Plus le temps passe et plus je trouve qu'il est difficile de commenter un passage de l'évangile sans regarder ce qu'il y a avant et après.
Là il s'agit de Luc 14, 25-33. Jésus est en train d'aller vers Jérusalem, donc vers sa mort. On nous dit qu'il y a de grandes foules qui le suivent. On sait aussi qu'il vient de dire que le royaume va prendre une direction universelle: ceux pour lesquels le repas avait été préparé n'y prendront pas part. On peut penser que les foules qui entendent cela peuvent se réjouir et si dire que cette ouverture les concerne, d'autant que dans le chapitre suivant il sera question de la miséricorde.
Et pourtant là, le discours semble un peu rude. Que dit Jésus: Il dit qu'il faut réfléchir avant d'agir et que dire que l'on est son disciple (comme on est disciple des pharisiens ou de Jean) cela ne se fait pas sur un coup de tête, que ce n'est pas donner une étiquette, non ça va bien au-delà. Et il me semble qu'il se donne des prérogatives divines qui ne devaient pas plaire aux pharisiens certainement de plus en plus nombreux à l'approche de Jérusalem.
Alors que dit-Il?
Tout d'abord la phrase "si quelqu'un veut être mon disciple " est prononcée trois fois et la dernière incise "renoncer à tout ce qu'il possède" résume les deux autres phrases: il s'agit de se décentrer, de ne plus être son centre, et passer de l'avoir (ne plus posséder la vie éternelle comme le demande le jeune homme riche) mais être dans la vie éternelle, ce qui est différent. Et pour cela il donne les moyens: le préférer Lui et marcher derrière Lui, avec ce que l'on est, tel que l'on est.
Le premier ordre (si je peux employer ce mot) demande de préférer Jésus à tout autre. Or cela me fait penser à Dt,6, 5: "aimer Dieu de tout son coeur, de tout son être et pardessus toute chose". En d'autres termes Jésus de présente là comme Fils de Dieu et c'est à ce titre là qu'il doit être préféré. Mais il est évident que cette prérogative a dû faire grincer pas mal de dents, car qui est Il celui là pour parler ainsi? Je crois aussi qu'il y a derrière cela une autre approche. Notre amour de nos proches est un amour très charnel, et souvent très possessif (même si nous sommes capables de faire pour eux énormément de choses, de ous sacrifier comme on dit). Or l'amour que Jésus nous demande n'est pas uniquement de cet ordre là: il s'agit de remplacer des liens trop forts par des liens que faute de mieux j'appelle spirituels mais qui sont des liens de souplesse, de douceur, ce qui n'annule pas le lien en tant que tel, mais le fait évoluer. Quand Paul parle du charnel (qui renvoie au possessif) et du spirituel (qui renvoie à une relation réelle mais non dans la captation) quand il parle du vieil homme et de l'homme nouveau, il dit autrement ce que Jésus demande (et ce qui n'est pas facile de réaliser sans l'aide de l'Esprit Saint). En d'autre termes apprendre petit à petit à se décentrer de soi et ne pas oublier que faire quelque chose pour "ces petits qui croient en lui" c'est faire pour lui, ce qui en soi est rassurant. Cela ne veut pas dire annuler les liens, mais les remplacer par d'autres.
Le deuxième ordre est encore plus complexe: "Celui qui ne porte sa croix pour me suivre ne peut pas être mon disciple". Il y a d'autres traductions de ce verset, mais on a toujours beaucoup glosé sur le mot croix. Il me semble que Jésus dit que des croix nous en avons tous, et qu'il nous prend avec nos croix, tels que nous sommes. En d'autres termes pas besoin d'être parfait (pas pêcheur) pour suivre. Mais cette croix c'est la notre et il ne dit pas qu'il va la porter à notre place, de même qu'il ne vous demande pas de porter la sienne.. Et puis porter c'est un acte positif, ce n'est pas subir sa croix ni se laisser écraser par elle. Non jésus nous voit comme des hommes debouts, lucides, et c'est cette lucidité là qui fait que nous choisissons de marcher derrière lui.
Et là aussi ce "marcher derrière lui" renvoie à ce qu'Il est. Le peuple dans le désert marchait derrière Moïse qui lui même suivait la nuée qui indiquait le chemin qui disait là où il fallait s'arrêter, là où il fallait repartir Ex 40,36. Marcher derrière Jésus, c'est suivre Dieu, c'est le faire partie intégrante de sa vie et se laisser diriger par Lui, un jour après l'autre.
Alors finalement ce texte qui semble si difficile, il me semble qu'il est occasion de contempler en cet homme qui sera bientôt mis sur une croix comme un malfaiteur, celui qui est l'image visible du Dieu invisible. Trop insister sur la croix comme cela se fait si souvent c'est oublier qu'il s'agit de "porter" et donc de reconnaître sa faiblesse, puis de se mettre en route, ce que malheureusement un bon nombre de pharisiens trop surs de leurs connaissances ne pouvaient pas faire.
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