux qui accusent sans le dire, ceux qui récriminent.
5 Alors, promenant sur eux un regard de colère, navré de l’endurcissement de leurs cœurs, il dit à l’homme : « Étends la main. » Il l’étendit, et sa main redevint normale.
Jésus répond à leur silence par un regard, et j'aime toujours autant cette traduction qui est celle de la B.J. "un regard de colère, navré de". Chouraqui écrit: "il les regarde à la ronde, et il brûle, blessé par la dureté de leur cœur", qui explicite bien ce qui est rapporté ici.
Cette colère qui est tristesse, car Jésus n'arrive pas à sortir ces hommes du piège où ils sont tombés, d'être devenus incapables de voir avec leur cœur.
Puis est décrit ce qui se passe avec l'homme, qui n'a rien demandé, comme ce sera le cas plus tard avec la femme courbée de l'évangile de Luc. . Il ne le touche pas. Il lui donne un ordre, ordre auquel l'homme aurait pu se soustraire, pensant que c'est impossible. Mais il croit, il fait, et la main redevient ou devient normale; et il y a peut-être une autre guérison, plus profonde, le retour de la vie, qui permet à la honte de s'enfuir.
6 Une fois sortis, les pharisiens se réunirent en conseil avec les partisans d’Hérode contre Jésus, pour voir comment le faire périr.
Et là, c'est de désir de mort qui s'empare des pharisiens, qui vont s'unir avec les partisans d'Hérode, pour trouver un moyen d'éliminer cet homme qui, pour eux, ne respecte pas la loi de Moïse.
Arrivée à la fin de ce travail, je voulais laisser parler, laisser raconter, mais par qui?
J'ai commencé par laisser parler celui que je considère comme un handicapé, en essayant de faire du différent de ce qui m'a été soufflé en 2020. Puis tout naturellement est venue l'envie de laisser parler Jésus, de cette colère qui était souffrance en lui, parce que j'ai toujours pensé que ces pharisiens avec lesquels il y a de tels accrochages, il les aimait beaucoup.
Et enfin, plus brièvement, un des pharisiens, de ces récriminateurs.
L'homme raconte
Ils sont venus me chercher pour me conduire à la synagogue, et je n'ai pas compris pourquoi ils étaient venus, alors qu'ils savent que je n'aime pas sortir de chez moi, que je ne veux pas que l'on regarde ma pauvre main, ma main qui n'a pas grandi, ma petite main morte, qui est recroquevillée sur elle-même. Mais je ne suis pas de taille à dire non.
Arrivés à la synagogue, je me suis mis dans le fond et c'est là que j'ai vu ces hommes qui ont suivi celui qui s'appelle Jésus et qui fait des guérisons. J'espérais que lui ne viendrait pas. Mais il est arrivé, il a pris le rouleau de la loi et l'a commenté à sa manière, avec une manière nouvelle. Et je voyais bien que ça ne plaisait pas.
Puis, alors que je pensais que j'allais pouvoir rentrer chez moi, il m'a regardé, et m'a dit de lever et de venir là, en plein milieu. J'ai obéi, mais je n'en menais pas large. Et pourtant sa voix était douce.
Il s'est alors adressé à l'assemblée. Il a demandé si le jour du Shabbat il était permis de faire le bien ou de faire le mal. Faire le bien ce n'est pas faire du bien, c'est autre chose. Pour moi, c'est comme s'il me disait qu'il allait me guérir, que cela c'était faire du bien, mais aussi qu'il pouvait aussi me délivrer de ma timidité, de ma maladresse, de tout ce qui s'est accumulé en moi depuis des années et qui fait que plus rien ne circule en moi. Parfois, j'ai l'impression de devenir aussi sec que ma pauvre main.
Faire le mal le jour du Shabbat, c'est une question bizarre, parce que le mal c'est tous les jours de la semaine qu'on n'a pas le droit de le faire. Et il a aussi demandé si le jour du Shabbat c'était permis de sauver une vie ou de tuer? Là encore quelle drôle de question, mais sauver une vie, sauver ma vie, alors là, s'il peut faire ça, qu'il le fasse, et il n'a besoin de la permission de personne. Et le Très Haut n'a-t-il pas dit par son prophète Moïse que nous devions choisir la vie et pas la mort?
Eux n'ont rien répondu, mais moi je me disais, je lui disais, "Oui Seigneur, même ce jour qui doit être consacré au Repos, tu as devoir de faire le bien, tu as le devoir de me sortir de la mort qui est là un peu plus forte chaque jour, s'il te plaît, Jésus, fais-le".
Il a dû m'entendre, parce qu'il les a tous regardé avec un drôle de regard, un regard qui montrait combien cela le peinait qu'ils ne comprennent pas à quel point la vie est ce qu'il y a de plus important; et que la vie, Shabbat ou pas, elle doit primer sur toutes les règles, sur tous les interdits.
Il m'a dit alors de tendre la main: tendre la main, vous vous rendez compte, moi qui ne peux pas déplier les doigts, qui ne peux pas mettre mon poignet dans l'axe du bras depuis tant d'années? C'était presque fou comme ordre, mais j'ai fait ce que j'ai pu et j'ai senti la vie qui revenait. J'aurais voulu me jeter à ses pieds, mais avec leurs regards tellement hostiles je n'ai pas osé…
Eux sont sortis, et je sentais de la haine, un désir de meurtre en eux. Tuer cet homme qui leur tient tête, tuer cet homme qui finalement parle d'aimer, aimer vraiment, aimer d'amour. Cet amour il me l'a donné. A moi maintenant de le donner aux autres et d'être son témoin. Finalement ils ont vraiment bien fait de venir me chercher dans mon "trou"… Que Le très Haut soit loué.
Jésus raconte
Ce qui s'était passé dans ce grand champ que nous avions traversé pour nous rendre en ville, ce matin là, ce matin de Shabbat, les pharisiens - qui font semblant d'être des disciples, mais qui viennent pour faire comprendre à mes vrais disciples, ceux que j'ai choisis, que je suis un imposteur - n'ont pas aimé du tout ma réponse, et pourtant j'ai cité la Parole. Ils m'ont crié dessus parce que je n'empêchais pas mes amis qui avaient faim (comme moi, je dois le dire) de froisser des épis de blés, comme si faire cela, c'était moissonner. Déjà ça, c'est couper les cheveux en quatre, mais me reprocher de ne rien leur dire, c'était, pardonnez-moi l'expression, un peu fort de café (je sais que le café n'existera que bien des années plus tard).
Et comme ils n'avaient pas pu trouver d'objection à ce que j'avais dit, en citant ce qu'avait fait David qui s'était emparé des pains réservés aux prêtres, et qu'ils étaient furieux contre moi - car j'avais parlé de moi en me nommant "le fils de l'homme" et en affirmant que de ce fait j'étais le maître du Shabbat, et en leur expliquant que le Shabbat avait été fait pour l'homme et non pas l'homme pour le Shabbat, que le Shabbat ne devait devenir une prison, mais un temps de libération - je suis sûr qu'ils vont essayer de me piéger, pour que je sois lapidé, pour l'on n'entende plus parler de moi.
Et ça n'a pas manqué. Quand nous sommes entrés dans la synagogue ce matin là, il y avait beaucoup, beaucoup de monde. Et dans le fond, j'ai vu qu'il y avait un homme qui se faisait tout petit, qui se cachait derrière les autres et qui cachait sa main sous son châle de prière, comme s'il en avait honte. Alors j'ai compris: ils voulaient voir si, en ce jour de Shabbat, j'allais oser guérir un homme dont la vie, en soi, n'était pas en danger. Sauf que moi, je sais que cet homme va mal, et que même si c'est interdit, il veut ne plus vivre. Il ne se supporte plus, il ne supporte plus le regard des autres, il ne supporte plus de mendier.
Alors, à ceux qui veulent me piéger, j'ai posé une double question. D'abord, de savoir s'il est permis (mais qui dit permis, dit aussi défendu) de faire le bien ou le mal un jour de Shabbat, et s'il est permis (ou défendu) de sauver une vie ou de tuer. Pour tous les gens normaux, c'est évident que l'important c'est de faire le bien, que l'important c'est de sauver une vie. Mais pas pour eux, sauf qu'ils n'ont pas osé répondre, parce qu'ils avaient peur des autres, ceux qui ne sont pas instruits, ces petits que moi j'aime tant.
Au fond de moi, j'avais espéré qu'ils comprendraient que le Shabbat c'est bon, et même très bon, mais qu'il ne faut pas mettre n'importe quoi derrière le mot de travail, d'autant que mon Père, lui, travaille toujours et que comme je le vois faire, je fais comme Lui (1). Et cela m'a attristé. J'aimerais (là encore pardonnez-moi l'expression) , les secouer comme des pruniers, pour qu'ils se secouent, qu'ils comprennent que je suis là pour tous les hommes, pour sauver, pour libérer. Mais ils restent dans leur carcan qui les sécurise et cela me rend malade de tristesse.
Quant à l'homme, dont je ne connais même pas le nom, je lui avais demandé de se lever et de venir à côté de moi, du côté où l'on proclame la Tora; il attendait. Je lui ai demandé d'étendre sa main. Je sais bien que cela il ne pouvait pas le faire, mais maintenant il peut. Son regard est devenu éperdu de reconnaissance quand il a pu bouger ses doigts, et que son poignet s'est redressé. Je l'avais guéri un jour de Shabbat, mais j'avais fait plus que cela, il avait retrouvé le désir de vivre.
Quand les autres sont sortis, j'ai compris qu'ils allaient de mettre d'accord avec les partisans d'Hérode pour m'éliminer. Mais ce temps-là, n'est pas encore venu.
(1) Jn 5, 17
Un pharisien raconte
Des amis à moi, des amis qui comme moi, respectent la loi de tout leur cœur, de tout leur être, sont venus me chercher comme tous les Shabbat pour aller à la synagogue. Avec eux, il y avait un homme qui avait une main atrophiée. Je me demande quel péché il a commis pour avoir cette infirmité. En chemin, ils m'ont dit qu'ils voulaient mettre Jésus à l'épreuve, car il n'y avait aucune urgence à guérir cet homme un jour consacré au Seigneur. Et que s'il transgressait cet interdit, parce que des interdits il en transgresse beaucoup, ils iraient à Jérusalem pour le dénoncer aux grands-prêtres et peut-être même trouver un moyen de le faire taire, car il commençait à prendre trop de place.
Eh bien, la guérison, il a osé la faire. Il nous a pris à partie, en nous demandant s'il était permis, en ce jour consacré au Très Haut, de faire le bien ou le mal, de sauver une vie ou de la perdre. Que pouvions nous répondre? Rien bien entendu, mais ce n'était pas une bonne question. Il nous avait piégés lui aussi. Il nous a regardés, et je dois dire que je n'étais pas très à l'aise. Je le sentais triste et en colère, mais bon, je sais ce qui est bien je sais ce qui est mal, et je sais que le jour du Shabbat aucun travail ne doit être accompli. Puis, il a guéri l'homme. Il ne l'a pas touché, il n'a pas prononcé de formule pour chasser le démon qui le possédait, il lui a juste dit d'étendre sa main et sa main a comme repoussé, ce qui est quand même très impressionnant.
J'étais à la fois impressionné et très mal à l'aise. Mais je crois que ce Jésus, il ne faut pas le laisser faire, et qu'il faut nous unir avec les disciples d'Hérode pour trouver moyen de le faire mourir le plus vite possible. Que le Très Haut nous vienne en aide.
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