mardi, décembre 28, 2004

"porteuse d'eau" Mars 2001

Ce texte se veut être un sorte de texte liminaire, même si professionnellemen t c'est un des derniers.

Il résume ce que je suis devenue au cours de ces années passées avec des enfants si différents.

Il traduit peut-être aussi ce qui en est de mon évolution, de ma maturation et peut-être aussi de ma recherche "spirituelle".

Le texte et la musique de la chanson d'Anne Sylvestre:http://www.youtube.com/watch?v=5NXNTWOWIwE&feature=player_embedded


Après avoir vécu avec ses enfants, vivre avec un chat, un chat qui a été très malade, permet de communiquer différemment, d'anticiper certaines demandes, de trouver des gestes. Au cours de ma vie professionnelle j'ai du désapprendre tout ce que j'avis appris, parce que le travail auprès d'enfants "différents" n'est pour ainsi dire expliqué nulle part. Ce que je suis devenue, c'est grâce à aux, grâce à leurs parents, et peut-être aussi grâce à ce que mon enfance m'a donné.

Mon premier désir était de "fabriquer" des produits chimiques qui devaient servir à la rehcerche dans un laboratoire universitaire.La recherche scientifique est une bonne école, elle apprend l'humilité.

Un moment vient, où ce désir s'estompe et où il est remplacé par le désir d'être à plein temps avec ses enfants, avec sa famille.

Et puis un jour renaît le désir de comprendre, le désir de se comprendre. L'université est là pour cela. Reprendre des études (de psychologie) à 35 ans m'a donné beaucoup de plaisir. Comme tout étudiant, j'ai d'abord esayé de trouver en moi toutes les pathologies possibles et imaginables. La chance pour moi a été de ne pas rester dans le milieu traditionnel et de travailler preogressivement auprès du corps malade, auprès de corps atteint, auprès due corps souffrant, douloureux . Il m'a fallu vaincre une certaine peur pour pouvoir écouter, entendre aussi ce qu'il en est de la souffrance des familles. En fait, ce site est là pour leur dire à tous merci pour tout ce qu'ils m'ont donné de voir, d'entendre de comprendre.

Il s'agit aussi d'une transmission, car ayant eu la chance d'avoir à sortir des sentiers bien balisés, j'espère que les approches que j'ai pu avoir pourront peut-être servir à d'autres.

Le texte qui suit est celui qui actuellement représente le mieux ma trajectoire. Si vous connaisez la chanson d'Anne Sylvestre, "porteuse d'eau", écoutez la d'abord. Je crois que la vocation des femmes est de "faire passer " que ce soit du ventre maternel à la vie, mais aussi de la vie à la mort, et qu'elle est de donner la goutte d'eau nécessaire à chaque passage.


Porteuse d'eau pour la vie entière

Apporter aux autres l'eau qui coule, l'eau vive, c'est donner la vie, c'est donner de la vie. C'est un peu comme cela que j'ai essayé de concevoir mon métier de psychologue. Porter de l'eau, c'est laisser l'autre libre d'en faire ce qu'il veut, que ce soit la jeter, la regarder couler ; la boire ou simplement la goûter.

Au début de la vie professionnelle, on croit savoir ce que l'autre doit faire de votre eau. On est prêt à écouter, mais aussi à donner des conseils, on est plein de théories, plein de bonnes intentions.

Après on se contente d'être là avec son seau, et parfois le regard de celui qui vous accepte votre eau, vous rend heureux et là on commence à se sentir autre. Des fois, on vide les seaux avec lui, et on se dépêche de les remplir, et un plaisir vient. Et puis parfois, c'est l'autre qui prend vos seaux et parce qu'il ne s'y prend pas comme vous, alors vous apprenez de nouveaux gestes, de nouveaux regards, et il y a ce plaisir à faire ensemble, à être ensemble.. Parfois, seules quelques gouttes sont nécessaires, et vous vous sentez un peu gauche avec vos gros seaux. Heureusement, en cours de chemin on en renverse beaucoup et ils deviennent de plus en plus légers. Bien sûr, il faut toujours aller remplir les seaux, mais parfois on change de source, on change de chemin, parfois on oublie le chemin, on en invente un autre et l'eau n'est plus la même, elle " goûte " différent..

Cela fait un an que je ne travaille pratiquement plus, que j'ai du temps pour moi, du temps pour regarder le temps couler, l'eau couler, les seaux se vider. Existe-t-il un équilibre entre ce que j'ai cru pouvoir donner de respect, de compréhension, d'écoute, et ce que j'ai reçu de toutes ces personnes que j'ai rencontrées et qui se caractérisaient par une infinie dépendance, je ne crois pas. J'ai plus reçu, plus appris que je n'ai donné.

J'ai essentiellement travaillé avec des enfants et leurs famille en milieu hospitalier. J'ai rencontré beaucoup d'enfants porteurs de handicaps très lourds . Le contact avec la maladie, avec la souffrance, avec la mort, m'a permis d'abandonner un certain sentiment de toute puissance qui est lié au savoir.

Il y a des mots comme le pardon, ou le don qui sont des mots actes. Je veux dire par là que pour être vrais, ils doivent provoquer un changement La compassion est pour moi un des ces mots actes et c'est un mot qui m'a fait changer très profondément. Je préfère ce que je suis maintenant, à ce que j'étais au début de ma vie professionnelle, même si sur le plan émotionnel ce n'est pas très professionnel de sentir parfois les larmes toutes proches.

Aujourd'hui en réfléchissant à ce que j'ai essayé d'être, à ce que j'ai essayé de donner, je me rends compte que j'ai beaucoup travaillé avec mes propres trous, avec mes propres déficits. Cela m'a permis de créer une manière d'être qui est la mienne. Je me rends compte que mon désir de permettre à l'autre de trouver un accès à une histoire, des repères, de lui permettre de ne être pas terrorisé par la perte du contrôle qui est presque inhérente à toute intervention chirurgicale grave et par le discontinu au quel il va être confronté, est très lié à ma propre histoire, à ma propre lutte contre le discontinu.

J'en viens à me demander qui j'ai essayé de réparer et je peux au passage remercier tous ceux qui ont participé gratuitement à ma propre réparation en me donnant une satisfaction à la fois narcissique (celle de ne pas être un trop mauvais objet pour eux), et profondément réparatrice quant à ma propre histoire.

le Petit Prince de saint Exépury dit : " apprivoiser c'est créer des liens ". Créer des liens, cela permet outre la relation à l'autre, de aussi de s'apprivoiser à l'intérieur de soi, de lutter contre la pulsion de mort, contre la désintégration psychique, contre le morcellement. Il y a une phrase de Daniel Oppenheim qui est le pédo psychiatre qui travaille à Villejuif avec les enfants cancéreux que j'aime beaucoup. Il parle des enfants qui sont en fin de vie et il écrit : " L'enjeu pour eux,( les parents), n'était plus la vie ou la mort de leur enfant, mais la préservation du lien authentique dont ils découvraient la valeur ;faute de quoi, la mort triompherait, non parce qu'elle ferait mourir le malade, mais parce qu'elle le déposséderait du sens de sa vie. " Déposséder du sens de sa vie. Cela c'est vraiment la mort.

Donner du sens, même si parfois il ne s'agit que d'un sens partiel, permet à l'autre de se sentir en vie. Ce n'est pas une tentation de toute puissance, même si parfois cette tentation existe. C'est le désir de mettre du langage, j'aimerai dire du souffle, même si ce terme peut avoir une connotation spirituelle ou religieuse, pour permettre à l'autre de se sentir existant, existant pour lui, existant pour moi.

Pendant des années j'ai essayé de faire le lien, de servir de mémoire, entre ce que les enfants et leurs parents vivaient à l'hôpital, et ce qui se vivait ensuite dans les centres de rééducation. J'ai essayé de dire, de donner des repères, de raconter cette histoire qui se passait devant moi J'ai parfois essayé de comprendre théoriquement le pourquoi de la réponse somatique, mais avec le temps, j'y ai renoncé, parce que cela servait beaucoup à me rassurer moi-même.

J'ai beaucoup " travaillé " à la remémoration du vécu lors de l'annonce du handicap ou de la maladie, parce que je sais qu'à ce moment là tout se fige et qu'il est nécessaire pour commencer à vivre avec de laisser remonter une émotion qui ne s'est plus exprimée depuis des années.

Je savais bien que là encore je me réparais moi même en essayant d'écouter, de dire, parfois d'expliquer, de parler du temps, de l'évolution, tout ce qui ne peut être dit ou entendu au moment où votre narcissisme vole en éclat au moment de l'annonce.

Je n'ai jamais pu trouver de réponse au " pourquoi moi, pourquoi lui, pourquoi nous ". Ce que je sais c'est que j'ai découvert au cœur de ces familles quelque chose qui montre à quel point l'homme est capable d'amour et cela m'a émerveillée et c'est peut-être un des dons des plus précieux que j'ai reçu. Si quelque chose peut faire croire en la présence de l'Esprit de Dieu dans notre monde, c'est peut-être cela.

Ce que mon savoir m'a appris, c'est d'accepter d'avoir une position de non savoir face à celui qui est en souffrance, et ce quelle que soit sa souffrance. Cette position d'ouverture m'a permis de dépasser certaines situations où comme on dit " je m'en prenais plein la gueule "et de comprendre que ce que je ressentais comme de l'agressivité était le seul moyen d'exprimer une souffrance qui n'a plus de mots pour se dire. J'ai appris à passer d'un rejet presque automatique à une acceptation, à du négatif parce que il faut quand même se protéger, à une manière différente de regarder l'autre . J'ai peut-être appris à aimer réellement.

C'est à partir de ce non savoir que j'ai pu entrer dans un autre mode de relation. Parce que je ne savais plus faire, même si par ailleurs je savais beaucoup de choses, parce que j'ai appris à regarder, à toucher et aussi à apprendre. Alors j'ai appris à me faire confiance, a ne plus faire, mais à être dans " l'être avec ".

J'ai appris la joie d'un sourire, la joie à la cessation d'une douleur, la joie du contact de ma main sur un corps qui se détend. J'ai appris à dire des mots qui me semblaient justes, mais que je n'avais pas toujours envie de dire devant des tiers.

Le savoir que j'ai acquis, il était dans les seaux que j'ai trimballé avec moi. Le savoir que j'ai reçu il est dans la qualité de l'eau, dans la manière de partager les gouttes, dans le plaisir du rafraîchissement.

Peut-être suis-je devenue avec le temps, moins psychologue et plus sage-femme, c'est à dire comme un " passeur ", qui est là au moment de certains passages. Cette certitude me rend heureuse car elle me donne une place dans la chaîne humaine. C'est cela le plus beau cadeau que la vie professionnelle m'ait donné.

J'aime transmettre.



Ce site se veut un lieu d'échange, un lieu de transmission, transmission peut-être d'un savoir faire, mais surtout d'un savoir être.

Il me permet de diffuser des textes qui ont jalonné ma vie professionelle et aux quells je tiens,, textes qui tous tournent autour de l'enfant malade, de ses parents, de ses soignants.



Il se veut surtout un lieu de dialogue.

Aucun commentaire: