mardi, mars 25, 2008

Gn2,17 Oui, du jour où tu en mangeras, tu mourras, tu mourras

"Leurs yeux s'ouvrirent et ils connurent qu'ils étaient nus" Gn 3,7

"Leurs yeux s'ouvrirent et ils Le reconnurent... mais Il avait disparu de devant eux" Lc21,31


Une fois de plus je reviens au début de la Genèse. J'aime la traduction d'André Chouraqui, celle que j'ai retenue ici. C'est la question du sens à donner à "tu mourras" qui a donné du grain à moudre à ma réflexion. Et celle ci a dérivé sur cette ouverture des yeux, que je valorisais jusqu'à aujourd'hui.Et peut-être que mes propres yeux se sont ouverts à une autre approche. C'est cette approche qui fait l'objet de ce billet. 


On a l'habitude de dire que l'hébreu est une langue "concrète", presque terre à terre. Peut-être s'agit il de l'opposer à la langue grecque qui elle serait plus abstraite, plus conceptuelle. La langue parlée par un peuple le façonne, le structure. J'en veux pour exemple les indiens hopi qui ont un seul mot pour les couleurs bleue et verte, et qui de fait ne les distinguent pas alors que les longueurs d'onde sont pourtant différentes. La question que je me pose aujourd'hui est de savoir si ces mots "mort et vie" que l'on trouve dans Genèse 2 doivent être pris au sens littéral concret, ou si derrière l'avertissement à ne pas pas consommer, il y a une autre réalité, la mort étant autre chose que la mort physiologique et la vie éternelle plus que l'immortalité.


La phrase est au futur et de ce fait n'était peut-être pas suffisamment terrifiante pour fonctionner comme un interdit à ne pas transgresser. D'ailleurs Adam n'est pas mort mais il est devenu autre. De quelle mort s'agit-il? Mort physiologique ou mort spirituelle? De même quand on parle de la vie, de quelle vie parle-t-on? Celle qui ferait que l'homme ne connaîtrait pas de fin ou celle qui est présence et manifestation du divin en lui? 


J'ai souvent entendu dire que les rabbins pensent que de toutes les manières le fruit de la connaissance du bien et du mal aurait été donné à l'homme, mais à un moment où il aurait pu avoir cette connaissance sans être détruit par elle. 


Et c'est là que se porte aujourd'hui ma réflexion. 


Quand un enfant est séparé trop tôt de sa mère, il peut en mourir. Cela a été montré par les travaux de Spitz sur l'hospitalisme aux Etats Unis. Une séparation ne se fait pas n'importe quand, n'importe comment. Elle peut être dramatique pour le mental comme pour le somatique. Il est nécessaire d'avoir une certaine autonomie tant physique que psychique pour que le manque consécutif à la séparation ne crée pas une effraction traumatique. Et mon hypothèse d'aujourd'hui, c'est que dans ce récit fondateur, l'humain n'était pas prêt à ce que la connaissance se déverse en lui d'un seul coup. Le rôle des interdits est aussi un rôle de protection.


Dans le jardin il y a de fait l'un à côté de l'autre, au milieu, l'arbre de la vie et l'arbre de la connaissance. Vie et connaissance qui semblent être comme les attributs du Divin. Dieu connaît et Dieu est immortel. Que ne ferions-nous pas pour être comme Lui...


Connaître c'est savoir mais surtout savoir "discerner" ce qui est bon ou mal. Quand un enfant est petit, il doit faire confiance  à ses parents, et en fonction de ce qui lui a été transmis et de sa ou de ses propres expériences, il apprend aussi à raisonner et à choisir. Le choix est toujours quelque chose de difficile. 


Quand Dieu "interdit" ce fruit, c'est comme s'il disait à l'humain: "fais moi confiance (pour le moment), tu ne sais pas encore, tu es trop petit, et si tes yeux s'ouvrent trop tôt sur la réalité (qui n'est pas seulement celle du jardin) alors la peur entrera en toi et tu auras quitté l'innocence, tu te feras du mal, tu auras mal et le malheur sera présent et tu ne pourras pas y échapper".


Quand la connaissance tombe trop tôt sur un être qui n'a pas les capacités de faire face à ce qu'il perçoit, cela peut avoir des conséquences dramatiques. Une des hypothèses concernant l'autisme infantile (Frances Tustin), serait que si le tout-petit perçoit trop tôt qu'il est séparé de sa mère, celle ci ne peut alors lui donner l'illusion d'être en symbiose avec elle. Lui, l'enfant, perçoit son incapacité à faire des choses par lui-même (à cause de son immaturité physiologique) et  cela le plonge dans un état de désespoir qui le pousse à se refermer sur lui même pour lutter contre le vertige qui l'assaille (le repli) et le pousse à ,essayer de trouver des moyens (inadaptés) pour lutter contre cette peur (les rituels).


Quand la perception de la réalité est trop brutale et surtout quand on n'a pas les moyens pour l'élaborer en mots, alors il y a effraction, traumatisme.Et c'est peut-être cela qui nous est raconté dans ce mythe. 


La perte de la confiance va de pair avec la peur. Quelque chose meurt dans la relation, on se trouve seul et la peur et l'angoisse arrivent. La perte de cette relation qui donnait des assises fait le lit de la convoitise. En effet si on imagine, puisque désormais le doute est permanent, que l'autre a quelque chose que l'on n'a pas soi-même, alors on va essayer de le lui prendre pour avoir l'impression d'exister. 


Quand le couple humain a "consommé" la fruit, il est dit que leurs yeux s'ouvrent et qu'ils voient quelque chose qu'ils ne savaient pas d'eux, à savoir qu'ils étaient nus. J'ai déjà parlé ailleurs de cette nudité qui pour moi renvoie bien plus à la perception brutale de la faiblesse qu'à la différence des sexes. Cette perception ne peut être que traumatique. Elaborer un traumatisme peut prendre parfois toute une vie. Tout traumatisme provoque une certaine distorsion de la réalité et une peur qui ne permet plus la relation saine à l'Autre.


Mais surtout cette peur ouvre la porte au mal, au malheur. Et c'est bien ce qui est signifié dans la suite du texte: la fatigue du travail de la terre, la difficulté des naissances, la perte d'un lieu et d'une relation privilégiée, et la convoitise.


L'ouverture des yeux avec la perception de la fragilité, traduit d'une certaine manière l'effet traumatique d'une connaissance que l'humain n'était pas capable de porter. 


Mais le texte ne nous dit pas que l'être humain mythique était immortel. Il est plus glorieux pour nous d'imaginer que notre décrépitude physiologique, notre usure est liée à la punition d'une éventelle faute, plutôt que de reconnaître que par sa structure, l'homme est appelé à mourir. 


Dans la vision mythique, la mort est liée à la désobéissance ou comme dans la mythologie au fait de dérober quelque chose (le feu) qui n'est pas forcément bon pour l'homme. Le pas bon c'est le versant négatif, la destruction, la fermeture, et la mort spirituelle, celle qui nous rend aveugles; c'est bien cela: ne plus entrer en relation, utiliser l'autre pour soi. 


La désobéissance d'Adam a fait entrer la mort dans le monde dit  Paul et la mort est la conséquence du péché. Autrement dit, si l'humain ne fait pas confiance à celui qui sait, quel sera son destin?


Je veux dire que le "tu mourras certainement" est une phrase qui renvoie non à la mort physiologique, mais à une autre mort, qui est le repli sur soi, la peur des autres et de soi; bref la rupture de la relation. Cette mort, cette incapacité à tenir compte de l'autre, cette propension à la rivalité, à la jalousie, ne laisse pas vivre en nous ce qui est de l'ordre de la vie. Elle maintient ce qu'il y a d'animalité en nous, elle nous déshumanise.


Jésus est celui qui sauve, ce qui pour moi est synonyme de "rend vivant". 


Et pour conclure ce petit billet, je dirai que la vie éternelle ce n'est pas avoir un corps immortel, c'est dès aujourd'hui de vivre avec nos limites dans la relation amoureuse avec nos frères et avec celui que nous reconnaissons comme notre Seigneur et notre Dieu (évangile du 1°dimanche après Pâques).


C'est connaître cette autre ouverture des yeux qui est celle des disciples d'Emmaüs et de pouvoir comme eux ressentir nos coeurs brûlants d'amour et nous mettre en route. 

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