samedi, janvier 29, 2022

Luc 4, 21-30. La synagogue de Nazareth, suite.

 

En ce quatrième dimanche du temps ordinaire, l'église propose d'écouter ce qui se passe dans la synagogue de Nazareth après que Jésus ait lu le livre d'Isaïe (chapitre 61) et ait annoncé que ce qui avait été lu par lui était en train de se réaliser aujourd'hui. 

 

Or le moins que l'on puisse dire, c'est que ce qui se passe est quand même inattendu, puisqu'il s'agit d'emblée de faire taire définitivement Jésus en le jetant dans le vide, et ce avant même que le ministère ait commencé, du moins chez Luc. 

 

Je me suis souvent demandée si cet épisode, celui que nous entendons ce jour, avait vraiment sa place ici, s'il ne s'agissait pas de deux épisodes qui auraient eu lieu à des moments différents, d'autant que dans le texte que nous lisons aujourd'hui, il est question de miracles réalisés à Capharnaüm et cette ville n'apparait que plus loin dans le récit lucanien. 

 

Dans l'évangile de Marc (Mc 6, 1-6), Nazareth est une étape dans le parcours de Jésus en Galilée et beaucoup de miracles ont été rapportés. A Nazareth, compte tenu du manque de foi des habitants, Jésus est comme désarmé et ne peut pas faire grand-chose, mais il n'y a aucune violence. 


On retrouve ce texte presque à l'identique chez Matthieu (Mt 13, 54-58), et là, on est chronologiquement déjà très avancé dans le ministère en Galilée, et le texte est très proche de celui de Marc. 


Luc montre dans cet épisode, qui de fait est le premier de la vie publique, comment Jésus sera un jour précipité dans la mort; qu'il sera rejeté par les siens. Mais il n'en demeure pas moins que la lecture de ce jour permet de penser que Jésus fait aussi tout ce qu'il faut pour déranger ses auditeurs. 


Pour ma part, je pense que la réaction disproportionnée des auditeurs montre avec quelle facilité le Mauvais est capable de s'emparer de l'esprit de certains, de les faire douter, et de provoquer une colère meurtrière. Dès le début de cet évangile, le combat contre le Mal et la violence de ce dernier sont donc mis en évidence. Et ce combat sera permanent durant toute la vie de Jésus.


En 2019, j'avais laissé Marie raconter la scène - https://giboulee.blogspot.com/2019/02/dans-la-synagogue-de-nazareth-fin-lc-4.html . Ici je propose de laisser la parole à un des anciens de la synagogue, mais dans un premier temps je pense qu'il est nécessaire de revenir au texte de ce jour, et de le commenter par groupes de versets.

 

21 En ce temps-là, dans la synagogue de Nazareth, après la lecture du livre d'Isaïe, Jésus déclara : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. » 

22 Tous lui rendaient témoignage et s’étonnaient des paroles de grâce qui sortaient de sa bouche. Ils se disaient : « N’est-ce pas là le fils de Joseph ? » 

 

Par ce texte, Jésus leur faire comprendre qu'il est l'envoyé, celui qui. a reçu l'onction, qui va guérir, libérer sauver.  On imagine qu'il a commenté, et peut-être qu'il a aussi rapporté ce qui s'est passé ailleurs, qu'il a rendu la vue à certains, exorcisé des possédés, parlé, 


Alors dans un premier temps, tout le monde semble séduit, mais ça ne dure pas. Il y a la petite phrase presque assassine: n'est-ce le pas là le fils de Joseph? Un peu comme si Jésus leur racontait des histoires. C'est "pour qui se prend-il celui là?". Et Jésus répond à ce questionnement, qu'il soit formulé verbalement ou pas.

 

23 Mais il leur dit : « Sûrement vous allez me citer le dicton “Médecin, guéris-toi toi-même”, et me dire : “Nous avons appris tout ce qui s’est passé à Capharnaüm ; fais donc de même ici dans ton lieu d’origine!” » 

24 Puis il ajouta : « Amen, je vous le dis : aucun prophète ne trouve un accueil favorable dans son pays. 

 

Et là, c'est lui qui attaque en quelque sorte. Mais la première phrase: "Médecin guéris -toi toi-même" est assez incompréhensible. La suite l'est moins. Les habitants de Nazareth savent ce qui s'est passé ailleurs (sauf que nous, nous ne le savons pas), et peut-être plutôt qu'un enseignement, ils auraient voulu des guérisons. Simplement ce que Jésus évoque là, c'est une sorte de jalousie: "Pourquoi ne fais-tu pas chez nous ce que tu fais chez les autres?" Puis il dit une phrase qui va devenir un proverbe pour nous: "Nul n'est prophète en son pays". 

 

25 En vérité, je vous le dis : Au temps du prophète Élie, lorsque pendant trois ans et demi le ciel retint la pluie, et qu’une grande famine se produisit sur toute la terre, il y avait beaucoup de veuves en Israël ; 

26 pourtant Élie ne fut envoyé vers aucune d’entre elles, mais bien dans la ville de Sarepta, au pays de Sidon, chez une veuve étrangère. 

27 Au temps du prophète Élisée, il y avait beaucoup de lépreux en Israël ; et aucun d’eux n’a été purifié, mais bien Naaman le Syrien. » 

 

Jésus se sert toujours de ce qui se passe chez les auditeurs pour les faire réfléchir. Le mot prophète sert d'accroche, et il fait remarquer que deux des plus grands prophètes, Elie et Elisée, ont fait des miracles ou des guérisons pour des gens qui n'étaient pas de chez eux. Mais cette comparaison passe mal. Pour qui se prend-il ce Jésus? Pour qui les prend-il? 

 

28 À ces mots, dans la synagogue, tous devinrent furieux

29 Ils se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville, et le menèrent jusqu’à un escarpement de la colline où leur ville est construite, pour le précipiter en bas

30Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin.

 

L'adjectif furieux est très fort. Car il y a des envies de meurtre, et il est possible que cet épisode soit à mettre en parallèle avec le meurtre d'Étienne dans les Actes de Apôtres, où Étienne est aussi poussé en dehors de la ville, suite à un discours qui n'a pas plu.  

 

Par ailleurs - si on se réfère au récit des tentations qui précède (Lc 4,9), le diable emmène Jésus au pinacle du temple et lui suggère de se jeter dans le vide, ce à quoi Jésus répond "tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu" - ce qui se passe là en est comme la concrétisation puisque Jésus va être précipité dans le vide, et alors que va-t-il se passer? Jésus aurait bien pu sauter de cet escarpement, pour leur prouver qu'il est le Fils de Dieu, mais il se contente de passer son chemin. Personne ne met la main sur lui.

 

 

Un ancien de la synagogue de Nazareth raconte la visite de Jésus chez eux.


Jésus, le fils de Joseph, celui qui était charpentier et qui est mort il y a plusieurs années, est parti de chez nous depuis quelque temps. 

Pourquoi n'a-t-il pas repris l'atelier de son père, pourquoi a-t-il laissé sa pauvre mère, ça on n'a pas compris, ni aimé d'ailleurs. 

 

On nous a raconté qu'il était devenu disciple de Jean le Baptiste, mais qu'il n'était pas resté avec lui, et qu'il s'était mis à enseigner mais aussi à guérir et à chasser des esprits mauvais. Il paraît qu'à Capharnaüm, cette ville portuaire mal famée, il a opéré beaucoup de guérisons. Je me demande pourquoi il n'est pas venu chez nous en premier. Ils ont quoi de plus que nous? 

 

Et le voilà de retour. Il est allé bien sûr chez sa mère, et en ce jour de Shabbat il est venu à la Synagogue. Il a eu la place d'honneur. On lui a présenté le rouleau du prophète Isaïe, il a choisi un passage disant que l'Esprit du Seigneur était sur lui, qu'il avait reçu l'onction pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres, pour annoncer aux captifs la délivrance, aux aveugles qu'ils retrouveront la vue, que les opprimés seraient libérés et enfin qu'une année favorable était accordée au peuple. Ensuite il y a eu un silence. Ce qui m'a étonné c'est sa lecture. Il prenait son temps, il nous regardait, comme si cela s'adressait à nous. Il s'est ensuite assis, après avoir rendu le rouleau au servant. Et là, il a tout simplement dit que cela s'accomplissait aujourd'hui.  

 

Nous étions un peu partagés; certes il parle bien, il parle avec une assurance qu'il n'avait pas par le passé, mais bon, pour qui se prend-il? Il est le fils de Joseph, alors qu'est-ce qu'il nous raconte. Il serait le Messie? Bon il a peut-être fait des miracles, mais il n'est pas le seul, alors dire cela de lui, c'est nous faire prendre des vessies pour des lanternes. 

 

Bien sûr, ça on ne l'a pas dit, mais nous étions un certain nombre à le penser. 

 

Il nous a regardés et, de la place qui était la sienne, il nous a interpellés. Il nous a dit quelque chose d'étonnant: que nous allions lui dire "médecin, guéris -toi toi-même"; c'est ce que nous disons aux charlatans qui promettent des guérisons et ne tiennent pas parole. Pourtant lui, d'après ce qu'on dit, il a guéri deux ou trois personnes de notre village, mais pour qui se prend-il?  D'accord il a fait beaucoup à Capharnaüm, mais bon c'est comme ça, mais comme je l'ai dit ce n'est pas très juste. Il a ajouté que nul n'était prophète dans son pays. Se prend-il pour un prophète? Serait-il plus grand qu'eux? 

 

Ensuite il nous a dit qu'Elie et Elisée, les miracles qu'ils avaient accomplis, c'était pour des étrangers, pour des non-juifs. Est-ce qu'il veut nous faire comprendre que les miracles, ce n'est pas pour nous, que nous n'en sommes pas dignes, et que lui, il soulage les autres, pas nous. 

 

Alors, ça, je ne sais pas pourquoi, mais ça a mis le feu aux poudres. Il nous a vraiment énervés. Il se prend pour qui? Il s'imagine être plus fort que le prophète Elie qui a fait tomber le feu du ciel sur le sacrifice offert pour faire tomber la pluie, ou le prophète Elisée, qui certes a guéri Naaman de Syrien, mais qui a aussi nourri 100 personnes avec du pain pour 20? Non vraiment il exagère et il nous prend pour qui.

 

Alors une fois le service fini, on l'a acculé pour l'emmener en dehors de la ville, là où il y a ce promontoire. On voulait le précipiter dans le vide, on était tous autour de lui, mai il s'est passé quelque chose d'étonnant. On n'a pas réussi à mettre la main sur lui, c'est comme s'il y avait un bouclier autour de lui, et il est parti. Bien sûr, Nazareth il connaît comme sa poche, il y a grandi. Bref il nous a échappé, mais il ne perd rien pour attendre. 

 

Si je réfléchis, je ne comprends quand même pas ce qui nous a pris. D'accord on a peut-être le sang un peu chaud, mais de là à vouloir tuer… C'est comme si un esprit était tombé sur nous et nous poussait à détruire cet homme, comme s'il était un danger public. Encore heureux qu'il soit  arrivé à s'en sortir et à nous échapper. Qu'aurions nous dit à sa mère? 


 

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