jeudi, juillet 14, 2022

Luc 10, 25-37. Le bon Samaritain. Année C 15° dimanche du temps ordinaire.

 

Lecture bien connue de ce passage de l'évangile de Luc, d'autant que c'est un épisode qui n'appartient qu'à cet évangéliste, et que cet adjectif de bon, comme pour le bon larron, de mon point de vue, ne veut pas dire grand-chose. Mais c'est une convention de langage. À ce propos, nous les français, rajoutons du pauvre un peu partout, alors qu'en latin il n'existe pas. "Peccatores" pécheurs, se suffit largement à lui-même!

 

J'en commenté ce texte il y a bien des années: https://giboulee.blogspot.com/2014/10/le-bon-samaritain-luc-10-25-37.html

 

Ma conclusion était que Jésus, qui est mis à l'épreuve par ce pharisien, se trouvait dans la situation de celui qui est attaqué, et qui risque de se faire tuer. 

 

Il est alors possible de voir en lui cet homme blessé qui git sur la route, et dont nous avons aussi à prendre soin; ou encore: prendre soin de son église; et je sais que traditionnellement, les Pères de l'Église, disent que dans cet homme nous pouvons voir l'espèce humaine blessée, qui git sur le bord de la route, à cause du mal qui lui est fait par le malin, ou par son péché. Jésus vient à son secours, à notre secours. J'ai aussi entendu il y a fort longtemps une autre interprétation, qui parle de cet homme qui descendait des hauteurs de Jérusalem, lieu de la Présence, et qui n'est plus sur ses gardes, et qui en se rendant dans les profondeurs de notre vie de tous les jours (Jéricho est en dessous du niveau de la mer), se fait attaquer par le Malin. 

Je crois me rappeler que le frère Hugues, moine "bénédictin dans la ville", nous mettait un peu en garde sur ce qui peut se passer quand on sort de la messe du dimanche...

 

En travaillant ce texte aujourd'hui, en l'étudiant, il me semble que cette parabole, donnée en réponse à ce pharisien qui veut mettre Jésus à l'épreuve, arrive dans un certain contexte. Et on peut noter que, contrairement à ce qui se passe pour le notable riche (je reste dans l'évangile de Luc) - qui ne suivra pas Jésus à cause de ses richesses, ce qui permet à Jésus d'en tirer tout un enseignement - ici, il ne se passe rien. On ne sait pas du tout ce qui a pu se passer dans la tête de cet homme.

 

Revenons au chapitre précédent. C'est le chapitre où se trouve, après ce que nous appelons la confession de foi de Pierre, la première annonce de la passion (verset 9,22) « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, le troisième jour, il ressuscite. »; on peut imaginer que les disciples ont eu bien du mal à entendre cela. Ce qui est un peu confirmé par la version mathéenne, Mt 16, 23, où Jésus traite Simon-Pierre de Satan.

 

 Adviennent ensuite la transfiguration, la seconde annonce de la passion, et - seulement pour Pierre, Jean et Jacques - la guérison de l'enfant épileptique (racontée ici très sobrement); puis le village samaritain que refuse de recevoir Jésus et sa troupe - car ils vont en direction de Jérusalem, et, peut-être parce que Jésus se rend compte que le temps lui est compté et que l'annonce doit être faite, la nomination des soixante-douze au début du chapitre 10, celui que la liturgie continue à nous fait découvrir ce dimanche.

 

Quand les nouveaux missionnaires reviennent fourbus mais certainement très fiers d'eux, c'est un peu la douche froide qui leur tombe dessus, car Jésus leur dit: 44 "Ouvrez bien vos oreilles à ce que je vous dis maintenant : le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes", ce qui reprend ce qui a déjà été dit mais seulement aux Douze. 

 

Si le verset suivant ajoute que "les disciples ne comprenaient pas cette parole; qu'elle leur était voilée, si bien qu’ils n’en percevaient pas le sens, et qu'ils avaient peur de l’interroger sur cette parole", cela montre bien que cette affirmation ne pouvait être acceptée. En effet, elle fait trop peur, parce que l'avenir glorieux s'éloigne.

 

Et en parler à Jésus, demander des explications, c'est quand même prendre un sacré risque, si on se réfère à l'évangile de Matthieu. 


Luc rapporte ensuite que c'est à ce moment-là que la décision de monter à Jérusalem est prise. L'évangéliste parle au verset 51 de l'aspect pris par le visage de Jésus, que certaines traductions rendent par "durci" ce qui évoque le troisième chant du serviteur du prophète Isaïe. 50, 7 "Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours ; c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages, c’est pourquoi j’ai rendu ma face dure comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu". 

 

Et alors c'est la rencontre avec trois hommes, l'un, un notable qui veut s'engager à la suite de Jésus, mais que ce dernier décourage en insistant sur le fait que même si Jésus est un Rabbi, il n'a pas de lieu pour reposer sa tête; l'autre un inconnu, qui vient de perdre son père et qui demande un délai et que Jésus appelle à devenir un homme de vie, enfin un troisième qui voudrait faire ses adieux à sa famille et que Jésus semble rejeter. Et c'est le nouveau chapitre que la liturgie nous demande d'explorer.

 

Après l'appel des soixante-douze, leur retour, leur joie, et l'exultation de Jésus, sous l'action de l'Esprit Saint, qui conclut en leur disant « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! Car, je vous le déclare : beaucoup de prophètes et de rois ont voulu voir ce que vous-mêmes voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu. », c'est alors qu'arrive la péricope de ce jour. Peut-être est-ce là que ce "ce "monsieur pharisien", qui se trouve là, peut penser que cet homme, qui vient de dire que l'important c'est d'avoir son nom inscrit dans les cieux, il est quand même un peu étonnant. Alors il veut savoir ce qu'il a dans le ventre, cet homme qui se prend pour un prophète, voir s'il est un bon juif, malgré tout ce qu'il peut raconter. 

Car, si je reprends ce que Luc rapporte, Jésus fait comprendre que ce qui arrive dans l'aujourd'hui à Israël, c'est ce qui avait été annoncé par les prophètes, qui eux, n'ont pas eu la chance d'en voir la réalisation, Et que cela se réalise grâce à lui Jésus, qui n'a même pas fait d'études et qui se fait appeler Rabbi.

 

Et le voilà, lui le pharisien, qui pose une demande classique, à savoir comment avoir en héritage la vie éternelle. Là ce n'est pas la polémique sur le plus grand des commandements, ce qui sera demandé bien plus tard, soit par un scribe (évangile de Matthieu 22? 36-40), soit par un docteur de la loi Marc Mc 12, 21-31; ces épisodes se passeront peu de temps avant la passion. 

 

Le texte

 

 

25 En ce temps-là, voici qu’un docteur de la Loi se leva et mit Jésus à l’épreuve en disant : « Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? »

 

Il s'agit donc d'une "épreuve", d'un test; on sait que ce même mot apparaît dans la Genèse, quand Le Seigneur met Abraham à l'épreuve. Et la question "avoir en héritage la vie éternelle" m'a toujours interrogée. Qu'est-ce qu'on met derrière cela? Et peut-on posséder cette vie, comme on possède une chose?

 

Dans l'évangile de Jean, on a des réponses qui sont centrées sur le Christ. "La vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent toi,  le vrai Dieu ,et celui que tu as envoyé Jésus-Christ". Et plus tard, Matthieu donnera lui-même une autre réponse Mt 22, 27-29, mais on est proche de la fin et Jésus dit que ceux qui ont tout quitté pour le suivre, auront en héritage la vie éternelle. Ce sont deux approches centrées sur la personne de Jésus, qui sont quand même bien différentes dans leur teneur.

 

Par ailleurs il me semble que le prophète Michée donne une réponse au "faire" (Mi 6,8): "On t'a fait connaître ô homme ce qui est bien: C'est que tu pratiques la justice, que tu aimes la miséricorde et que tu marches humblement avec ton Dieu."

 

 Mais ici, il s'agit d'une peur de mourir et de passer à côté de quelque chose, d'être exclu de l'héritage, de ne pas recevoir ce qu'on pense être dû. Retrouver peut-être l'héritage qui a été perdu par Adam, car c'est bien ce que content certains Midrashims: il me semble y avoir lu, qu'après avoir mangé le fruit, Adam qui était très grand a rapetissé ,et perdu aussi de ce fait une vie qui n'aurait pas dû connaître la mort.

 


26 Jésus lui demanda : « Dans la Loi, qu'y a-t-il d'écrit, comment lis-tu?

 27 L’autre répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même. »

 

28 Jésus lui dit : « Tu as répondu correctement. Fais ainsi et tu vivras. »

29 Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus : « Et qui est mon prochain ? »

Qu’y a-t-il d’écrit ? Et comment lis-tu ? »

  

Jésus se met à son niveau, il lui demande de trouver ce que dit l'écriture, le Pentateuque. La parole, que dit-elle et comment toi, la lis-tu? Comment, toi, lui donnes-tu du sens? Je trouve très important cette question sur le "comment lis-tu", parce que c'est une question qui nous concerne. Comment lisons-nous la parole? Avec quel filtre?

 

Ce qui est intéressant c'est que chez Marc et Matthieu, cette réponse-là, qui inclut deux commandements, et qui sera donnée à une autre question toute aussi rhétorique, celle du plus grand des commandements, apparaîtra beaucoup plus tard, Mais cela prouve que ces deux commandements étaient déjà associés, le vertical et l'horizontal. Mais du coup, c'est le questionneur qui est questionné, et il ne doit pas aimer. Même si c'est de bonne guerre. 

 

Donc, bonne réponse, bon élève, mais le bon élève veut aller plus loin et c'est la discussion sur le proche, prochain. Et puis, peut-être qu'il ne veut pas s'en laisser remontrer par ce petit prophète de Galilée.

 

30 Jésus reprit la parole : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba sur des bandits ; ceux-ci, après l’avoir dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort.

 

Cet homme revient de la ville de la vie, sur les hauteurs, à la ville de la mort, en dessous du niveau de la mer. Et il n'est pas sur ses gardes. Le voilà attaqué, et on lui prend tout. Ce qui évoque un peu la parabole sur l'homme fort et bien armé qui se fait dépouiller.

 

31 Par hasard, un prêtre descendait par ce chemin ; il le vit et passa de l’autre côté.

32 De même un lévite arriva à cet endroit ; il le vit et passa de l’autre côté.

 

Les religieux qui connaissent trop bien la loi. On ne touche pas ces gens-là de peur d'être souillé pas eux. Mais voilà: c'est le légalisme qui bloque l'amour. Jésus n'a pas dit un pharisien, qui passait par là, certainement pour ménager l'homme et c'est beau. La légalité plus forte que la compassion et l'amour.

 

33 Mais un Samaritain, qui était en route, arriva près de lui ; il le vit et fut saisi de compassion.

34 Il s’approcha, et pansa ses blessures en y versant de l’huile et du vin ; puis il le chargea sur sa propre monture, le conduisit dans une auberge et prit soin de lui.

35 Le lendemain, il sortit deux pièces d’argent, et les donna à l’aubergiste, en lui disant : “Prends soin de lui ; tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rendrai quand je repasserai.”

 

Les autres passent, lui il est en route, mais on ne sait pas pour où. Et lui, il ne détourne pas son regard.  Et il prendra des nouvelles, quand il repassera. 

 

36 Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l’homme tombé aux mains des bandits ? »

37 Le docteur de la Loi répondit : « Celui qui a fait preuve de pitié envers lui. » Jésus lui dit : « Va, et toi aussi, fais de même. »

 

Et c'est la question: lequel a été le prochain (proche, fraternel, amical, sauveur) de l'homme qui est seul, abandonné, mourant.

 

Ce qui me frappe, c'est que le pharisien ne dit pas "le Samaritain", comme si cela lui aurait écorché la bouche. Non, il se contente de répondre en disant: "celui qui a fait preuve de pitié".

 

La réponse de Jésus est sobre. 

C'est d'abord le "va" qui peut évoquer celui du Très Haut à Abraham: Va vers toi, va sur ton chemin; poursuis ta route; sur ta route.

 

Puis c'est "et fais de même". Ne te laisse pas engluer par ce que tu sais, par le légalisme, et fais comme ce samaritain que tu méprises. 

 

C'est un chemin de vie qui lui est proposé. Entendra-t-il?

 

Le pharisien raconte.

 

J'ai entendu parler de ce Jésus de Nazareth, et j'ai voulu me faire une opinion sur lui. On dit qu'il a nourri une foule avec cinq pains et deux poissons. On m'a dit aussi qu'il avait guéri un enfant épileptique en expulsant le démon qui était en lui. On dit beaucoup de choses, alors moi aussi je veux voir, je veux savoir. Serait-il celui que certains disent qu'il est: le nouvel Elie? 

 

Alors je me suis mêlé à la foule qui l'entoure. Avec les disciples qui sont autour de lui ce n'est pas si simple. À ce qu'on dit, il compte aller à Jérusalem. Et puis j'ai pu l'approcher. Et je l'ai entendu dire à ses disciples qu'ils étaient heureux de voir ce qu'ils voyaient. Que beaucoup de prophètes et de rois ont voulu voir ce qu'eux voyaient, entendre ce qu'ils entendaient, mais qu'ils ne l'avaient pas entendu. Je me suis vraiment demandé qui il était, pour qui il se prenait. J'étais assis au milieu de tous ces autres, ces publicains, ces pécheurs, et les disciples. Et je me suis levé comme on le fait quand on veut poser une question, pour être entendu de tous. Je me suis mis debout, mes pieds bien sur le sol, parce que je suis sûr de moi, sûr de ma foi, sûr de mon Dieu. Et parce que je voulais voir s'il était capable de répondre à ces questions qui nous agitent tant, nous qui essayons de vivre le plus parfaitement possible, et qui espérons être des justes aux yeux du Très Haut.

 

C'était un peu le mettre à l'épreuve. Mais en fonction de sa réponse, je saurai s'il faut prévenir ceux de Jérusalem de le mettre à mort. Je lui ai demandé ce que je devais faire pour avoir la vie éternelle en héritage. Je reconnais que c'est une question qui nous agite beaucoup. Et là, il n'a pas répondu, il a osé me retourner ma question. Il m'a demandé ce qu'il y avait d'écrit dans la loi pour répondre à cela, et comment moi, j'interprétais cela. Je me suis senti coincé, mais avec les disciples tout autour de nous, j'ai répondu que je devais aimer le Seigneur de tout mon cœur, de toute mon âme, de toute ma force et de toute mon intelligence. Et j'ai ajouté, que je devais aussi aimer mon prochain comme moi-même. 

 

Je sais que cela je le dis, mais de là à le vivre, c'est autre chose. Mais que pouvais-je dire d'autre? Lui m'a dit que j'avais bien répondu. Et je me suis retrouvé comme un disciple débutant qui a bien répondu à une question posée par son Maître. Je ne pouvais pas en rester là. Alors je lui ai demandé qui était mon prochain.

 

Et là, à ma grande surprise, il s'est mis à raconter une histoire. Les autres étaient suspendus à ses lèvres. Il a parlé d'un homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho et qui était tombé sur des brigands. C'est vrai que la route n'est pas sûre. Ceux-ci lui avaient tout pris, l'avaient battu et l'avaient laissé à moitié mort au bord du chemin. Je me suis demandé si cela aurait pu m'arriver, en revenant de Jérusalem. On ne sait rien de l'homme attaqué par les bandits. 

 

Puis il a dit qu'un prêtre était passé, mais ne s'était pas arrêté. Non seulement il ne s'est pas arrêté, mais il est passé au loin, de l'autre côté, comme pour ne pas être contaminé. A dire vrai cela ne m'étonne pas. Un prêtre n'a pas le droit de toucher un homme qui baigne dans son sang.

 

Puis un lévite était passé, et lui non plus ne s'était pas arrêté. Et avait lui aussi changé de côté.  Au fond de moi, je me disais que quand même, ils auraient pu au moins s'arrêter, voir dans quel état il était, prévenir. Mais non, rien. Ni l'un ni l'autre. 

 

Un samaritain était alors arrivé. Mais lui, il s'est arrêté. Il a vu qu'il y avait un homme à terre, il a eu pitié de cet homme et il lui a porté secours. Il a pansé ses blessures en versant du vin et de l'huile, il l'a chargé sur sa monture et l'a déposé dans l'auberge où lui-même comptait passer la nuit. Et il a pris soin de lui. Le lendemain, comme il devait repartir, il a laissé deux pièces d'argent à l'aubergiste en lui disant de prendre soin de cet homme, de dépenser ce qu'il fallait et qu'il le rembourserait si les deux pièces ne suffisaient pas. Mais pourquoi diable ce Jésus a-t-il parlé d'un samaritain, ces maudits, ces adultères? 

 

Et il m'a demandé lequel des trois s'était montré le prochain de l'homme qui était tombé aux mains des bandits. Que pouvais-je répondre? Bien sûr que seul le samaritain s'était montré le prochain, mais dire samaritain ça m'aurait brûlé les lèvres. J'ai alors répondu: "Celui qui a fait preuve de pitié envers lui". je n'avais pas le choix. Et là Jésus a eu une phrase étonnante. Il m'a dit " Va, et fais de même". 

 

Je veux dire que ce "va", que je pouvais entendre comme: Je t'ai répondu, poursuis ton chemin, retourne chez toi; je l'ai entendu comme jadis Abraham, lorsque le Seigneur lui dit: quitte ton pays, ta parenté, la maison de ton père, et va vers le pays que je te montrerai. C'est comme s'il me disait ouvre ton cœur, quitte ta manière de voir, ta loi, tes commandements, tes préceptes, et va, ouvre les yeux et sois le prochain de ceux qui sont dans le besoin. Ne fais plus des catégories pour savoir qui a besoin de toi. Et je suis parti, transforméJe crois que ce Jésus, il a été mon prochain. 


 

 En général après avoir laissé les mots venir pour raconter ce qui s'était passé, j'ai envie de deux choses. La première est de laisser Jésus raconter, la deuxième de m'interroger sur le mot pharisien. 

 

Comme je l'ai écrit, tous les évangiles parlent de cet homme riche, qui appelle Jésus "bon maître" et qui désire lui aussi avoir la vie éternelle en héritage. On sait que Jésus lui demande de mettre en pratique les commandements qui pour nous démarrent avec l'ordre d'honorer son père et sa mère et qui interdisent l'adultère, le vol, le meurtre. La réponse de l'homme (du jeune homme), provoque quelque chose chez Jésus, qui le regarde et qui l'aime et qui lui dit que s'il veut plus, il doit vendre tous les biens, les donner aux pauvres et le suivre, ce que cet homme ne veut faire à cause de ses biens. Mais aussi le regard de Jésus qui a changé durant l'entretien. Ce que je veux dire, et c'est ce qui m'a été comme soufflé, c'est que ce pharisien, Jésus a été capable de l'aimer lui aussi. Or quand nous lisons le mot pharisien, d'emblée, nous avons tendance à nous raidir, à penser pas bon, obsessionnel, calculateur; bref: mauvais. Et je me suis dit que moi, des personnes que j'ai tendance à considérer comme des pharisiens, j'en connais, et que mon jugement était loin de leur être favorable. Alors peut-être que cette parabole elle est aussi pour moi. Il y a des personnes que l'évite, dont je me détourne parce que j'ai trop tendance à ne voir en elles que des personnes rigoristes, légalistes, alors qu'elles ont, elles aussi besoin d'être écoutées, qu'on leur tende la main, bref que je sois leur prochain. Mais je reconnais que c'est de l'ordre des travaux d'Hercule. Mais qui sait… 

 

Et là je peux terminer en revenant à Jésus et à le laisser raconter.

 

Jésus raconte

 

J'avais envoyé mes soixante-douze nouveaux disciples dans tous les villages et les villes où je compte me rendre avant de monter à Jérusalem, parce que maintenant le temps m'est compté. Je sais que cette Pâque sera la dernière. Quand ils sont revenus, ils étaient beaux malgré leur fatigue. Le prophète Isaïe n'a-t-il pas écrit: "Qu'ils sont beaux, les pieds de celui qui annonce les bonnes nouvelles, qui publie la paix! Qui apporte le salut, et dit à Sion que son Dieu règne" (Is 52, 7). 

 

J'ai exulté de joie, et j'ai proclamé que je n'étais que louange pour mon Père qui avait choisi des pauvres et des petits pour remplir leur bouche de son Esprit et qui n'avait pas choisi les savants et ceux qui croient tout connaître. Et je l'ai loué mon Père. Et je leur ai dit qu'ils étaient heureux de voir se réaliser ce que les prophètes avaient tant souhaité. Et moi, j'étais tellement heureux avec eux. 

 

Et là, brutalement quelqu'un s'est levé, comme s'il avait été éjecté de son siège, bien qu'il ait été comme tous les autres assis sur le sol. C'était un pharisien, vêtu comme il le faut. Il a pris un air un peu soumis, comme si j'étais un de ces maîtres qui enseignent dans le Temple, et il m'a demandé ce qu'il devait faire, lui, pour avoir en héritage la vie éternelle. Comme si je ne savais pas que cette question-là, ils en débattent entre eux depuis des lustres? J'avais l'impression qu'il voulait me tester, savoir ce que j'avais dans le ventre, moi le prophète de Galilée qui ose appeler le Très Haut son Père. Et je l'ai pris à son propre jeu, en lui demandant ce qu'il y avait dans la Loi, ce que lui y lisait et comment lui, il la lisait cette loi. 

 

Je pense qu'il a été déçu, car il n'y aurait peut-être pas de joute oratoire avec moi, mais sait-on jamais. Il m'a répondu en citant le premier commandement du Deutéronome, celui qui concerne mon Père, et le commandement du Lévitique qui concerne le prochain. J'étais content qu'il cite les deux. Le premier vers le haut si je puis dire, le second vers l'horizontal, comme le sera un jour la croix sur laquelle je reposerai. Et je lui ai dit qu'il avait bien répondu. 

 

Seulement, comme je m'y attendais un peu, il en voulait plus. Que voulait-il vraiment? Je ne sais pas, mais j'ai eu envie de lui raconter une parabole pour lui, pour lui tout seul. Il me plaisait bien cet homme, il cherchait quelque chose, et ce quelque chose, je voulais qu'il le trouve. Il m'a alors demandé, histoire de relancer le débat, qui était son prochain. Cela je sais que c'est aussi un grand sujet de discussion entre eux. Dans la Torah, il y a des peuples qu'il faut haïr encore aujourd'hui. Et s'il y a tant de lois dans le Lévitique, c'est bien que les choses de la vie ne sont pas simples, et que la haine est souvent plus à leur portée que l'amour du prochain.

 

Alors je lui ai raconté l'histoire d'un homme qui après avoir été à Jérusalem (comme lui quand il y monte pour les grandes fêtes et pour retrouver certains de ses amis), redescendait chez lui, un peu sur un petit nuage, pas sur ses gardes. Cela je ne l'ai pas dit.

 

Et il avait été attaqué par des bandits, dépouillé de tous ses biens, frappé, laissé pour mort sur le bord du chemin. Et sa vie ne tenait qu'à un fil, avec la chaleur qui allait venir.

 

Et des hommes sont passés. Le premier, j'ai dit que c'était un prêtre, parce que les prêtres il les connait bien mon ami le pharisien. Et le prêtre s'est empressé de changer de côté, ne pas le voir, ne pas le toucher, ne pas être souillé. Cette peur du sang, cette peur de la souillure qui empêcherait d'accomplir son office, comme si c'était cela que voulait mon père. "Si j'ai faim ou soif irai-je vous le dire? Le ciel et la terre m'appartiennent". C'est pourtant un des psaumes qu'ils récitent souvent (Ps 49,12). Et il a poursuivi son chemin.

 

Puis c'est un lévite que j'ai fait venir sur le chemin; et lui non plus, il n'a rien fait. Et pourtant mon prophète Michée, ils le connaissent. Ils savent bien ce qu'il faut faire pour m'être agréable, pratiquer la justice, aimer la miséricorde et marcher humblement avec Moi. L'homme me regardait. Je ne sais ce à quoi il pensait. 

 

J'ai alors choisi de faire descendre sur cette route qui va de Jérusalem à Jéricho, cette route que je connais bien et que je prendrai moi aussi un jour, mais dans l'autre sens, un Samaritain. Je sais que les pharisiens les détestent tous. Lui, il n'a fait ni une ni deux. Il ne s'est pas posé de questions. Il s'est approché du blessé, il l'a soigné, est allé jusqu'à le mettre sur sa propre monture, et l'a déposé à l'auberge dans laquelle il allait passer la nuit. Il lui a donné son lit, il l'a veillé. Au matin, il est parti, mais en donnant deux pièces d'argent à l'aubergiste pour le soigner et en lui disant de ne pas compter, qu'il lui rembourserait lors de son prochain passage ce qu'il lui devait s'il devait dépenser plus.

 

Je me suis arrêté là, et je lui ai demandé lequel des trois avait été le prochain de l'homme à terre. Il aurait pu me dire, le Samaritain, mais je pense que c'était trop difficile pour lui de prononcer ce mot; alors il a juste répondu "le troisième". Mes disciples pensaient bien la même chose, cela se voyait sur leur visage. 

 

Je l'ai alors regardé et je lui ai signifié qu'il pouvait partir, qu'il pouvait aller, qu'il était comme armé pour retourner d'où il venait, et qu'il lui fallait faire de même, être miséricordieux non pas comme ce samaritain mais comme mon Père. Et j'ai bien vu que ma parabole avait fait son chemin en lui. Et moi, je prends la route, ma route, l'autre route. Et je vais encore en voir des pharisiens, des lévites, des prêtres. 

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