mardi, décembre 10, 2013

"La fraction du pain"

La fraction (ou le partage du pain).

C’est une question qui me tarabuste beaucoup en ce moment, car lors des célébrations le prêtre dit bien: "il prit du pain, le rompit, le donna à ses disciples en disant: Prenez et mangez en tous..." mais la fraction du pain est reportée beaucoup plus loin. Quant au vin il n'est "partagé " que très récemment. Et pourtant ce geste de partage est très utilisé par Jésus. 

On le trouve le soir du partage des 5 pains et du poisson, le soir du dernier repas, le soir et avec les disciples d’Emmaüs, et peut être lors du "petit déjeuner" préparé sur les bords du lac en Jn 21. Or ce geste très utilisé dans la communauté primitive  (voir les actes des apôtres et la lettre de Paul aux Corinthiens) , est comme passé à la trappe lors des célébrations eucharistiques. Et pourtant ce geste me paraît fondamental.

Lors d’une messe récente au Prieuré (où les participants se donnent l'un à l'autre le pain fractionné par le célébrant ) j’entendais derrière moi la phrase classique (mais ici prononcée par un laïc) « le corps du Christ » et je me suis rendue compte (était ce une grâce) que oui, il y a le corps du Sauveur, non pas le corps viande mais le corps de la personne Jésus, le corps vivant. Ce n’est pas la chair d’un agneau qui est renvoie à la mort, mais la présence de quelqu’un. Quand je dis à mon mari que j’aime son corps, cela renvoie bien à tout ce qu’il est, pas à peau, pas à la chair pas aux muscles, non c’est tout lui. Et c’est de cela dont j’ai vraiment pris conscience par la parole prononcée à pleine voix derrière moi. Ce morceau de pain est bien autre chose que du pain, il est quelqu'un, il est vivant.

Ce matin en y repensant encore, je me disais que dans la Génèse, comme dans tout le premier testament ce sont des animaux (la brebis avec da graisse d’Abel), ou des éléments venant de la culture (du chanvre raconte la légende pour Caïn), de la farine, les premiers fruits, etc…donc d’une certaine manière des matériaux bruts, qui sont offerts.

Or Jésus lui prend des produits transformés, et il ne part pas de rien si l’on peut dire. Cela m’a fait penser au début de la Genèse, où le créateur est confronté à quelque chose qui existe : le tohu bohu et de cette matière primitive, il va faire quelque chose. Ce n’est pas une création à partir de rien. Le second récit de la création parle d’une terre qui est déjà là.

Même si cela pose la question d’un préexistant, il n’en demeure pas moins que ce quelque chose semble nécessaire pour que justement quelque chose puisse advenir.

Jésus ne prend pas de la farine, non il prend le produit cuit, travaillé, et ce produit devient à la fois signe de son corps (de sa chair) parce que ce pain est « béni », mis sous le regard du Père, et partage car le fractionnement fait de ceux qui le consomment des frères : manger du même ou manger le même. Ce partage fait à la fois de nous des vivants, mais elle crée aussi du corps: l'assemblée (ekklesia). 

Il en va de même pour le vin, qui remplace le sang  (élément brut si je puis dire), par un produit façonné par le savoir faire humain. Par définition le sang versé c’est la vie (on donne son sang pour que la patrie puisse vivre en cas d’agression, on donne son sang pour d’autres qui en ont besoin, on se fait aussi du mauvais sang quand on est inquiet pour un autre ou pour le futur). Le sang représente l'être humain, il est aussi présence. 

Je pense qu’on ne devrait pas séparer le pain et le vin aussi nettement que cela est fait en général dans la liturgie eucharistique, mais nous sommes héritiers d’une tradition et quand on lit un peu l’histoire de la messe, on peut penser que c’est nettement mieux que ce qui se passait à certaines périodes où les « fidèles » ne comprenaient rien à ce qui se disait, à ce qui se passait.

Et ce qui est aussi important c’est que dans la première alliance, le sacrifice est offert d’abord à Dieu et que ce qui peut en rester est plus ou moins partagé entre l’offrant et les sacrificateurs, alors que là, le partage se fait entre les frères car ce qui est partagé, pardonnez moi l’expression, c’est « du Dieu » et du coup cela fait de nous des êtres en transformation, des êtres transformés. Et cela nous revient complètement. Il n'y a plus une part pour Dieu, une part pour le célébrant, une part pour les participants, non tout est donné, tout nous est donné. 

Il y a certes le fait d’être ensemble, mais il y aussi ce partage du même, qui par ailleurs n’est pas identique pour chacun. Et ce même qui crée du corps, crée aussi un corps qui n’est pas la somme des parties, qui est autre chose, mais cela nous n’avons pas les yeux pour le voir.

Alors je me suis dit que si Dieu a en quelque sorte besoin d’une matière pour faire quelque chose, l’incarnation prend tout son sens. Il a besoin d’un être de chair et de sang, pour que cet être entièrement façonné par lui, puisse devenir sa figure, sa présence ; et si nous voulons nous être signe de la Présence, nous avons à nous laisser façonner comme Dieu l’entend. 

D’une certaine manière Jésus dans le sein de Marie a été déjà façonné par l’Esprit saint pour être à l’image du Père et tout au long de sa vie terrestre cela a continué .


Manger ce pain et boire à cette coupe, cela nous permet aujourd’hui de laisser Dieu en étant en nous de continuer ce travail du façonnage.

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