mardi, février 13, 2024

Marc, 3, 20-21. 32-35

 

Marc chapitre 3. Jésus et sa famille.

 

 

Introduction à cette réflexion.

 

J’avais envie de travailler sur la rencontre entre Jésus et sa famille à la fin du chapitre 3. Or il m’a paru évident que pour comprendre quelque chose, il faut revenir en arrière. Revenir en arrière, cela peut aller jusqu'au premier chapitre, qui commence par "Commencement de l'évangile de Jésus, Christ, fils de Dieu". Je ne sais pas s'il y a des virgules en grec, mais là il y en a. Et il me semble que le but de cet écrit est de nous amener petit à petit, nous, les lecteurs, à voir en cet homme le Christ (celui qui est reçu l'onction, le messie), et bien plus que cela: car l'onction, d'autres que lui l'ont reçue. Se laisser conduire, en cheminant avec lui dans l'histoire de celui qui est le fils de Dieu, ce qui veut dire que Dieu est désormais parmi nous. 

 

Le chapitre 3 est un chapitre où les conflits commencent déjà à s'exaspérer, et où le destin de Jésus semble bien compromis et bien noir.

 

De fait, ce que je voulais, c’est dire que la rencontre de Jésus avec sa mère et ses frères n’est pas une gentille démarche. Les gens de Nazareth commencent à avoir peur pour leur peau. Jésus, que les pharisiens et les partisans d’Hérode cherchent à faire périr, devient un danger. Alors il faut le récupérer pour l’enfermer dans son village, le boucler. Et à mon avis c’est la première démarche, avec le prétexte très curieux qu'il "perd la tête", qui semble avoir pour appui le fait qu’on ne prend pas le temps de manger dans la maison où Jésus se trouve et guérit ceux qui viennent à lui. 

 

Cette démarche ayant échoué, on lui envoie sa mère et ses frères; si Jésus est un bon juif, il se doit d’honorer sa mère, donc de la suivre pour rentrer gentiment sans faire d’histoires à la maison. Il faut impérativement qu’il sorte pour qu’on puisse l’attraper. Et c’est pour cela que je parle de piège. Ce n’est pas que Jésus n’aime pas sa famille, mais s’il veut continuer sa mission, celle donnée par son père, il ne doit pas se faire arrêter (au sens de mettre en prison) maintenant. 

 

Je voulais donc me centrer sur ces versets, mais comme je l'ai mentionné, il m’a semblé nécessaire de reprendre ce qui se passe au chapitre 2, pour essayer d’y voir plus clair dans la démarche de Marc qui est bien de nous conduire, nous les lecteurs, à nous poser des questions sur « qui est cet homme ». 

 

 Ce qui est finalement assez frappant, c’est que dans les premiers chapitres on ne sait pas du tout ce que Jésus enseigne aux foules qui viennent l’écouter. Au chapitre 4, on aura la parabole maîtresse, celle de la parole qui a du mal à trouver le bon terrain, puis suivent d’autres paraboles pour faire comprendre ce qu’est le règne de Dieu. Or ces paraboles sont loin d’être évidentes, on sait juste que ça commence tout petit. Mais avant, Marc nous dit simplement que la bonne nouvelle proclamée est la suivante: «Les temps sont accomplis, le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez en la bonne nouvelle». Donc se convertir, c'est-à-dire changer, et croire que Dieu est là, en cet homme qui donne en abondance.

 

On est donc dans l’aujourd’hui de Dieu, un Dieu qui se rend présent en régnant dans le cœur de tout homme. «Si vous croyez à ce qui vous est annoncé, aujourd’hui, par moi, Jésus de Nazareth, changez de vie ». Sauf que ce n’est pas si simple.

 

Chapitre précédent: le chapitre 2

 

Dès le début de ce chapitre les prises de bec ou prises de tête, avec ceux qui savent, se multiplient.  Il y a la guérison de l’homme paralysé, dont les péchés sont pardonnés, ce que Dieu seul peut faire; et surtout un jour de Sabbat. Dire à l’homme de retourner chez lui en portant sa civière, c’est ce qui sera reproché au paralytique de la piscine de Bethesda à Jérusalem dans l’évangile de Jean. Alors deux fautes, et non des moindres, du moins quand on veut ne pas voir.

 

Ensuite c’est l’appel de Lévi, cet homme dont on ne connaît que le patronyme, et Jésus qui prend son repas au milieu de ceux que les "gens bien" considèrent comme de pécheurs. Jésus se situe, lui qui fait des guérisons que les médecins sont incapables de faire, comme le médecin, médecin des ceux qui savent qu’ils sont malades. Ce qui est étonnant c’est que Jésus terminera cette séquence en disant qu’il est venu appeler des pécheurs. Or si les pharisiens se considèrent comme des justes, ce n’est pas parmi eux que Jésus recrutera ses disciples. 

 

Peut-être plus que se sentir malade, il y a la question du rejet, de la non reconnaissance. Cela peut d’ailleurs provoquer des maladies. Mais là, Jésus peut intervenir, parce qu’il y a reconnaissance de ses failles, au moins autant que de son péché. 

 

C'est là qu'est posée la question des disciples de Jésus, qui eux semblent avoir un comportement différent des autres écoles de disciples - disciples des pharisiens et disciples de Jean le baptiste. Dans le présent, ils ne jeunent pas, puisque l’époux est là, ce que les pharisiens ne peuvent accepter.; pour les disciples de Jean, c’est plus étonnant, mais cela montrerait que seuls certains ont reconnu en Jésus, le messie attendu (cf Jn: l’appel de Nathanaël). Puis suit l’affirmation de Jésus que pour écouter son message, il ne faut pas être sclérosé, il faut des gens neufs. Des gens adaptés à cet enseignement peut-être pas si nouveau que cela, mais renouvelé. 

 

Suit ensuite l'épisode des épis arrachés, avec toujours le contresens fait par les pharisiens: certes cette prescription a un sens, ou a eu un sens, mais si la vie est en danger, alors c’est la vie qu’il faut protéger, et cela, c’est bien l’enseignement de Jésus. Il est venu pour que les hommes aient la vie et l’aient en abondance. Se proclamer maître du Sabbat, c’est bien affirmer son identité divine, et là, cela devient insupportable. 

 

Donc le conflit enfle et c’est ce qu’on trouve durant tout ce chapitre 3, où les habitants de Nazareth, puis la famille, commencent à avoir peur. Si Jésus continue comme ça, il va être arrêté comme Jean a été arrêté, et cela peut retomber sur tout le village. Alors il vaut mieux le récupérer, l’enfermer, le garder à l’abri et surtout le museler. 

 

Le chapitre 3. Les pièges.

 

Cela commence par la guérison de l’homme à la main sèche ou atrophiée, et cela ressemble tout à fait à un piège; et des pièges il y en aura de plus en plus. Guérison qui se passe un jour de shabbat; mais Jésus ne touche pas, il parle. La main est redevenue saine, et la colère est tellement forte que la mort se profile. Les pharisiens se réunissent avec les disciples d’Hérode pour trouver un moyen de l’éliminer. Si guérir et sauver sont un seul vocable, pourquoi est-ce que ce serait interdit le jour du repos. Cela donne enfin le repos à celui qui est porteur de cette infirmité. Est-ce que tendre sa main est une transgression? Quand on y pense, ce légalisme paraît fou et mortifère. Qui est fou? Jésus ou les autres?

 

Dans cette première séquence, le silence des accusateurs est là. Quand Jésus demande s’il est permis le jour du sabbat de faire le bien ou de faire le mal, de laisser vivre ou de laisser mourir, le silence répond;  et cela rend Jésus à la fois triste et en colère. 

 

Ce silence, on le retrouvera aussi dans l'évangile de Jean, quand les pharisiens lui demandent par quelle autorité il fait ceci ou cela, et qu’il leur pose une question sur Jean le baptiste. Bien souvent ils ne répondent pas, ce qui ne veut pas dire que la colère, elle, ne bout pas en eux.

 

Sa réponse à ce silence, ce sera d’une part un changement de lieu, Jésus se retire (et il sait que ce n’est pas son heure), et il va au bord de la mer. Marc parle d’une barque, mais on ne voit pas trop à quoi elle sert, puisque les gens ont besoin de le toucher ou de l’entendre. Ce qui doit être impressionnant ce sont ces hommes ou ces femmes possédés qui affirment que Jésus est le Fils de Dieu, peut-être en hurlant. Et pourtant faut-il hurler pour affirmer cela? Jésus n'est-il qu'un simple guérisseur, un simple thaumaturge, plus doué que les autres? 

 

Je peux imaginer qu’après des heures et des heures passées à guérir, Jésus comprenne qu’il a besoin d’aide et ce sera le choix des douze, choix très solennel, puisqu’un peu à l’image de Moïse, Jésus gravit le Montagne. Ces douze se doivent d’annoncer la bonne nouvelle et d'expulser les démons, ce qui montre bien que la lutte contre le mal est le souci de Jésus.

 

Sauf que certes il y a les douze, mais que font-ils ? L’impression est qu’ils restent dans le sillage de Jésus. En fait ce ne sera qu'au chapitre 6, où nous trouvons entre autres la première multiplication des pains, qu'ils seront envoyés en mission, avec pour mission première d'expulser les démons, ce qui montre bien combien ce duel est omniprésent dans cet évangile; et reste le combat numéro un, encore de nos jours.

 

Mais là, si le bouche à oreille fonctionne, plusieurs nouvelles remontent à Nazareth. Le fils du charpentier fait des siennes. Il s’est mis à dos les pharisiens et les hérodiens,  il a des disciples en quantité et il en a même choisi douze (et pas un seul de chez eux), ce que les autres groupes n’ont pas fait. Il devient dangereux. Mais il faut savoir où il est, parce qu’il bouge beaucoup. 

 

Ils savent enfin où Jésus se trouve, et là, c’est un peu le comble. Il a une telle audience, que manger devient impossible. Comme si les gens n’avaient plus faim, comme si Jésus leur donnait quelque chose que personne n’avait donné avant. Alors il faut se saisir de lui, dire qu’il est fou, l’enfermer. Mais ça ne marche pas. Jésus ne bouge pas et à mon avis, dépités ils retournent à Nazareth en obligeant Marie, la mère, et les proches de lui intimer l’ordre de rentrer ; Il doit honorer son père et sa mère, s’il ne le fait pas, il est à condamner. Mais le temps que cela se fasse, ce sont les scribes venus de Jérusalem qui prennent le relais. 

Ce qui est étonnant, c’est la douceur de Jésus. Il les appelle auprès de lui (ce qu’il ne fera pas avec sa famille), il leur montre que leur raisonnement est stupide, faux, et il affirme que lui, il est l’homme fort. Pour faire ce qu’il fait il ne peut être à la botte du chef des démons. Mais malgré sa douceur, il y a cette profonde tristesse qui fait que Jésus parle alors de ce péché qui ne peut être pardonné, ce péché d’aveuglement, ce péché qui transforme la vie en mort, qui se ferme, qui se coupe au don de Dieu.

 

Et le chapitre se termine sur cet autre piège: faire sortir Jésus de cette foule qui en quelque sorte le protège, pour l’enfermer. Et c’est la bonne nouvelle: non seulement Jésus s’est choisi des hommes pour faire le bien pour lui, mais tous ceux qui font la volonté de Dieu, volonté que lui Jésus explique et montre par sa manière d’être, ceux-là, sont sa famille. Que la famille biologique, comme on le dit maintenant, en ait eu lourd sur la patate (pas Marie, parce qu’à mon avis on lui a forcé la main), ou surtout qu’elle soit en colère, c’est évident, mais c’est la bonne nouvelle pour nous aujourd’hui. Jésus est venu pour appeler auprès de lui des pécheurs, et ce sont ceux-là, qui parce qu’ils sont prêts à accueillir le vin nouveau, qui se font rafistoler, et sont frères, sœurs et mère de cet homme qui commande aux démons, qui guérit sans rien demander en retour, et qui se donne.

 

 

Un habitant de Nazareth raconte

 

Notre village n’est pas loin de la ville grecque de Sephora, et comme beaucoup d’entre nous y vont pour chercher du travail, nous n’avons pas bonne réputation. Alors nous nous tenons calmes, nous nous faisons oublier. Entre les Romains et Hérode, qui vient de faire emprisonner Jean, le nouveau prophète qui appelait à la conversion et proposait un baptême dans le Jourdain, parce qu’il avait osé, à juste titre, lui reprocher de vivre avec la femme se son frère Philippe, il y a de quoi être inquiet. Pourtant Jean fait ce que tout prophète doit faire (voir  Ez 2, 20). 

 

Il y a un homme de chez nous, le fils de Joseph le charpentier, Jésus, qui est parti voir Jean lui aussi. Mais depuis, ce n’est plus le même homme. Il se prend pour le messie, il a même des disciples, des pêcheurs, un publicain, et plein d’autres qui ne valent pas mieux; et surtout il se met à dos les pharisiens et les partisans d’Hérode . Or, Hérode, on sait de quoi a été capable son père, et on sait de quoi il est capable quand on s'oppose à lui; alors nous voudrions bien que Jésus arrête de faire le malin, qu'il arrête de faire du tapage, qu'il arrête ses guérisons, ses expulsions de démons, bref qu'il la ferme et qu'il se calme. 

 

De plus, on ne sait jamais très bien où il se trouve, et quand on parle d'une ville ou d'un village, quand on y va, lui n'y est plus. Heureusement que souvent il est à Capharnaüm dans la maison d'un pécheur du coin. Ce qui complique aussi les choses, c'est qu'il n'est pas souvent seul. Maintenant, il paraît qu'il a non seulement des disciples, mais que parmi eux, il en a choisi douze, qui sont un peu ses gardes du corps. Enfin moi, c'est l'impression que j'ai. 

 

Bref, nous lui avons envoyé quelques-uns de chez nous, pour se saisir de lui, parce que nous pensions qu'il avait vraiment perdu la tête, et qu'il devenait un danger pour nous. Seulement là où il était il y avait du monde, du monde à un tel point d'ailleurs que personne ne prenait le temps de manger, ce qui montre bien sa folie; nous n'avons pas pu l'approcher et nous sommes revenus bredouilles. Si nous voulons le prendre, il faut qu'il soit seul, qu'il vienne à notre rencontre. Mais il nous a ignorés. Alors nous avons pensé que si nous lui envoyions sa mère et ses frères, il ne pourrait pas refuser de les suivre. Après tout, lui qui se targue de connaître si bien la Loi, il sait qu'il doit honorer son père et sa mère. 

 

Mais, là encore, les choses ne sont pas passées comme nous le voulions. Marie et les proches sont bien arrivés à leur maison, ils n'ont pas pu entrer; mais cela c'est ce que nous voulions, pour que Jésus sorte et que l'on puisse mettre la main sur lui. Ils lui ont fait dire qu'ils étaient dehors et qu'ils voulaient lui parler. 

 

Jésus n'a pas bougé, il est resté là où il était, c'est ce qu'on nous a raconté. Il a regardé ceux qui étaient assis autour de lui, tout autour de lui, en disant: qui sont ma mère, qui sont mes frères? Et comme personne ne disait mot il a ajouté, en les regardant: voici ma mère et voici mes frères. Celui qui fait la volonté de mon père, celui-là est pour moi, un frère , une sœur, une mère. 

 

Quand Marie a entendu cela, elle a paraît-il souri; les autres par contre n'étaient pas contents du tout, car ils avaient échoué comme ceux qui avaient été envoyés avant eux. Peut-être qu'un jour il viendra à Nazareth, on verra alors s'il y a moyen de le capturer. 


Mais j'en doute un peu, parce que je commence à penser que ce Jésus, notre Jésus, qui parle de Dieu comme étant son père, il est bien plus que ce que nous pensons et imaginons. Espérons quand même que nous n'aurons pas d'ennuis à cause de lui. Et puis à mon avis, s'il y en a bien une qui fait la volonté de Dieu et la met en pratique, c'est bien la maman de Jésus. 

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