Dans l'évangile de Luc il y a bien une première annonce de la passion, mais il n'y a pas la réaction de Pierre rapportée ailleurs, avec la réponse de Jésus "passe derrière moi Satan". Par contre, la péricope se termine par "Il y en parmi ceux qui sont ici présents qui ne connaîtront pas la mort avant d'avoir vu le règne de Dieu".
On peut se demander si la transfiguration n'est pas comme une réponse à ce verset.
Dans ce récit, très proche des autres récits, Luc mentionne une torpeur (un demi-sommeil) qui s'empare des disciples, comme si cet état de semi-vigilance pouvait permettre de percevoir autrement. On trouve un peu la même chose pour Abraham qui, après avoir partagé des animaux en deux, voit une lumière passer entre les animaux, une nuée épaisse, et un Dieu qui parle, qui fait alliance. Comme si la présence, la manifestation du très Haut, ne pouvait se faire que dans ce sommeil-là. Et j'ai voulu réfléchir comment ce sommeil, qui n'est pas un sommeil, mais qui a permis de "toucher du doigt" la Présence, a été comprise et vécue par les trois disciples.
Pierre raconte la transfiguration:
Le Maître avait eu une phrase étonnante, il avait dit que "certains ne connaîtraient pas la mort avant d'avoir vu le règne de Dieu". Une fois de plus on n'avait pas compris, mais poser des questions, souvent on n'ose pas. Et puis quelques jours ont passé et il a voulu aller prier sur une montagne. Souvent il prie tôt le matin, même très tôt, avant le lever du soleil. Et là, il nous a réveillés en pleine nuit Jacques, Jean et moi, et on est partis. On a marché pas mal de temps et ça grimpait dur.
Puis il s'est un peu écarté de nous, et il s'est mis à prier. Moi, j'aimerais bien prier comme lui, mais je n'y arrive pas; je pense à plein de choses, à ce qu'on va faire, à ce qui va arriver s'il doit être mis à mort. Et puis, je dois dire que je n'avais qu'une envie: dormir.
Je sentais mon corps, je sentais mes yeux, et je me sentais comme figé, collé au sol; et en même temps j'avais l'impression d'être comme sorti de mon corps.
Mon corps était là, et moi je regardais avec des yeux neufs; j'entendais avec des oreilles neuves. Je ne sais pas comment le dire. Et je l'ai vu lui, Jésus. Je dis lui, mais ce n'était pas lui, il était rayonnant, il était nimbé de lumière, une lumière qui n'était pas celle du soleil qui se levait, mais une lumière qui sortait de lui. Et il parlait avec deux hommes que j'ai reconnus tout de suite: il y avait Moïse qui ne portait pas le voile avec lequel on le représente et qui lui aussi rayonnait, et il y avait Elie, avec son manteau en poils de chameau et sa barbe.
J'entendais ce qu'ils disaient, ils parlaient de Jérusalem et de son départ. Je ne comprends pas trop, mais ça ne me plait pas. Mais c'est sûr que Jésus doit faire ce qui est prévu pour lui depuis toute éternité. Et puis ils sont partis, enfin ils se sont dissous dans le ciel. Et moi, j'aurais voulu qu'ils restent là tous les trois, que le temps s'arrête, que le mauvais n'arrive pas.
Et là j'ai voulu dire quelque chose, mais c'était comme dans ces rêves où on veut parler et où on n'y arrive pas. Ce que je voulais, c'était qu'ils restent, que nous puissions être tous les six, eux trois et nous trois. Alors l'idée qui était là, c'était de leur construire des tentes, un peu comme la tente de la rencontre.. Je sais que ce n'était pas possible, mais en même temps, j'étais incapable de me taire et je ne voulais pas qu'ils partent, je voulais que ça dure.
Et voilà, que c'est devenu sombre. Il y avait une sorte de nuage qui s'est abattu sur nous, un nuage comme je n'en n'ai jamais vu, un nuage qui faisait peur et qui pourtant protégeait. Et une voix est venue, une voix qui me disait, qui nous disait que nous devions écouter Jésus, que nous devions reconnaître en lui le fils qu'Il avait choisi. Sur le coup je n'ai rien compris, mais moi, je suis lent à comprendre. Puis, une certaine terreur est venue en moi, j'ai compris que nous avions entendu la voix du Tout Puissant, une voix qui s'était adaptée à nos oreilles, une voix qui s'était fait douceur et qui nous demandait de reconnaître vraiment que notre Jésus était son fils et que nous devions l'écouter comme nos pères avaient écouté les paroles retransmises par Moïse.
Et quand la voix en nous s'est tue, Jésus était à côté de nous, semblable à lui-même. Il n'a rien dit, nous non plus. Heureusement que nous étions tous les trois, parce que sinon je me serais demandé si je n'étais pas devenu un peu fou. Et cela, cette vision de lui, avec Moïse et Elie, nous l'avons gardée en nous précieusement. Et nous avions vraiment eu l'impression d'avoir vu le règne de Dieu sur notre terre.
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