Jn 13, 21 « Ayant dit
cela ; Jésus fut troublé intérieurement ».
La traduction liturgique emploie
le mot « bouleversé » qui est peut-être plus fort que
« troublé » employé par la B.J ou la TOB. Pourtant la notion de trouble
renvoie à quelque chose de soudain, non prévu, qui vient perturber le calme, un peu comme une pierre qui en
tombant dans de l’eau pure, crée à la fois des rides mais aussi altère la
pureté de l’eau s’il y a de la boue dans le fond.
En lisant l'évangile proposé par la liturgie, dans un premier temps, ce mot « bouleversé » m’a travaillée et je
me disais que je l’avais entendu il y a peu. Et effectivement on le
trouve en Jean 11, lors de la résurrection de Lazare. Quand Jésus rencontre
Marie en pleurs, entourée de ses amis qui pleurent aussi, le texte dit :
Jn 11, 33 : « quand il la vit
se lamenter, elle et les judéens qui l’accompagnaient, Jésus frémit
intérieurement et il se troubla ». Nous qui connaissons le récit, nous
savons que si Jésus a attendu la mort de son ami pour venir à Béthanie, c’est
qu’il fallait que Lazare soit mort et enterré pour que la résurrection puisse
avoir lieu.
Mais pourquoi Jésus est-il bouleversé ?
Certes les pleurs de ses amis, la mort de son ami peuvent y être pour quelque
chose, mais il va devoir prendre une décision à la vue de tous les judéens
qui sont proches du Temple, décision qui va conforter les grands-prêtres à
prendre de véritables mesures pour le mettre à mort. Il y a de quoi être
bouleversé quand on sait que la décision que l’on prend, même si elle est
conforme au dessein de Dieu, va vous conduire à la mort, car Jésus qui pleure avec
ceux qui pleurent est bien un homme et sa propre mort peut l’effrayer. Alors ce
bouleversement est en quelque sorte lié à la mort de Lazare, mais aussi à la sienne. Et on peut aussi penser que
pour Jésus, il peut y avoir une tentation importante : ressusciter Lazare
c’est se condamner lui-même à mort; ne pas le faire, en rester à la résurrection
telle que la décrit Marthe, serait tellement plus simple. Alors ce bouleversement
intérieur qui est rapporté peut à la fois renvoyer à la sensibilité de Jésus
mais aussi à ce choix qu’il doit faire.
Je pense que pour le second
passage où ce mot est employé, il en va de même. Jésus peut-être certes
bouleversé par ce qui se passe et va se passer
mais aussi par le choix qu’il doit poser et qu'il y a en lui un combat, une tentation si je puis dire.
Dans les synoptiques, lors de la
tentation au désert après le Baptême, il est question du diable qui s’en va,
mais qui va revenir. Et dans ces moments qui précèdent ce que nous appelons la
Passion, le diable est présent pour Judas, mais aussi pour Jésus.
Si on reprend le chapitre 13 dès
le début, quand Jésus affirme être Maitre et Seigneur et quand il demande à ses
disciples de l’imiter, il leur rappelle que le
serviteur n’est pas plus grand que le maître ni l’envoyé plus grand que celui
qui l’envoie.
ll est possible que ce soit là un
message pour Judas qui est celui qui « en
mangeant le pain avec lui, a levé contre
lui le talon ». Si Judas indique aux prêtres le lieu où Jésus se cache
pour qu’ils puissent l’arrêter (mais il est possible que pour Judas l’arrestation
ne soit pas la mise à mort) c’est que son regard sur Jésus a changé. Il le
considère peut-être encore comme un maître puisqu’il l’appellera Rabbi au
moment de l’arrestation, mais sûrement plus comme le Seigneur. Peut-être que
Jésus dit à sa manière à Judas, que s’il le livre (mais il fallait bien que
quelqu’un le fasse) il risque lui aussi de perdre sa vie, car le serviteur n’est
pas plus grand que le maître. Et si Judas s’ôte la vie, c’est peut-être bien
parce qu’il croit avoir perdu, avec l’arrestation de Jésus, la vie qui était en
lui.
Maintenant envoyer Judas faire ce
qu’il devait faire, c’est bien aussi pour Jésus, comme cela s’était passé
devant la sépulture de Lazare, accepter de ne pas reculer, être confronté en un
instant avec tout ce qui doit lui advenir. Et il y a de quoi être bouleversé.
Pour en revenir à ce mot qui a fait écho en moi,
que ce soit troublé ou bouleversé, il me semble que
Jésus a une clairvoyance totale de ce
qui va lui arriver, et que l’homme qui est en lui, le serviteur, qui a pourtant
désiré cette heure, ressent une certaine peur, ce qui est plus que rassurant
pour nous. Quand Jésus ressent ce trouble ou ce bouleversement, c’est qu’il est
confronté à ce qu’il doit choisir. Il peut ressentir la tentation de ne pas
faire, mais il choisit librement (et c’est ce qui va être développé dans les
chapitres suivants) et montre ainsi ce que veut dire pour lui « aimer ».
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