L'homme qui ne portait pas la
robe blanche: Mt22, 1-14
Dimanche dernier, nous avons
entendu l'évangile des "invités à la noce" rapporté par Matthieu. Ce
texte est un peu semblable à celui de Luc (Lc14,16-24), qui lui se termine mieux pour les invités récalcitrants. Celui de Matthieu ne baigne pas dans l'optimisme: les premiers appelés sont mis à mort, et celui qui ne porte pas le bon habit est mis dans les ténèbres.
Si on replace cette
parabole dans l'évangile de Matthieu, on est dans un contexte très
polémique avec les juifs de Jérusalem. Jésus a fait son entrée triomphale, il a
dispersé les vendeurs du temple, il fait quelques guérisons et il enseigne dans
le Temple. Il leur assène la parabole des vignerons homicides, qui précède la
parabole que nous avons entendue ce dimanche, qui sera suivie par des
polémiques bien orchestrées pour mettre Jésus en position d'accusé, et se
termine par la parabole de la fin de temps Mt 25 où les bénis sont ceux qui ont
donné au plus petit, cette parabole étant elle-même précédée par ces paraboles qui
montrent bien que tous n'entreront pas dans le royaume. Alors peut-être cet
homme, qui s'est introduit peut-être en douce, en espérant ne pas être repéré, mais profiter quand même d'un bon repas, est-il là pour nous rappeler qu'il y a des conditions pour être dans le
royaume (porter une robe blanche et parler). Mais il nous rappelle aussi qu'il y a bien deux royaumes
qui se combattent, qui se déchirent. Et que pour entrer et rester dans le Royaume (le Royaume que le Père donne à son Fils), la robe que nous donne l'onction de
l'Esprit Saint est indispensable.
Si on se centre uniquement sur la
fin du texte, on apprend donc:
-
qu'il y a un homme qui est entré dans la salle
du repas des noces sans avoir revêtu le vêtement blanc,
-
que le Maître le remarque (ce que d'autres n'ont
pas osé faire apparemment), et s'adresse à lui amicalement,
-
que
celui-ci ne répond rien,
-
et enfin qu'il se retrouve dehors, pieds et
mains liés dans les ténèbres, là où il y a des pleurs et des grincements de
dents.
Même si Marie Balmary suggère que cet extérieur permet
d'extérioriser la colère qui est en soi, de la lâcher et donc d'en être
transformé (Abel ou la traversée du désert: travail sur la parabole des
talents), il me semble bien que le lieu extérieur est le lieu de l'absence de
lumière, de l'absence de parole, et de la présence du Mauvais. Peut-être qu'il
s'agit d'une mise en garde de l'évangéliste pour ceux qui font semblant d'être
convertis, mais qui dans leur cœur ne le sont pas.
Le moins que l'on puisse dire,
c'est que la punition, qui va au-delà d'une exclusion, parce que cet homme
quitte le royaume de la lumière (Dieu) pour se retrouver dans le royaume des
ténèbres (le Mauvais), montre que quand on est lié (pieds et mains) il est
impossible de se sortir seul de ce pétrin. Peut-être que les pleurs et les
grincements de dents sont le signe d'une vie, mais ceux qui sont dans les
ténèbres vont-ils venir délier celui qui vient d'arriver ainsi chez eux? Il
semble bien que ce soit une condamnation définitive.
Alors, on peut se poser la
question suivante: Jésus parle souvent d'un Dieu d'Amour, mais si on lit le
début du texte, on est confronté à un Dieu de Justice. Les premiers, ceux qui
ont trouvé qu'ils avaient mieux à faire que de répondre à la demande de
participer au festin et qui ont molesté et tué les envoyés, sont eux-mêmes mis
à mort. Et dans une morale classique, il semble que ce soit normal. Là on peut se demander s'il ne s'agit pas de
la patte de l'évangéliste, car on peut voir là le peuple juif qui refuse
l'appel des prophètes, qui refuse de se convertir, qui veut vaquer à "sa
religion comme il en a envie" et qui donc se trouve mis à mort (ce qui
s'est passé lors de la chute de Jérusalem), et est exclu de
l'alliance, car les noces, cela célèbre toujours une alliance. Mais c'est bien
facile de jeter la pierre aux autres.
Ensuite on nous montre un Dieu qui passe alliance avec le tout venant, qu'il soit bon ou qu'il soit mauvais, et
là on peut s'y reconnaître. On peut se dire que le salut avec Jésus s'adresse
à tout le monde, puisque Jésus n'a jamais fait la fine bouche, qu'il a guéri les malades, chassé les démons et parlé aux publicains et aux femmes de
mauvaise vie. L'alliance est possible pour tous. Ce Dieu là, nous l'aimons
bien.
Mais l'alliance n'est possible
que s'il y a reconnaissance de quelque chose, et je pense que cette robe
blanche que l'homme n'a pas voulu mettre, c'est un peu ce que, ailleurs, Jésus
appelle le péché contre l'Esprit (Mt 12, 31-32, Mc 3, 29, Luc 12, 10), ce péché
qui est à la fois refus de voir en Lui
le Fils, refus de se laisser faire, refus de sortir de ses certitudes, ce péché
qui comme on le dit souvent aujourd'hui est refus de se laisser
"déplacer". Et là il y a un Dieu de justice.
Alors que se passe-t-il pour cet
homme? Je me suis dit que dans la parabole des talents, Dieu fonctionne en
miroir par rapport au serviteur qui est dans la peur et qui pense que son
maître est un maître injuste, qui moissonne là où il n'a pas semé. Alors j'ai
pensé qu'il en était un peu pareil pour cet homme là.
Pour lui, Dieu ne parle pas,
alors quand Dieu lui parle, il ne peut même pas répondre, puisque cette voix
là, il ne la connaît pas et pourtant elle est amicale: "Mon ami comment
es-tu entré ici?" Si l'homme a perdu la voix, c'est que pour lui, il n'est pas
possible que Dieu soit un Dieu qui s'adresse et qui parle.
S'il se retrouve dehors, c'est
que pour lui, le royaume de l'alliance n'existe pas.
Mais surtout s'il se retrouve
pieds et mains liés, donc dans l'incapacité totale de faire quoique ce soit
pour retrouver ce royaume de lumière, c'est que pour lui, Dieu est un Dieu qui
tient en esclavage, un Dieu qui emprisonne, un Dieu qui ne laisse aucune
liberté.
Il a une représentation de Dieu
qui est celle d'un Dieu méchant, et c'est donc cette image là qui en quelque
sorte se dresse contre lui et le rend inapte à être dans le royaume.
Cela peut paraître bien dur, mais
si l'on se souvient que Jésus s'adresse aux chefs de Prêtres et des pharisiens,
peut-être que cela correspond à l'image qu'eux se font de Dieu, un Dieu qui met
dehors ceux qui ne fonctionnent pas comme eux, un Dieu qui comme le dit Jésus
fait peser de trop pesants fardeaux sur les uns et les autres, un Dieu qui n'est
pas un Dieu amoureux.
Je pense que c'est ce refus là
qui est comme sanctionné dans ce texte. Et peut-être que, malgré tout, il peut
nous poser la question de la représentation que nous nous faisons de Dieu et
peut-être de la justice divine.
La question de la Justice est quand même une question
importante, même si souvent nous l'excluons de notre champ de pensée. On centre tout sur la miséricorde, mais la question de la justice (pas la justification), reste une vraie question.
Au fond
de moi, compte tenu de ce que je peux voir de souffrances, d'injustices
commises sur des enfants, j'espère profondément - même si je prie parfois pour les
personnes qui ont commis ce mal, parce que je n'ai pas à juger - que la justice
de Dieu est une "justice parfaite" en laquelle j'ai foi. (Je fais la référence à un article de Top C
que j'ai beaucoup aimé: https://www.topchretien.com/la-pensee-du-jour/prenez-la-decision-de-pardonner/
et dont j'ai retenu la phrase: "pardonner c'est avoir foi dans la justice parfaite
de Dieu"ce qui peut vouloir dire, j'ai moi le pouvoir de demander à Dieu qu'il m'aide à pardonner, mais cela n'est pas exclusif d'une justice qui contrairement à la justice humaine sera une justice parfaite.
Je ne veux pas opposer un Dieu de
Justice à un Dieu de Miséricorde, mais peut-être que ce texte est là pour nous
dire quelque chose sur nous. Nous avons besoin que les yeux de notre cœur voient Dieu tel qu'il est et non pas tel que notre imaginaire passe son temps à
le construire. Dieu de tendresse et d'amour oui, mais pas que.. Et si l'homme sans robe avait osé ouvrir la bouche et parler, peut-être, et je le crois profondément sûrement, l'histoire aurait été autre. Dieu entend le cri du pauvre et lui répond.
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