samedi, avril 30, 2011

"Ne sois pas incrédule" Jn20



Réflexions sur Thomas surnommé le "jumeau"(1).


Il est quand même étonnant que le même Thomas qui a pu dire lors de la mort de Lazare « Allons, nous aussi pour mourir avec lui »Jn 11, 16 soit devenu pour nous le modèle de l’incrédulité… « Ne sois pas incrédule mais croyant »Jn20, 27… Enfin grâce à lui, nous avons une béatitude qui nous concerne tous : « Heureux 
sommes nous de croire alors que nous n’avons pas vu ».

Mais ce qui est raconté dans le chapitre 20 de l’évangile de Jean et que nous entendrons ce dimanche (dimanche de la miséricorde) m’a  donné l’envie de raconter un peu « autrement » cet épisode où je ne suis pas sûre de trouver Jésus très miséricordieux avec Thomas celui que l’on surnomme le jumeau, ce qui en soit pose d’emblée une question d’identité. Qui est –il ce Thomas. Est il notre jumeau avec son incrédulité ?

Le soir du vendredi, après la mort de Jésus, les apôtres se demandent ce qui va leur arriver: vont ils être poursuivis, emprisonnés ? Ils sont galiléens dont avec leur accent ils sont reconnaissables. Seulement voilà, quitter Jérusalem c’est impossible puisque le Shabbat de la Pâque est là. Et un jour de Shabbat on n’a pas le droit de faire plus de 2000 pas, alors rentrer à Capharnaüm pour se mettre à l’abri ce n’est pas possible. Et puis il faudrait peut-être si les choses se tassent faire de vrais funérailles au Maître. Il faut bien trouver un lieu en attendant, survivre et se serrer les coudes.

Traditionnellement on imagine que le lieu où vivent les apôtres après la mort de Jésus est le Cénacle, la salle du dernier repas, la salle de la Pentecôte, mais il me semble que c’est une hypothèse. J’imaginerai bien une salle avec peu de fenêtres, une salle un peu comme une cave, pas une chambre haute.  

Passe le samedi, arrive le dimanche. Là il y a des nouvelles : Marie-Madeleine prévient Jean et Pierre qu’Il a disparu. Ces deux là sont allés au tombeau, ont vu la pierre roulée, les linges pliés. Jean « voit et croit » mais on ne nous dit pas ce qu’il croit. On nous dit juste que « ils ne savaient pas encore que d’après l’écriture il devait ressusciter d’entre les morts » et pourtant ces deux là, avaient assisté à la transfiguration.  On nous dit qu’ils s’en retournent chez eux. Et là se repose la même question, où est ce chez eux ?

Ce que nous savons c’est que le dimanche soir, dans ce lieu que l’on assimile souvent à la pièce où a été célébrée la Pâque, mais nous n’en savons rien, les apôtres sont enfermés. On pourrait même dire que eux sont dans la tombe. La pièce est verrouillée (alors que la pierre a été roulée) il fait nuit, ils sont dans l’obscurité de la foi, car il ne semble pas que les allégations des femmes leur aient ouvert les yeux. Ils sont enfermés dans cette pièce et en eux-mêmes. Si Jésus est sorti du tombeau, eux ils y sont bien enfermés.

Peut-être que la faim se faisant sentir, Thomas sort pour acheter ce qu’il faut et peut être aussi pour « humer » l’air du dehors, voir si les choses se sont calmées, s’il sera possible de quitter Jérusalem, de rentrer chez soi. Et Thomas sort dans la nuit, à pas de loups et les autres ferment bien la porte derrière lui et peut-être même lui donnent ils un mot de passe pour quand il rentrera.  Et les voilà à attendre le retour de Thomas. 

Mais ce n’est pas Thomas qui revient, c’est brutalement Jésus qui se trouve au milieu d’eux. Il est le centre, il est au centre, il est le personnage central, un peu comme lorsque la femme adultère est mise « au milieu » bien en vue par les pharisiens (Jn8,3). Jésus est entré dans leur tombeau.  Il leur donne sa Paix, Mais on dirait que ce n’est pas suffisant, que sa voix ne provoque pas grand chose en eux (un peu comme avec Marie- Madeleine qui dans un premier temps ne reconnaît pas la voix de Jésus quand elle le prend pour le jardinier).

Alors Il montre ses mains et son côté et là enfin il se passe quelque chose, ils ne doutent pas de leur vision, ils sont remplis de joie, ils sont sortis de leur tombe. Jésus leur donne l’Esprit Saint et la capacité de remettre en amitié (réconcilier) avec son Père ceux qui le veulent (il ne s’agit plus de chasser les démons ou du guérir mais de  remettre les péchés ce que Jésus avait fait avec le paralytique (Lc 5, 20) et d’étendre ce qui avait été donné à Pierre seul (Mt 16,16). Jésus leur donne ce pourquoi Il a donné sa vie, il fait d’eux des vivants. 

Mais quand Thomas rentre avec peut-être la peur au ventre, pourquoi les croirait-il ? Comment un homme peut il rentrer dans une pièce hermétiquement close ? Cela fait penser à ces romans policiers où un crime est commis alors que la pièce est verrouillée de l’intérieur, les fenêtres fermées. Bien sûr ils ont vu ses mains et son côté, mais ils n’ont pas touché.. Et si c’était une illusion ? Si leur peur avait vraiment disparu, auraient ils eu besoin de continuer à verrouiller la porte ? Alors Thomas va avoir une réaction « saine » normale. Il a vu Jésus sur la croix, il a vu ce qu’a fait le centurion en perçant son côté, alors il va dire une phrase curieuse si on l’analyse : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, et si je ne mets pas ma main dans son côté, je ne croirai pas ». Non seulement il veut voir, mais il veut toucher, comme s’il ne se fiait pas à ce qu’il aurait vu.  Peut-être que en disant cela Thomas ne nie pas que « quelque chose se soit passé » mais comment savoir si ce quelqu’un est bien Jésus. Après tout si Marie Madeleine le prend pour un jardinier c’est que les plaies ne sont visibles. Lui il veut être sûr que ce n’est pas une imposture et lui n’a pas reçu l’Esprit qui permet le discernement, doute, ne fait pas confiance et en cela il est bien comme nous.

Et 8 jours passent. Les apôtres auraient peut-être pu quitter Jérusalem, entre deux shabbat on peut abattre des kilomètres, mais dans cet évangile, ils restant enfermés, verrouillés dans leur tombeau (2). Ils n’osent pas parler de ce Jésus qui leur est apparu, ils restent dans la mort. Et voilà que Jésus à nouveau est là, là au milieu d’eux.

Pouvons nous imaginer la tête de Thomas lorsque Jésus cite pratiquement mot pour mot ce que lui Thomas a dit dans le secret de cette pièce en insistant sur les gestes : » Porte ton doigt ici, voici mes mains. Avance ta main et mets là dans mon côté, et ne sois plus incrédule mais croyant ».
Il m'est possible d'imaginer la stupeur de Thomas, voire même sa peur: comment a t Il pu savoir, comment a t Il pu entendre ce que j’ai dit il y a 8 jours,

Comment l’absent a t il pu rester présent, invisible pour les yeux? Qui est-Il, Qui est-Il devenu ? Ceci a certainement dû provoquer un changement total en Thomas (comme plus tard pour Paul sur la route de Damas), une ouverture des yeux et du cœur et qu’il n’a pas besoin de toucher pour croire.

Dans le psaume 139 il est écrit : « La parole n’est pas encore sur ma langue et voici Seigneur, tu la sais toute entière »… Alors si Thomas peut dire: «  Mon Seigneur et mon Dieu » c’est peut-être parce que il a compris dans sa chair que ce que Jésus disait avant sa mort : « Qui m’a vu a vu le Père » était là, arrivé pour lui.  Et Thomas qui au soir du jeudi Saint disait ne pas connaître le chemin qui mène au Père a trouvé ce soir là ce que serait son chemin: annoncer la bonne nouvelle de la résurrection bien loin de Jérusalem.


(1) http://giboulee.blogspot.com/2006/05/thomas-dont-le-nom-signifie-le-jumeau.html
(2)Il faut dire que suivant les évangélistes il faut soit aller en Galilée, soit rester à Jérusalem. 

dimanche, avril 24, 2011

"Se pardonner à soi-même"

"Refaire surface"

Faire le deuil de soi? 
Est ce que le fait de dire «Je te demande pardon » permet de refaire surface?

J’ai regardé les deux premiers épisodes de la nouvelle série Docteur House et je dois dire que depuis je me pose des questions sur la question du pardon. Est ce que le fait de dire : je te demande pardon, je reconnais que j’ai fait quelque chose de mal permet vraiment de ne plus se sentir coupable, de repartir dans la vie débarrassé de ce poids et d’être « debout » ? C’est une question qui s’est posée à moi après avoir regardé le deuxième épisode.


Je résume ce que j’ai retenu : il s’agit là d’un travail thérapeutique entre House et le psy responsable du service dans lequel House se retrouve et qui arrive dans un premier temps à lui faire dire qu’il veut être heureux et qu’il en a assez de saborder tout ce qui pourrait être bon pour lui. En soi le simple fait que House passe de l'opposition à une certaine obéissance, qu'il devienne capable d'ouvrir son oreille à un autre que lui est déjà une victoire. C'est si facile de fermer son oreille à l'autre et de se prendre pour celui qui sait. 


Puis dans le déroulement de l’épisode, House provoque en grande partie par orgueil mais aussi par désir de bien faire un accident qui aurait pu tuer un résident de l’hôpital. Quand cette personne retourne dans le service psychiatrique, House va essayer de « réparer » or le psy va lui dire de demander simplement  « pardon » ce qui  paraît à House (un peu comme un tout à chacun ) un peu simpliste, un peu absurde. 


Il lui explique alors que qu’il n’est pas Dieu et qu’il ne vit pas dans un monde où il peut annuler ce qui a été fait. Au passage on lui fait comprendre qu’une certaine gentillesse qui est une forme de réparation n’est pas bonne parce qu’elle maintient dans la culpabilité et ne permet pas de tourner la page.


Bien sûr parce que l’Amérique c’est l’Amérique, House en récupérant « une boîte à voix » qui est en fait une boîte à musique  et en la donnant à la personnne qui est en morceaux et qui ne parle plus,  va en posant l’acte « vocal » du pardon permettre de profondes modifications pour certains personnages de l ‘épisode,

Certes dans un premier temps le fait de dire « je te demande pardon » ne rend pas la parole, mais par la suite comme si quelque chose avait été mis en mouvement chez ce patient qui ne bouge plus, la parole va revenir. Et il est fort possible que ce soit ces changements qui permettent à House de devenir un vivant. 


Articuler le pardon (le dire à haute voix et devant des tiers) , c’est aussi reconnaître que l’autre a le droit d’accepter ou de refuser, c’est reconnaître qu’une erreur a été faite, mais c’est aussi dire que le regard posé sur l’agressé va changer. Peut être que ce n’est plus le considérer comme  "sa"   victime mais comme "une" victime et de ce fait poser un autre regard sur lui, supposer aussi que l’autre après tout peut « pardonner », même si cela semble presque impensable. Mais c’est arrêter de penser à la place de l’autre.


J’ai lu récemment un commentaire sur « prendre sa croix » avec une insistance sur le mot prendre. Il ne s’agit pas d’être passif, écrasé, mais debout et actif, donc vivant. Ce qui est proposé par le psy (mais qui ne peut se réaliser que parce que la confiance a pu s’établir entre ces deux hommes, parce qu’une relation de dominant/dominé a déjà pu se modifier) c’est bien de vivre et de ne pas être un mort vivant (comme l’autre sur son fauteuil) parce que cela ne sert finalement à rien.

Que le but d’un psy (d’un thérapeute) soit à un moment donné, de permettre à son patient de vivre le mieux possible, de cesser de se détruire, certes oui. Mais est ce qu’il suffit de demander pardon pour que le deuil de l’acte soit réalisé?


 Ce qui semble proposé ici c’est de ne plus se laisser plomber par cet acte dans la vie de tous les jours, c’est  aussi (et c’est peut être cela l’important) se reconnaître faillible, faible, mais de ne pas s’en sentir coupable.Autrement dit ce qui est proposé là en disant les mots à haute voix c’est de faire le deuil d’une certaine image de soi, image qui est celle de quelqu’un finalement de tout puissant.


On parle beaucoup de vertus thérapeutiques du pardon dans les groupes de personnes victimes, mais même si on fait une distinction entre lâcher prise et pardon, même si effectivement le pardon donné à son agresseur peut permettre de vivre enfin sans traîner un fardeau, c’est un acte qui reste difficile, car il s’agit aussi de laisser de côté définitivement tout ce qui est de l’ordre du ressentiment, du pourquoi, de l'incompréhension et finalement de pouvoir regarder l’agresseur comme quelqu’un avec lequel on n’a plus rien à voir. 


C’est être libéré de lui et cette libération là pour moi est de l’ordre autant du spirituel que du travail psychologique.


Ici, pour en revenir à ce que je crois avoir compris, il l s’agit d’une certaine manière de se mettre du côté du responsable (de l’agresseur, même s’il s’agit d’un acte involontaire qui aurait pu demander réparation au niveau de la justice) et de voir comment l’aider lui à s’en sortir. D’ailleurs le simple terme « s’en sortir » montre bien qu’il s’agit de ne pas demeurer sur place, de faire un chemin d’aller vers un ailleurs. 
.
Peut-être qu’un certain discours religieux insiste trop sur la faute en elle-même, et pas assez sur la nécessité de se reconnaître dans sa finitude, dans sa limite. La phrase de Paul  (Rm7,15): «  Je ne fais pas le bien que je veux mais le mal que je hais » nous pouvons tous la prendre à notre compte. L’important serait de reconnaître que cela c’est notre condition humaine et que seul l’Esprit Saint donné en abondance par Jésus peut permettre d’en sortir ou du moins de lâcher une culpabilité trop souvent mortifère.

 En ce temps de Pâques, je dirais bien que c’est ce chemin là qui est proposé à tous les humains, redevenir (ou devenir) vivant, ouvrir tout grand tous ses sens au grand vent de l'Esprit.




mardi, avril 19, 2011

"les deux lavements des pieds" Jn 12, 1-12; Jn 13,1-15

Après avoir entendu ce que j'aimerai appeler non pas "l'onction à Béthanie", mais le premier lavement des pieds Jn 12,1-12, j'ai d'une part compris la réaction de Juda et surtout je me suis demandée si le geste de Marie n'avait pas permis à Jésus d'inventer cet autre geste au cours duquel il appellera ses disciples "ses amis".

Mais revenons au début...

Si la famille de Lazare est une famille amie, on peut bien penser qu'elle aide financièrement cet homme Jésus. Après tout Luc ne dit il pas que des femmes aident financièrement Jésus dans sa mission? Après le cadeau qui vient de lui être fait (la résurrection de Lazare), il serait bien normal que cette famille fasse un geste pour manifester sa reconnaissance. . 

Alors quand Marie arrive avec ce vase, pourquoi ne pas imaginer qu'elle va le donner au "Maître" pour que celui ci l'utilise pour sa mission. Seulement voilà, Marie fait un geste fou, elle verse (gaspille) le contenu sur les pieds de Jésus et dans un même mouvement la bonne odeur va des pieds de Jésus à ses cheveux, à elle,  comme si cela ne formait plus qu'un, comme si ses cheveux servaient de linge pour essuyer les pieds. D'une certaine manière ce qu'on peut voir c'est une sorte d'indistinction entre la femme Marie et l'homme Jésus, entre la tête de l'une et les pieds de l'autre. Peut- être qu'à ce moment là il se passe quelque chose pour Jésus, quelque chose qu'il reprendra dans le geste du lavement des pieds.

Certes il va dire à Judas: Jn12, 7:"Laisse-là garder cela pour le jour de mon enterrement" (NBS) ou "laisse là, c'est pour le jour de ma sépulture qu'elle devait garder parfum"(BJ), comme si Jésus disait à Marie, ce parfum que tu as versé aujourd'hui tu en auras besoin bientôt, mais comment deviner que dans six jours Jésus ne sera plus là.

Mais pour en revenir au parfum, oui cela aurait pu être donné aux pauvres (d'autant que si Jésus a été acheté pour 30 pièces d'argent, là il y avait de quoi acheter 10 Jésus, donc une vraie fortune....), Je me dois de reconnaître que c'est une réflexion que je me fais (dans mon petto) lors de certaines cérémonies où les prêtres portent des ornements surchargés de pierreries, où les calices sont rutilants. Oui je me dis pourquoi ne pas vendre cela pour en donner l'argent à tous ceux qui ont le ventre vide, qui tendent la main à la porte de l'église. Pourquoi cette magnificence alors que Jésus ne l'a jamais demandée.

Seulement peut être que celui qui a donné des pierres précieuses pour orner  ce calice ou ce ciboire, voir ces habits liturgiques,  a été aussi fou que la Marie de l'évangile, il a pensé que c'était important de donner ce qu'il y a de mieux pour contenir le vin qui est figure du Sang ou les hosties figures du corps ressuscité. Il y a peut être là une folie qui révèle quelque chose de l'amour pour Celui qui a donné sa vie pour que nous soyons des vivants. La folie de Marie était finalement sagesse...Serai-je capable de faire une telle folie? Je suis loin d'en être sûre.

Le geste rapporté en Jn 13,1-15 est finalement du même ordre. C'est un geste fou. Je ne dirai pas un geste gratuit parce que ce geste apprend quelque chose aux compagnons de Jésus. Un Maître qui fait un travail réservé aux serviteurs, un maître qui prend le temps d'essuyer les pieds de chacun et qui dans ce geste, - la main qui tient le pied et l'essuie-  reprend cette communion qu'il a vécu avec Marie fait un geste de communion qui ne prendra de sens que plus tard.

Il ne s'agit pas seulement de "comprendre" que ce geste que Jésus a fait ce soir là, signifierait  seulement  que ceux qui se réclament et se réclameront de Lui doivent se faire les serviteurs (les esclaves) des autres, mais de ne pas oublier  la phrase que Jésus dit à la tête de mule qui s'appelle Pierre : "si je ne te lave pas tu n'auras pas de part avec moi"Jn 13, 8.

Marie a lavé (oint) les pieds de Jésus, elle a anticipé ce qu'elle viendra faire le matin de Pâques et elle est déjà d'une certaine manière en union avec le Ressuscité.


Jésus en lavant les pieds de tous ses disciples avec de l'eau anticipe le sang qui va couler dans quelques heures, le sang qui donnera la Vie et qui permettra à ceux qu'Il a choisi de devenir ses amis  et de demeurer en Lui.  

samedi, avril 16, 2011

"Se convertir"


« Convertissez vous, le royaume de Dieu s’est approché » disait Jean le baptiste Mt3, 1 aux foules qui venaient se faire baptiser dans le Jourdain, « Convertissez vous, le royaume de Dieu s’est rapproché » dira Jésus juste après l’épisode de la tentation Mt4,17 avant d’appeler ses premiers disciples. 

Ce mot « convertissez vous » (TOB) est remplacé par « repentez vous » dans la Bible de Jérusalem, or je ne pense pas qu’il y ait équivalence de ces deux mots.

J’aimerai consacrer ce billet au mot « conversion » qui est un mot dont on use et on abuse dans les homélies.

Il faudrait me semble t il passer sa vie à se convertir, c’est à dire à reconnaître qu’on n’est pas très doué pour laisser Jésus être maître de notre vie (donc se reconnaître un peu nul sur les bords, en d’autre terme pécheur) et donc à prendre ou à reprendre « la voie étroite », bref se ressaisir et être d’avantage en accord avec le message de Jésus. 

Il faudrait se sentir « coupable »(1) de nos imperfections. Peut être que c’est cela se repentir, mais je ne suis pas sûre que ce soit extrêmement positif. Etre lucide oui, mais s’auto-flageller non… Dans notre quotidien nous sommes habités par du bon et du moins bon, nous avons notre hérédité, notre manière de vivre. L’important me semble t il, c’est simplement de prendre conscience que l’on n’aime pas assez et demander que l’Esprit Saint vienne nous aider dans notre vie de tous les jours.

Mais on ne convertit pas, on est converti. C’est quelque chose que l’on reçoit. Il s’agit d’une expérience, pas d’un acte où la volonté serait première. On se trouve à un moment donné de sa vie devant une situation (un événement, une expérience intime)  qui provoque une conversion, c’est à dire un changement. Que cette expérience provoque ensuite une autre manière de vivre, oui, mais c’est la conséquence de quelque chose qui a été donné gratuitement. Et si l’on a reçu gratuitement, alors on peut donner gratuitement… (Mt 10,8)

On prend souvent pour expliquer ce mot de conversion l’exemple de la conversion des skieurs. Pour l’avoir pratiquée (ce qui ne se fait plus maintenant compte tenu de l’évolution de la structure du ski) la conversion est le seul moyen de ne pas partir dans le décor.. Pour rester sur la piste, il fallait après une traversée et quand la pente était trop raide pour un skieur moyen, faire cette conversion qui permettait de pouvoir repartir en traversée. Pour continuer la descente, c’était alors le seul moyen, il n’y avait pas le choix, sauf d’être un meilleur skieur et de descendre schuss…

Certes il y a comme le dit la définition de ce mot la notion de changement par retournement, mais d’une certaine manière il faut faire cette rotation si on veut continuer à vivre. Je me souviens lors d’une descente récente à ski me trouver presque au bord de la piste avec la peur de tomber et avoir entendu une petite voix, très impérative me disant « tourne » et j’ai fait le virage qui m’a non pas sauvé la vie, mais qui m’a permis de ne pas tomber et de continuer mon chemin. Le choix c’était obéir ou tomber…

Quand Paul est sur la route de Damas et qu’il entend Jésus lui parler, a t il le choix de se convertir ? Nous parlons nous de conversion parce que à partir de ce moment là, Paul cesse de persécuter les juifs qui croient en la résurrection de Jésus, mais la conversion de Paul c’est de pouvoir utiliser le zèle pour Dieu qui le dévorait, pour l’annonce de la bonne nouvelle.

On ne se convertit pas par un acte volontaire. On est converti (et on peut parfaitement refuser cette expérience parce que l’on peut percevoir qu’elle va demander des efforts,) et cette expérience qu’il n’est pas toujours facile de faire partager aux autres,  provoque des changements.

Ces conversions, elles n’ont pas lieu tous les jours… Elles ont lieu une fois ou deux par vie, elles sont des appels à autre chose, à reconnaître la présence d’un autre et effectivement à changer quelque chose. Quand on a vécu cela on ne se pose pas vraiment la question du quand et du comment du pourquoi. Quelque chose s’est manifesté, quelque chose s’est éveillé, et il est nécessaire d’agir pour rester éveillé et pour faire partager cela à d’autres. Mais c’est aussi faire l’expérience du Tout Autre, de Celui que l’on ne maîtrise pas, qui souffle où il veut et comme il veut. Le brave Claudel quand il est entré à Notre Dame un soir de Noël ne savait pas qu’il allait faire une expérience qui allait le changer…

Ensuite il s’agit - et c’est cela le difficile - de rester sur la voie choisie, mais pour moi ce n’est plus « se convertir ».

C’est parce que l’on a été converti (et je crois que Paul dirait « par grâce ») qu’il devient nécessaire de demander l’aide de l’Esprit pour que nos yeux, nos oreilles, notre cœur, s’ouvrent autrement. Pour que petit à petit, un jour après l’autre, sans chercher le grandiose ou l’extraordinaire, le changement continue à s’opérer en soi et à opérer dans la communication et la relation avec les autres.
On peut peut-être s’en vouloir parce que l’on perçoit que l’on ne fait pas tout ce qu’il faudrait faire, mais cela ne n’est pas ma manière de voir. Dieu sait ce qu’il y a en nous, et de quoi nous sommes fait. Le difficile est d’accepter de devenir d'une certaine manière dépendant de Celui qui nous a fait vivre cela, alors que tout dans notre éducation nous conduit à l’autonomie et à l’indépendance. 

La conversion c’est peut être juste cela, comprendre que seul on ne peut pas laisser vivre et de développer le souffle, l’haleine de vie que Dieu a donné à tout être humain.




(1) Je viens de découvrir dans le lévitique au chapitre 5, qu'il y a tout un rituel intitulé sacrifice pour la culpabilité: il s'agit de fautes commises "sans faire exprès". Peut être est il important de sortir d'un pareil système.