Mt 15, 21-28 La guérison de la fille de la femme
syro-phénicienne (cananéenne).
J’ai lu et relu cet évangile ce matin et je le trouve
difficile. J’ai trouvé intéressant que cet épisode soit en quelque sorte
encadré par les deux multiplications des pains, avec la mention des restes,
restes qui renvoient à l’abondance. Dans cet épisode il est bien question de
pain, de ce pain qui ne doit pas être donné aux petites chiens, alors que ce
pain, ce pain qui dans l’évangile de Jean donne la vie éternelle, est quand
même le pain de l’amour. Et cette femme est d’abord une mère qui aime. Ce doit
être difficile d’aller supplier quelqu’un qui est dans un premier temps comme
absent, qui est entouré d’hommes qui font comme une muraille de protection, et
finalement de s’abaisser. Mais que ne ferait pas une mère?
J’ai eu aussi l’impression que Jésus en quelque sorte, dans
ce récit, se justifie par rapport aux disciples : il est la bonne nouvelle
pour le peuple « Israël ». Et ce sera à Israël de porter ensuite la
nouvelle aux nations, mais pas dans l’immédiat. Pourtant dans la relation qui
se crée quand même entre la « maman » et Jésus, quelque chose change, je dirai presque explose, parce que Jésus en guérissant, passe déjà à l'universel. Il élargit son domaine: il ne se cantonne plus à la terre d'Israël, mais il va vers le monde. Peut-être que la femme n’est plus la cananéenne, l'étrangère, mais une femme en souffrance, une femme qui
reconnaît en cet homme qui semble si lointain, celui qui peut se faire le tout proche et changer la vie de sa
fille.
C’est ce que j’ai essayé de traduire dans le texte qui suit.
Ma petite fille est malade, je ne sais pas quoi faire ; elle est
brûlante, elle a de la fièvre, elle marmonne des choses que je ne comprends
pas, je n’arrive pas à la faire boire ;
je l’ai baignée dans une eau tiède, mais ça n’a rien changé. Elle ne me reconnaît
pas, elle me repousse, je ne sais que faire. C’est surement un démon qui est
entré en elle, les démons ils aiment les petits enfants, il veut me la prendre
parce qu’elle est trop belle, ma petite fille chérie, la prunelle de mes yeux,
le trésor de ma vie.
Une de mes voisines, celle qui est venue pour m’aider à baigner ma
petite fille, m’a dit qu’il y avait un prophète de Galilée qui était là, que ce
prophète avait guéri il y a quelques jours beaucoup de malades et qu’il
avait même donné à manger à tous ceux qui étaient là. J’ai du mal à croire
cela, mais après tout le prophète Elie quand il est venu chez nous, il y a si
longtemps, il a bien donné de l’huile et de la farine à la femme qui l’avait
reçu. Alors pourquoi est ce qu’il ne m’écouterait pas.
J’ai laissé ma petite fille à la maison; j’aurais voulu la
prendre dans mes bras, mais elle est trop malade. Et je suis allé
trouver le Maître; il s’appelle Jésus, m’a-t-on dit. Et là je me suis mise à implorer, à implorer, à crier... Lui, il semblait ailleurs, il ne me regardait
pas, il ne m’écoutait pas. Et pourtant je criais, je criais tellement fort que
ses disciples lui ont demandé de faire quelque chose.
Il leur a répondu qu’il n’avait été envoyé qu’aux brebis perdues de la
maison d’Israël. Si je comprends bien, ça veut dire que nous, nous qui ne
respectons pas la Loi donnée par Moïse, nous sommes exclus; peut-être comme
une punition parce qu'autrefois nous avons combattu ce peuple qui venait nous
envahir. Mais moi, je n’étais pas née, pourquoi je serais maudite à cause de
mes ancêtres ? Cette phrase affreuse, elle n’était pas pour moi, elle
était pour ceux qui l’entouraient, pour leur dire que de moi il n’avait rien à
faire, parce que je ne me convertirais pas. Mais qu’est-ce qu’il en sait ?
Il y a des juifs aussi ici, et pourquoi n’irai-je pas les trouver et reconnaître
que leur Dieu est le vrai Dieu ?
Et puis, c’est étonnant, mais il y a eu comme un "couloir" entre lui et
moi, comme si ses disciples cessaient de faire un mur autour de lui, et qu'il y avait comme une brèche qui s'ouvrait; j’ai pu l’approcher et me prosterner devant lui; et lui demander de venir
à mon secours, moi qui suis en train de perdre ma fille. Il m’a regardée et il a
eu une phrase bizarre, comme s’il devait se justifier de ne pas me répondre. Il
m’a dit « Ce n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le donner
aux chiens », comme si lui n’avait pas le droit de faire du bien à ceux
qui ne sont pas de sa famille. Et là, j’ai su ce que je devais lui dire, lui
montrer que je comprenais sa réticence, mais que je quémandais quand même, et
que cela ne volerait rien aux autres. Je lui ai dit que les petits chiens se
contentent des miettes qui tombent, qu'ils se contentent des restes, qu'ils ne privent personne.
Et là, j’ai eu l’impression que quelque chose se déchirait en lui, qu’il
n’était plus aussi sûr de lui, et que brusquement je devenais enfin ce que j’étais,
pas une étrangère, mais une mère éplorée. Il m’a regardée, vraiment regardée et
m’a dit que ma foi était grande et que tout allait se faire comme je le souhaitais.
Mais plus que les paroles, les paroles que j’attendais (même si j’aurais
bien aimé qu’il me suive et impose les mains à ma fille) « que tout se
fasse comme tu le veux », il y a eu ce regard, où je suis devenue quelqu’un
pour lui; quelqu’un qui avait un visage.
Je suis rentrée chez moi, ma petite fille était guérie.
J’ai appris ensuite qu’il était rentré dans son pays, qu’il avait fait
des guérisons à la pelle et qu’il avait à nouveau multiplié les pains. Alors
moi je dis que ce pain il est aussi pour nous, nous qui sommes peut-être loin
mais pas si loin que cela de lui, nous qui espérons en la venue de quelqu’un
qui nous conduira vers Dieu.
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