mercredi, août 16, 2023

Mt 18, 21-35. Le débiteur impitoyable

Impossible de retrouver ce billet dans le blog Porteuse d'eau. 


ce n'est donc pas un nouvel article, mais je le remets tel quel.


Il se trouve dans le livre: ils racontent les évangiles Tome 3.



Mt 18, 21-35. Le débiteur impitoyable.

C'était l'évangile proposé hier, mardi de la troisième semaine du temps de Carême. C'est un texte avec lequel j'ai du mal. Il a fallu presque deux jours pour que ce texte, d'un coup, prenne une autre dimension, que je sorte de ce que j'avais pu lire, pour comprendre que la "logique de Dieu" n'a rien à voir avec la logique des hommes, et qu'il se joue de nos petits calculs bien mesquins; parce que sa logique à lui, c'est celle du cœur (finale de ce texte: pardonner du fond de votre cœur). 

 

J'ai lu beaucoup de commentaires sur ce texte, sur le fait que le serviteur impitoyable a oublié que derrière le don (la remise de la dette), il y a le donateur. 

 

Il y a les commentaires qui font des parallèles avec la prière du Notre Père: "Remets-nous nos dettes, comme nous remettons leurs dettes à nos débiteurs" et "Car si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne pardonnera pas vos fautes". Mais pour pardonner, nous avons normalement quand nous étions enfants, été pardonnés par nos propres parents, et c'est cette expérience-là, qui permet la bienveillance envers les autres. On passe quand même ici du juridique (qui a des règles précises dans le Lévitique) à quelque chose de différent, la notion de faute.

 

Ce texte se trouve dans le chapitre 18 de Matthieu, qui est consacré au "vivre ensemble", donc aux règles qui doivent avoir cours dans la jeune communauté des disciples de Jésus. Se pose à partir du verset 15 la question du péché commis par un frère contre un frère, et du rôle de la communauté qui peut exclure; et ensuite celle du pardon, ce qui paraît assez logique. 

 

Analyse du texte: travail sur les versets.

 

C'est une analyse où je souligne certains mots qui me paraissent importants, et où je me laisse aller, au fil de la plume, à commenter, à laisser venir assez librement ce que cela me dit.

 

21 En ce temps-là, Pierre s’approcha de Jésus pour lui demander: «Seigneur, lorsque mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois?»

22 Jésus lui répondit: «Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois.»

 

Bien sûr, il faut faire un parallèle avec le livre de la Genèse (Gn 4,24): "Caïn sera vengé sept fois et Lamek soixante-dix -sept fois". Mais Jésus remplace vengeance par pardon, et c'est encore plus...

 

Pauvre Pierre, qui devait trouver que pardonner sept fois, c'était déjà beaucoup. Et ce que Jésus répond, c'est quasiment impossible; ce qui laisse penser qu'on est dans un autre registre. Et puis, le juste pèche sept fois par jour. Mais faute et péché, est-ce la même chose? Je ne le pense pas.

 

Il est question ici du nombre de fautes: pas du temps, ou de la durée. Je veux dire que si quelqu'un commet envers moi sept fautes dans la même journée, ce n'est pas la même chose que si c'est en une semaine ou en un mois. La faute (mais il faudrait savoir si le mot grec est différent du mot employé pour parler du péché), c'est souvent quelque chose que l'autre ne fait pas exprès, mais qui peut tout à fait insupporter, voire même faire exploser. Faut-il se laisser faire, faut-il répondre systématiquement oui à l'autre, si - conscient de sa faute - il demande pardon? 

 

La réponse de Jésus est sans équivoque: toujours pardonner. Et soixante-dix fois sept fois, c'est de la démesure. Et je crois que c'est bien là que se trouve la pointe de la parabole: ne pas rester dans le "compter", parce qu'avec Dieu, ça ne fonctionne pas comme ça.

 

 

23 Ainsi, le royaume des Cieux est comparable à un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs.

24 Il commençait, quand on lui amena quelqu’un qui lui devait dix mille talents (c’est-à-dire soixante millions de pièces d’argent).

25 Comme cet homme n’avait pas de quoi rembourser, le maître ordonna de le vendre, avec sa femme, ses enfants et tous ses biens, en remboursement de sa dette.

26 Alors, tombant à ses pieds, le serviteur demeurait prosterné et disait : “Prends patience envers moi, et je te rembourserai tout.”

27 Saisi de compassion, le maître de ce serviteur le laissa partir et lui remit sa dette.

 

Ce qui est étonnant, c'est qu'on est dans une scène presque banale d'un roi (d'un maître, d'un gros propriétaire) qui veut régler ses comptes, à un moment donné; s'agit-il de quelque chose qui peut évoquer la fin des temps? 

 

Avant même qu'il ne commence à "rendre justice", on lui amène un homme qui très certainement voulait prendre la fuite. Et là, ce sont les autres, les frères si on peut dire, qui ne le laissent pas faire. Il faut dire que cet homme-là, clairement, doit beaucoup plus que les autres. De qui est-il le prototype? Peut-être justement de nos dettes envers Dieu, dont nous ne nous rendons pas compte, mais que les autres comptabilisent ... 

 

La suite on la connaît: il y a la demande, la promesse; et la compassion finalement très étonnante du maître de ce serviteur. On n'est plus dans le registre du maître implacable face à son serviteur; c'est autre chose qui se passe. Il y a de la pitié, il y a de l'amour. 

 

Et là normalement le serviteur devrait être éperdu de reconnaissance et se précipiter chez lui, par raconter à sa femme, la bonté de leur maître. Et "le remettre sa dette" va s'opposer au "rembourse ta dette" du verset suivant. 

 

28 Mais, en sortant, ce serviteur trouva un de ses compagnons qui lui devait cent pièces d’argent. Il se jeta sur lui pour l’étrangler, en disant : “Rembourse ta dette !”

29 Alors, tombant à ses pieds, son compagnon le suppliait: “Prends patience envers moi, et je te rembourserai.

30 Mais l’autre refusa et le fit jeter en prison jusqu’à ce qu’il ait remboursé ce qu’il devait.

31 Ses compagnons, voyant cela, furent profondément attristés et allèrent raconter à leur maître tout ce qui s’était passé.

 

C'est donc la même scène, mais cette fois c'est le premier qui a la place du maître, et qui n'agit pas du tout comme ce dernier. C'est aussi parfaitement symétrique par rapport à la première scène. Mais, Il y a eu en plus un acte très violent, presque un désir de meurtre (l'étrangler). Cela peut jouer dans la phrase "serviteur mauvais" qui sera employée par la suite. Et "serviteur mauvais", cela renvoie aussi à la parabole des talents, où le serviteur n'a pas compris qui était ce maître qui lui confiait cette somme. 

 

32 Alors celui-ci le fit appeler et lui dit : “Serviteur mauvais ! je t’avais remis toute cette dette parce que tu m’avais supplié.

33 Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?”

34 Dans sa colère, son maître le livra aux bourreaux jusqu’à ce qu’il eût remboursé tout ce qu’il devait.

 

35 C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur. »

 

 La "sentence" qui termine cette histoire, c'est voici ce qui vous arrivera si vous ne pardonnez pas à votre frère, du fond du cœur. Et là, c'est autre chose que pardonner du bout des lèvres. Cela montre aussi que quand Dieu pardonne, il pardonne du fond du cœur. Et de cela, Pierre fera l'expérience, bien plus tard, après la résurrection en Jn 21,15-17.

 

 La pointe de la parabole: sortir de la logique du nombre.

 

La pointe de cette histoire pour moi, c'est de ne pas s'empêtrer dans du juridique, dans de l'obsessionnel, parce qu'avec Dieu ce n'est comme cela que ça se passe. Passer de 7 fois à 70 fois 7 fois, c'est complètement fou...

 

Remettre une dette qu'on ne peut pas se représenter (comme la dette de la France en ce moment), c'est complètement fou. Cela brise toutes les références.

 

Dieu n'a pas besoin de compter. Ce qui compte pour lui, c'est justement de ne pas entrer dans une relation de compte, mais d'amour. 

 

Si ce n'est pas possible à un moment donné, parce que l'homme n'est pas prêt à ce fonctionnement-là, alors oui, le juridique pourra reprendre le dessus, mais c'est bien dommage et ce n'est pas la démarche désirée par Dieu, même si une justice doit être rendue.

 

Si Jésus parle du cœur, pardonner de tout son cœur, c'est que si on pardonne avec son cœur, on ne compte plus. On sort de la logique du donnant-donnant, de la rétribution, pour entrer dans la logique de l'amour qui sera la logique de Jésus: logique de la Croix.. 

 

Ce que je veux dire, c'est que quand Pierre pose la question du pardon en termes juridiques, Jésus, par la démesure, fait sauter cette conception étriquée. Et il enfonce le clou en montrant que Dieu (le roi, le maître) ne rentre pas dans cette manière de fonctionner. Peu importe la somme, il ne se place pas dans le juridique, mais s'il fait grâce, s'il a pitié, c'est que cela change d'ordre. 

 

J'ai envie de dire que cela se passe dans l'affectif, et que ce qui est demandé aux disciples, c'est de sortir d'une logique de rétribution pour entrer dans une logique de l'amour. C'est ce que le serviteur mauvais, au cœur fermé, n'a pas été capable de comprendre.

 

On peut noter que les mots rembourser, dettes, sont omniprésents, ce qui renvoie presque à du juridique, comme dans le passage précédent (Mt 18, 15-18) qui est centré sur le péché. 

J'ai lu récemment que ce qui explique l'impossible reconnaissance, c'est que ce serviteur s'est mis dans la tête qu'il devait rembourser (ce qui explique son comportement inadmissible, avec son compagnon, alors que la dette lui a été remise. C'est comme s'il n'avait pas pu croire que c'était possible. Il a entendu délai, il n'a pas entendu que la dette était apurée). 

 

Je vais dans un premier temps laisser ce débiteur qui ne se laisse pas fléchir raconter ce qui s'est passé, puis j'analyserai le texte à ma manière.

 

 

L'homme raconte

 

Il paraît que le maître est revenu d'une longue absence et qu'il va voir avec chacun d'entre nous ce que nous lui devons. L'ennui, c'est que moi, ça fait des années et des années que j'emprunte, parce que je suis un joueur et que je perds et je perds; et je gagne et je reperds. Peut-être qu'il n'aurait pas dû me laisser emprunter autant. Alors je vais essayer de m'enfuir, parce que c'est sûr que je vais être vendu moi et ma famille, je vais perdre les quelques biens que ma femme a réussi à garder, et ce sera pour toute notre vie. C'est de sa faute à lui, d'abord, il n'aurait pas dû me laisser m'endetter à ce point-là. 

 

Seulement je n'ai pas pu prendre la fuite, parce que les autres employés, à qui je dois aussi des sous, même si certains m'en doivent, m'ont rattrapé. Ils m'ont conduit manu militari devant lui. Et Là j'ai peur, très peur. 

 

Il ne me reste qu'une chose à faire: jouer le tout pour le tout, lui demander de prendre patience, prendre un air contrit, me jeter à ses pieds. C'est ce que j'ai fait, et curieusement ça a marché. Il est étonnant ce maître, et maintenant je ne suis pas en prison; ma dette est remise, et je peux reprendre ma vie. Que ma femme va être contente!

 

En sortant, j'étais sur un petit nuage! Mais j'ai croisé un de mes amis qui me doit de l'argent. Ce n'est pas énorme à côté de ce que moi je devais, mais je n'ai aucune ressource. Alors mon sang n'a fait qu'un tour, je lui ai sauté à la gorge en lui demandant de me rembourser sur le champ. Il m'a supplié d'être patient, mais j'ai trop besoin de cet argent alors je l'ai fait mettre en prison, lui et sa famille. Quelques jours ont passé, et je coulais des jours assez heureux; seulement j'avais oublié que dans une ville, finalement tout se sait. Les autres ont su ce que j'avais fait et ils m'ont dénoncé au maître. Celui-ci m'a convoqué, et là, je savais que ça sentait mauvais pour moi. Je ne sais pas pourquoi je me suis conduit ainsi, mais quand la colère me prend, rien ne m'arrête. Et après tout, cet argent il me le devait. 

 

Le maître lui, était très en colère, je n'ai rien pu dire. Il criait en me disant que lui avait eu pitié de moi et moi j'aurais dû faire pareil. Et il m'a livré à la justice et me voilà mis en esclavage moi, ma femme et mes enfants pour un nombre d'années que je ne peux même pas calculer. Pourtant ma dette, il me l'avait bien remise, pourquoi ai-je été aussi stupide? 

 

Raconté comme cela, c'est l'histoire d'un type mauvais, qui ne pense qu'à lui, qui ne sait pas ouvrir les yeux, qui ne se rend pas compte de la chance qu'il a d'avoir quelqu'un qui lui remet sa dette - pourtant énorme, et qui au final est obligé de subir sa peine. 

 

 

Un compagnon de ce serviteur raconte. 

 

Il y a quelques jours, l'intendant du domaine est venu nous prévenir que le maître était revenu de son grand voyage et qu'il allait nous demander des comptes. De mon côté je n'ai rien à me reprocher, mais je n'aime pas, mais pas du tout. Nous étions les uns derrière les autres, à attendre et nous avons vu que l'intendant conduisait Onésime. Onésime, c'est un joueur, et il a des dettes faramineuses. Il est bien évident que jamais il ne pourra rembourser quoique ce soit. 

 

Et on sait tous, ce que cela veut dire: prison a vie pour lui et toute sa famille. Mais lui, il s'est jeté aux pieds de notre maître, il lui a juré qu'il rembourserait tout. Et là, le maître lui a dit que sa dette était annulée. Vous vous rendez compte, lui qui devait une fortune, il ne devait plus rien, il était libéré, sa famille avait échappé à l'emprisonnement. Et il est rentré chez lui. 

 

Cela aurait pu en rester là, mais quelques jours plus tard, nous avons su qu'il, avait fait mettre en prison un de nos amis qui lui devait cent pièces d'argent alors que lui, il en devait dix mille talents.  Vous vous rendez compte, il l'a fait jeter en prison lui et toute sa famille alors qu'il était en liberté. 

 

Alors, nous avons trouvé cela tellement injuste, malhonnête, méchant, qui nous sommes allés voir l'intendant qui a prévenu le maître. Et il s'est retrouve en prison, lui et toute sa famille. Et cela ce n'est que justice. Le maître a fait sortir l'autre de prison. Et cela nous a rendu heureux. 

 

Quand on a fait l'expérience de la compassion, n'est-il pas normal d'en faire autant? 

 

 

  

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