Confiance, c'est moi, n'ayez pas peur. Mc 6,50
C'est la semaine après l'Epiphanie.
Je pense que certains textes proposés par la liturgie de cette semaine sont, de fait, des théophanies qui préparent la théophanie du baptême de Jésus. Les deux péricopes - la multiplication des pains et la tempête apaisée - vont bien dans ce sens. Dans la première, Jésus, comme le Tout Puissant, donne la nourriture en abondance (prérogative divine); et dans la seconde il est à la fois le maître des éléments - le vent tombe quand il monte dans la barque, mais aussi quelqu'un qui voit: car il se rend bien compte que ses apôtres sont en danger et il vient à leur secours. Il a beau être sur la montagne, en prière, il est aussi là dans la tourmente.
La phrase de Jésus à ceux qui crient de peur dans la barque - "C'est moi!", j'ai eu la chance de l'entendre ce matin comme si elle était pour moi; c'est elle qui m'a donné cette envie d'écrire.
J'ai voulu laisser parler un apôtre, un des douze, avec ses réactions, ses interrogations; interrogations qui sont souvent les miennes. Car le cœur endurci, oui, je connais.
Je résume toutefois ce qui se passe avant la théophanie de la tempête calmée, parce que j'aime remettre un texte dans son contexte.
Au chapitre 6 de Marc, on a la première mission des apôtres, qui reviennent "gonflés à bloc" mais fatigués. Et comme Jésus, de son côté, fait des guérisons, il y a tellement de monde qu'on n'a pas le temps de manger. Et je me demande si ce n'est pas là un maître mot. Car logiquement, si les disciples et Jésus vont dans un lieu tranquille, une sorte de crique sur le bord du lac, c'est bien pour manger aussi en paix. Seulement, quand Jésus se déplace, il est un peu comme le loup blanc, et tout le monde court après lui. Alors la tranquillité, c'est terminé; et pour les apôtres, cela tombe quand même très mal. Jésus, lui, donne ce qu'il a: les guérisons, et son enseignement. Et comme la foule est insatiable, il donne, il donne. Seulement les apôtres, eux voudraient bien que ça s'arrête; ils essaient de prendre Jésus par les sentiments: "il faudrait que la foule aillent chercher à manger, et ce avant qu'il ne fasse nuit". Ce qui est sous-entendu, c'est que comme ça on va être tranquille, débarrassés d'eux. Mais avec Jésus, quand on parle de manger, il ne l'entend pas de cette oreille. Et si lui donne à manger, ceux qui se disent ses disciples doivent faire de même. D'où ce quiproquo, sur l'argent (beaucoup) et la réalité: cinq pains et deux poissons. Et c'est avec cette réalité que Jésus va rassasier la foule.
Un des apôtres, par exemple Barthélémy, raconte
Nous, on était fatigués, on voulait souffler; et voilà que, en arrivant là où nous avions projeté d'aller, il y avait plein plein de monde; et comme d'habitude des éclopés de la vie, des mendiants, des femmes, des enfants sales, et quand même des hommes. Comme d'habitude, nous, on a regardé; et il a guéri et guéri; parlé et parlé. Les heures ont filé, et nous on était là à attendre. On sentait bien que lui, il était rempli de compassion, mais nous, pas vraiment.
On s'est concertés et on lui a dit qu'il devrait les renvoyer, parce que la nuit n'était pas loin et qu'il fallait qu'ils mangent; nous aussi, on fait preuve de compassion. Mais là, il nous a dit de nous en occuper: pardon, mais ça c'est n'importe quoi. Où trouver assez d'argent pour nourrir cette foule? Alors il nous a regardés un peu comme si on était des demeurés. Il nous a demandé ce qu'on avait pour nous; et ce n'était pas grand chose: cinq pains et deux poissons.
Il nous a dit de faire asseoir tout le monde, un peu comme des brebis que l'on met dans des enclos, et on a attendu. Et là, il a fait comme pour les repas du sabbat: il a levé les yeux vers le ciel pour se tourner vers le Très Haut. Sauf que lui, quand il fait cela, il est tellement dans ce qu'il fait, que nous avons l'impression de ne plus exister. Il a béni les pains et les a rompus; et il y avait bien plus de morceaux que ce que nous pouvions compter. Lui, il rompait, rompait, et nous nous donnions. Très vite, des femmes ont tressé des corbeilles et dès qu'une corbeille était vide, on revenait vers lui et on reprenait du pain et des poissons; C'était un peu comme une fontaine. Je veux dire que ça coulait..
Tous le monde a eu de quoi manger, et nous, il fallait distribuer et distribuer. Enfin au passage on a pu grappiller un peu, mais ça n'a pas été du repos.
Il nous a dit ensuite que lui renverrait les foules, et que nous devions aller à Bethsaïde avec la barque. Ça nous a fait râler, on aurait bien voulu se reposer. Et voilà que le lac se met en colère; ça souffle, ça tangue, et avec le vent on ne voit rien. On se disait qu'il avait bien fait de rester à terre, lui…
Et tout d'un coup, on a vu une forme qui marchait sur la mer. On sait que quand la mer est en colère, les esprits de ceux qui habitent au fond reviennent, pour entraîner les vivants avec eux. Et on avait peur, et on sentait des forces maléfiques. Sauf que la forme s'est arrêtée, qu'elle a parlé; et que là, malgré la force du vent, on a entendu distinctement la voix de notre maître.. Mais des fois les esprits font ça.
Il nous disait que c'était lui; il nous disait de ne pas avoir peur. Mais ce n'était pas si facile. Il est monté dans la barque et le vent est tombé d'un coup. Alors, au lieu de nous réjouir, on a eu encore plus peur. On se demandait si on le connaissait vraiment notre Rabbi. On a accosté, mais je crois qu'on était plus dans les ténèbres que dans la lumière. Au fond de nous, on avait assisté à une manifestation de la présence du Très Haut, et nous étions dans la crainte.
On s'est retrouvés à Génésareth, pas là où il nous avait dit d'aller, ce qui montre bien que la tempête nous avait déportés. Et on a retrouvé la foule, encore et encore; et il a guéri, encore et encore. Et encore et encore on n'a pas eu le temps de manger...
Mais c'est bon d'être à côté de lui et de vivre, si je puis dire, sous son ombre.
Mais c'est bon d'être à côté de lui et de vivre, si je puis dire, sous son ombre.
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