Il y a dans les évangiles synoptiques deux passages où Jésus est seul, sans témoins, et pourtant nous savons ce qui se passe. Quelqu'un nous raconte ce que vit Jésus alors qu'il est seul.
Le premier c'est la tentation au désert, le second l'agonie aux monts des Oliviers. Ces deux moments me semblent très importants car l'un inaugure le début de ce qu'on appelle "la vie publique" et l'autre la clôt.
La tentation arrive juste après l'effusion de l'Esprit. D'une certaine manière les 40 jours qui suivent sont tout ce travail qui se fait en Jésus pour lui permettre de prendre conscience de qui il est. J'aimerais appeler cela un éveil. Le fait que "les anges viennent le servir" montrent d'une certaine manière que la connexion entre le divin et le terrestre est possible.
Peut-être peut-on déjà parler d'une conciliation entre ces deux univers, le ciel et la terre (ce qui fait d'ailleurs écho aux anges de la nativité). Je note aussi que dans l'évangile de Luc, Lc22,43, au jardin des Oliviers, un ange apparaît qui le réconforte, ce qui va dans le même sens en tous les cas pour cet évangéliste. Car l'éveil c'est bien cette ouverture à un autre monde, ce qui permet de voir les choses d'une manière radicalement différente.
L'agonie du jardin des oliviers est donc pour moi un autre éveil, car le Jésus de la Passion est un Jésus bien différent de celui qu'il nous donné de voir dans tout ce qui précède.
J'ai choisi de réfléchir sur l'évangile de Marc, chapitre 14, les versets de 32-42, car c'est le texte qui donne le plus de détails.
Quand Jésus dit: "mon coeur est triste à en mourir" j'ai aujourd'hui l'impression d'entendre la plainte d'un bon nombre de personnes que je connais et qui sont dans un tel état de souffrance qu'elles voudraient arracher leur coeur. Car c'est à la fois du psychique, mais aussi du somatique qu'il est question (Luc parlera des gouttes de sang). Le coeur fait tellement mal, le coeur saigne, on voudrait l'arracher ou s'enfuir dans la mort.
Ce que les disciples ont entendu eux, c'est "Demeurez avec moi et veillez". Cela c'est bien ce qu'attendent toutes les personnes qui sont dans un tel état de souffrance. Et répondre à cette demande est souvent bien difficile. La solitude qui renvoie à l'abandon augmente encore la douleur morale. Le rester avec est la seule chose positive que les amis de Job ont pu faire avec lui, avant de se lancer dans leurs discours moralisateurs. De cet appui humain, Jésus est privé. Viennent alors les phrases qui sont pour moi source d'une autre approche.
" Et il priait pour que s'il était possible, cette heure passât loin de lui et et il disait Abba, tout t'est possible: éloigne de moi cette coupe; pourtant non pas ce que je veux, mais ce que tu veux".Mc14,34-35
Ces phrases, j'avais toujours cru qu'elles évoquaient ce qui allait advenir dans les heures suivantes et que le désir de Jésus était "éloigne de moi ce qui va m'arriver, éloigne l'arrestation et tout ce qui va suivre. Cela me terrifie, j'ai peur de ce futur".
Il y avait donc l'idée d'une anticipation liée à la conception d'une certaine divinité de jésus qui sait ce qui va arriver.Je crois que là j'avais fait un contre-sens.
Ce qui nous est montré là c'est la souffrance physique et psychique qui tombe d'un coup sur un être humain et qui le terrasse. Ce n'est pas celle d'une vision qui de qui va advenir. Il est dit en effet: "il tombait à terre" au verset 35.
Et face à cette douleur là, qu'il ne cherche pas à fuir, il se tourne vers son Père. Il ne lui demande pas d'évacuer ce qui se passe, mais de lui donner du sens. Et d'une certaine manière cette attitude me semble bien proche de l'attitude de louange, telle que je la conçois: ce que je vis est pire que l'enfer, mais si c'est ce que tu veux pour moi, aujourd'hui, maintenant, dans mon présent, alors je l'accepte parce que c'est cela qui est bon.
Peut-être peut-on dire, puisque dans cet épisode où il y a une sorte d'aller et venue entre Jésus et ses disciples qui dorment et ce par trois fois, qu'il y a une sorte de parallélisme avec les trois tentations. La victoire de Jésus c'est certainement déjà là qu'elle se joue. Tout le reste en découle, y compris la résurrection.
Alors que nous montre ce narrateur? Parce que bien entendu je me suis souvent demandé, comment sait-on ce qui s'est passé, puisque les disciples dormaient du sommeil du juste après la soirée de la Pâques, où il y a consommation d'un certain nombre de coupes de vin.
Ce qu'il montre, c'est que ce qui se joue là est une sorte de moment fondateur, qui donne sens au temps présent utilisé par Jésus pendant le repas pascal: ceci est mon corps, ceci est mon sang, faites ceci en mémoire de moi.
C'est bien parce que Jésus vit dans le présent, qu'il ne fuit pas ni dans le futur ni dans le passé que la résurrection est aussi possible pour nous.
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