OBEIR DESOBEIR
Introduction.
La question de l’obéissance (c’est l’un des vœux demandé aux clercs ou aux personnes consacrées) est une vraie question.
J’ai vu récemment à la télévision un « Maigret » qui se passait dans un hôpital tenu par des religieuses. La règle de cet ordre interdisait tout contact avec les visiteurs et la transgression de cette règle conduisant à une punition. Or là, la désobéissance à la règle (ici glisser un papier dans la poche du célèbre commissaire) était nécessaire et permettait de comprendre que l’accident n’en n’était pas un mais un meurtre.
Alors qu’est ce que obéir ? Ne pas parler, obéir à « la règle » allait dans le sens du mal alors que normalement la règle doit aller dans le sens du bien ou du meilleur. Jésus n’a t il pas montré que s’en tenir à la Loi peut rendre aveugle et sourd : « Vous dites nous savons et votre péché demeure » Jn9,41.
Une des définitions du Larousse est : « Se soumettre à la volonté de quelqu'un, à un règlement, exécuter un ordre par exemple Obéir à ses parents, à la loi ».
Mais l’obéissance doit elle être aveugle ? Qui a sur nous ce pouvoir qui nous oblige à nous soumettre ? Devons nous nous sentir coupables si dans certains cas nous ne nous laissons pas faire ? L’obéissance nous permet elle d’avoir « une bonne vie » (ce qui est le message du premier testament) ou fait elle de nous des robots ?
Bref la question de l’obéissance me « travaille » comme on dit. Le lien classique entre obéir et récompense ou désobéir et malheur, permet (j’y reviendrais de se poser la question du mal).
Plusieurs billets seront consacrés à cette réflexion sur les conséquences du non
obéir.
Le premier ce centrera sur la notion de perte, d’exclusion (chapitres 3 et 4 de
la genèse) et plus précisément sur la notion de territoire, sachant qu’avoir un territoire donne l’impression d’exister.
Le second, à partir de quelques versets du psaume 44, posera (à ma manière) la question du mal.
Le troisième lui voudrait poser la question de la « responsabilité ». Suis-je responsable de ma rose et suis-je coupable s’il lui arrive quelque chose. N’y a t il pas une confusion entre aimer et être responsable entre responsable et solidaire.
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I OBEIR DESOBEIR : UNE QUESTION DE TERRITOIRE.
Dans la Genèse, la possession de la terre est quelque chose de fondamental. C’est comme une récompense de l’obéissance. Ainsi en Genèse 13,14 « Le SEIGNEUR dit à Abram après que Loth se fut séparé de lui : « Lève donc les yeux et, du lieu où tu es, regarde au nord, au sud, à l'est et à l'ouest. 15Oui, tout le pays que tu vois, je te le donne ainsi qu'à ta descendance, pour toujours. 16Je multiplierai ta descendance comme la poussière de la terre au point que, si l'on pouvait compter la poussière de la terre, on pourrait aussi compter ta descendance. 17Lève-toi, parcours le pays en long et en large, car je te le donne. » 18Abram vint avec ses tentes habiter aux chênes de Mamré qui sont à Hébron ; il y éleva un autel pour le SEIGNEUR.
Si Abram est une sorte de prototype de l’obéissance, le début de la Genèse montre bien que la sanction liée à la non obéissance est la perte du territoire.
En effet dans le chapitre 3 de la Genèse, le désobéir provoque l’exclusion du couple d’un lieu où la vie quotidienne semblait merveilleuse et bien différente de ce que l’on vit au jour le jour sur notre planète. Dans le chapitre 4, suite au meurtre d’Abel, l’exclusion du clan familial est prononcée comme sanction.
La désobéissance a provoqué l’exclusion. Je ne dis pas l’abandon car le Dieu de la Genèse ne continue à parler et à mettre en garde ceux qu’il a créé.
Mais dans notre manière de lire les événements cela donne bien souvent ceci: « tout malheur est la conséquence d’une désobéissance » (cf le livre de Job qui se bat contre cette affirmation) ce qui est loin d’être toujours le cas, car le mal existe : Isaïe ne fait-il pas dire à Dieu : « Je façonne la lumière et je crée les ténèbres, je fais la paix et je crée le malheur ; c'est moi, le SEIGNEUR (YHWH), qui fais tout cela ».Is 45, 7
Il est possible de relire ce qui se passe pour pour Adam puis pour Caïn en terme de perte de territoire, territoire de l’intime, territoire de la famille.
1 « Adam où es-tu ? » ou l’histoire de la perte du territoire de l’intimité.
Le Dieu de la Genèse est un Dieu très proche des humains. Il converse avec eux, leur pose des questions qui mettent ceux ci dans l’embarras et aux quelles comme des enfants pris en faute, ils répondent à côté de la plaque, car ils ont peur de la réaction de l’adulte (on pourrait dire du parent). Il en va ainsi pour Adam et Caïn.
A la question « où es-tu »Adam répond par « J’ai eu peur… ». Puis il plaidera non coupable en renvoyant la faute sur Eve qui la renverra sur le serpent. Tout le monde sera puni mais surtout tout le monde sera exclu.
L’homme n’aura plus accès à ce territoire ou Dieu se promène à la brise du soir, où les arbres donnent de bons fruits, où les animaux ne sont pas des dangers. La sanction est l’exclusion de ce territoire d’intimité et de douceur. Par certains côtés ce territoire fait penser à un utérus maternel (intimité totale avec la mère), qu’il faut quitter, mais dont la nostalgie demeure. Seulement il est plus facile de faire son deuil d’un tel lieu si on y est pour quelque chose. Sinon l’autre qui vous met dehors, en toute connaissance de cause, est un être abominable.
Et puis savoir que l’on a été mis dehors par sa faute, cela laisse presque intact la possibilité d’y revenir un jour (même si le Dieu a mis des anges avec des épées devant la porte. Et d’un certaine manière le salut c’est bien cela : retrouver l’intimité perdue.
Cet écrit de la Genèse montre le lien qui est fait chez l’être humain entre désobéissance et abandon : ce dernier surtout dans le psychisme de l’enfant est toujours vécu comme a conséquence d’un acte mauvais.
L’exclusion est une de nos terreurs des plus archaïques et des plus profondes: être tout seul, être abandonné ne pas pouvoir se défendre, ne pas avoir de bras qui vous entourent, qui vous retiennent qui vous empêchent de tomber et de vous abimer dans le vide.
Il me semble que les 5 premiers commandements du livre de l’exode montrent comment ne pas commettre cette faute où l’on fait comme si Dieu (l’Autre) n’existait pas, où l’on doute de lui et de sa parole, bref où l’on prend sa place.
Prendre la place de l’autre c’est ne pas respecter les limites, entrer dans la confusion et cela engendre la mort, mais aussi la violence comme cela est démontré dans l’histoire de Caïn. On dit aujourd’hui que le « manger de tous les arbres sauf de celui de la connaissance » est un interdit structurant, car il oblige à s’imposer une limite et les limites c’est pratiquement tout le travail de la création dans le début de la Genèse. En ce sens, l’homme est bien à l’image de Dieu. Ne dit on pas aussi que le sabbat, le repos de Dieu est comme une limite qu’Il s’impose. Dieu cesse de travailler pour travailler car il a terminé ce qu’Il avait prévu.
Pour en revenir à la question posée posée par Dieu, certes Adam dit Je, mais d’une certaine manière il ne prend pas la parole, il ne se dit pas « ça a été plus fort que moi, j’ai gouté du fruit de ton arbre, et je n’aime pas trop ce que ce fruit a fait en moi ». Il renvoie sur l’autre et il ne se situe plus comme sujet. On pourrait dire que lorsque l’humain ne parle plus en « je » il se coupe de la relation avec celui qui lui dit « tu ».il projette ensuite l’abandon sur l’Autre, parce que c’est beaucoup plus facile. Alors un lien se fait entre « je suis dehors parce que je suis méchant ». Et tout abandon devient signe d’une punition donc d’une faute.
2-Caïn où est ton frère ? » Perte du territoire familial, clanique.
A la question « où est ton frère », Caïn répondra « suis je le gardien de mon frère», ce qui revient à dire que ce n’est pas son problème, pas sa responsabilité. En cela il a d’une certaine manière raison d’autant que son frère est un adulte, mais ce dont il est responsable c’est de n’avoir pas su museler « la bête tapie en lui », la bête de l’envie, la bête qui conduit au meurtre.
Peut être que si Caïn avait répondu à la question : « mon frère est dehors je l’ai tué, je n’ai pas su maîtriser la bête (de l’envie) tapie en moi », peut être qu’il n’aurait pas été exclu de la famille, du clan. En « tu-ant » Caïn a tué un « tu » un autre, un différent de lui, mais aussi un semblable à lui. Ce qui est frappant dans le texte c’est que Caïn va au champ avec son frère et qu’il n’y a pas de mot, mais une gestuelle : il se jetta, il se dressa, Abel n’a pas la parole.
Si prendre la place de Dieu (l’éliminer d’une certaine manière) conduit à l’ exclusion d’un territoire que l’on pourrait presque qualifier de maternel (utérus) tuer l’autre pour prendre sa place provoque une autre exclusion territoriale, celle du clan.
C’est un deuxième cercle d’exclusion : sortir de la sécurité de ceux qui parlent comme vous, qui ont les mêmes valeurs, les mêmes structures. Ne plus profiter de la protection du groupe. Caïn en tuant son frère l’a exclu (d’une manière radicale) de la famille, dont lui à son tour (sorte de loi du talion) sera exclu avec les risques que cela comporte. Ultérieurement (exode et lévitique) le meurtrier sera mis à mort.
Les fautes liées au « frère » sont l’objet des 4 derniers commandements, la pivot étant celui qui est lié aux parents… parents qui font une sorte de synthèse entre Dieu père (et mère) et Dieu frère en tout homme, mais commandement aussi qui n’est pas sous forme négative..
L’explication de l’exclusion (de la perte, du manque) est donc la conséquence d’une non obéissance. Quand le peuple choisi se retrouvera en exil, c’est comme cela qu’il comprendra son histoire. Parce qu’il s’est détourné, parce qu’il a transgressé, il se retrouve tout seul au milieu d’étrangers.
La quête de sens est certainement une des caractéristiques de l’être humain. Mais peut être serait il nécessaire de sortir du lien abandon désobéissance pour entrer dans une autre relation et avec nos proches et avec Dieu. Car ce que j’ai souligné comme d’autres avant moi, c’est qu’il ne s’agit pas tant d’une désobéissance que du fait de ne plus se situer comme un être de parole, comme un Je face à un Tu que ce soit Dieu ou le semblable.
Il est normal que je pose des actes qui ne sont pas bons, mais que si je reconnais (ce que Caïn n’a pas fait) que ces actes sont mauvais, alors je me mets dans une position de relation avec l’autre, je reste dans la relation je n’esquive pas ma responsabilité et de reste un être de parole.
3 La reconquête du territoire : Jésus.
Dans la bible on note une évolution sur la transmission du péché. On trouve dans l’exode la phrase suivante : Ex 34,7 « Je suis YHWH, qui garde sa grâce à des milliers, tolère faute, transgression et péché mais ne laisse rien impuni et châtie les fautes des pères sur les enfants et les petits-enfants, jusqu'à la troisième et la quatrième génération ».
Cette manière de voir la faute renvoie un peu à ce que nous connaissons dans le vendetta : la faute sera vengée bien des générations plus tard, donc pas de pardon tant qu’il n’y a pas eu « réparation ».
Quelques siècles plus tard, Ezéchiel pourra écrire. : Ez18, 20 « Celui qui a péché c’est lui qui mourra ! Un fils ne portera pas la faute du père ni un père la faute de son fils : au juste sera imputé sa justice et au méchant sa méchanceté », On en revient à la responsabilité individuelle.
Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que dans le Psaume 89,31-33 Dieu ne rend pas David responsable des fautes de sa descendance. La descendance sera punie, mais Dieu ne chassera pas David pour autant : je ne lui retirerai pas mon amour…
Obéir finalement qu’est ce que c’est ? L’exode fait dire au peuple : « nous ferons et nous obéirons (ou nous écouterons dans d’autres traductions) ». Ex 24,7 Il y a un lien entre obéir, écouter agir.
Or l’écoute est fondamentale, elle permet le discernement.
Il ne s’agit pas d’obéir de manière robotique, parce que cela nous détruit, même s’il faut apprendre à obéir (je suis toujours surprise quand je regarde certaines séries policières françaises par ces phrases autoritaires ; taisez vous, asseyez vous, qui ne sont pas respectueuse du tout). Obéir au pouvoir pour ne pas avoir d’ennuis, pourquoi pas, mais cela c’est de la crainte.
Si Jean écrit : Au commencement était le verbe » c’est bien que la parole est le fondement. Chaque fois que nous travestissons la parole nous perdons le contact avec le divin qui est en nous. L’obéissance qui repose sur la peur, est une sorte de leurre. La véritable obéissance repose sur l’amour qui fait que l’Autre est présent en soi et que cette présence accueillie fait de l’être humain un Je capable de se laisser modeler par la relation amoureuse.
Le cadeau que nous a fait Jésus en se montrant « obéissant jusqu’à la mort sur la croix » c’est le don de l’Esprit qui rétablit la relation à l’autre, qui nous rend notre liberté. Et qui nous rend la possibilité d’être dans une obéissance qui conduit à la vie, à la liberté. Elle nous permet de retrouver l’intimité perdue et de devenir le lieu de la présence de Dieu : nous demeurerons en lui…
L’obéissance, la vraie est là pour faire de nous des être de parole, des êtres sur lesquels on peut compter, pas des robots. Obéir, écouter, c’est être en relation, c’est laisser souffler en nous le vent de l’Esprit et se laisser saisir et guider par lui.
2 commentaires:
Très belle plume!
L'obéisse assurément vaut mieux que les sacrifices !(1 sam 15 : 22)
Merci.
Je pense que vous voulez dire obéissance, mais c'est une phrase qui revient souvent chez les prophètes et dans les psaumes.
Maintenant que mettre derrière le mot (ou la notion) de sacrifice?
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