Marc 5, 21-45: deux guérisons.
Comme tous les ans, en semaine, c'est la lecture continue de l'évangile de Marc, je retrouve ce texte qui raconte la guérison de la fille de Jaïre et de la femme qui perdait du sang avec plaisir. Mais en travaillant ce texte, j'ai été frappée par la place que prend la foule, puis par la réaction des gens de la maison de Jaïre. Et par le fait que l'une étouffe Jésus et que l'autre montre Jésus en proie aux moqueries et que cela est évocateur de ce qui se passera lors de la passion.
Dans un premier temps mon désir n'a pas été de faire raconter par un des protagonistes ce qui est arrivé, parce que cela, je l'ai déjà fait et refait, mais de prendre le temps de visualiser ce qui se passe, ce qui se joue avec cette foule, qui est presque comme un contenant pour Jésus, qui le serre, qui l'enserre, qui est à deux doigts de l'étouffer, et qui en même temps empêche ceux qui voudraient l'approcher de l'atteindre. On a déjà vu cela lors de la guérison du paralytique de Capharnaüm, et on le reverra encore et encore.
Si je remets les évènements rapportés par Marc, dans leur contexte, il faut donc revenir au retour de la Décapole , de Géradsa.
Jésus après avoir sauvé, rendu à une vie sociale, un homme possédé par un grand nombre d'esprits mauvais, impurs, ne peut rester dans ce territoire païen. Deux raisons possibles, la première souvent mise en avant c'est la perte subie par les propriétaires des troupeaux de porcs, qui se sentent lésés, la seconde étant que Jésus peut faire peur. Les magiciens, à certaines époques, guérissaient les cas de possession en obligeant les démons à quitter le corps humain pour aller dans un animal. Et c'est bien ce que Jésus fait, mais faire cela avec une telle puissance, montre qu'il est un magicien trop puissant et qu'il vaut mieux le faire partir. Le voilà donc de retour chez lui, et dès qu'il arrive, deux phénomènes se passent.
Le premier c'est la foule qui d'emblée, s'assemble autour de lui, comme pour bien mettre la main sur lui, et éviter qu'il reparte à nouveau.
Et le second c'est la demande du chef de la synagogue, certainement envoyé par sa femme, qui vient demander la guérison de sa fille qui est à l'article de la mort. J'ai raconté dans un billet, comme Jaïre a vécu ce temps, peut-être bref dans le temps, mais qui pour lui a dû durer une éternité: https://giboulee.blogspot.com/2019/02/la-resurrection-de-la-fille-de-jaire-mc.html, car Jésus est comme interrompu dans sa marche vers la maison de Jaïre, par cette femme, dont on ne connait pas le nom ou le prénom, mais qui perd du sang et qui joue son va-tout en touchant Jésus. Et c'est cette guérison, qui intervient un peu comme des cheveux sur la soupe, mais qui permet de comprendre que de Jésus sort la vie, la vie plus forte que la mort.
Je vais simplement relire le texte (traduction liturgique) en me centrant sur les mouvements.
Le texte.
21 En ce temps-là, Jésus regagna en barque l’autre rive, et une grande foule s’assembla autour de lui. Il était au bord de la mer.
On a donc une grande foule qui s'assemble autour de lui.
Jésus s'est en quelque sorte fait rejeter par les habitants de la Décapole, par les païens. Ill rentre à la maison. Et là, aussitôt c'est la foule qui s'assemble autour de lui. Ce verbe pour moi, renvoie presque à un dessin. Chaque individu, est un peu comme une feuille, poussée par le vent, qui vient se coller contre Jésus. Et cela fait ungros tas de feuilles qui s'agglutinent
22 Arrive un des chefs de synagogue, nommé Jaïre. Voyant Jésus, il tombe à ses pieds
23 et le supplie instamment : « Ma fille, encore si jeune, est à la dernière extrémité. Viens lui imposer les mains pour qu’elle soit sauvée et qu’elle vive. »
24 Jésus partit avec lui, et la foule qui le suivait était si nombreuse qu’elle l’écrasait.
Maintenant on a une foule si nombreuse, qu'elle écrase;
Arrive donc Jaïre, qui a dû être prévenu par le "bouche à oreilles", qui arrive, qui trouve Jésus, qui le voit, qui tombe à ses pieds, qui supplie, lui le chef de synagogue. Il lui a déjà fallu la traverser cette foule qui fait barrage. Jésus qui aussitôt se met en marche. Il accepte de ne pas rentrer chez lui pour se changer, car on nous avait dit qu'il était parti tel qu'il était, sans se changer. Malgré l'écrasement de la foule, Jésus se laisse toucher par l'attitude de père, et par sa demande. Il accepte immédiatement de partir chez lui. On peut penser qu'il y a un changement d'itinéraire. Et c'est là que les choses se compliquent et qu'un certain temps pas passer.
25 Or, une femme, qui avait des pertes de sang depuis douze ans… –
26 elle avait beaucoup souffert du traitement de nombreux médecins, et elle avait dépensé tous ses biens sans avoir la moindre amélioration ; au contraire, son état avait plutôt empiré –…
27 cette femme donc, ayant appris ce qu’on disait de Jésus, vint par-derrière dans la foule et toucha son vêtement.
28 Elle se disait en effet : « Si je parviens à toucher seulement son vêtement, je serai sauvée. »
29 À l’instant, l’hémorragie s’arrêta, et elle ressentit dans son corps qu’elle était guérie de son mal.
30 Aussitôt Jésus se rendit compte qu’une force était sortie de lui. Il se retourna dans la foule, et il demandait : « Qui a touché mes vêtements ? »
31 Ses disciples lui répondirent : « Tu vois bien la foule qui t’écrase, et tu demandes : “Qui m’a touché ?” »
32 Mais lui regardait tout autour pour voir celle qui avait fait cela.
33 Alors la femme, saisie de crainte et toute tremblante, sachant ce qui lui était arrivé, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité. 3
34 Jésus lui dit alors : « Ma fille, ta foi t’a sauvée. Va en paix et sois guérie de ton mal. »
Jésus est comme pris DANS la foule, la foule l'enserre,
le bloque dans ses mouvements.
Dans toute cette séquence, la foule est présente, au moins autant que la femme. Cette dernière, un peu comme un saumon qui remonte le cours de la rivière, doit se faufiler en essayant de ne pas toucher les personnes qui l'empêchent d'arriver à Jésus, puisqu'elle se sait impure, se positionner derrière Jésus, et toucher son vêtement.
On nous dit que Jésus se retourne DANS la foule, c'est-à-dire qu'il s'arrête, et que manifestement il faire un effort pour se retourner, car il sait bien que ça vient de derrière, mais que la foule est tellement dense que c'est difficile.
Et les disciples avec leur bon sens habituel, pensent qu'il se fait des idées, que bien sûr quelqu'un a touché ses vêtements, mais quoi de plus normal. Mais là, Il ne se laisse pas faire, et on voit le regard de Jésus qui balaye tout autour de lui, qui se croise certainement celui de la femme, et c'est alors qu'elle peut raconter ce qu'elle a vécu, et recevoir un immense réconfort dans les mots prononcés: elle est redevenue une fille d'Israël, elle n'est plus exclue, sa foi, sa confiance, son acte de bravoure, car c'en est un, l'a sauvée au-delà de ce qu'elle espérait, oui elle est guérie et en paix.
Et là quelque chose se passe, Il y avait la foule, mais elle n'a pas pu empêcher la guérison, et maintenant il y a les "gens" qui arrivent et qui sont peu nombreux, mais qui ne s'adressent pas à Jésus mais à Jaïre pour lui annoncer brutalement que c'est trop tard. Qui sont ces gens?
35 Comme il parlait encore, des gens arrivent de la maison de Jaïre, le chef de synagogue, pour dire à celui-ci : « Ta fille vient de mourir. À quoi bon déranger encore le Maître ? »
36 Jésus, surprenant ces mots, dit au chef de synagogue : « Ne crains pas, crois seulement. »
37 Il ne laissa personne l’accompagner, sauf Pierre, Jacques, et Jean, le frère de Jacques
On a un premier groupe de gens qui semblent vouloir protéger Jésus, mais qui sont brutaux envers Jaïre. Et là, l'évangéliste nous fait comprendre que Jésus on peut toujours le déranger. La foule a disparu, il reste ces gens qui viennent de la maison, et les disciples, mais là Jésus fait un choix:, il y a Jaïre, Jésus, et les trois choisis. Soit 5 personnes.
38 Ils arrivent à la maison du chef de synagogue. Jésus voit l’agitation, et des gens qui pleurent et poussent de grands cris.
39 Il entre et leur dit : « Pourquoi cette agitation et ces pleurs ? L’enfant n’est pas morte : elle dort. »
Là ce sont d'autres gens, qui font du bruit… Et qui prennent Jésus pour un fou. Ce sont les proches, les voisins, les amis,
40 Mais on se moquait de lui. Alors il met tout le monde dehors, prend avec lui le père et la mère de l’enfant, et ceux qui étaient avec lui ; puis il pénètre là où reposait l’enfant.
41 Il saisit la main de l’enfant, et lui dit : « Talitha koum », ce qui signifie : « Jeune fille, je te le dis, lève-toi ! »
42 Aussitôt la jeune fille se leva et se mit à marcher – elle avait en effet douze ans. Ils furent frappés d’une grande stupeur.
43 Et Jésus leur ordonna fermement de ne le faire savoir à personne ; puis il leur dit de la faire manger.
Et Jésus met tout le monde dehors, mais il n'est pas seul pour autant, et là, il se différencie nettement d'Elie ou d'Elisée, qui eux aussi ont redonnée la vie à des enfants. Et la parole suffit pour que la jeune fille revienne à la vie.
On peut aussi noter le fait que Jésus ne veut pas que cela se sache. Plus personne, on retrouve la paix, le silence. Je pense que cette interdiction, nécessaire à ce moment-là, a dû poser question aux parents de la jeune fille.
Pour le dire autrement
Au début de ce texte, il y a la foule avide, une foule qui attend quelque chose de Jésus, qui veut en quelque sorte le prendre pour elle. Cette foule, un homme parvient à fendre. Puis une femme y arrivera aussi.
Et Jésus se met en route, mais je pense que la curiosité est telle, surtout que Jaïre est très connu, que tout le monde veut voir. Et la foule, devient envahissante avec sa curiosité. Elle est même menaçante puisqu'elle écrase Jésus. Elle fait un peu penser aux vagues qui se jettent dans la barque dans la péricope précédente.
Et c'est cette même foule que la femme à son tour affronte pour venir toucher cet homme dont on lui a parlé, mais qu'elle ne connaît pas. Et c'est à la fois, la guérison, mais aussi la question de Jésus, qui m'a touché; mais la formulation "il se retourna dans la foule", montre bien à quel point c'est dense et qu'il est presque incapable de faire le moindre geste. Mais il a senti que quelque chose s'est passé, entre lui et quelqu'un comme si, on lui avait arraché quelque chose, pris quelque chose, et il veut comprendre.
Le verset 32 "il regardait tout autour de lui pour voir celle qui avait fait cela", est étonnant. Comment Jésus peut-il savoir que c'est une femme qui l'a touché? Toujours est-il que la femme là, ne peut plus se cacher, et qu'elle se montre, elle qui n'est plus impure, qui est guérie. On peut alors penser que la foule s'écarte quand même, car elle peut comme Jaïre, se jeter aux pieds de Jésus et lui dire "toute la vérité". Et c'est la réponse de Jésus, qui sert d'accroche à la suite: la foi, foi qu'il demandera à Jaïre: ne crains pas, croie seulement.
Arrivent ensuite des gens qui brutalement annoncent la mort de l'enfant. Et là, on a 'impression qu'il se passe quelque chose, de non-dit, comme si Jésus, dispersait la foule, il renvoie tout le monde, et ne garde avec lui que les trois qui plus tard assisteront à la transfiguration. Et là, ce n'est plus une foule, mais ce sont des gens qui annoncent que l'enfant est morte, et que ça ne sert plus à rien de déranger Jésus.
Mais il y a manifestement un tournant. Cela se passe entre lui et Jaïre et les trois disciples.
Là aussi il se passe quelque chose avec les "gens". Pas déranger le maître, puis des gens qui s'agitent et qui pleurent (la maison de Jaïre), des gens qui se moquent de lui, 'elle n'est pas morte, elle dort', et enfin 6 personnes: lui, les 3 disciples, les deux parents et l'enfant. Et c'est la toute petite phrase, qui est rendue par beaucoup de mots. C'est bien "la jeune fille" qui entend la phrase de résurrection "lève-toi". J'aime la phrase, soit en araméen, soit traduite. Et ensuite il y a les verbes étonnants: il y a la main de Jésus, et elle se lève, elle marche. Et les ordres de Jésus, ne rien dire et la faire manger.
Alors il y a la foule, il y a les gens, il y a une femme, il y a un homme, il y a les disciples. Il y a Jésus qui est comme enserré par la foule, mais qui guérit à son insu et qui parle. Il y a les gens qui se moquent de lui, qui sont mis dehors et c'est la guérison.
Peut-être que maintenant je peux laisser la place à la maman de la jeune fille…
La maman raconte.
Ma fille est malade. Elle ne mange rien, elle a mal à la tête, la lumière lui fait mal aux yeux. Je ne sais pas quoi faire. Mon mari a prié mais... son état a empiré. Nous avons passé la nuit à son chevet, elle ne parlait presque plus. Sa respiration était trop rapide, elle avait une forte fièvre, et elle s'épuisait. Au petit jour elle s'est endormie, mais ce n'était pas un bon sommeil. Elle paraissait si petite, si fragile sur sa couche. Des voisins qui savaient qu'Anna était très malade nous ont dit que Jésus, le Jésus de Nazareth, était revenu, et qu'il allait dans la maison de la belle-mère de Simon, le pêcheur qui avait tout laissé pour le suivre.
J'ai demandé à mon mari d'aller voir cet homme, de tout faire pour le ramener à la maison, pour qu'il vienne guérir mon rayon de soleil, ma petite fille. Elle a douze ans, mais c'est encore mon bébé.
Il est parti, et le temps a passé. Je me tordais les mains, et elle allait de plus en plus mal. Et son souffle s'est arrêté. Alors j'ai envoyé des serviteurs dire à Jaïre que c'était trop tard, qu'elle était morte, notre aimée. Et les pleureuses sont arrivées, et la maison s'est remplie, et Jaïre est enfin revenu. Je pensais qu'il serait seul, mais Jésus était avec lui, et aussi trois de ses amis, Simon et les fils de Zébédée.
Il a dit aux pleureuses d'arrêter de pleurer, aux joueurs de flûte de cesser de jouer, car disait -il "la jeune fille n'est pas morte, mais elle dort". Je l'ai pris pour un fou. Mon Anna avait rendu le dernier souffle, depuis près d'une heure! Peut-être que s'il était arrivé plus rapidement il aurait empêché cela, mais voilà, il n'était pas venu.
Il nous a demandé de nous conduire à elle; les servantes voulaient venir mais il a refusé; et nous sommes allés auprès du lit où elle reposait. Là, il m'a regardé, il a regardé Jaïre; il a regardé ma toute petite fille, et lui a pris la main; et il lui a dit dans notre langue de se lever. J'entends encore les mots résonner dans mes oreilles: "Talita Koum" a-t-il dit. Et elle a ouvert les yeux, comme si elle se réveillait, elle s'est assise et elle s'est mise debout et elle marchait. Mon cœur débordait de joie, mais les larmes se sont mises à couler. Que voulez-vous, c'est comme ça.
Il nous a dit de lui donner à manger, de ne rien dire à personne. Ne rien dire à personne, mais comment pourrions-nous ne pas parler de ce nous venions de vivre? Il est parti. Il n'a rien demandé, il n'a rien dit, mais il avait l'air heureux.
J'avais lu dans nos écritures que les prophètes Elie et Elisée avaient redonné la vie eux aussi à des enfants, mais cela avait pris du temps, ils avaient longuement prié; alors que Jésus, il lui a pris la main, il lui a parlé simplement, et elle est revenue, vivante, souriante, heureuse.
Que le Dieu d'Israël soit béni pour ce prophète qu'il a suscité pour nous son peuple. Oui notre Dieu est un Dieu fidèle qui entend la voix du malheureux, et qui répond. Béni soit-il et béni soit son envoyé.
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