Catherine Lestang
Docteur en Psychologie
FIGURE DE REY
ET
HANDICAP PHYSIQUE
CONGENITAL INVALIDANT
Résumé
La Figure de REY est utilisée ici avec une population d'enfants et d'adolescents porteurs d'un handicap physique congénital invalidant. Son utilisation est couplée avec celle du PM 38, qui permet d'apprécier le niveau intellectuel, et avec le Rorschach.
Ces pathologies somatiques (physiques) nécessitent des interventions chirurgicales. Elles concernent soit la colonne vertébrale, c'est-à-dire l'axe central du corps, soit les membres inférieurs qui sont le support de la marche et de la verticalité.
A l'épreuve de la Figure de REY, le type de copie est en général conforme à l'organisation intellectuelle et psychique du sujet (appréciée par le Rorschach et le PM 38).
A la mémoire, selon les pathologies, on constate qu'il existe deux types de restitution:
Une approche plus qualitative centrée sur l'évocation, dans le deuxième temps de l'épreuve, traduirait l'impact possible de l'atteinte sur la représentation imaginaire du corps. Elle permettrait de ce fait de considérer la Figure de REY comme un test projectif qui ouvre sur des hypothèses concernant l'organisation psychique.
INTRODUCTION
Certaines atteintes congénitales qui touchent à la motricité ne permettent que difficilement l'accès à la position verticale. Elles peuvent bloquer totalement ou partiellement la marche. La réparation chirurgicale est indispensable. Elle nécessite un temps d'hospitalisation plus ou moins important, et est suivie d'un temps de rééducation dans un centre spécialisé. Le travail présenté ici a été fait dans une institution de ce type.
Nous avons choisi de présenter des cas de handicaps congénitaux. Dans le cas d'un handicap acquis, le développement de l'enfant est normal jusqu'au moment de l'atteinte. Une recherche plus ancienne (Lestang 1991) a montré que chez l'enfant porteur d'un handicap congénital il existe presque toujours une carence narcissique liée à une très importante souffrance parentale. Ce "défaut fondamental" qui touche au narcissisme primaire (Balint 1967) risque d'avoir une incidence sur la manière dont il s'organise et se perçoit.
Les travaux de R.Debray (1983) sur une population de malades adultes insulino-dépendants ont utilisé la Figure de REY (copie et mémoire) comme représentant de l'organisation narcissique du sujet. Son travail de recherche repose en partie sur le T.A.T.. Pour notre part nous nous sommes appuyé sur le Rorschach en faisant référence aux contributions de N.Rausch de Traubenberg (1977) et de C.Chabert (1983).
Le Rorschach, dans cette population (Lestang 1991), se caractérise souvent par une certaine pauvreté en kinesthésies, en un nombre peu élevé de réponses, et par un certain accrochage à la réalité des planches. Il permet de poser des hypothèses sur l'organisation psychique de l'adolescent et la présence d'un possible vécu dépressif. Il est aussi mieux accepté que le T. A. T.
Nous avons également proposé le PM 38 de Raven (1973), qui est en général bien accepté. La manière dont ce test est investi par l'adolescent est souvent un indice de sa pulsion de vie (Freud 1920, Winnicott 1957). On remarque alors l'importance du désir de réussite, la mise en oeuvre de stratégies de résolution, et le plaisir. Parfois une certaine apathie, ou au contraire une trop grande vitesse - ce qui est un moyen d'annuler le temps -, ou enfin un manque total d'esprit critique qui traduit le désintérêt, indiquent la présence d'éléments dépressifs. La série E nécessite de retrouver une caractéristique commune ou différente sur des éléments semblables. C'est aussi ce qui se passe d'une autre manière à l'épreuve de la Figure de REY.
La relative fréquence des oublis à l'épreuve de mémoire a été le fil conducteur de notre réflexion. Elle nous a conduit à considérer la Figure de REY comme un test capable de donner des indications sur la manière dont un adolescent handicapé peut se percevoir à certains moments de son développement.
Une première interrogation concerne les "oublis" des axes. Ainsi six adolescentes sur sept, qui avaient été opérées de la colonne vertébrale, ne pouvaient pas, à la mémoire, reproduire dans leur globalité les grands axes horizontaux ou verticaux. Les oublis concernent soit des parties ou la totalité des éléments internes du rectangle central (4 et 5), soit des éléments plus externes (élément 17, élément 16). Ces éléments sont importants car ils permettent la liaison ou la continuité.
L'intervention chirurgicale (arthrodèse du rachis) nécessite une immobilisation complète de plusieurs jours, voire de plusieurs semaines dans les cas difficiles. Une tige est introduite le long de certains segments du rachis de manière à rigidifier le dos d'une manière définitive. L'axe central du corps perd toute souplesse. Il était alors possible de se poser de questions sur l'impact d'une intervention aussi importante sur la représentation du corps.
Une deuxième interrogation est venue lors de bilans pratiqués avec des adolescents porteurs d'un Spina-Bifida[1], qui ne présentaient pas de débilité mentale. Ils avaient également subi une arthrodèse vertébrale. Malgré un niveau intellectuel normal, ils étaient presque toujours incapables de restituer à l'épreuve de mémoire plus de 5 ou 6 éléments sur les 18 du test. D'où provenait cette incapacité? Ces figures incomplètes données à la mémoire ne peuvent-elles pas renvoyer à la manière dont ils ressentent leur corps? Il s'agit d'un corps très particulier qui, du fait de l'atteinte somatique, n'a aucune sensation dans sa partie inférieure, et qui est incapable de se déplacer par ses propres moyens (paraplégie). C'est un corps opéré, un corps modifié, un corps atteint dans ses potentialités physiques. Est-ce ainsi qu'ils se représentent?
Les techniques chirurgicales ayant beaucoup progressé, nous avons rencontré des adolescents qui venaient de subir une intervention destinée à allonger un membre inférieur trop court. Il s'agit d'une malformation congénitale qui a toujours un impact très traumatisant sur les mères (avoir un enfant boiteux). Le plus souvent, malgré l'inégalité des membres inférieurs ces enfants se déplacent sans trop de difficultés et ne souffrent pas de leur handicap. L'intervention nécessite la pose d'un appareil qui va permettre un allongement progressif de l'os. Une rééducation est indispensable durant la durée du traitement (six à douze mois). Il y avait chez eux de nombreux oublis concernant les diagonales ou des parties des axes médians. Ces oublis peuvent représenter comme dans le dessin de l'enfant une trace psychique de la malformation. Ils peuvent aussi traduire une certaine surcharge fantasmatique. La centration sur le membre malade, membre qui ne faisait pas souffrir avant l'intervention, provoque un désir de faire comme si ce membre n'existait pas. Il est alors oublié.
Nous allons présenter quelques études cliniques pour lesquelles il sera parfois possible de montrer l'intérêt du triple éclairage (PM 38, Figure de REY, Rorschach). Nous proposerons ensuite une réflexion sur l'apport de ce test dans notre compréhension des adolescents présentant un handicap moteur.
I PRESENTATION DE QUELQUES CAS CLINIQUES.
Nous présentons ici les cas qui chronologiquement nous ont conduit à penser que la Figure de REY n'était pas un simple test d'organisation spatiale. Nous donnerons d'emblée les conclusions auxquelles nous avons abouti. Nous avons choisi de nous laisser interroger par la réalité du poids du handicap physique. De ce fait certaines interprétations pourront paraître trop proches de la réalité. Mais tenir compte du "poids du réel"- nous faisons ici référence au titre d'un des livres de Denis Vasse (1983) - permet d'entrer plus facilement dans une relation d'aide avec ces adolescents.
I-1 Sophie: une adolescente atteinte d'un Spina-Bifida.
Le Spina-Bifida, dans ses formes graves (celles de notre travail), a de nombreuses incidences. Il est visible à la naissance et nécessite en général le transfert dans un hôpital spécialisé pour poser une dérivation intracrânienne (lutter contre une possible hydrocéphalie), ce qui implique à la fois un traumatisme important du côté des parents et probablement des traces laissées dans le psychisme de l'enfant par une hospitalisation précoce. Les enfants qui en sont atteints sont fragiles. Ils sont incontinents. De nombreuses interventions chirurgicales sont en général nécessaires. Elles concernent les hanches, les pieds et surtout le rachis.
Sophie est une adolescente de 15 ans. Elle est en troisième et n'a jamais redoublé, malgré quatorze interventions chirurgicales. Elle se déplace uniquement en fauteuil manuel. Elle se présente comme une très bonne élève. En fait elle travaille énormément chez elle, pour compenser ses difficultés mnésiques, mais cela je ne l'apprendrai qu'après la passation. Elle doit entrer en seconde dans un lycée proche de son domicile. Elle présente comme tous les adolescents porteurs de cette pathologie une grande dissymétrie entre le haut et le bas du corps. Ce dernier est atrophié. Elle est très "rieuse" et semble maîtriser totalement son handicap. Elle veut être assistante sociale. Elle est sûre d'y arriver en mettant le temps.
Le P.M. 38 est très moyennement réussi, avec seulement 38 bonnes réponses, ce qui la situe au percentile 25 des enfants de 14 ans, soit dans le groupe III -. Il y a échec pour les séries C (spatialisation) et E. Ce test est très peu investi. Les qualités d'abstraction nécessaires pour suivre une classe de seconde ne sont pas présentes.
La copie nécessite un peu plus de 4 minutes. Il s'agit d'une copie qui s'apparente au type IV, mais qui est une juxtaposition de morceaux sans liens entre eux. La figure donne une impression de brouillon. Les diagonales de l'élément 6 ne sont pas vues dans leur unité, et l'axe vertical est incomplet. Il y a là quelque chose qui évoque le morcellement et une certaine immaturité.
Elle permet le rappel de l'élément 1 qui est accroché à l'élément 17 et non à l'élément 2 car il y a une correction du sens de la diagonale, Sophie disant ne plus se souvenir dans quel sens se trouvait le segment de l'élément 17. L'élément 14 est excentré. Outre les difficultés de mémorisation, le relatif morcellement de la reproduction est inquiétant. L'oubli de l'élément 2 et de tous les éléments qui le remplissent pose la question de la représentation du corps et de son intérieur. Si l'on se réfère à la copie, on remarque qu'il n'y a aucun croisement entre les horizontales, les verticales et les obliques. On peut penser que cette difficulté de faire des liens pèse sur l'épreuve de mémoire
Le Rorschach a été mal accepté. Il a suscité un comportement d'évitement et provoqué certains rires à connotation agressive. Les critiques du matériel sont très importantes. Le protocole est très pauvre. Il n'y a que neuf réponses, et aucune kinesthésie. Par contre on peut noter une certaine sensibilité à l'estompage. L'importance des réponses symétriques indique une grande fragilité narcissique. La sensibilité à l'axe de la planche est intéressante.
Cette insistance sur l'axe au Rorschach est d'autant plus surprenante que les axes sont absents à l'épreuve de rappel de la Figure de Rey.
Pour essayer de comprendre le fonctionnement interne de Sophie, nous avons choisi dans un premier temps de centrer nos interrogations sur la réalité anatomique du corps. Il s'agit d'un corps qui est incapable de tenir debout sans étayage externe (corset) ou interne (tige). Il s'agit aussi d'un corps qui ne peut se déplacer. La marche est une marche acquise qui se perd en général à l'adolescence (corps trop lourd, trop d'efforts). L'insistance sur l'axe, ou son absence, ne renvoient-ils pas à la souffrance de ce corps qui ne tient pas, de ce corps dont la colonne est d'emblée abîmée?.
Si l'on continue à se poser des questions sur ce "corps", on peut se demander si le défaut de mémorisation n'est pas à rapprocher des difficultés liées à l'incontinence. Les enfants porteurs d'un handicap qui touche uniquement à la sphère vésicale et qui entraîne une incontinence totale (extrophie vésicale par exemple) se plaignent également très souvent de difficultés de mémorisation. Ils disent avoir du mal à retenir. Ils ont du mal à apprendre. Eux aussi fuient en permanence; pourtant le contrôle anal existe.
Reprenons l'approche décrite par Freud (1905) dans "Les trois essais sur la sexualité". Les fonctions psychiques s'édifient sur des fonctions somatiques intactes. Les notions de dehors et de dedans se bâtissent certes sur l'oralité, mais aussi sur l'analité. On peut remarquer que Sophie fait coller les éléments 1 et 17 sur l'armature, comme si cette différenciation dedans dehors n'existait pas. Si ces notions n'existent pas dans le corps, on peut supposer qu'il n'y a pas de réelle différence entre le dedans et le dehors; le trait de liaison n'a pas besoin d'être reproduit. L'absence de l'élément 2 et des éléments internes, qui ont une fonction de cloisonnement, peuvent indiquer la confusion entre un espace interne et un espace interne. Ceci pouvant être mis en relation avec un corps qui retient mal ou qui ne retient pas.
On peut donc faire l'hypothèse que dans cette pathologie les sensations internes qui permettent de retenir à l'intérieur de soi les matières n'existent pas. Les capacités mnésiques qui reproduisent en partie les capacités de rétention et de restitution contrôlée auront du mal à se mettre en place. L'appareil psychique est d'autant plus atteint que la rétention en tant que telle est source de danger dans la réalité. Ce sont des enfants qu'il faut sonder et "vider" régulièrement. L'intérieur est un intérieur dangereux qu'il est très difficile de maîtriser. Cela renvoie à ce qu'écrit M.Klein (1932) dans son livre sur la psychanalyse des enfants quand elle parle de la phase anale. Cependant ici il ne s'agit pas d'un fantasme, mais d'une réalité, ce qui est autrement dangereux. Il est possible que ce soit cette difficulté à retenir qui se donne à lire dans l'épreuve de rappel de la Figure de REY. Il s'agit d'une véritable caractéristique des enfants et adolescents porteurs de cette atteinte congénitale.
Quand Sophie parle de son avenir, il existe un véritable déni du handicap. Ceci peut correspondre à un déni du vécu interne, et en particulier des éléments dépressifs, toujours présents à l'adolescence. La pauvreté du Rorschach montre qu'il existe certainement un vécu dépressif lié à la pathologie, qui est très invalidante. Celui-ci peut également jouer sur la rétention mnésique, qui nécessite une certaine sthénicité, et sur les résultats moyens du PM 38.
I-2 Evelyne et Albert. Deux cas d'Inégalité des membres inférieurs.
Nous avons choisi ici deux cas très différents, même si le symptôme est le même. Les dissymétries des membres se corrigent actuellement bien. Cependant il s'agit d'une intervention qui est douloureuse car il faut scier l'os trop court et poser un appareil externe fixé par des broches dans l'os à allonger. La première vision de l'appareil après l'intervention est souvent très mal vécue par l'enfant et par sa famille. La rééducation est très contraignante. Des réinterventions sont souvent nécessaires. Il s'agit d'une correction psychologiquement difficile à accepter de part sa durée, et qui provoque parfois d'importantes douleurs qu'il n'est pas facile de soulager.
Dans le premier cas, celui d'Evelyne, il s'agit de corriger une inégalité de plus de 20 centimètres sur un membre atrophié, qui n'a jamais été utilisé. Cette jeune fille a été opérée très souvent dès la naissance: hanches, rachis cervical. Elle vit dans un centre de réadaptation fonctionnelle depuis de très nombreuses années, et les retours dans le milieu familial sont réguliers mais rares, car Evelyne est antillaise. Cet allongement va durer deux ans, durée qui nous a permis une étude longitudinale.
Le second cas, celui d'Albert, est différent. Il s'agit de gagner 5 centimètres. Le handicap a été détecté à la naissance. Il y a eu des opérations pour redresser les pieds, mais Albert est toujours resté chez lui. La scolarité est décrite comme bonne. Ce sont des problèmes de comportement au sein de l'institution qui ont nécessité une prise en charge psychologique et le bilan.
I-2-1 Un allongement de très longue durée.
Evelyne, dix ans. Première passation.
Evelyne me connait depuis plusieurs années. Elle a déjà passé un bilan quand elle avait 7 ans. L'intelligence était sub-normale et le C.A.T. avait été très bien accepté. Actuellement elle porte un appareillage très lourd destiné à allonger le membre atrophié. La douleur est importante mais considérée malheureusement comme normale. Nous reviendrons sur ce point.
La Figure de REY.
Les tests projectifs sont refusés. Ils provoquent une sidération, une incapacité à penser.
Ce refus, ainsi que l'échec à l'épreuve de mémoire, montrent que sur le plan de l'élaboration psychique Evelyne se trouve dans une véritable impasse. On peut alors faire l'hypothèse qu'elle vit une dépression très importante, qui ne permet plus le moindre investissement. La douleur presque permanente, la durée du traitement, et la séparation d'avec le milieu familial sont des facteurs qui peuvent permettre de comprendre ce vécu. Le peu d'éléments retrouvés à la mémoire va dans le sens d'une tentative d'évitement, voire de déni, et certainement de retrait.
Au moment de la passation, les travaux de A.Gauvain-Piquart (1993) sur la douleur de l'enfant n'avaient pas l'audience qu'ils ont actuellement. Il était donc difficile d'y être attentif. Nous avons constaté qu'Evelyne avait changé depuis l'époque du premier test. Elle passait de longs moments à sucer son pouce. Il y avait une perte d'appétit. En classe, elle suivait certes, mais de manière passive. Tout ceci était de fait évocateur de l'existence d'un vécu dépressif, qui a une incidence nette sur les capacités mnésiques. Ce comportement dépressif sans affects vraiment visibles renvoie aux théories de P.Marty (1980) sur la dépression essentielle.
Evelyne, onze ans et demi. Deuxième passation.
La marche est redevenue possible. Elle a pu à nouveau passer des vacances dans sa famille.
La Figure de REY
Elle est mieux réussie, du moins en ce qui concerne l'organisation. Malgré mon refus de verticaliser le modèle, elle produit une copie verticale. Les axes médians sont vus dans leur unicité. Il en va de même pour les axes obliques. La durée est de 6 minutes, ce qui s'explique par les efforts faits pour recopier verticalement un engramme resté horizontal. On peut noter que la taille du dessin est relativement petite.
La mémoire est de bonne qualité. Il y a quelques duplications, et l'erreur de l'élément 9 (forme de toit) se retrouve.
Le Rorschach est accepté. Il est pauvre, avec de nombreux refus. Il n'y a que 9 réponses. Des mécanismes actifs de défense sont visibles, avec utilisation de Dd.
I-2-2 Un allongement d'une durée "normale".
Il y a 50 bonnes réponses, mais la lenteur est considérable (40 minutes). Il est très appliqué pour trouver la solution. La lenteur est un peu inquiétante car elle doit le pénaliser sur le plan de la scolarité.
A la mémoire l'axe vertical est partiellement absent. L'axe horizontal manque complètement, ainsi que les diagonales.
Le vide de la moitié inférieure du rectangle est impressionnant. Si le rectangle peut évoquer une représentation du corps, on est en droit de se demander si l'atteinte physique ne va pas bien au-delà du membre inférieur. On peut faire l'hypothèse qu'elle concerne toute une moitié du corps. Un bilan est alors fait à ma demande fait avec une ergothérapeute. Ce bilan montre qu'il existe également des difficultés avec le membre supérieur.
I-3 Vincent. Un adolescent qui n'a jamais marché.
Vincent vient d'être opéré du dos. L'intervention s'est bien passée, mais contrairement à ce qu'il espérait il ne pourra pas se passer du corset qui l'aide à maintenir sa tête. Il possède encore une petite autonomie des membres supérieurs, et écrit seul. Mais il est incapable du moindre mouvement des membres inférieurs. Le contrôle sphinctérien est acquis et bien présent. Actuellement Vincent est en seconde et veut être ingénieur informaticien. La scolarité dans le primaire a été normale. Il travaille par correspondance depuis la sixième.
Le PM 38.
On est donc ici devant des résultats d'une excellente qualité. La mémoire est "photographique". Rien n'échappe. C'est peut-être cette perfection qui étonne. D'une certaine manière on peut penser que l'intervention n'a pas eu d'impact sur la représentation inconsciente du corps.
Le Rorschach permet de comprendre à quel point cette réussite a un aspect défensif. Vincent peut - il en a les potentialités - donner une excellente image de lui, qui montre qu'il peut être plus fort que ce handicap physique qui le rend totalement dépendant des autres. Il y a 14 réponses, ce qui permet d'emblée d'éliminer l'hypothèse d'un vécu dépressif. Mais cette épreuve d'un autre ordre provoque chez lui un profond malaise. Il faudrait que tous les éléments aillent ensemble. Il faudrait que tout s'accorde à rentrer dans l'ordre d'une certaine réalité. Dès qu'ils sont trop différents de ce qui est imaginable pour lui, il ne peut plus rien en dire. Il est comme déconcerté.
Il y a là des éléments d'une organisation de type obsessionnel qui expliquent la si bonne réussite au PM 38 et à la Figure de REY, mais qui montrent l'existence d'une certaine fragilité. Si l'on fait référence aux travaux de P.Marty (1980), on peut penser que toute régression psychique risque de provoquer une désorganisation somatique. Or la fragilité respiratoire rend ces adolescents très vulnérables. Toute maladie banale peut avoir des conséquences dramatiques, voire nécessiter une hospitalisation. Les capacités intellectuelles fonctionnent comme une armature défensive très efficace, mais d'un point de vue plus dynamique, cette rigidité est inquiétante pour le clinicien. Bien entendu il n'est pas question d'y toucher.
Il nous paraît maintenant possible de proposer une réflexion plus générale sur la Figure de REY. Nous allons reprendre les deux temps de passation, et montrer comment dans cette population ils nous ont permis de comprendre l'impact de la malformation.
II LA COPIE DE LA FIGURE DE REY.
II-1 Le type choisi.
La population qui sert de référence est une population préadolescente ou adolescente. Les copies sont en général de type IV, II ou I. Les copies de type "contenant" sont rares.
Compte tenu de l'âge des différents patients, on s'attend à trouver une copie de type I, voire II. Or c'est le type IV qui est le mode préférentiel, alors que dans le cas des pathologies acquises c'est le type I qui domine. Le type IV, surtout quand le morcellement est important, ne facilite pas la mémorisation, d'autant que les axes ne peuvent servir d'organisateurs. L'existence de ce type de copie donne une indication sur la représentation psychique du handicap. Il renvoie à un corps qui "ne se tient pas", à un corps assemblé mais pas unifié. C'est ce que nous trouvons chez Sophie. Il faut noter que la chirurgie, qui s'occupe essentiellement de la réparation d'une partie du corps, entretient cette perception.
Nous faisons l'hypothèse que, dans cette population, une copie de type IV avec un nombre relativement élevé de petits morceaux qui ne se soutiennent pas renvoie à une représentation de soi d'assez mauvaise qualité.
La taille de la copie peut également être significative de la représentation de soi.
II 2 La taille de la copie.
Il s'agit de reproduire le même. Dans le dessin du bonhomme ou de la famille, une certaine attention est toujours portée à la place du dessin dans la feuille et à la taille. La taille choisie peut aussi renvoyer à la représentation de soi à un moment donné. Isabelle, âgée de 15 ans, pouvait enfin se déplacer sans avoir besoin de son fauteuil; elle était enfin valide. Ses reproductions dépassaient le cadre de la demi-feuille. Le nombre important de kinesthésies au Rorschach montrait, outre le questionnement possible sur l'identité et la sexualité, l'importance donnée au mouvement. On pouvait donc penser que la grande taille du dessin indiquait l'importance de l'élan vital.
Quand A.Gauvain Piquart (1993) demande à des enfants cancéreux de dessiner un personnage qui va bien et un personnage qui a mal, ce dernier est toujours beaucoup plus petit que le premier. On peut donc penser que les réductions impliquent une représentation de souffrance physique ou mentale, voire les deux.
La taille et la place du dessin dans ont donc une certaine importance, même si elles n'entrent pas dans la cotation.
III LA MEMOIRE.
III 1 Approche qualitative
III 1 1 Le rectangle central.
Il est rarement oublié même s'il est mal reproduit. La Figure de REY est souvent vue comme une maison, donc d'une certaine manière comme une possible représentation mentalisée du corps. La non-reproduction de ce rectangle (cas de Evelyne et de Sophie) pose question. Pourquoi ce corps ne peut-il être reproduit? Quelle est sa représentation interne? On peut faire l'hypothèse que cet oubli traduit un rejet inconscient massif, soit du corps propre, soit du corps maternel qui a donné un corps d'aussi mauvaise qualité à l'enfant.
III 2 2 Les axes.
Les grands axes médians de la Figure de REY sont des axes vertébraux de l'armature. Ils renvoient à la verticalisation. Même si la chirurgie ne touche qu'à un membre, c'est tout l'équilibre du corps qui est modifié. A fortiori c'est ce qui se passe lors des traitements du rachis. C'est peut-être ce qui provoque les difficultés de reproduction des grands axes (totalité ou partie).
Les diagonales peuvent, si on considère la Figure de REY dans une dimension plus dynamique, évoquer la position des bras et des jambes par rapport au centre de la figure, et bien entendu par rapport aux grands axes. Si d'un point de vue inconscient elles renvoient aux membres, on comprend mieux pourquoi elles peuvent être oubliées dans le cas des pathologies touchant sélectivement un membre inférieur. Elles peuvent évoquer un membre trop présent (chirurgie, rééducation, douleur), que l'on aimerait oublier. Ici le manque peut être l'expression du désir de faire comme si cela n'avait jamais existé.
III 2 Approche quantitative
La mémorisation dans cette population est très sensible au vécu dépressif, celui-ci pouvant aller jusqu'à bloquer le rappel. La mémorisation nécessite une certaine sthénicité de la pensée. Une des caractéristiques du vécu dépressif est l'incapacité à investir l'avenir. Le temps devient un temps fixe, mort. Se remémorer devient donc très difficile, car nécessitant un investissement dont le sujet est incapable. Cette difficulté est, à certains moments, une des caractéristiques de cette population. Du fait de la réparation chirurgicale, elle se trouve dans un temps de douleur, de séparation, dans un temps qui ne finit pas et qui ne peut plus être investi. Tout échec de la mémorisation est actuellement pour nous le signe d'une souffrance. Ce non investissement du temps (Jumel 1994) permet peut être de comprendre pourquoi le T.A.T. est peu investi, voir refusé. C'est un test qui d'emblée fait appel au temps qui se déroule et non au temps figé.
Une mauvais rappel peut également traduire un dysfonctionnement des sphères anales et vésicales (hypothèse concernant les enfants atteints d'un Spina-Bifida).
Même si un score bas peut toujours traduire une atteinte organique du cerveau, il n'en demeure pas moins que ces reproductions de morceaux sans liens demeurent inquiétantes si l'on admet que la Figure de REY renvoie à une certaine image du corps.
CONCLUSION.
Le travail au quotidien du psychologue clinicien avec des enfants handicapés nécessite de rester toujours attentif au vécu engendré par la malformation. Il est indispensable de regarder ces adolescents tels qu'ils sont. Parfois cela provoque en soi des émotions très fortes. Il faut pourtant reprendre une certaine distance, pour pouvoir mettre des mots et considérer ces adolescents dans leur devenir.
En nous sensibilisant davantage aux manques, la Figure de REY nous a permis de comprendre un peu mieux la place de la malformation. Elle nous a permis de mieux comprendre le fonctionnement psychique induit par certaines pathologies.
Elle nous a appris à tenir compte de l'importance du vécu dépressif engendré chez certains adolescents par la douleur, par la souffrance, la séparation. Toute mémoire trop pauvre est pour nous signe d'un appel. Les oublis nous ont permis, dans une perspective thérapeutique, d'être plus à l'écoute de la souffrance de ces enfants et adolescents, qui vivent "pour leur bien" des moments très longs et très difficiles.
Cette approche centrée sur un certain réel du corps nous a permis d'entrer dans une relation plus thérapeutique où l'adolescent peut être reconnu dans sa globalité et dans sa spécificité.
BIBLIOGRAPHIE
BALINT M. (1967) Le défaut fondamental. Tr.Fr 1975 P.B.P. n°350..
DEBRAY R. (1983) L'équilibre psychosomatique. Dunod. Paris.
FREUD S. (1905) Trois essais sur la sexualité.Trad Fr 1925. Paris. Gallimard.
FREUD S. (1920 ) Au delà du principe de plaisir. Trad Fr 1970, paris, Payot.
JUMEL B. (1994) L'incidence de l'apprentissage de la lecture et de l'écriture sur l'efficience dans une épreuve graphique d'organisation perceptive. Psychologie et Education, 17, Juin 1994, 39-53.
GAUVAIN PIQUART A., MEIGNIER M.(1993) La douleur de l'enfant. Calmann Levy.
KLEIN M. (1932) La psychanalyse des enfants. Tr.Fr. 1959. Paris, PUF.
MARTY P. (1976) Mouvements individuels de vie et de mort. Essai d'économie psychosomatique. Paris, Payot.
MARTY P. (1980) L'ordre psychosomatique. Désorganisations et régressions. Paris, Payot.
RAUSCH DE TRAUBENBERG N., BOIZOU M-F. (1977) Le Rorschach en clinique infantile. Paris, Dunod.
RAVEN C. (1973) Progressive Matrix PM 38. E.A.P.
REY A. (1959) Manuel. Test de copie d'une figure complexe. Editions du Centre de Psychologie Appliquée.
STALINSKI-LESTANG (1991) "Alors ça marche?" Interaction du somatique et du psychique chez des enfants et des adolescents handicapés moteurs. Thèse de Doctorat. Paris V.
VASSE D. (1983) Le poids du réel, la souffrance. Paris, Seuil.
WINNICOTT D-W. (1957). L'enfant et sa famille. P.B.P. n° 182
[1]Spina-Bifida: malformation plus ou moins grave de la moelle épinière qui s'accompagne de désordres neurologiques; s'il n'y a pas d'hydrocéphalie, l'intelligence est normale.
2 commentaires:
je suis psychomotricienne en rééducation et j'ai trouvé cet article super interressant! bravo!
Merci à vous.
Dans quel type de structure travaillez vous?
Amicalement
Enregistrer un commentaire